Opera Posthuma

Lorsque je rouvre les yeux au petit matin, je n'ai pas trouvé le sommeil. Mais une idée pour repartir sur les traces de Malefoy.

Fébrilement, je me relève et me passe rapidement de l'eau sur le visage, pour être sûr que ça peut marcher, sûr que mes pensées sont lucides. Elles le sont. Alors, je retourne à mon bureau et je rédige rapidement une missive au médecin légiste :

« Drake, y avait-il un poinçon ou une marque d'identification quelconque sur les armes retrouvées sur Malefoy ? Je compte sur votre discrétion. »

La réponse se fait attendre. Je tourne en rond dans mon salon, avale distraitement un petit déjeuner malgré mon estomac noué... Et si Drake prévenait le service des Aurors ? Et s'il prévenait Ron ?

J'enfouis ma tête entre mes mains en m'efforçant de ne pas y penser. Les souvenirs spasmodiques de la soirée de la veille et de la nuit qui a suivi me harcèlent. Je n'avais plus autant pensé à Noah depuis des mois, peut-être bien des années, et je sens à quel point il m'est impossible de me le sortir de la tête...

Cette enquête sur Malefoy pourrait me distraire. Occuper mes pensées, me plonger dans un passé différent, plus sombre, plus douloureux. Pendant que je rencontrais Noah, que faisais-tu, Drago ? As-tu eu des gens dans ta vie pendant toutes ces années ? J'espère que oui. J'espère que tu n'as pas passé ta vie seul à regarder derrière ton épaule. Tu méritais d'être aimé, et d'aimer sans avoir à te cacher...

Soudain, un hibou frappe à ma fenêtre, enfin. Je retiens ma respiration. Est-ce que Drake va coopérer ?

Je récompense l'oiseau et déroule rapidement le petit rouleau de parchemin :

« Un poinçon identique sur l'ensemble des lames », indique le message. « L'emblème d'une armurerie sur Sherrington Street. »

Mon cœur fait des bonds dans ma poitrine. Si je le pouvais, je crois bien que j'embrasserais ce foutu médecin et que je le serrerais jusqu'à ce qu'il étouffe. Mais Drake n'est pas là, et rien ne me garantit qu'il ne préviendra pas les Aurors malgré tout. Ni que ce renseignement mènera quelque part... Mais non, je ne dois pas raisonner comme ça. Cette piste, c'est tout ce qu'il me reste. C'est tout ce que j'ai pour repartir sur les traces de Malefoy, découvrir qui il a été, comment il a vécu... Pourquoi nous avons dû nous retrouver face à face cette nuit-là, jusqu'à ce que l'un de nous tue l'autre...

Il me reste la clé aussi, bien sûr. Lentement, je révèle le compartiment secret de mon bureau, où je l'ai dissimulée. Pour la millième fois au moins, je la fais tourner entre mes doigts, à la recherche d'un indice, d'une inscription, quoi que ce soit. Mais non, il n'y a rien. Pas même un poinçon. Pas même un sortilège qui dissimulerait quelque chose. Ce n'est qu'une clé banale, ordinaire, une vieille clé en fer qui doit ouvrir une serrure plus ancienne encore... C'est tout ce que ça m'apprend. Le coffret que Malefoy voulait me confier était-il ancien ? Peut-être que je ne le saurai jamais. Ou peut-être que cette armurerie sera la première étape pour me permettre d'y voir un peu plus clair...

Fouillant dans mes papiers, j'en extrais l'un des anciens avis de recherche consacrés à Malefoy. A présent que la nouvelle de sa mort s'est répandue dans tout le pays, on a entrepris de décrocher tous ces portraits. Je ne te croiserai plus partout au détour d'un coin de rue, Drago... Est-ce une tristesse ou un soulagement ? Difficile à dire. Je pense à ton corps gelé qui repose sous la neige à Godric's Hollow, et mon cœur se serre. Il faut que je me ressaisisse.

Enfilant mon manteau, j'emporte l'avis de recherche et la clé avec moi et je transplane à quelques rues du Chemin de Traverse.

Sherrington Street est une petite rue Moldue, à la frontière du quartier sorcier. On y trouve essentiellement des habitations de briques comme l'Angleterre en compte tant, de petits commerces délabrés, et un léger parfum d'abandon. Les rues sont désertes. Les jardins mal entretenus. Sans être glauque, la rue parait vieillotte, un fantôme avant l'heure, qui contemple année après année ses résidants s'en aller vers des horizons plus prometteurs...

Il n'y a qu'une seule armurerie dans le coin, et je la repère vite : c'est une échoppe un peu branlante, à l'enseigne noire et sobre, craquelée par les ans. Une sonnette tinte lorsque j'entre. Derrière le comptoir, un vieux monsieur nettoie un assortiment de lames en argent, et cela me rappelle les heures les plus glorieuses de ma scolarité à Poudlard, lorsque Rusard me faisait astiquer la Salle des Trophées en guise de retenue...

- Je peux vous aider ? me demande le vieil homme en levant les yeux sur moi.

Je sors l'avis de recherche de ma poche :

- Avez-vous déjà vu cet homme ? je demande.

Par souci du Moldu, j'ai pris soin de figer la photo, et Malefoy nous dévisage à présent d'un air froid et impénétrable.

- Oui, je l'ai déjà vu, me répond l'armurier. Qu'est-ce que vous lui voulez ?

Mon sang ne fait qu'un tour :

- Vous lui avez vendu des armes ?

- Un certain nombre, oui. Des poignards, essentiellement. D'excellente qualité. Il m'a l'air d'être un collectionneur. Est-ce qu'il a des ennuis ? Vous êtes de la police ?

Je jure intérieurement. Heureusement, les Aurors ont toujours une fausse carte de police Moldue sur eux pour ce genre de situation :

- Tout à fait, je réponds en exhibant ladite carte. Vous vous rappelez à peu près quand vous lui avez vendu ces armes ?

- Oh il en achète très régulièrement. La dernière fois, je crois bien que c'était il y a deux mois.

- Et est-ce qu'il y a quoi que ce soit d'autre que vous puissiez me dire sur lui ? Est-ce qu'il vous arrivait de discuter ?

Le vieil homme sourit, vaguement incrédule :

- Bien sûr. Je le connais très bien, je lui ai loué le logement au-dessus.

Mon cœur rate un battement :

- Vous lui avez quoi ?

- Oui, je lui loue le logement au-dessus. Il y a deux appartements, vous comprenez, c'est beaucoup trop grand pour moi. Il a vu l'annonce la première fois qu'il est venu ici, et nous avons signé le contrat le lendemain.

Mes oreilles bourdonnent tout à coup. Je n'arrive pas à y croire, je n'arrive pas à croire à ma chance...

- C'est un excellent locataire, poursuit le vieil homme, inconscient de mon trouble. Il paye toujours son loyer à temps, il ne fait pas de bruit, il est poli...

- Quand a-t-il emménagé chez vous ? je demande, la gorge sèche.

- Oh, il y a peut-être... huit ou neuf ans ? Mais qu'est-ce qui lui arrive ?

- Il est mort, je réponds laconiquement.

- Oh ! s'exclame le vieil homme.

- Navré de vous l'apprendre de cette façon.

- C'est pour ça que vous venez ici ? Vous enquêtez sur sa mort ?

- C'est à peu près ça, oui.

- Est-ce que c'est un meurtre ?

Je baisse les yeux :

- Non. Un accident.

L'armurier secoue la tête, désemparé :

- Il avait l'air soucieux ces derniers temps. Quel dommage... Mourir si jeune...

Les remords me prennent à la gorge, mais je me force à prendre sur moi :

- Ça vous dérangerais que je jette un coup d'œil chez lui ?

Le vieil homme se lève aussitôt :

- Bien sûr, faites !

Il me guide dans les escaliers branlants de l'arrière-boutique, visiblement désireux de m'aider, désireux de faire ressortir quelque chose de bon de ce brusque malheur... Avant qu'il n'ouvre la porte de l'appartement, je l'arrête :

- Attendez une seconde.

Plein d'espoir, je saisis la clé, que j'approche de la serrure. Mais non. Ça ne correspond pas.

- J'ai la clé monsieur, ne vous en faites pas, reprend le vieil homme en déverrouillant le battant.

Je me retrouve dans l'appartement de Malefoy. La première chose qui me frappe, c'est l'odeur. L'odeur de Malefoy, l'odeur de sa vie... Elle plane encore dans l'air, et elle a quelque chose d'étrangement familier, quelque chose de douloureux qui me frappe au cœur... Je me force à avancer.

L'appartement est ancien, mais correct. Il semble assez spacieux – un véritable luxe à Londres – et lumineux. Le vieux parquet grince sous mes pas. Le plafond en poutres apparentes compense la sobriété des meubles. Il n'y a que le strict nécessaire : un canapé, une table basse, et plusieurs étagères pleines de livres. Je me retourne vers le vieil homme avant d'aller plus loin :

- Est-ce que d'autres policiers sont déjà venus fouiller cet endroit ? je demande.

- Non, vous êtes le premier.

J'inspire à fond. J'éprouve un mélange d'émotions complexes et indescriptibles : je suis chez Malefoy, enfin. Je suis chez Malefoy... Cette pensée est tellement, tellement dérangeante... C'est là qu'il se cachait depuis toutes ces années. Un seul endroit, moi qui l'imaginais dormir sous les ponts et bouger sans arrêt... Mais non, Malefoy avait trouvé le moyen de se construire sa petite vie, presque sous le regard de tous...

- C'était quelqu'un de très discret, reprend le vieil homme, qui fait le tour des lieux avec moi.

Sa présence m'irrite tout à coup. Je suis dans le sanctuaire de celui que je viens de perdre, de celui que j'ai appris à aimer, juste après l'avoir tué... Je voudrais me retrouver seul ici. Prendre le temps de communier, de comprendre peut-être l'homme qui habitait entre ces murs... Mais l'armurier possède sans doute des informations utiles :

- Est-ce qu'il lui arrivait de recevoir de la visite ? je demande.

Le vieil homme hausse les épaules :

- Je ne savais pas grand-chose de ses allées et venues. Il y a une porte au fond du couloir qui dessert l'appartement sans passer par la boutique. Et je ne suis pas du genre à me mêler de la vie privée des gens. Nos conversations restaient courtoises, rien de plus.

- Vous n'avez jamais vu personne ?

- Une femme, de temps en temps. Blonde. Mais elle n'est pas venue depuis plusieurs années.

« Astoria... »

J'avale ma salive et reprends :

- Rien d'autre ?

- Eh bien, j'entendais des pas de temps en temps. Comme s'il n'était pas seul là-haut. J'ai supposé qu'il avait peut-être un chien, mais... Je n'ai jamais entendu aboyer.

Je regarde autour de moi. Aucune trace d'un chien. Aucune trace de qui que ce soit, en vérité. Mon métier d'Auror m'a appris que l'on peut en découvrir beaucoup sur les gens en observant l'endroit où ils vivent. La façon dont ils vivent. Malefoy devait le savoir lui aussi, car il a rendu son logement aussi sobre et impersonnel que possible. Au cas où on viendrait l'arrêter ? Au cas où cette pièce viendrait à être inspectée, comme je m'apprête à le faire ?

- Je vous remercie, je dis à l'armurier. Accordez-moi un petit moment maintenant s'il vous plait. Je refermerai derrière moi.

- Très bien.

Le vieil homme s'éclipse. Enfin, je suis seul chez toi, Drago... Est-ce vraiment là que tu as vécu ?

Eperdu, je m'assois sur le canapé. Je caresse la table basse, y laissant de petites empreintes éphémères. As-tu laissé les mêmes empreintes, Drago ? Toutes ces choses, tu les as touchées, tu y as vécu. Je me sens déplacé à l'idée de m'introduire ici, et pourtant... Il faut que je sache.

Je commence par retourner les coussins du canapé, mais évidemment, il n'y a rien. Les tiroirs de la table basse sont vides. Je m'attaque aux bibliothèques.

Parce que je connais la précédente cachette des journaux de Drago, j'extrais immédiatement tous les livres et je pars en quête d'un double fond. Mais non, là non plus, il n'y a rien. Alors, j'examine attentivement tous les ouvrages, un par un. Il y a de tout. Des manuels très techniques sur l'entretien et le maniement des armes. Des recueils de sortilèges. Quelques ouvrages de magie noire prohibés dont le Ministère croyait détenir toutes les copies... Et puis un recueil de Baudelaire. Des classiques de littérature anglaise. Des romans de science-fiction.

Je souris malgré moi. C'est une facette toute nouvelle et intime de Malefoy que je découvre là. Ces livres, il les a manipulés, ça se voit. Certains ont été lus plusieurs fois. Il y a même un dictionnaire de latin, des ouvrages sur les civilisations anciennes, et quelques pages de la rubrique sport de la Gazette du Sorcier.

- Drago, qu'est-ce que tu faisais de tout ça..., je murmure en souriant pour moi-même.

A nouveau, je me sens infiniment proche de toi. J'aimerais que nous puissions avoir une discussion sur tes goûts et tes aspirations. Débattre de pourquoi ta bibliothèque ressemble à celle d'un geek touche-à-tout. Mais nous ne le pourrons jamais, n'est-ce pas...

Me redressant, je pars fouiller les autres pièces de l'appartement.

La cuisine est très standard, et il n'y a rien dans les tiroirs. Visiblement, tu n'étais pas un grand amateur d'art culinaire. La poussière et l'abandon général de l'endroit commencent à me laisser penser que tu n'es pas venu là depuis un petit moment...

La salle de bain elle aussi est correct, mais rien de plus. Il n'y a pas de brosse à dents ni d'affaires de toilette : une autre preuve que tu avais élu domicile ailleurs, depuis quelques temps déjà...

Je me souviens des lignes du journal que j'ai trouvé sur toi, le journal que Ron m'a confisqué. Tu disais que tu étais en danger. Que tu avais été trahi, que tu ne pouvais pas prendre le risque qu'on te retrouve toi et le fameux coffret... Est-ce pour ça que tu es parti, Drago ? Mais où es-tu parti ?

Anxieusement, je passe à la chambre. Plus que jamais, je me sens mal à l'aise de pénétrer ici... Comme si je violais ton intimité sans te demander ton avis, l'intimité d'un mort... Est-ce cela que ressente les archéologues, lorsqu'ils profanent un tombeau ? Un léger parfum de sacrilège... Mais je ne peux pas m'empêcher de regarder.

Une fois encore, la pièce est sobre. Il n'y a qu'un lit double de facture assez simple, un édredon dans des tons gris-vert, et une grande armoire en chêne. J'hésite avant de l'ouvrir... Mais je l'ouvre.

L'odeur de Malefoy est plus forte ici. Et pour cause : ce sont ses vêtements qui s'étalent devant moi. Ses vêtements, ses armes... Je passe tout en revue, m'attardant un peu trop malgré moi sur chaque chose, ému à l'idée que c'est sa vie que j'inspecte, que je découvre ainsi... J'examine ensuite le meuble à la recherche de compartiments cachés, mais je suis encore déçu.

Arrive le moment de défaire le lit. Cette fois je me sens vraiment coupable, mais je vais jusqu'au bout. Je ne peux pas empêcher les questions de tourner dans ma tête. C'est là que tu dormais, Drago ? Est-ce que tu as pleuré, rêvé, aimé dans ce lit ? Qui d'autre l'a partagé avec toi ?

Je repense à la présence d'Astoria, et à nouveau, je regarde autour de moi. Mais il n'y a rien de féminin dans cette pièce. Rien qui aurait pu appartenir à une femme... Même dans l'armoire, il manque la moitié des affaires, comme si Drago avait plié bagage sans avoir le temps de tout emporter... Aurait-il pu faire disparaitre les traces d'une autre personne partageant sa vie ?

Dans le couloir, j'avise la porte qui donne sur l'arrière de l'immeuble, puis deux autres battants. Le premier donne sur une chambre d'ami qui me laisse plus ou moins perplexe. Qui Drago pouvait-il bien accueillir chez lui ? Il n'y a qu'un lit simple et une commode laissée vide.

Enfin, la dernière pièce est un bureau, où s'étale un amas monstrueux de documentation. Il est évident que Drago a pris l'essentiel avec lui avant de partir. Mais ce qu'il a laissé reste phénoménal.

L'ensemble des murs est recouvert d'articles de journaux, de cartes, de photos. De grands tableaux portent des inscriptions à la craie, des adresses, des noms barrés. Les bibliothèques débordent de dossiers d'où s'échappent des feuillets prêts à éclater, et même par terre, sur le bureau, partout, je distingue l'écriture fine et familière de Malefoy... Je suis en plein dans le repère de la Ronce.

Je prends la journée entière pour tout décortiquer, mais il faudrait des années. Dès les premières minutes, l'affaire est claire : cette pièce, tout ce travail, c'est ce à quoi Malefoy a consacré sa vie ces dix dernières années. Traquer les anciens Mangemorts. Traquer les anciens partisans de Voldemort et les éliminer, les uns après les autres. Je vois ici des notes sur Thorfinn Rowle, sur Antonin Dolohov, sur Dennis Travers... Des itinéraires, des plans, des factures en tous genres, et toutes les informations que Malefoy a pu glaner pour reconstituer leur parcours, leur vie, et l'endroit où ils se cachaient.

A lui seul, il a accompli un travail titanesque. Plus que tout le service des Aurors réuni.

Le cœur au bord des lèvres, je trouve le compartiment où il rangeait ses armes, bien que celles-ci aient toutes disparu. Je trouve des photos de femmes et d'enfants, et je comprends que ce sont certaines des victimes de la guerre... Ces victimes que la Ronce a voulu venger...

Je caresse du bout du doigt cet univers que Drago s'est construit, cette toile d'araignée, ce réseau qui confine à l'obsession...

S'il y a bien un endroit où les carnets pourraient être cachés, c'est ici. Les carnets, et le coffret...

Mais non, ce serait trop simple. Il n'y a pas le moindre signe de coffret ici. Vue la valeur que Drago semblait y accorder, il ne l'aurait probablement pas laissé là à la vue de tous, ni abandonné en laissant l'appartement derrière lui...

Cela signifie qu'il me reste encore un endroit à trouver. L'endroit où Drago s'est retiré dans les dernières semaines de sa vie, parce qu'on l'avait trahi et qu'il ne se sentait plus en sécurité...

Qui donc l'a trahi ? Pourquoi ? Où a-t-il trouvé refuge ? Où a-t-il caché le coffret ? Toutes ces questions, les journaux pourraient m'en donner la réponse... Mais Drago les a-t-il laissés ici ?

Par réflexe, je tente plusieurs sortilèges de révélation, sans rien trouver. Je perçois toutefois quelque chose dans l'air... Avec un nouveau sort et en me concentrant, je me rends compte que l'appartement est entièrement intriqué dans un énorme entrelacs de protections. Cet endroit est plus défendu qu'une forteresse, jamais je n'aurais dû pouvoir y entrer...

Pourtant, lorsque je teste la résistance des sorts, ceux-ci s'écartent devant moi. Comme le tatouage sur la peau de Drago... A nouveau, les sortilèges semblent me reconnaitre, et ils me laissent passer en ami...

Je reste confus, comme la première fois. Je ne comprends pas pourquoi Drago a choisi de me laisser libre accès à sa vie de cette manière. Pourquoi il plaçait cette confiance en moi... Cela réveille ma peine et ma culpabilité. Drago, aurais-tu également laissé tes journaux pour moi, comme des miettes de pain ?

Je ne sais pas où chercher. Mon regard se pose partout dans la pièce, questionnant, interrogeant. Jusqu'à ce que je tombe sur une photo de moi.

Elle est là, au milieu de toutes les autres, accrochée au mur. Juste au-dessus du bureau. Là où Drago pouvait constamment la voir...

C'est une vulgaire coupure de journal, comme la Gazette en a publié des centaines sur moi. Le texte de l'article a été découpé, il ne reste que la photo... Je ne suis même pas bien dessus. Mais cela n'a pas d'importance : encore une fois, je reste incrédule, et bouleversé, et... Je ne sais pas quoi te dire, Drago. Il y a tellement de choses que je voudrais dire...

Délicatement, je détache la coupure. Derrière, le mur est nu, à un détail près. Un tout petit lion gravé dans le plâtre. Je passe mon doigt dessus. Alors, sous mes yeux fascinés, la créature s'anime, rugit, et s'écarte pour dévoiler un trou qui grandit, s'arrondit...

Il y a soudain une niche dans le mur. Et dans cette niche, il y a des journaux. Sept, huit, neuf... Dix journaux.

C'est absolument incroyable. J'en ai le cœur qui bat à tout rompre dans ma poitrine, et je m'empare des carnets avant qu'il ne leur prenne la fantaisie de disparaitre. Je tremble presque en les recueillant contre moi. Je l'ai fait, je les ai trouvés... Encore une petite part de lui, encore un peu plus de lui...

Je ne peux pas les lire ici. A tout instant, je prends le risque de voir Ron débarquer avec la même idée que moi et me trouver là. Il faut que je parte. Même si ça me fend le cœur...

Emportant les journaux, je fais à nouveau le tour des pièces une par une. Je vole un pull et une chemise dans l'armoire, en me sentant minable et ridicule. Je prends aussi l'édition de Baudelaire et le « Dune » de Frank Herbert, qui semble être le roman le plus lu. J'emporte tout cela avec moi : les petites miettes de Drago... Tout ce qu'il reste de lui, désormais...

Avant de refermer la porte, je jette un dernier coup d'œil à l'appartement. Je m'abreuve de son aspect, de son odeur, pour ne jamais l'oublier. C'est là que Drago a vécu...

Je descends l'escalier et dis vaguement au revoir au vieil homme. Je promets dans le vide de le prévenir des avancées de l'enquête, même si je ne compte pas revenir. Alors enfin, je transplane chez moi.

Il y a quelque chose d'étrange à me retrouver dans mon bureau, après avoir visité celui de Drago... Moi aussi, j'ai sa photo sur le mur, juste sous mes yeux. Moi aussi, j'ai des notes et un tableau d'enquêteur, tous consacrés à lui : la Ronce...

Un à un, je dépose les journaux sur le sous-main. Lequel est le plus ancien ? Je consulte rapidement les dates, contemplant le passé défiler. Enfin, je trouve l'année 1998. La toute fin 1998.

« 25 décembre 1998.

Je n'ai pas pu écrire pendant longtemps. La situation a été chaotique. Mais me voilà stable à présent, autant que ma vie peut l'être désormais. »

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