Quem Di Diligunt Adulescens Moritur

« 3 février 2004.

La vie est difficile sans toi, Harry. Je dois me réhabituer à être seul avec moi-même. A supporter ce que je suis. A apprivoiser les souvenirs qui me tourmentent la nuit. Mais surtout, la vie est difficile parce que tu me manques.

J'ai toujours vécu mon existence comme une épreuve. D'abord à cause de tout ce qui m'est arrivé, et ensuite à cause de ce que j'ai choisi de devenir. Toi, tu rendais mon existence supportable. C'était facile d'être la Ronce lorsque je pouvais rentrer chez nous le soir, oublier ce que je venais de faire, tomber le masque du meurtrier pour renfiler celui de Noah, à tes côtés...

Jamais je n'aurais cru que le masque de Noah me manquerait, et pourtant, il me manque déjà. Tous les jours, je brûle d'envie d'aller te voir, de changer d'avis, de reprendre quelques cheveux à Justin et de descendre au bas de ton immeuble, pour te dire que j'ai fait une erreur, que je veux tout recommencer, que rien n'est perdu...

Mais le bon sens m'en empêche. Je sais que cette sensation d'enfermement et de tromperie qui m'étouffe depuis trois ans resurgirait aussitôt si je revenais vers toi pour te mentir encore. Je sais que pour ton bien comme le mien, nous devons rester séparés. Combien de temps encore ?

Je ne sais pas. Je n'ose pas me dire que c'est pour toujours. Je ne sais pas combien de temps la quête d'Astoria suffira à me maintenir en vie, à me motiver à avancer. Je ne sais pas si je trouverai un jour quelque chose en ce monde qui me permettra d'aller de l'avant, d'envisager de vivre, sans toi... Je ne sais pas si un jour, les circonstances changeront, feront qu'il me sera possible d'aller vers toi et de me révéler en pleine lumière... Je ne le pense pas. Mais même moi, j'ai besoin de rêver. »

X

« 8 mars 2004.

Je sais que tu vas mal, Harry. Je ne peux m'empêcher de t'observer quelques fois, lorsque tu sors de chez toi. De guetter tes allées et venues. Je vois bien que tu as maigri, que tu dors mal. Que Ron et Hermione te rendent souvent visite pour éviter que tu restes livré à toi-même. Hermione, toi aussi, tu me manques... Toi qui connais la vérité, que penses-tu de ma fuite ? Tu dois sans doute en soupçonner les véritables raisons. Comment me juges-tu, Hermione ? J'espère que tu ne m'en veux pas trop. Futée comme tu es, tu avais dû comprendre que cette histoire était vouée à se terminer bien avant que je ne l'admette moi-même.

Je doute que Weasley me regrette beaucoup : il doit probablement fêter mon départ intérieurement... Mais toi, Harry, j'espère que tu finiras par aller mieux. Il le faut. Tu as toujours été capable de te débrouiller sans moi jusqu'à présent. Tu n'as pas eu à subir ce désespoir et cette dépendance qui m'ont frappé pendant toutes ces années...

Je sais que tu peux te reconstruire. Cela me ferait mal de te voir abandonner mon souvenir, mais... J'en ai besoin pour tenir seul sur mes jambes, moi aussi. Si je te vois souffrir le martyr à cause de moi, je m'en voudrai une fois de plus... Et je ne sais pas combien de temps je supporterai de te voir ainsi. »

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« 6 avril 2004.

A présent que je peux être la Ronce à plein temps et que je n'ai plus à me cacher de tes regards, Harry, je suis plus efficace. Je peux m'attaquer aux plus gros morceaux : à ces Mangemorts et partisans qui ont toujours trop bien su se cacher de moi, et que je n'avais ni les moyens ni l'expérience de poursuivre, jusqu'à présent. C'est désormais chose faite. Je vis confortablement de ce que je fais, aussi méprisable cela soit-il. J'ai une réputation bien établie, tout un réseau d'informateurs à mon service, et la sécurité de multiples visages. J'ai mis certains de mes hommes sur la piste d'Astoria et de H.G. Shelby, cet inconnu censé l'avoir achetée il y a sept ans. Les dés sont jetés. Reste à savoir si je remporterai la mise... »

X

« 22 mai 2004.

L'enquête piétine. Shelby est un nom de famille bien trop répandu, et je ne peux pas réduire la recherche avec deux initiales... Quand je pense que je restreins mon champ d'investigation à Londres. Je n'ose imaginer si H. G. Shelby réside ailleurs au Royaume-Uni, et qu'il me faut retourner tout le pays... »

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« 1er août 2004.

Notre petit jeu reprend, Harry. Je n'ai pas pu m'en empêcher. La Ronce t'a écrit une lettre pour ton anniversaire. Bien sûr, ce n'était qu'une liste de noms, comme d'habitude. Mais pour moi, cela signifiait davantage. C'est mon seul moyen de communiquer avec toi désormais. Le seul lien qu'il me reste...

Je suis resté longtemps à contempler ma lettre, imprimant mon empreinte sur le papier, en songeant que bientôt, tu la tiendrais entre tes mains toi aussi... Je donnerais tout pour être cette feuille de papier. Pour pouvoir te rejoindre et sentir ta caresse à nouveau sur ma peau... Mais je ne peux pas. Tu es directeur du Service des Aurors à présent, Harry. Cela signifie que toi et moi sommes ennemis mortels. Jusqu'à ce que la mort nous sépare, pas vrai ? »

X

« 2 octobre 2004.

Je ne compte plus le nombre de « Shelby » sur lequel j'ai enquêté. Mes informateurs implantés à divers degrés dans l'administration me font parvenir des listes de noms, de recensement, des fiches de paye, des avis d'imposition... Toute cette paperasse administrative, je la classe et je l'examine, et puis j'espionne leurs propriétaires au cas par cas. Jusqu'à présent, tous les Shelby se sont avérés être des hommes ordinaires, voire même banals. Mes informateurs situés plus loin dans les bas-quartiers me rapportent le moindre murmure, la moindre rumeur sur n'importe quel dénommé Shelby. Des criminels Shelby, il y en a, bien sûr. Mais aucun qui semble avoir les moyens d'acheter deux jeunes femmes au bordel de l'Eventail.

Les recherches ne payent pas davantage en ce qui concerne Daphnée et Astoria. Avec toutes les années qui ont passé, je me rends compte que j'ai du mal à visualiser leurs visages dans mon esprit. Mais je me souviens qu'elles étaient de très belles jeunes femmes. Blondes comme les blés, ravissantes, Sang-Purs... Elles ne seraient pas passées inaperçues, quel que soit l'endroit. Mais là, elles semblent simplement s'être évaporées dans la nature... »

X

« 11 novembre 2004.

Je ne sais pas ce qui me fait le plus mal, Harry. Rester loin de toi, ou te voir tomber dans les bras d'un autre.

C'était voué à arriver, fatalement. Hier soir, ce n'était qu'un inconnu dans un bar. Pas notre bar : celui-là, tu n'as plus osé y aller depuis que je suis parti. Mais un bar dans le même quartier, un bar dans lequel tu es entré sans la moindre intention peut-être, juste parce que tu te sentais seul...

Je sais que c'est ma faute, Harry. C'est ma faute si je me suis brûlé : je n'aurais pas dû regarder. Cela fait des mois que j'aurais dû arrêter de te suivre et de te surveiller. Mais j'en suis tout simplement incapable. Alors, cette nuit-là encore, je t'ai suivi, et je t'ai vu repartir avec cet inconnu, avec qui tu as couché, sans doute...

C'est normal. C'est humain. Je sais que tu es malheureux et que tu te sens seul. Mais je sais aussi qu'un jour, tu rencontreras quelqu'un d'autre, quelqu'un que tu ramèneras chez toi, que tu serreras dans tes bras, et ce ne sera pas seulement une aventure d'un soir, cette fois. Ce sera le début d'une nouvelle histoire. Et ce jour-là, je souffrirai mille fois plus que ce que tu m'as infligé aujourd'hui.

Je suis fatigué de toutes ces contradictions, Harry. Je veux ton bien et ton bonheur, je veux que tu avances. Mais pourquoi est-ce que ça fait si mal d'être laissé en arrière ? »

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« 27 novembre 2004.

L'un de mes informateurs m'a encore donné une piste sur H.G. Shelby. C'est un petit revendeur qui accepte de me livrer des informations de temps en temps, moyennant finances. Il m'a parlé d'un asile Moldu dans lequel il s'introduit de temps à autre pour se procurer des drogues difficiles à trouver dans les milieux sorciers. Un jour, sur place, il a entendu l'un des infirmiers mentionner le nom d'un certain Shelby. Je ne sais pas vraiment ce que ça vaut. Pas grand-chose, sans doute. Encore un Shelby de plus perdu dans la masse de Londres. Mais comme pour tous les autres, je vais mener mon enquête. Je me rendrai sur place dès que j'aurai trouvé le moyen de m'introduire dans l'asile. Mon contact m'aidera.

Je ne sais plus quoi penser, Harry. J'avoue qu'après presque un an passé loin de toi, je commence à me demander pourquoi je suis parti. Au moins à tes côtés, je me sentais vivre. Je t'avais auprès de moi, pour moi seul. A présent, j'ai l'impression de me vider chaque jour un peu plus de ma substance. Je me dessèche, je m'atrophie : mes meurtres ne me font plus rien, et je ne ressens même plus l'excitation de la traque ou l'angoisse du passage à l'acte... C'est comme si la Ronce avait pris le dessus sur moi, petit à petit. Je sens ses épines percer mon cœur et le paralyser. Je n'aime pas ce que je suis en train de devenir. »

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« 1er décembre 2004.

Joyeux anniversaire, Harry... Dans mon cœur, nous sommes toujours ensemble toi et moi. Cela fait quatre ans depuis cette nuit où nous nous sommes rencontrés dans ce bar, et aimés pour la première fois. Trois années de passion, et une année de désert...

Je sais que tu m'aimes encore. Je sais que je ne devrais pas me réjouir d'avoir encore cette importance dans ta vie. Je sais que Granger et tous tes amis ont voulu passer cette journée avec toi pour que tu ne sois pas seul, et que tu les as mis à la porte...

Je suis désolé, Harry. Je t'aime. J'aimerais tellement que ce soit possible. »

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« 10 janvier 2005.

La piste de mon informateur était bonne. Qui l'eut cru ? Moi je ne l'aurais jamais parié, en tout cas.

Je tremble en écrivant ces lignes. Je tremble tellement que je ne sais même pas par où commencer, mais je dois raconter...

Hier soir, je me suis introduit dans l'asile de Blackfriars. C'est un établissement ordinaire, loin des clichés du genre sur ce type d'institution. Mon contact m'a aidé à m'introduire dans le bâtiment, mais ensuite, je me suis débrouillé seul. J'avais affaire à des Moldus après tout. Il n'était pas difficile de détourner leur attention le temps de jeter un coup d'œil aux registres, et d'identifier la chambre d'un certain Robert Shelby.

Déjà à cette mention, j'ai tiqué. L'initiale ne correspondait pas. Mais je me suis rendu dans la chambre malgré tout. J'ai jeté un sort pour déverrouiller la porte, ignorant ce que je trouverais derrière.

J'ai trouvé quelque chose, ça, aucun doute possible. Ce n'était pas Robert Shelby. Ce n'était pas Astoria. C'était mon père.

Je l'ai reconnu dès l'instant où je l'ai vu. Et pourtant, je crois que les premières secondes, je n'ai pas pu accepter ce que je voyais... Ce n'était pas possible, pas vrai ? Ça ne pouvait pas être lui ?

Je n'ai pas beaucoup pensé à mon père depuis que j'ai fui la maison à l'âge de dix-sept ans. J'ai davantage pensé à ma mère, peut-être parce que, paradoxalement, c'est à elle que j'en veux le plus. Parce qu'elle aurait dû être celle qui devait m'aimer et me protéger plus que tout au monde, et qu'elle ne l'a jamais fait... Je l'ai tuée à travers toutes les femmes de Mangemort que j'ai tuées. Mais mon père... Il faisait partie d'un passé que je voulais oublier. Un passé dont je ne voulais plus faire partie. Le petit garçon terrifié par Lucius Malefoy et par la chambre noire semble tellement loin de moi, désormais...

Pourtant, en voyant mon père dans cette petite cellule sous le clair de Lune, tout m'est revenu d'un seul coup, comme un poing en pleine figure. Brusquement, j'avais de nouveau cinq ans et j'étais un petit garçon effrayé, que l'on battait et que l'on enfermait pendant des heures. Je voyais Lucius, son visage si haut au-dessus de moi, lever sa baguette en ignorant mes suppliques. Je revoyais ma douleur, mes larmes et mes cris...

Une part de moi était bouleversée et terrifiée, l'autre folle de fureur...

Je me suis approché, conscient de rien si ce n'était d'avoir perdu tous mes moyens. Bien décidé à laisser ma colère s'échapper, à laisser l'homme que je suis devenu venger l'enfant que j'étais... Je ne sais pas ce que j'aurais fait si la Lune n'avait pas éclairé le visage de mon père à cet instant. Parce qu'alors, je me suis figé.

Lucius Malefoy n'avait plus rien à voir avec l'homme grand, abominable et froid que j'avais connu. Il ressemblait à une ombre, une parodie de lui-même, une copie pâle et délavée par les années. Je crois qu'on peut dire qu'il avait fondu, littéralement. La chair pendait sur ses os saillants. Ses yeux caves fixaient le vide, indifférents à ma présence. Ses mains osseuses agrippaient compulsivement ses genoux : assis sur son lit, il se balançait d'avant en arrière, dans une mare de sa propre urine.

Je me suis approché. Malgré moi, presque avec défiance, un mélange de dégoût et de pitié... Je me suis agenouillé en face de lui, et j'ai vu qu'il ne me reconnaissait pas.

- Père, j'ai murmuré.

Aucune réaction.

- Lucius. Lucius !

J'ai insisté, empoignant son visage pour le forcer à me regarder :

- C'est moi, Drago ! C'est votre fils !

Un instant, ses yeux se sont égarés sur moi. Ce que j'y ai vu n'avait plus rien d'humain. C'était un esprit brisé à l'intérieur de ce corps brisé...

En le regardant plus attentivement, j'ai décelé des cicatrices sur sa peau tavelée. Des coupures. Des brûlures de cigarette. Il lui manquait deux doigts à la main droite, le lobe d'une oreille, et presque tous ses cheveux avaient disparu.

J'ignore ce que mon père a vécu pendant ces sept années où je ne l'ai pas vu. J'ignore ce que lui et ma mère sont devenus après qu'ils aient pris la fuite, ni pourquoi ils semblent séparés aujourd'hui. Mais une chose est sûre : Lucius Malefoy n'était pas avec moi dans cette pièce. Quand j'ai tenté une nouvelle fois de lui parler, il a murmuré :

- Shelby, Robert Shelby... Qui est là ? On flotte tous là en bas, tu sais...

Et ainsi de suite : un enchainement de phrases en boucle, sans le moindre sens...

- H. G. Shelby, j'ai articulé. Qui est H. G. Shelby ? Est-ce que tu le sais ?

- Harriet !

A cet instant, son regard s'est écarquillé, et il n'a plus rien dit. Il s'est recroquevillé dans son lit, faible, misérable et puant, et il s'est mis à sucer son pouce. Je me suis écarté, lentement. Incapable de me remettre du choc. Incapable de décider quoi faire. Ma baguette à la main, je subissais les assauts de ma conscience. Jamais je n'aurais imaginé que revoir mon père puisse me jeter dans un tel état de haine, totalement incontrôlable...

Et pourtant, au fond de moi, je sentais quelque chose de glacé et de froid, qui a fini par prendre le dessus. J'ai contemplé mon père une dernière fois, et je me suis dit : « Voilà ce qu'il est devenu. Le grand Lucius Malefoy. Cet homme qui me faisait si peur étant enfant, cet homme qui a eu un tel impact sur ma vie, le responsable de tant de mes souffrances... Cet homme, ma bête noire, mon fantôme, voilà à quoi il est réduit. Regarde-le, Drago. C'est de ça que tu as eu peur toute ta vie ? Il n'est plus rien, regarde ! Comment as-tu pu le laisser te détruire à ce point ? Comment a-t-il pu avoir un tel pouvoir sur toi ? »

Soudainement, ma colère s'est retournée contre moi-même. Mais c'était une colère saine, lucide. J'ai baissé ma baguette. J'ai su avant même de sortir de la pièce que ma décision était prise. Lucius Malefoy était là, à ma portée, aussi coupable que tous les Mangemorts que j'avais déjà assassinés. J'aurais pu, j'aurais dû prendre sa vie à lui aussi. Mais je ne l'ai pas fait. J'ai préféré le laisser là, dans sa propre merde, là où il avait sa place.

Parce qu'il n'en valait pas la peine. Parce qu'il n'est plus qu'une créature sans honneur et sans nom. Parce que son sort est pire que la mort. »

X

« 16 janvier 2005.

Que je le veuille ou non, je reste hanté par la vision de mon père. J'ai essayé d'interroger le personnel de l'asile, mais aucun d'eux n'a su me dire comment il en était arrivé là. Ils l'ont simplement retrouvé errant dans la rue il y a deux ans, délirant, ne sachant répéter que ce nom, « Shelby », et ils l'ont pris en charge. Personne ne s'est jamais manifesté pour le retrouver ou lui rendre visite. Aucune trace de ma mère.

Ce fantôme surgi d'entre les morts me force à me poser des questions sur mes parents, à réveiller des squelettes que j'aurais préféré garder enterrés, une bonne fois pour toutes...

Mon père a prononcé un nom : Harriet. Harriet Shelby ? Se pourrait-il qu'Harriet Shelby, ce soit ma mère ?

J'ai l'impression de m'avancer trop, et pourtant, cette possibilité revient en boucle dans ma tête... Jamais depuis toutes ces années, je n'avais envisagé de retrouver mes parents. D'être à nouveau face à eux, un jour...

Mon père n'existe plus, mais qu'en est-il de ma mère ? Qu'adviendrait-il si je venais à la retrouver ? Comment est-ce que je réagirais ? Est-ce que je la tuerais, comme toutes les autres ?

C'est une question à laquelle j'ai peur de répondre, et pourtant... Je crois bien que oui. Je ne veux pas ajouter « matricide » à la liste des crimes qui pèsent sur mes épaules, mais... je crois que j'ai ça en moi. J'ai ça dans le sang. Ce quelque chose de viscéral et noir, qui s'est habitué à la mort et en réclame toujours plus...

Le sang de ma mère, combien de fois n'ai-je pas rêvé de le verser...

PS : j'ai mis des hommes sur la piste d'Harriet Shelby, au cas où. Ça ne donnera peut-être rien, mais c'est la première piste sérieuse que j'ai depuis des années. L'association de mon père au nom de Shelby ne peut pas être un hasard. Il connaissait les Greengrass, il connaissait Astoria... Lui, ou cette fameuse Harriet, ont pu les acheter. Mais pourquoi ? »

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« 14 février 2005.

Tellement de questions restent en suspens. Cela me garde éveillé la nuit. Comment mon père a-t-il perdu la raison ? Que lui est-il arrivé ? Est-il vraiment Shelby, et a-t-il été en contact avec Astoria ? Tout cela devrait me maintenir éloigné de toi, Harry, et pourtant...

Pourtant, je reste cet imbécile désespérément amoureux de toi. Ça ne me lâchera jamais, pas vrai ? Toi aussi, je t'ai dans le sang.

Je ressens le besoin d'écrire aujourd'hui parce que c'est ma seconde Saint-Valentin sans toi, mais toi, cette année, tu n'es pas seul. Ça y est, c'est arrivén ce qui devait arriver. Tu as trouvé quelqu'un d'autre.

C'est une fille, je ne l'ai jamais vue et j'ignore comment tu l'as rencontrée. Je vois à la façon dont tu te comportes avec elle que tu ne la connais pas encore très bien. Que ce n'est pas encore sérieux entre vous, mais que tu aimerais que ça le devienne. Pour m'oublier, peut-être ? Pour enfin parvenir à aller de l'avant ?

Désolé, j'ai toujours tendance à croire que je suis le centre de ton monde, comme tu es le centre du mien...

J'ai mal, Harry, mais pas autant que je le pensais. Quelque part, je crois que je suis heureux pour toi. Et le mystère des Shelby efface tout le reste. Au moins un avantage à cet incroyable merdier... »

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« 5 mars 2005.

Le nom d'Harriet Shelby semble enfin donner quelque chose. Un de mes informateurs a déniché un avis de décès, localisé à Godric's Hollow. Si ça ce n'est pas ironique...

Je suis donc passé au cimetière aujourd'hui. J'ai vu la tombe de tes parents, Harry, et ça m'a fait penser à toi... J'ai déposé une couronne de narcisses pour eux. Des narcisses, parce que c'est la fleur qui me représente le mieux... Si toi tu ne comprendras pas le message, moi au moins je le saurai. Je crois que je vais continuer à le faire. En plus des lettres, ce sera notre lien secret à tous les deux...

La tombe d'Harriet Shelby n'a rien livré de particulier. L'enterrement remonte à trois ans. Pas de fleurs sur la tombe, ni rien, en vérité. Mais l'avis de décès comportait une adresse : je compte bien aller jeter un œil dès demain. »

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« 7 mars 2005.

J'écris ce journal alors que je ne suis probablement pas en état de le faire. Tout se bouscule dans ma tête, je ne sais pas quoi faire, quoi penser, mais avant toute chose, il faut que je l'écrive.

Astoria est vivante.

Astoria est vivante, vivante, VIVANTE !

Combien de fois n'ai-je pas rêvé de tracer ces mots dans ce carnet ? Combien d'espoirs, de tentatives avortées ? Combien d'années passées à traquer un fantôme, sans cesser d'y croire...

Astoria est vivante, et je crois que jamais je n'aurais cru ressentir une joie aussi intense dans mon existence toute entière.

Reprenons les choses par le commencement. Dès demain, je commencerai un nouveau journal, un journal vierge, et j'utiliserai à nouveau des initiales à la place des noms. Ce que j'ai appris hier soir ne me permet plus de parler librement. Même en livrant mes propres pensées pour moi-même, je dois user de subterfuges, au cas où ces lignes tomberaient en de mauvaises mains...

Je raconterai donc ce que je peux dire de la vérité, sous un aspect voilé, peut-être...

Je me suis rendu à l'adresse indiquée sur l'avis de décès d'Harriet Shelby. Après quelques repérages, je me suis introduit en douce dans la maison, au beau milieu de la nuit, et j'ai parcouru les pièces vides. Quelqu'un vivait là pourtant, c'était évident. Il y avait de la vaisselle dans l'évier et les restes d'un feu dans la cheminée. Finalement, des pas se sont faits entendre dans les escaliers, et je n'ai pas eu le temps de m'enfuir.

Je l'ai vue. Debout, dans une chemise de nuit blanche, belle et parfaite. Astoria.

- Drago ! s'est-elle exclamée.

Elle a porté une main à sa bouche. J'ai cru qu'elle allait s'évanouir. Mais non, elle s'est jetée sur moi, et le reste s'est fait tout seul. Je l'ai serrée contre moi, serrée si fort que j'ai cru la briser, mais je ne pouvais pas m'arrêter : je la sentais, c'était elle, elle était là ! Après toutes ces années de recherches, après avoir perdu espoir un nombre incalculable de fois, sans jamais renoncer, elle était là, bien vivante dans mes bras, saine et sauve !

J'ai bien dû me résoudre à la lâcher un instant pour contempler ses traits, mais j'ai gardé ses mains dans les miennes, incapable de m'écarter. C'était comme si j'avais peur qu'elle disparaisse si je la lâchais. Comme si mon cerveau avait besoin de cette prise matérielle sur les choses, pour s'assurer qu'elles étaient vraies... En face de moi, Astoria pleurait et riait, et je savais qu'elle ressentait la même chose que moi.

- Où étais-tu, Drago ? a-t-elle articulé. Je croyais que tu étais mort...

- Je le croyais aussi...

A nouveau, nous nous sommes étreints, et à nouveau, nous nous sommes contemplés comme si nous ne nous étions jamais vus. Elle était belle, debout à la lueur des braises... Ses cheveux blonds, ses yeux verts : elle était exactement comme dans mon souvenir, plus épanouie, plus âgée, parfaite. Sa silhouette gracile qui se lovait exactement dans la mienne... Ces traits de poupée qui m'avaient accordé leur douceur, aux instants les plus sombres de ma vie... Astoria était là, et brusquement, c'était comme si ces sept années de séparation n'avaient jamais existé.

Il nous a fallu un moment pour reprendre nos esprits. C'est moi qui me suis ressaisi le premier :

- Tu es seule ? lui ai-je demandé, sur mes gardes.

- Tu ne crains rien, m'a-t-elle rassuré.

Elle m'a fait asseoir, et lentement, maladroitement, je lui ai raconté l'histoire de ma quête. Comment j'avais retrouvé sa trace, envers et contre tout, malgré toutes ces années... Sans même en être conscient, je crois que je lui ai laissé échapper quelques petits bouts de moi : mon rôle en tant que la Ronce, les retrouvailles de mon père, les meurtres...

Astoria n'a rien dit. Comme d'habitude, je lisais dans son regard cette compréhension qui nous avait toujours unis. Astoria ne m'a jamais jugé pour les actes que j'ai dû commettre, pas même pour celui que je lui infligé. Elle a toujours été pour moi le soutien sans faille qui m'a cruellement manqué pendant toutes ces années...

Lorsque j'ai eu fini mon histoire, je me suis tu, et nous sommes restés longtemps silencieux, serrés l'un contre l'autre. Jusqu'à ce que finalement, je lui pose la question :

- Où étais-tu... ?

Alors, Astoria a pris une grande inspiration. Elle a pressé ma main entre les siennes, comme si elle savait que cette partie de l'histoire ne pouvait pas me plaire. Et puis, elle m'a raconté :

- Alors que j'aurais dû commencer ma sixième année à Poudlard, mes parents se sont retirés du cercle de Voldemort, a-t-elle dit.

J'ai hoché la tête. Je me rappelais de ce retrait soudain et de la disparition des Greengrass. J'en avais toujours ignoré la cause, et Astoria ne me l'a pas dite :

- Mes parents nous ont emmenées dans un lieu secret, ma sœur et moi. Un lieu qu'ils n'avaient partagé qu'avec quelques amis, y compris tes parents.

Cette nouvelle m'a fait un choc. Apprendre que mes parents savaient, depuis tout ce temps...

- Seulement après la défaite de Voldemort, mon père a paniqué, a repris Astoria. L'argent manquait. Il a décidé qu'il ne pouvait plus nous garder à charge, Daphnée et moi, alors que nous avions les moyens de gagner notre vie d'une autre façon... Nous avons protesté, ma mère aussi, mais... Il nous a trainées de force à l'Eventail, et il nous a vendues, Daphnée et moi.

J'ai senti mes poings se serrer, instinctivement. Elle m'a fait signe de me détendre :

- Je ne suis pas restée assez longtemps pour avoir à faire quoi que ce soit, m'a-t-elle affirmée. La gérante voulait nous former d'abord, et au final, elle n'a pas eu le temps de s'en occuper... Une femme s'est présentée au bordel. Elle a dit s'appeler Harriet Shelby, mais moi, je savais qui c'était.

- Qui ?

Astoria a pressé sa main sur mon épaule :

- C'était ta mère, Drago.

Sur le moment, je crois bien que mon cœur a raté un battement. Immédiatement, j'ai revu la tombe lisse et sans fleurs que je venais de contempler quelques heures plus tôt. J'ai revu ce nom inscrit dans la pierre, et je lui superposais à présent le visage de ma mère...

- Non, ce n'est pas possible..., j'ai murmuré. Pourquoi aurait-elle... ?

- Sur le moment, je n'ai pas compris non plus, m'a coupé Astoria. Ta mère a dépensé presque tout l'argent qui lui restait pour nous acheter Daphnée et moi. Et puis elle nous a amenées ici, à l'abri, loin de tout. Ça a été très dur, les premiers temps. Nous mourions de faim, mais il était encore trop dangereux de sortir au grand-jour. Et puis, finalement, petit à petit... Nous nous sommes intégrées. Narcissa nous a fourni de faux papiers comme les siens, et nous avons pu travailler en nous faisant passer pour des Moldues. Les choses se sont améliorées, et... elle nous a sauvées, Drago.

Astoria s'est penchée sur moi, vibrante d'émotion, m'enivrant de sa présence et de ses mots :

- Ce n'est que plus tard qu'elle nous a expliqué avoir tout abandonné pour nous. Ton père et elle avaient rejoint mes parents dans leur cachette dont ils connaissaient l'emplacement, mais mon père nous avait déjà vendues. En apprenant cela, ta mère a voulu nous sauver. Mais ton père s'y est fermement opposé. Il voulait nous laisser là où nous étions, et conserver sa fortune pour se cacher et rebâtir sa vie. Ta mère a agi sans l'écouter. Elle a volé tout l'argent qu'ils possédaient, et elle a tout risqué pour nous acheter et repartir de zéro. Elle n'a plus jamais revu ton père après ça. Mais elle a toujours eu peur qu'il nous retrouve...

- Il ne vous retrouvera pas, j'ai murmuré. Ce n'est plus qu'un légume...

Astoria a acquiescé lentement. Et puis elle a repris, très tendre, très douce :

- Ta mère a vécu avec nous quatre belles années, Drago... Et puis, elle nous a quittées. Crise cardiaque. Nous n'avons rien pu faire. Nous lui avons donné la sépulture qu'elle méritait, et puis Daphnée a décidé d'émigrer aux Etats-Unis, où la situation est plus sûre pour les gens comme nous. Moi, j'ai choisi de rester ici...

Astoria a caressé mon visage :

- Je suis désolée, Drago. Désolée que tu aies à l'apprendre de cette manière. Je sais tout ce qu'elle t'a fait subir et tout ce que tu ressentais pour elle. Mais elle avait changé. Elle répétait sans arrêt qu'elle faisait tout cela pour toi. Qu'elle ignorait si tu étais vivant ou mort là dehors, mais que c'était son seul moyen de se racheter, d'être la mère qu'elle aurait toujours dû être pour toi...

Des larmes m'ont échappé malgré moi. Astoria m'a pris dans ses bras :

- Elle t'aimait, Drago. Même si tu peux penser que c'était trop tard, elle a ouvert les yeux, et elle s'est rendue compte de son erreur. Elle a abandonné ton père pour nous sauver en ton nom.

Je me suis reculé, bouleversé, toujours incapable de comprendre :

- Mais pourquoi ? j'ai murmuré. Pourquoi ma mère aurait-elle tout sacrifié pour Daphnée et toi ?

- Parce qu'elle savait que je comptais pour toi, a répondu Astoria. Parce que je possédais quelque chose qui te revenait.

A ce moment-là, Astoria s'est levée, et elle m'a montré. Elle m'a montré la clé de cette histoire. Cette chose qui doit être protégée, et que j'appellerai simplement « le coffret ».

X

« 8 avril 2005.

Comment dire que ma vie est transfigurée ? Comment exprimer l'incroyable retournement que représente le retour d'A. dans ma vie ? Et le coffret...

Cela fait un mois que je réside désormais à Godric's Hollow. Un mois que je ne peux me résoudre à quitter A. du regard, de peur de la voir partir en fumée... Un mois que je tente de faire la paix avec ma mère et de la comprendre, en passant des heures agenouillé sur sa tombe...

Je lui parle, parfois. Je l'interpelle. Je lui dis : « Maman, pourquoi est-ce que tu ne m'as jamais dit toutes ces choses ? Pourquoi est-ce que tu n'as jamais été bonne avec moi ? Pourquoi as-tu attendu qu'il soit trop tard pour tout rattraper ? Pourquoi est-ce que tu m'as laissé, sans une chance de te dire au revoir... »

J'ai du mal à concilier mes pensées. Je n'arrive pas à faire correspondre les souvenirs que je garde à l'image que A. me décrit. Pourtant, A. répond à toutes mes questions, patiemment, inlassablement, elle retrace avec moi ces quatre années que j'ai manquées, et qui me manqueront toujours... Elles font comme un vide dans mon cœur. Un vide sans réponses. »

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« 26 juin 2005.

Voilà trois mois que la Ronce demeure silencieuse. J'avoue que j'ignore quel avenir je lui réserve... Tout est différent maintenant que j'ai retrouvé A. saine et sauve. Une petite voix me dit que je n'ai plus aucune raison de courir. Aucune raison de me venger. Je peux passer ma vie dans cette maison de Godric's Hollow, à mener une existence paisible loin de mes anciens démons... Et puis, le coffret change la donne. Ni lui ni A. ne peuvent être mis en danger. Alors, pourquoi est-ce que je meurs d'envie de reprendre le chemin de Londres ? Pourquoi, alors que ma vie a été transfigurée à un point que je n'aurais jamais pu imaginer, ton souvenir continue-t-il à s'imposer à moi, H. ? Je ne suis pas raisonnable. Je le sais. Je le sens. Mais il reste des noms sur ma liste, et je veux retourner à Londres. »

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« 1er août 2005.

Joyeux anniversaire, H.

A. a accepté de me suivre à Londres. Rien ne la retient ici, après tout. Et je crois qu'elle ne saisit pas très bien le danger que cela implique... Je me sens coupable, je devrais lui en parler, mais... la tentation est trop forte.

Nous avons pris toutes les précautions nécessaires pour transférer le coffret. A présent, me voilà de retour dans mon appartement au-dessus de l'armurerie, et A. se réhabitue lentement à la vie de la grande ville. Grâce à mon réseau, j'ai pu lui trouver un travail discret dans une banque Moldue. Nous gagnons bien notre vie. L'existence est calme et paisible. J'espère que ça te plairait, H... J'espère que tu souhaites le même bonheur pour moi que celui que je souhaite pour toi.

Je sais que tu as rompu avec la fille de la dernière fois, et que tu sors avec un garçon, maintenant. Ça a l'air plus sérieux. Ça me fait toujours mal, mais la douleur est étouffée. Il semblerait que j'ai enfin trouvé quelque chose pour continuer d'avancer, finalement...

A. a changé pendant ces sept années où nous avons été séparés. Tout comme moi, bien sûr. Nous étions des enfants écartelés par la guerre, et maintenant nous sommes les adultes qui y avons survécu. Nous avons souffert, grandi, elle a vécu des choses loin de moi et s'en est sortie seule... Mais malgré tout, il subsiste en elle toutes ces choses que j'ai toujours aimées. Sa compassion. Sa douceur. Sa patience. Son absence de jugement, et une âme égale à la mienne, forgée à la pointe de la même souffrance...

A. et moi nous comprenons, mieux que personne d'autre sur cette Terre. Durant ces quelques mois à Godric's Hollow, nous avons réappris à nous connaitre. Doucement d'abord, comme deux félins qui s'apprivoisent, se tournent autour, se demandent s'ils peuvent encore se faire confiance et s'approcher. Et puis, comme si ces sept années n'avaient pas existé, nous avons retrouvé cette complicité instinctive qui nous a toujours liés. Nous n'avons rien osé faire d'autre que nous prendre les mains et nous embrasser pendant des semaines. Comme si nous avions peur de franchir le pas... Peur de nous brûler, peur de nous retrouver pour nous perdre à nouveau... Aucun de nous n'aurait pu supporter une telle souffrance, je crois... Quand on a mené une vie comme la nôtre, on a peur d'être heureux.

Mais finalement, A. a emménagé avec moi à Londres, et nous nous sommes aimés dans la chaleur de mon petit appartement, comme la toute première fois. Ça ressemblait à un rêve auquel j'avais peur de croire. La retrouver sous mes doigts, dans mes bras, la douceur de sa peau, la caresse de son corps, son odeur, ses baisers... A. était partout, abreuvait mon esprit et mes sens, remplissait mon cœur vide d'avoir trop pleuré...

J'aurais aimé pouvoir te parler d'elle un jour, H. J'ai toujours aimé A. au moins aussi intensément que je t'ai aimé toi, même si nos histoires sont très différentes. Même si les racines de notre amour plonge loin dans la souffrance partagée. J'aurais aimé te dire tout ce qu'elle a toujours représenté pour moi. Elle est une part de mon être : je lui appartiens comme elle m'appartient, comme je t'appartiens... Je n'aurais jamais cru pouvoir la retrouver un jour. Je n'aurais jamais cru envisager d'être heureux à nouveau...

H., je te souhaite la même chose. Pour la première fois de ma vie, je souffre en te voyant avec un autre, mais je l'accepte. Je te souhaite que ça dure avec lui, que tu t'installes, que tu reconstruises ta vie, que tu aies une maison, des enfants... Je te souhaite de retrouver un peu de cette paix que seule A. a su m'apporter. Je te souhaite d'être heureux, parce que moi, enfin, je le suis. Si j'ai pu le faire, tu devrais y arriver, pas vrai ?

Joyeux anniversaire, H. »

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« 12 octobre 2005.

La Ronce est enfin sortie de son sommeil. Bien sûr, j'avais déjà recommencé à écrire des lettres, mais... Cette fois, j'ai recommencé à tuer.

A. est au courant. Je ne lui cache rien, et je ne veux rien lui cacher. Je ne dirais pas qu'elle m'approuve, mais... Elle me soutient. Je sais qu'elle me soutiendra quoi qu'il arrive. Elle sait voir la souffrance et la rancœur en moi, et elle comprend pourquoi je fais tout cela. Parce que si je ne le fais pas, personne d'autre ne le fera, pas vrai ? Parce que le genre de mal qui ronge nos rues n'est pas de ceux que les Aurors peuvent combattre...

Je suis désolé, H. Mais si l'un de nous deux doit se salir les mains, je préfère encore que ce soit moi. »

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« 2 décembre 2005.

J'avais oublié que c'était notre anniversaire, hier soir... Pour la première fois, c'est sorti de mes pensées. Moi-même, j'ai du mal à y croire. Je ne sais pas si je dois m'en vouloir ou m'en réjouir. Toi aussi tu es loin de moi à présent H. Tu sembles avoir du mal à rester dans une relation stable, mais au moins, tu essaies. Tu ne te décourages pas. Tu es bon à ton travail, et tu mènes une bonne vie. Tu devrais peut-être abandonner enfin notre ancien appartement...

Moi, je ne te suis plus dans la rue, je ne t'attends plus en bas de ton immeuble. Je pense souvent à toi, et quelques fois, tu me manques à tel point que j'ai l'impression de ne plus pouvoir respirer. Mais dans ces moments-là, je regarde A. endormie à côté de moi, et je me dis que je dois accepter de vivre avec ce que j'ai pu obtenir. J'étais si mal parti, dans la vie... Je suis plus que reconnaissant.

Bien sûr, je triche un peu. Je dépose toujours des fleurs sur la tombe de tes parents, et je t'envoie des lettres. Je m'adresse à toi dans ces journaux, parce que toi aussi tu resteras à tout jamais une part de moi. C'est le seul secret, la seule concession à laquelle je ne veux pas renoncer. »

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« 30 mars 2006.

C'est étrange de ne plus sentir ce poids sur mes épaules. Cette douleur lancinante. Ce manteau de dégoût et de culpabilité qui m'étouffait, m'engloutissait, me noyait... C'est étrange de sentir ma peine se dissiper, chaque jour un peu plus, jamais totalement mais... chaque jour un peu plus.

C'est étrange de se réveiller chaque matin aux côtés d'A. et de se rendre compte qu'un quotidien à deux a fini par prendre place. Un semblant de normalité. Un bonheur simple, honnête, partagé. Je crois que je n'avais jamais connu ça durant toute mon existence.

Avec A., je n'ai besoin d'aucun masque : elle voit droit au fond de moi, et elle reste quand même. En ferais-tu autant, H. ? Je ne suis pas sûr de vouloir avoir la réponse à cette question... Mais ça n'a plus vraiment d'importance, pas vrai ? »

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« 5 juin 2006.

J'ai vingt-six ans. Vingt-six...

Jamais je n'aurais cru vivre aussi vieux. Je me souviens du premier journal que j'ai commencé, le jour de mes onze ans, et je ne sais pas quel regard porter sur ces jeunes années... Je me souviens de toutes ces angoisses que j'ai couchées page après page sur le papier, de cette incertitude continue vis-à-vis de l'avenir, de toutes ces fois où j'ai cru que cet anniversaire serait le dernier...

Je n'aurais pas dû survivre, mais d'une façon ou d'une autre, je l'ai fait. J'ai réussi. A présent, à l'aune de mes vingt-six ans, je me surprends à penser à l'avenir...

Moi, Drago Malefoy, avec un avenir !

Je peux remercier A. pour ça. Avec elle, tout semble possible. »

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« 24 août 2006.

Je songe à arrêter. Peut-être qu'il est temps pour la Ronce de se flétrir, finalement... Peut-être que son travail en ce monde est terminé. La société sorcière est toujours déchirée à mon sujet, les Aurors me haïssent toujours et le peuple n'a toujours pas compris la mesure de leur inefficacité, ni la vérité, tout ce mal qui rôde toujours autour d'eux, impuni...

Mais pour la première fois depuis très longtemps, je me sens apaisé. Comme si je n'avais plus besoin de me jeter dans cette bataille sans fin, seul contre le monde. Ce n'est plus mon combat. J'ai ma propre vie à mener à présent. Une vie calme, paisible, avec A. Essayer de vivre, peut-être, au lieu de survivre... »

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« 16 octobre 2006.

J'avais tort. Comme toujours dans cette existence sordide qui s'acharne pour tous nous détruire, j'avais tort. J'ai eu tort de croire que le bonheur était possible. J'ai eu tort de céder au plus dangereux sentiment de tous : l'espoir. J'ai eu tort de croire que la vie en avait fini avec moi...

Il y a toujours une nouvelle blessure à infliger. Un nouveau coup à porter. Un nouvel amour à tuer...

Astoria est morte.

J'écris son nom dans mon journal, et je me moque des conséquences. Je me moque de tout. Il m'a fallu trois jours pour trouver la force d'écrire dans ces pages, et plus rien n'a d'importance. Le nom d'Astoria mérite d'être écrit en toutes lettres, parce qu'elle est une victime, au même titre que toutes les autres. Parce qu'elle a été dénoncée par un client de l'Eventail qui l'a reconnue dans la rue, un truand à la petite semaine, une balance à la solde des Aurors, qui l'a livrée en songeant à la prime qu'il toucherait. Parce qu'elle a été assassinée en pleine rue comme un vulgaire animal, par les Aurors venus pour l'appréhender. Parce qu'elle a rendu son dernier soupir dans mes bras, après avoir transplané, mortellement blessée...

Astoria est morte. Et je n'hésiterai pas à écrire son nom, dans ce journal et dans toutes les lettres de la Ronce. Tout comme le nom de celui qui l'a livrée : William Duval. Et le nom de celui qui l'a tuée.

Ce nom-là, je l'ignore. J'ignore quel est l'Auror qui a infligé le coup fatal. Mais je le découvrirai, un jour ou l'autre. Duval transmettait ses informations à quelqu'un, et ce sont ces gens-là qui sont impliqués...

Une fois de plus, Drago Malefoy est mort. Il ne reste que la Ronce. »

XXX

J'interromps ma lecture ici. Tellement d'informations se bousculent dans mon esprit que je ne sais plus où donner de la tête. La tristesse, l'émotion, la jalousie, le chagrin, se disputent à l'incompréhension en moi. Duval, William Duval, ce nom me dit quelque chose et j'ai peur de savoir pourquoi...

Maladroitement, je fais appel à tout mon sang-froid pour rédiger une missive à Drake en urgence. Le légiste me confirme ce que je sais déjà. William Duval, l'informateur dont parle Drago, est l'un des hommes qu'il a assassinés d'une dague, le fameux soir de notre face-à-face fatal. Un des hommes dont Drago m'a sauvé... C'était une balance au service des Aurors, et je n'ose imaginer ce que cela implique.

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