Post-Mortem
Le temps semble s'être arrêté. J'ai l'impression d'avoir rejoint le premier cercle de l'Enfer de Dante. Le temps semble s'être arrêté, et je suis prisonnier de l'horreur, condamné à revivre en boucle la même scène, le même instant, jusqu'à en mourir.
Le monde autour de moi est devenu fou. Les Aurors bourdonnent comme une armée d'abeilles en colère. Ça ne devrait pas me surprendre pourtant : je suis Auror moi aussi. Je connais les procédures. A peine les ai-je prévenus qu'ils ont tous débarqué, pour faire leur travail d'Auror : analyser la scène de crime, relever les indices, enlever les corps.
Enlever les corps...
Instinctivement, je regarde à nouveau autour de moi, mais je ne suis plus dans la ruelle, et Malefoy n'est plus là depuis longtemps. Ron était en tête lorsque les Aurors sont arrivés. Normal : c'est lui que j'ai contacté. J'avais besoin de voir un visage familier auquel me raccrocher, je suppose...
Quoi qu'il en soit, Ron m'a traité comme n'importe quel témoin. Avec un professionnalisme qui sur le coup m'a paru surréaliste, absurde. J'avais envie de le frapper. J'avais envie de le ramener à la réalité de la situation, de lui faire comprendre ce qu'il venait de se passer. Je venais de tuer Drago Malefoy, bordel de merde ! Un type que nous avions connu depuis l'enfance !
Mais Ron ne semblait pas comprendre cela. Il ne semblait pas frappé par le choc de cette disparition, le choc de cette rencontre avortée... Pour lui, la mort de Malefoy n'était qu'une victoire de plus contre un criminel notoire. Comme tout le reste du service des Aurors, il avait haï l'ancien Mangemort pour s'être fait justicier, pour avoir prétendu aider le service des Aurors en les prenant de cours...
En plus de cela, Ron soupçonnait que Malefoy était la Ronce. Alors se tenir devant son cadavre aujourd'hui, c'est une victoire personnelle de plus. Pour lui, c'est tout ce que l'évènement signifiait.
Aussi, devant mon mutisme, alors qu'il me répétait ses questions futiles et stéréotypées, Ron a-t-il estimé que j'étais en état de choc, et contre mon gré, il m'a expédié à Sainte-Mangouste. J'ai été examiné sous toutes les coutures par un Médicomage qui a estimé que je souffrais d'une hypothermie légère. Un sortilège et deux ou trois thés plus tard, j'étais libre de déambuler ou bon me semblait dans l'hôpital. Ron et deux autres Aurors n'ont pas tardé à me tomber dessus pour prendre ma déposition...
Malgré ma fatigue, j'ai fait de mon mieux pour raconter la scène dans les moindres détails, telle que je l'ai ressentie : depuis le message tenu secret jusqu'au moment où j'ai lancé le Sectumsempra. Dans mon esprit, il me semblait être un devoir de dire la vérité. Je le devais à Malefoy. Parce qu'il n'a pas tenté de me tuer ce soir-là, j'en suis sûr... Il m'a sauvé...
J'ai tenté de m'en ouvrir à Ron et aux hommes du Ministère, mais mes arguments ont été balayés comme un fétu de paille. Après une rapide identification, on s'est vite rendus compte que les deux individus abattus par Malefoy étaient de petits criminels notoires, au service de gros poissons bien plus importants... Les Aurors en ont immédiatement conclu qu'ils étaient d'anciens partenaires de Malefoy, et que la scène à laquelle j'ai assistée n'était qu'un règlement de compte... Ce qui est en totale contradiction avec ce que l'on sait de la Ronce. La Ronce tuait les criminels, elle ne s'acoquinait pas avec eux.
Mais j'ai eu beau faire valoir ces arguments à Ron et à ses hommes, aucun d'eux n'a voulu m'écouter. Il m'a fallu du temps pour comprendre que pour eux, l'explication de ce qui s'est passé ce soir-là était secondaire. Tout le monde se fout de savoir pourquoi deux petites frappes sont mortes dans une ruelle sombre de l'Allée des Embrumes en pleine nuit. Tout le monde se fout de savoir si Drago Malefoy m'a sauvé la vie ou non. Tout ce qui compte, c'est que la Ronce soit morte. Et en ce qui concerne cette mort, mieux vaut privilégier la solution la plus simple...
Le dégoût qui m'a saisi lorsque je suis parvenu à cette conclusion toute simple m'a pris à la gorge. Jamais je n'avais ressenti un tel sentiment envers des collègues, et encore moins envers Ron... A l'heure qu'il est, plus que des incapables, ils m'apparaissent comme des hypocrites, presque des ripoux. C'est leur devoir de découvrir la vérité, même concernant la mort de Malefoy...
Mais non. Le dossier va être classé, le corps de Malefoy sera autopsié... Point barre. La mort de la Ronce sera annoncée en grande pompe dans les journaux du lendemain.
Je n'ai fait aucun commentaire concernant la mention de mon nom dans les journaux : je sais qu'on ne m'écoutera pas. En revanche, devant la réaction de Ron et de ses collègues, j'ai gardé pour moi le seul et dernier secret que Malefoy m'a confié avant de mourir. Il est trop tard pour le journal : je leur en ai déjà parlé et ils me l'ont confisqué. Mais je détiens toujours la clé. La clé, je l'ai gardée. C'est à moi que Malefoy souhaitait la léguer, et à moi seul. Je ne peux pas trahir sa confiance en la livrant à des hommes qui le méprisent...
Je soupire et regarde à nouveau autour de moi. Je suis de nouveau seul à présent. Ron est parti, excédé par mon agressivité et par mon manque d'enthousiasme au vu de notre brillant « succès ». Moi-même, je reste incertain face à ma soudaine loyauté envers Malefoy. Ce désir absolu de comprendre... De garder un secret entre lui et moi... Comme un dialogue silencieux qui nous unirait, qui me permettrait de me raccrocher à lui, de nier sa mort et ce que je lui ai fait, comme s'il pouvait toujours me parler, toujours respirer...
Je repense au journal, et je me maudis de l'avoir cédé. J'ai eu beau insisté auprès de Ron pour le garder et prendre part à l'enquête, cela m'a été strictement interdit. Je suis un témoin à présent. C'est la procédure : je n'ai pas le droit d'enquêter sur un crime dont j'ai été la victime... Tu parles d'une victime...
Les yeux fermés, allongé sur le lit de ma petite chambre d'hôpital, je songe à Malefoy étendu dans la neige. Je songe à ce qu'il s'est passé et à l'absurdité du monde autour de moi. La rapidité de ma réaction, au-delà du réflexe, au-delà de l'instinct... Si seulement j'avais pris quelques secondes de plus pour aviser la situation... Si seulement je n'avais pas été autant sur mes gardes... Si seulement je lui avais fait confiance...
Mais pourquoi aurais-je dû lui faire confiance ?
Eperdu, je tente de rassembler mes pensées éparses en petit tas bien net. Il m'est « facile » aujourd'hui de juger les évènements après les avoir vécus. Facile d'estimer avoir eu tort maintenant que j'ai la conviction que Malefoy voulait me sauver. Mais sur le moment... Je ne savais rien de lui. Il n'était que le criminel sans visage qui tuait en toute impunité depuis des années. Pourquoi aurais-je dû lui faire confiance... ?
Parce que je le connaissais. Parce que nous avions vécu des choses fortes, lui et moi. Parce que nous avions un passé commun. J'aurais dû lui accorder le bénéfice du doute. Comme lui a douté devant Dumbledore. Comme lui a douté devant sa tante Bellatrix, quand elle lui demandait de m'identifier. Le monde sorcier serait probablement sous le joug de lord Voldemort aujourd'hui, si Malefoy avait réagi comme je l'ai fait cette nuit... Sans douter. Sans hésiter. De sang-froid.
Je frissonne, seul dans mon lit, plus que jamais terrassé par ce que j'ai fait. Je revois les yeux de Malefoy posés sur moi. Je sens à nouveau ses doigts froids sous la neige qui tombe sans bruit. Et ce silence horrifiant, comme si le monde lui-même était abominé par ce que j'ai fait...
Les quelques lignes que j'ai vues du journal reviennent me hanter. A défaut de mots, c'est tout ce qui me reste des paroles que Malefoy voulait m'adresser. Ce n'est pas assez. J'ai besoin de comprendre... Que s'est-il passé ? Pourquoi en est-on arrivés là ? Où es-tu Malefoy, à présent... ?
Je frissonne de plus belle en songeant à l'autopsie qui l'attend. D'ici quelques heures, des mains étrangères, inconnues, hostiles, viendront retirer sa cape, découper ses vêtements, le dépouiller de ses armes et de sa dignité pour lui ouvrir la chair, briser ses os, prélever son sang... La médecine légale n'a rien de respectueux, même dans le monde sorcier. Je sais très bien ce que les Aurors spécialisés font aux cadavres pour les faire parler.
Les faire parler...
Brusquement, je me redresse dans mon lit. Quelle heure est-il ? Huit heures du matin. Je suis à Sainte-Mangouste. Le plus grand hôpital de Londres. La plus grande morgue de Londres, également, et la plus proche de l'Allée des Embrumes. Malefoy s'y trouve forcément...
Sans perdre une seconde, je me lève d'un bond et renfile mes vêtements. Je me précipite dans les couloirs en bousculant les infirmières, priant pour que mon statut d'Auror suffise à me faire pénétrer dans les niveaux inférieurs sans que l'on m'interroge... Personne n'est censé savoir que je suis démis de l'enquête, après tout...
Enfin arrivé devant les portes de la morgue, à bout de souffle, les cheveux ébouriffés, je fais une pause le temps de rajuster mes lunettes sur mon nez. Ce n'est qu'un prétexte, en vérité. Je sens l'odeur de la mort exhaler par-delà les portes fermées. Pas une odeur de pourriture, non. L'odeur de la mort. L'absence. Le vide. Un grand froid noir et austère, où rien ne peut survivre, absolument rien, si ce n'est la sensation de se noyer, de se débattre, en vain. Je côtoie cette sensation depuis bien trop longtemps. J'ai même choisi d'en faire mon métier, en fait, comme si j'y étais accro. Comme si elle m'était devenue une compagne trop familière pour que je m'en sépare...
Mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui, je voudrais fuir. Tout plutôt que de contempler à nouveau le cadavre de Malefoy étendu sans vie, de mon propre fait... Mais je n'ai pas le choix. Il me faut des réponses. Et des réponses, Malefoy en a peut-être sur lui.
Je pousse les portes de la morgue.
A l'intérieur, le médecin légiste vient d'arriver. C'est un jeune Médicomage pas encore suffisamment blasé par son travail pour se permettre d'en rire ou d'opérer en musique. Il contemple encore les corps avec un respect mêlé d'effroi, mais pour l'avoir déjà vu pratiquer, je sais que sa main est ferme lorsque le moment est venu. Je lui fais confiance :
- Docteur Drake, je lance, tâchant de me donner un air professionnel malgré ma tenue débraillée.
- Monsieur Potter, sourit-il, toujours timidement.
- C'est vous qui avez le corps de Drago Malefoy ?
- Effectivement, acquiesce-t-il.
- Quand est prévue l'autopsie ?
L'homme consulte ses notes :
- Cet après-midi, dit-il. Les Aurors sont assez pressés. La Ronce, vous imaginez ? Beau travail sur ce coup-là !
- Faites-là tout de suite, j'ordonne.
Le médecin me regarde, bouche bée :
- Je vous demande pardon...
- Faites-la tout de suite. Je veux y assister.
L'homme hésite quelques instants, regarde son papier, hésite à nouveau. Son regard s'attarde sur ma cicatrice, et je sais que j'ai gagné. Il y a des moments où s'appeler Harry Potter marche à tous les coups.
- Très bien, capitule le jeune homme.
Me faisant signe de m'écarter, il tire à lui un long casier qui dégage en s'ouvrant une atmosphère réfrigérée. Je résiste à la tentation de fermer les yeux, redoutant ce que je vais voir...
C'est encore pire que ce que j'imaginais. Parce que Malefoy est là. Et parce qu'il est mort. C'est toujours lui, il n'a pas encore subi les outrages du temps : il ne dégage aucune odeur, aucun miasme, rien que cette pâleur qui ne peut pas appartenir à la vie... Mais ce n'est plus lui. Rien sur cette Terre ne pourrait davantage être étranger à Drago Malefoy que cette boule de chair froide que l'on présente devant moi.
Il me faut plusieurs secondes pour m'arracher à la contemplation de son visage, si dur, même dans la mort. Comme si ses tourments le hantaient toujours. Comme s'il restait encore tant de secrets à révéler... Je crois que je deviendrais fou si je ne les devinais jamais. Je le sais à cet instant. Jamais mon besoin vital n'a été aussi fort : savoir qui était cet homme aujourd'hui mort devant moi, savoir pourquoi il est mort, et ce qu'il était vraiment...
Je n'arrive pas à croire à la version de Ron et des journaux. Je n'arrive pas à croire à la version que moi, en tant que directeur du service des Aurors, j'ai été contraint de vendre et de défendre pendant toutes les années où nous avons traqué la Ronce...
Parce que j'ai connu un adolescent de seize ans qui avait peur, comme moi. Qui a été enfant, comme moi. Qui lui aussi a subi l'horreur de la guerre, mais du mauvais côté de... Je ne peux pas croire que tout ce qu'il était se résume à ce qui s'est passé dans cette ruelle, et à ce corps sans vie devant moi... Je ne peux pas. Je ne peux pas...
Conscient que le jeune médecin m'observe, perturbé par mon silence, je lui fais signe de commencer. Je n'ai aucune intention de rester jusqu'au bout. Je n'ai pas besoin de voir ce qu'il se passera lorsque Drake lui brisera les côtes et lui écartera la cage thoracique. Je ne veux pas tenir le cœur de Malefoy entre mes mains. Non, je veux juste une chance de le voir une dernière fois, je crois... Peut-être que je me suis trouvé un prétexte pour lui faire mes adieux. Peut-être que j'ai besoin de ce face-à-face dont je nous ai privés... Et s'il y a le moindre indice concernant ce que je désire savoir, alors je veux le trouver. Même si c'est un supplice...
Délicatement, Drake commence par retirer la cape. Il l'examine, la tourne dans tous les sens, recherche la présence de poches, puis la plie et passe aux vêtements suivants. Muni d'un ciseau, il découpe la tunique de Malefoy en partant du bas, défaisant les baudriers qui retiennent les armes au fur et à mesure. Chaque objet est soigneusement inventorié dans un rapport, puis étiqueté et mis de côté. Je jette un coup d'œil à tout, avant que ces preuves ne soient scellées pour toujours...
Malefoy portait un nombre impressionnant de vêtements. Des vêtements chauds, propres, mais tous anciens et usés. Le noir était sa couleur de prédilection.
- Ce type était un véritable arsenal, commente Drake au bout de la sixième dague.
Je hoche la tête pour la forme. Nous approchons du plus délicat. Un dernier coup de ciseau, et la peau de Malefoy se révèle à nu, terriblement pâle et froide, translucide sous la lumière crue des tubes cathodiques. Je retiens ma respiration malgré moi. Je me sens horriblement mal. Je me sens comme un profanateur de tombe, un meurtrier qui manque de respect à sa propre victime, un voyeur sans le moindre scrupule...
J'en ai pourtant, des scrupules. Ce que je fais me semble sans honneur. Sacrilège. Impur. Je voudrais me crever les yeux pour ne plus voir, mais ma curiosité me pousse en avant, encore et toujours. Je me maudis pour cela.
Délicatement, le médecin légiste soulève le corps de Malefoy pour libérer le vêtement, et alors, tous les deux, nous restons silencieux.
De l'abdomen aux épaules, Malefoy porte un nombre incalculables de cicatrices. Des cicatrices profondes, blanches, saillantes, certaines plus anciennes que d'autres, certaines plus importantes. Les ravages du Sectumsempra luisent d'un éclat rouge sang sous la lueur impitoyable des néons. Je n'y tiens plus, je détourne le regard. C'est moi qui ai fait ça... C'est moi...
Toutefois, je suis forcé de revenir au corps de Malefoy, car ce ne sont pas seulement les cicatrices qui ont retenu notre attention. Non. Partout sur le corps de Malefoy, s'enroule un tatouage complexe qui recouvre chacun de ses membres. Un réseau de filigranes entrecroisés, une alternance de pleins et de courbes fluides, comme autant de serpents se resserrant autour du corps de leur porteur, refermant boucles, spirales, nœuds et contre-nœuds, avec une grâce magistrale. Il y a quelque chose de presque... végétal, dans ce motif. Comme un rinceau de ronces dissimulant leurs épines. Une ronce... C'est délicat, poétique et pourtant si fort, puissant, presque... clanique.
- Très impressionnant..., murmure Drake.
Son objectivité de base a laissé la place à un enthousiasme frénétique : il a l'air d'un enfant sur le point d'ouvrir ses cadeaux de Noël :
- Je n'avais jamais vu ça avant..., poursuit-il.
- Qu'est-ce que c'est ? je demande, fasciné malgré moi, résistant à la tentation de toucher le tatouage du bout des doigts...
- Je ne suis pas sûr... Passez-moi la lampe à UV.
J'obtempère, ignorant à quoi m'attendre. Drake éteint la lumière, et alors, le monde entier change. Le tatouage révèle un second niveau de lecture. Une nuée de petits symboles prisonniers du rinceau, et surtout, une continuation du tatouage qui part à l'assaut du visage, des traits, de la personne entière de Malefoy. Il en est recouvert, littéralement. Et sur sa poitrine, pile au niveau du cœur, apparaissent les mots suivants : « Carpe Noctem ».
- Qu'est-ce que c'est ? je répète, abasourdi.
- C'est une armure, répond Drake, le souffle court. Un sortilège destiné à repousser les attaques malveillantes. J'en ai déjà entendu parler pendant mes études : c'était une pratique courante chez les guerriers maoris. Ils se faisaient tatouer le corps entier de ces entrelacs qui protègent instinctivement le corps lorsqu'ils se sentent en danger. C'est une magie ancienne, puissante... Très rare de nos jours.
- Comment ça marche ?
- Oh, c'est très simple. Le sortilège s'active lorsque l'esprit ou le corps perçoivent une menace. Il dévie les attaques, lorsque celles-ci ne sont pas trop puissantes. Ça ne tient pas devant un ennemi vraiment déterminé... Mais ça évite de se faire tuer pendant une bataille à cause d'un sort perdu.
Je secoue la tête :
- Alors pourquoi ça n'a pas marché avec moi ? Pourquoi le sortilège ne l'a-t-il pas défendu ?
Drake hausse les épaules :
- Peut-être qu'il ne vous considérait pas comme une menace, dit-il.
A son ton, je devine qu'il n'y croit pas vraiment, mais pour moi, cela sonne comme une sentence. Malefoy ne me voyait pas comme une menace. Malefoy m'a sauvé la vie. Et moi je l'ai tué.
J'ai brusquement envie de vomir, à nouveau. Je dissimule mon malaise du mieux que je peux, forcé de me cramponner à la table. Alors sous mes yeux, le tatouage change :
- Merde alors ! s'exclame Drake, plus que jamais captivé.
- Qu'est-ce qui se passe ?! je m'exclame en retirant ma main.
- Refaites-le.
Timidement, j'approche à nouveau ma main du corps de Malefoy. Je n'ose pas le toucher. Je tremble. Et le phénomène se reproduit à nouveau : sous mes doigts, l'étau des ronces se desserre, disparait, pour révéler la peau nue.
- Incroyable..., s'extasie Drake.
- Vous pouvez m'expliquer ce que ça signifie ?! je crie presque.
Le médecin perçoit mon impatience :
- Le sortilège a été conçu pour se désactiver en présence d'une personne amie, répond-il calmement. Il a été conçu pour se désactiver devant vous.
Je secoue la tête, incrédule. Instinctivement, je retire ma main. Les ronces reprennent leur place, plantant jalousement leurs épines dans la chair de Malefoy.
- Je ne comprends pas..., je murmure.
- Moi non plus. Mais ce sera consigné au rapport.
Je me braque aussitôt :
- Ne mentionnez pas ma présence dans le rapport.
Drake ne cache pas sa surprise :
- Mais... pourquoi ?
Je soupire. Je suis contraint de lui avouer une demi-vérité :
- Je suis impliqué dans l'affaire, je lance. Je n'ai pas le droit d'enquêter, normalement. Je n'ai pas le droit d'être là.
Le médecin reste circonspect quelques instants. Alors j'ajoute :
- Mais j'avais besoin de suivre le cas jusqu'au bout, vous comprenez ?
Drake contemple un instant le corps de Malefoy, puis hoche la tête :
- Moi aussi j'aurais fait la même chose, si j'avais pu mettre la main sur cet enfoiré, conclut-il.
Je ne fais aucun commentaire. A la place, je repasse la lampe à UV au-dessus du cœur de Malefoy, là où se révèlent les mots en écriture gothique :
- « Carpe Noctem », je relève. C'est du latin. Qu'est-ce que ça signifie ?
Le jeune homme m'adresse à peine un coup d'œil par-dessus ses lunettes :
- « Cueille la nuit », dit-il.
- Oui je sais, mais qu'est-ce que ça signifie ?
- Ça doit être le nom du sortilège. « Cueille la nuit ». Ce tatouage est comme une toile d'araignée chargée d'attraper toutes les mauvaises choses qui s'y prennent. Elle « cueille la nuit ».
« Cueille la nuit »...
Achevant de rédiger ses notes, je vois Drake reposer son stylo et s'attaquer à la ceinture de Malefoy. En quelques minutes, il l'a entièrement déshabillé, ne révélant rien d'autre que quelques dagues supplémentaires, et le reste du tatouage.
En voyant Malefoy étendu nu devant moi, je me sens plus mal à l'aise que jamais. Je n'ai pas le droit d'être là. C'est à cause de moi s'il est là... Malgré moi, mon esprit poursuit les mêmes raisonnements en boucle, il remarque tous les petits détails : ses grains de beauté, ses mains, ses cheveux, et je me demande : quelles femmes ses mains ont-elles touchées ? Quelles lèvres a-t-il embrassées ? Qu'aimait-il faire, dans la vie ? Quelles sensations ce corps ressentait-il, inspirait-il ? Tout cela, je le lui ai pris. Et tellement plus...
Il faut qu'il y ait une raison. Seigneur, il faut qu'il y ait une raison...
Je fuis le laboratoire des horreurs, lorsque je vois Drake se munir de son écarteur.
XXX
De retour chez moi, je reste plusieurs jours à réfléchir, sans rien faire. Obsédé par ce que j'ai vu. Obsédé par ce que j'ai fait. Plus j'en apprends sur Malefoy, moins je le comprends. Plus je désire en apprendre... J'en ai appris si peu, jusqu'ici...
Ron m'a forcé à prendre un congé payé. Hermione abonde dans son sens, bien sûr. Elle a tenté de me faire parler de ce qui s'est passé, mais je sais qu'elle répètera tout à Ron, et cela m'empêche de me confier. Ginny me harcèle déjà pour qu'on se voie...
Le monde ne tourne plus rond. Le monde est devenu fou. Comment le monde peut-il continuer ainsi après ce qu'il s'est passé ? Comment les choses, les gens, peuvent-ils paraitre aussi... normaux, vains et absurdes à la fois ? Cela me donne envie de hurler, de tout éclater contre les murs, de briser les os de Malefoy en deux pour en extraire la vérité s'il le faut...
J'ai accroché la clé à une petite chaine en or, que je porte autour de mon cou désormais. Je ne m'en sépare pas. J'ai demandé à Drake de me transmettre les analyses de sang de Malefoy une fois les tests terminés : ils sont revenus négatifs pour la drogue, l'alcool, et toutes les maladies imaginables. Malefoy semblait mener une vie relativement saine. Une vie rude, malgré tout. J'ai vu son corps, je le revois toutes les nuits dans mes cauchemars... Il était fort. Entraîné physiquement. Habitué aux rigueurs de l'hiver... Les cicatrices sur son torse étaient pour la plupart dues à des armes blanches ou à des sortilèges. Son corps portait les sévices d'une exposition prolongée à l'Endoloris, ainsi que plusieurs fractures anciennes...
Je n'ose pas imaginer ce à quoi cela renvoie. Je me sens comme un archéologue en désarroi devant les ruines d'une civilisation massacrée. Le seul vestige qu'il me reste, c'est le corps de Malefoy : une enveloppe vide martyrisée par un passé à jamais perdu. Ses cicatrices me racontent une histoire que je ne peux pas percer, et que j'ai peur de percer, en vérité, car elle ne peut pas être heureuse...
Et pourtant, ma soif est toujours là. Ma soif de savoir. Mon besoin de savoir...
Mentalement, je repasse l'extrait du journal de Malefoy dans ma tête. Je le connais par cœur. J'ignorais jusqu'alors que Malefoy tenait un journal...
Brusquement inspiré tout à coup, je me lève et quitte mon appartement. J'accède au Ministère par l'entrée du public, pour éviter que l'on ne me repère. Faisant comme si j'avais parfaitement le droit d'être là, je descends jusqu'à la salle des scellés. Là, l'employé de service, Mitch, m'adresse un sourire jovial :
- Comment ça va patron ? lance-t-il. Je croyais que vous étiez en congé ?
- Pas de repos pour les braves, Mitch, je souris à mon tour.
Le gardien m'affiche un air compréhensif :
- Il pourrait vous accorder un peu de répit quand même. Après que vous ayez descendu ce salopard...
Je me crispe sans rien dire. Comme prévu, la mort de la Ronce a défrayé la chronique.
- Qu'est-ce que je peux faire pour vous aujourd'hui, patron ? enchaine Mitch.
Je me racle la gorge :
- Je voudrais consulter les journaux de Drago Malefoy, je lance, sûr de moi.
Mitch consulte rapidement son registre :
- C'est l'Auror Weasley qui est en charge de l'enquête monsieur, désolé. Le journal est sous scellé.
- Pas ce journal-là, je balaye, impatient. Je veux que vous regardiez si des journaux ont été saisis lorsque le Ministère a confisqué les biens de la famille Malefoy après la guerre.
Mitch fronce les sourcils, puis, agitant sa baguette, il exhume un registre plus ancien de ses archives :
- Voyons voyons, marmonne-t-il entre ses dents. Saisie du Manoir Malefoy...
Pendant un temps qui me semble interminable, il fait défiler les pages, inventoriant des dizaines et des dizaines de meubles, d'œuvres d'art, de vêtements, de bibelots, tous confisqués à la famille Malefoy après qu'ils se soient enfuis juste avant leur procès.
- Ah,voilà ! s'exclame soudain Mitch. Un lot de cinq journaux entrés au registre le 21 juillet 1998. On les a tous. Lequel vous voulez ?
- Je les veux tous, je réponds.
J'ai du mal à maîtriser les battements de mon cœur. Le sang bout dans mes veines, plus vite qu'il ne l'a fait depuis cette nuit d'hiver qui nous a été fatale à tous les deux :
- Vous avez un motif ? demande Mitch, le tampon levé au-dessus de son formulaire.
- Ce ne sont que de vieux journaux, Mitch, je réponds. Tout le monde s'en fout de qui les consulte.
- Très bien, dit-il en estampillant bruyamment la feuille. Je vais vous chercher ça. N'oubliez pas de me les ramener, c'est tout ce que je vous demande.
- Ça va de soi.
Mitch part dans ses rayonnages en grommelant. Mon impatience est à son comble. Quelques minutes plus tard, il revient enfin. Il tient dans les mains cinq petits carnets ouvragés, semblables à celui que Malefoy portait sur lui au moment de mourir. J'ai du mal à contenir mes tremblements lorsque je m'en saisis. Plus qu'à n'importe quelle autopsie, j'ai l'impression de tenir le cœur de Malefoy entre mes mains, véritablement. Le cœur du mystère...
- Merci, Mitch, je conclus avant qu'il ne change d'avis.
- Tout ce que vous voulez, patron.
Je m'éclipse, jubilant de mon forfait, terriblement excité, angoissé et anxieux à l'idée de ce que je viens de faire, et de ce que je pourrais découvrir... Ron me tuerait s'il apprenait ce que j'ai fait. Mais je me félicite, mon intuition était juste : si Malefoy tenait un journal à trente ans, il est probable qu'il en tenait un depuis longtemps. Depuis l'enfance peut-être...
De retour chez moi, je m'assois à mon bureau, j'inspire profondément, et je dépose les journaux devant moi. Les carnets me contemplent comme dotés d'une vie propre. C'est toute une âme qu'ils renferment. Toute une vie. La vérité franche et nue, vue à travers les yeux de celui que je n'ai jamais pu connaître...
Je me penche et entame ma lecture.
« 5 juin 1991.
Je m'appelle Drago Malefoy, et j'ai onze ans.
C'est mon anniversaire aujourd'hui. C'est un jour important. Aujourd'hui, j'ai reçu ma lettre de Poudlard. »
XXX
A suivre... ;D
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