Graviora Manent

Je referme le carnet, lentement. Je ne sais même pas par où commencer. J'ose à peine respirer, et mon cœur bat si vite dans ma poitrine que j'ai peur de perdre connaissance... Pourtant, je suis immobile comme une statue à même le sol, agenouillé, depuis plus d'une heure. L'effort est mental. Emotionnel. Harassant.

La douleur qui me déchire la poitrine me paralyse, m'écartèle, me transperce lentement, comme une lame chauffée à blanc, sans tout à fait me laisser mourir... Mourir, ce serait trop miséricordieux. Mourir, pour que lui puisse vivre...

Malefoy... Pourquoi a-t-il fallu que ce soit toi et non moi ? Nuit et jour, cette question me hante, depuis que je t'ai tué... Pourquoi a-t-il fallu que la vie nous oppose en tous points de cette façon, depuis notre enfance ?

Je n'avais jamais vraiment réalisé cette injustice jusqu'à présent, mais en lisant ton journal... Elle me frappe moi aussi, à retardement. Et c'est encore pire, parce que je sais qu'elle gagne... L'injustice gagne. Au final, il n'y aura rien eu à faire, rien que toi ou moi puissions tenter pour lui échapper... Comme si le destin avait apposé sa main sur nous – et pourtant, je ne crois pas au destin.

Effondré, je ferme les yeux quelques instants, dans le vague espoir de me couper du monde. Mais c'est encore pire. Les phrases de Malefoy me poursuivent, et tout ce qu'elles évoquent...

« Ça y est, c'est arrivé. V. l'a fait. Je suis officiellement devenu un Mangemort. »

Je savais en entamant le récit de cette sixième année que cela n'avait pas été une année facile pour Malefoy. Je me rappelle de ma paranoïa à son égard. De tous les soupçons que je nourrissais contre lui. Mais je me rappelle aussi l'avoir vu lentement dépérir sous mes yeux, semaine après semaine...

Malefoy avait beaucoup maigri cette année-là. Ses cernes s'étaient creusés, sa peau décolorée pour prendre la teinte grise de l'angoisse et de la maladie qui rode... Je le sentais plus nerveux, apeuré, irritable, comme un animal mis en cage et qui sentait sa fin proche, qui se cognait contre les barreaux dans un vain espoir de s'échapper...

A l'époque, ça ne m'inspirait rien d'autre que de la méfiance et un mépris profond à son égard. Je sentais dans mes tripes que Malefoy était un Mangemort, et je pensais qu'il ne récoltait que ce qu'il méritait. Ça s'arrêtait là. Seigneur, que j'étais stupide...

Comment ai-je pu oublier un seul instant que Malefoy n'était qu'un adolescent de seize ans, comme moi ? Avec ses problèmes, sa famille, ses doutes et ses tourments, comme moi ? Qu'il était pris dans une guerre, comme moi... Au plus près de la guerre...

Mais non, je n'ai rien vu, ou je n'ai rien voulu voir. Pour moi, la sixième année a été relativement plaisante et tranquille, à l'exception de ce dernier jour où Dumbledore a trouvé la mort... Pour moi, je crois que ça a été l'année la plus « adolescente » de ma vie. Le château baignait dans une sorte d'euphorie folle et bienheureuse. Comme si tous ses habitants étaient conscients de leur chute prochaine, que nous nous tenions tous au seuil de la guerre, et qu'il fallait profiter de notre innocence avant qu'on ne nous la retire pour nous écorcher à vif...

Aussi, pour moi, la sixième année a été le temps de l'amour et de l'amitié. C'est l'année où je me suis rendu compte que j'aimais Ginny, et où Ginny m'a aimé. C'est l'année où j'ai partagé une complicité inégalée avec Ron et Hermione et le reste de mes camarades Gryffondors. On s'amusait bien, mine de rien... Nos hormones étaient en ébullition... Même les déboires de Ron, Lavande et Hermione avaient quelque chose de léger, amusant...

Bien sûr en parallèle, Dumbledore ne me laissait pas oublier l'ombre qui rôdait. Il y avait toutes ces histoires avec Slughorn, et les souvenirs de Voldemort... Mais quelque part en moi, je crois que je repoussais cette vérité. Je voulais m'en détacher tant qu'il m'était encore permis de le faire. Je voulais pouvoir vivre une année avec l'insouciance et la désinvolture d'un adolescent, et je l'ai fait... Quand j'y repense, il n'y avait quasiment que Malefoy pour me ramener à mes idées noires...

« V. m'a confié une mission. »

« Il fait passer cette mission pour un honneur, mais c'est une condamnation à mort, et tout le monde le sait. Alors ça y est. Cette année, je vais mourir... »

Non, Drago, tu ne vas pas mourir. Tu mourras quatorze ans plus tard, dans la neige et le froid, de ma main... Mais aujourd'hui, je comprends les dilemmes qui te déchiraient... Je comprends toutes les horreurs que tu as vécues... Je comprends à quel point ma vision de toi était faussée, et manichéenne...

« Je suis devenu le traître. Le ver dans la pomme. Celui que P. devrait arrêter... »

Tu n'as pas eu le choix.

« Je suis tellement désolé, tellement... »

Je suis désolé que la vie nous ait forcés à tenir ces rôles.

« J'aimerais l'espace d'une seule minute être un adolescent comme les autres, venir vers toi tout maladroit et rougissant, et te dire ce que je ressens, sans en avoir peur ou honte. J'aimerais ne pas avoir vécu toutes ces saloperies qui me salissent. J'aimerais simplement pouvoir me réfugier dans tes bras et pleurer longtemps. »

J'aimerais que tu puisses le faire. Je ne te jugerais pas, je ne te mépriserais pas. Au contraire, je te pardonnerais. Je te consolerais, je t'aimerais. J'aimerais que tu aies osé le faire quand nous avions seize ans... Je ne sais pas si le moi de cette époque aurait compris... Mais cela aurait pu changer tellement de choses...

« J'aimerais tellement... »

J'aimerais pouvoir te dire que je t'aime.

XXX

Je me relève avant de succomber totalement à ma douleur. Je ne peux plus rester ici. Pas une seconde de plus. La présence – et l'absence – de Malefoy me remplissent tout entier et m'étouffent... Je fais savoir à McGonagall que je pars, et j'emprunte sa cheminée pour me rendre à Pré-au-Lard. Mais c'est encore trop douloureux... Je transplane à Londres.

Dans les rues du Chemin de Traverse, mon dialogue intérieur continue, presque malgré moi. Le journal dans les mains, des phrases m'interpellent, s'adressent à moi par-delà la mort...

« Bon anniversaire, P. Où es-tu, en ce moment ? Comment vas-tu ? Je maudis B. tous les jours pour ce qu'elle a fait à ton parrain. Je la maudis tous les jours pour ce qu'elle continue à me faire. Je crois que toi et moi avons enfin trouvé un terrain commun : notre haine pour elle. »

Tu as raison, j'ai haï cette femme comme je n'ai jamais haï personne d'autre... Jusqu'à ce que j'apprenne ce que t'as fait subir ton père.

« Mère et moi sommes allés au Chemin de Traverse aujourd'hui, chez B.&.B., et je n'ai pas pu m'empêcher de me sentir épié... »

C'était moi, Drago. Et dire que c'était moi...

« Pour la première fois de ma vie, je crois avoir distingué un sursaut d'instinct maternel, chez ma mère. Comme si elle venait tout juste de se réveiller. Comme si elle venait tout juste de prendre conscience de ce dans quoi mon père et elle m'ont embarqué, et de ce qu'ils m'ont fait subir pendant toutes ces années...

Surtout, et pour la première fois de sa vie elle aussi, elle est confrontée à la perspective de me perdre. »

Ta mère t'aimait, Drago... Je sais que c'est dur à croire au vu de l'inaction qu'elle a toujours manifestée dans ton journal. Mais elle t'aimait, à sa façon. C'est son amour pour toi qui m'a sauvé, dans la Forêt Interdite, lorsqu'elle a choisi de mentir à Voldemort en échange de l'assurance que tu allais bien. De cette façon, et de tellement d'autres façons, je te dois la vie...

« C'est idiot, n'est-ce pas ? De s'accrocher à mon existence, alors que tout dans mon être me crie qu'elle est d'ores et déjà perdue... Mais je ne peux pas faire autrement. Je ne veux pas mourir...

Est-ce si mal de ma part de vouloir ça ? »

Non, Drago, ce n'est pas mal. Je ne sais pas ce que j'aurais fait à ta place. Je ne sais pas comment quiconque aurait pu tenir dans une situation comme la tienne, surtout avec tout ce qui pesait déjà sur tes épaules... Je ne sais pas comment tu as survécu à ce dilemme, à ce cas de conscience... Je regrette d'avoir été si dur et aveugle avec toi... Non, ce n'était pas mal de vouloir vivre. Tu méritais de vivre...

« Je voudrais tellement me révolter contre tout ceci... Me dire : « puisque je vais mourir, autant tout envoyer se faire foutre et rejoindre P., rejoindre la lumière, rejoindre le bon côté de la barrière... ». Mais je ne peux pas. Parce qu'il y a cette créature pitoyable et lâche en moi qui espère toujours vivre. Qui veut vivre. Alors que je sais très bien que je ne pourrai pas supporter une telle vie. Comment pourrais-je me regarder dans un miroir un jour, si V. gagne et tue P., et si j'ai contribué à tout cela ?

Je suis dans une impasse. Je ne sais plus, je ne sais plus... Je ne sais pas quoi faire... Pitié, je n'ai personne à qui parler... »

Ces appels à l'aide venus du passé me déchirent... Drago, tu aurais tellement dû venir... Tu aurais dû venir me parler et tout m'expliquer... L'Ordre aurait pu te protéger, nous aurions pu... Je ne sais pas ce que nous aurions pu. Mais tout plutôt que de te laisser souffrir en silence ainsi... Tu n'étais pas lâche, tu n'étais pas pitoyable... Ça s'est passé il y a plus de quatorze ans, et je ne supporte quand même pas de t'entendre dire ça...

« J'envie déjà P. en tout. Je lui envie ses amis, sa tranquillité d'esprit, son courage... Je lui suis tellement inférieur... Je n'avais pas besoin qu'il me démontre une fois de plus à quel point il me surpasse. Et certainement pas en Potions. »

Je suis tellement désolé... J'ai conscience aujourd'hui de l'influence immense que j'ai eue sur ta vie et sur ta manière de te percevoir. Mais je n'ai jamais voulu te faire ressentir tout ça. Je n'ai jamais voulu que tu te sentes méprisé et inférieur au point de me haïr autant que tu m'aimais, au point d'être incapable de communiquer avec moi autrement qu'en me frappant, au point d'être incapable d'appeler à l'aide... Tu n'aurais pas dû te débattre seul au milieu de tout ceci.

« Elle est déjà là, je le sens : la pression sur mes épaules, et cette culpabilité hideuse et noire, ce limon infect dans lequel mon cœur s'est englué, et qui contraint chaque battement... Je vais m'y noyer. La tourbière de mes ténèbres m'aspire et me perd chaque jour un peu plus. Je vais m'y noyer... »

C'est la mort que tu décris, Drago... C'est l'impression que cela me fait... La mort, la culpabilité, le dégoût de soi... J'aimerais pouvoir te dire que tu ne vas pas t'y noyer. J'aimerais pouvoir te dire que je vais revenir quatorze ans en arrière et te sauver, que tu ne seras plus jamais seul, jamais...

Mais c'est impossible. A cause de moi... Aujourd'hui, c'est moi qui vais me noyer.

« Je l'ai fait. Je n'arrive pas à croire que je l'ai fait, Seigneur, mais je l'ai fait. »

« J'ai confié le collier à K.B., pendant la sortie à Pré-au-Lard. Je lui ai jeté un Imperium pour qu'elle aille le remettre à D. en mains propres. Mon premier Impardonnable... »

J'ai toujours su que tu l'avais fait. Je t'ai soupçonné dès la première seconde. Mais sur le moment, je n'y ai vu que ta mesquinerie habituelle. Pourquoi est-ce que je n'ai pas cherché à voir plus loin ? Un collier ensorcelé, ça dépasse quand même toutes les crasses que nous avions pu nous faire par le passé... Et je voyais bien que tu ne jubilais pas.

« Une part de moi ne peut s'empêcher de penser que peut-être, ce serait une bonne chose. Me faire arrêter maintenant. Que quelqu'un m'empêche de nuire, par pitié... »

C'est tellement triste d'en être réduit à penser cela... Tu n'étais pas quelqu'un de mauvais, Drago... Tu n'étais pas quelqu'un qu'il fallait empêcher de nuire, mais qu'il fallait protéger et chérir. Je le sais aujourd'hui...

« Inutile de préciser l'horreur que je ressens à l'idée que tout ceci s'est déroulé sous les yeux de P. Je ne veux pas que tu me vois ainsi... »

Je te vois, aujourd'hui. Et je t'accepte. Si seulement tu m'avais parlé...

« P. n'arrête pas de me surveiller depuis l'incident avec K. Il me soupçonne, je le sens. Jamais je n'ai autant eu conscience de son regard sur moi. Je crois que jamais je n'ai autant occupé ses pensées... Mais étrangement, je n'en retire pas le moindre plaisir. J'ai honte de moi. A chaque instant, je voudrais pouvoir me cacher de son regard, et tout lui expliquer, et lui dire : « Je suis désolé, je n'avais pas le choix... ».

Seulement voilà, je ne peux pas. Je dois endurer les regards lourds de P., l'homme que j'aime et qui me méprise chaque jour un peu plus, parce qu'il sait que je suis un Mangemort, et que j'ai failli tuer une fille... J'ai tellement honte... Je me sens tellement coupable... Je ne me supporte déjà plus moi-même, alors je ne sais pas comment je pourrai tenir jusqu'au bout. Et j'ai tellement, tellement peur...

Plus que dans ma vie entière, je suis seul. »

Rageusement, j'écrase une larme et je ferme mon esprit, en vain. Une boule de remords et de chagrin dur s'est formé tout au fond de ma gorge. Chaque phrase est un poignard qui m'assassine, mais que je retourne contre moi, encore et encore... Les mots de Malefoy me tuent à petit feu. Parce qu'ils me font aimer un homme que j'ai éliminé sans même lui laisser prononcer une parole... Parce qu'ils me font aimer un homme que je ne pourrai plus jamais revoir... Chaque page m'envoie de nouveaux regrets à la figure, de nouvelles fautes pour lesquelles je ne pourrai jamais m'amender. Et c'est tellement...

Il n'y a pas de mot pour le décrire. Frustration n'est pas assez fort, révoltant n'est pas assez fort. Ça me donne envie de hurler, tout simplement. De hurler et de me haïr jusqu'à la fin des temps.

Au final, c'est peut-être ça ta revanche, Drago... Tu me fais t'aimer alors que je ne peux plus te toucher... Tu me fais te rejoindre au moment précis où je ne peux plus t'atteindre... Tu me fais souffrir, autant que tu as souffert...

« Je me suis fait chopper à la fête de cet abruti de H. S., en revenant de la Salle sur Demande. P. et G. étaient là, ainsi que tous les chouchous de ce vieux fou, c'était à vomir... Bref. R. m'a tiré d'affaire. Mais ensuite, il s'est mis à me poser des questions, il s'est mêlé de mes affaires, et je... J'ai ressenti une peur indescriptible.

Peur parce que R. est un agent de V., et qu'en dépit de cela, je l'apprécie, et j'ai tellement honte de ce que j'ai fait... Peur parce qu'il m'a avoué avoir fait le Serment Inviolable pour me protéger. Je ne sais pas quoi penser de R. Je ne sais pas ce que je peux lui dire ou non. A défaut, j'ai choisi de lui dissimuler mes pensées. Avec V., c'est bien la seule chose qui me sauve. »

R... Ça me fait bizarre de repenser à Rogue. Encore un fantôme surgi du passé... Comme Malefoy, je crois que mes sentiments sont ambigus à son sujet. Je n'ai découvert l'homme qu'il était vraiment qu'au moment de sa mort. Je n'ai jamais pu lui dire tout ce que nous aurions dû échanger... Je n'ai jamais pu l'apprécier pour celui qu'il était vraiment... Encore un regret inachevé.

« V. n'a donc plus de respect pour rien ! Même une trêve pour Noël, il ne peut donc pas la lui accorder ?! »

« Je suis tellement désolé, P... Tellement soulagé que tu n'aies rien... Et tellement désolé... Chaque parcelle de bonheur que tu possèdes, faut-il donc que moi et mes semblables, nous venions te la gâcher ?

Je me déteste. Je les déteste tous. Peut-être vaudrait-il mieux que je meurs, finalement. »

Non, Drago... Je t'en supplie, ne dis pas ça... Tu n'as aucune idée d'à quel point ces paroles sont horribles à lire, pour moi... A quel point elles sont prémonitoires... Tu n'as pas gâché toutes mes parcelles de bonheur. Tu n'as rien gâché pour personne. Tu n'étais qu'un jeune garçon terrifié et perdu, abandonné de tous, avec une pression énorme sur les épaules... Faisant désespérément de son mieux pour survivre au milieu de psychopathes en puissance, sans y perdre son âme... Tu étais extraordinaire, et tu ne t'en es jamais rendu compte. Personne n'aurait pu survivre à part toi.

« A. m'a fait tout avouer. »

« Heureusement, comme d'habitude – et c'est ce que je chéris le plus en elle – elle ne me juge pas. Elle se contente de me soutenir, d'être là pour moi. J'ai résolu de ne plus rien lui confier des manipulations futures que je serai forcé de faire : je ne veux pas la rendre complice. Mais avec elle à mes côtés, peut-être que je tiendrai un tout petit peu plus longtemps. »

Astoria... Je suis heureux que tu aies eu quelqu'un à tes côtés pour te soutenir. Quelque part, cela me dédouane un tout petit peu de cette culpabilité affreuse que je ressens... Savoir que tu n'étais pas complètement seul. Que quelqu'un était là pour toi, quelqu'un qui te comprenait, à qui tu pouvais parler... J'aurais aimé que cette personne, ce soit moi.

« Encore une fois, mes plans semblent dépasser d'eux-mêmes ma pensée. Ce n'est pas D. qui a bu le vin empoisonné. Ce n'est même pas S. C'est ce crétin de W. Et en présence de P., en plus...

Et si ça avait été P. ? Cette question me hante, jour et nuit... On m'a raconté que c'est P. qui a su quoi faire pour sauver W. Sans son intervention, S. n'aurait rien fait, et j'aurais eu le sang de W. sur les mains. Alors, que ce serait-il passé si P. avait bu le premier ?

J'aurais tué l'homme que j'aimais... J'aurais tué l'homme que j'aimais...

J'en tremble rien que de l'écrire. Je ne peux plus, je ne peux plus... Je refuse de voir venir le jour où nous devrons nous affronter tous les deux... Je n'en serai pas capable... Je le laisserai me tirer dessus, je crois... »

Est-ce que c'est ce qui s'est passé, Malefoy ? Est-ce que tu m'as laissé te tirer dessus ? Par pitié, dis-moi que ce n'est pas ça... Tu te tortures à l'idée de m'empoisonner par mégarde, à l'idée de devoir m'affronter et me tuer... Mais aujourd'hui, c'est moi qui t'ai tué. C'est moi qui t'ai affronté, et qui t'ai volé ta vie... Et tout comme toi, je ne peux pas le supporter...

« Le pire est arrivé aujourd'hui. Le pire jour de ma vie. Et, quand on connait ma vie, ça ne représente pas rien. »

Non, pitié, pas ce souvenir-là...

« Je me suis enfui jusque dans les toilettes, et j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps, mais P. m'a suivi.

Il m'a VU pleurer. Jamais je ne me suis senti aussi faible de toute ma vie. Aussi pathétique, pitoyable, aussi vulnérable, et en plus devant lui ! Je ne pouvais pas le supporter, je ne pouvais pas le laisser me voir comme ça...

Ne t'approche pas de moi P., par pitié, surtout ne regarde pas en moi, tu n'aimerais pas ce que tu verrais... »

Je te regarde, Drago. Je te regarde, et j'aime ce que je vois, je t'assure. Il n'y a rien de repoussant en toi...

« Du coup, j'ai attaqué le premier. Il a riposté, bien évidemment. On s'est battus comme si on était nés pour ça. Quelques fois, je me demande s'il n'existe pas également une prophétie, juste pour P. et moi... Mais au final, c'est P. qui m'a eu. Est-ce que je l'ai laissé faire ? Peut-être... J'ai appris à ne plus répondre à ce genre de questions. Parce que je n'aime pas les réponses. »

Dis-moi que tu ne m'as pas laissé faire ce jour-là. Pas plus que ce 14 décembre dernier, dans la neige...

« Quoi qu'il en soit, il m'a jeté un sortilège que je ne connaissais pas, et j'ai su à la seconde où j'ai senti mes chairs se déchirer que ce n'était pas un sortilège ordinaire. »

« Non, ça c'était un vrai sort. Un sort de magie noire. Le genre que l'on lance à son pire ennemi, avec l'intention de le tuer.

J'ai ressenti tout cela lorsque le sortilège m'a percuté. La colère, la haine, la brûlure de toute cette rancœur que P. a accumulée contre moi depuis toutes ces années... Quelque part, je devrais en être satisfait. Je n'avais jamais soupçonné que P. avait des sentiments aussi puissants pour moi...

Mais je ne peux pas m'empêcher d'en souffrir également, comme toujours. Même maintenant, dans mon lit à l'infirmerie, je pleure comme une fillette sur les pages de ce journal... Parce que P. a voulu me tuer. Moi je l'aime, et pourtant lui, il ne rêve que d'inscrire des blessures dans ma chair... »

Doucement, je caresse les pages du journal. Les larmes de Malefoy y ont laissé des traces, là où il a pleuré... C'est tout ce qu'il reste de lui aujourd'hui. De l'encre, et des larmes...

Immobile au milieu de la rue, je relis la description de ce qu'il a ressenti lorsqu'il a été frappé par le Sectumsempra, et je sens ses blessures s'imprimer dans mon cœur...

C'est terrible. C'est pire que tout ce que j'ai pu lire jusqu'à présent. Parce que ce sortilège, le Sectumsempra... Je sais que c'est celui que je lui lancerai quatorze ans plus tard, et qui lui sera fatal. Je sais que toute cette douleur, toutes ces émotions, il les ressentira encore, en mille fois pire. Je sais que de ce sortilège, de ma main, il en mourra... C'est comme si je le tuais une deuxième fois... Dans notre passé à tous les deux. Dans l'avenir de cet adolescent de seize ans dont je lis les pensées les plus intimes...

Je ne supporte plus cette ironie dramatique. Je ne supporte plus de lire toutes les souffrances que j'ai infligées à cet être que je ne peux plus sauver... Mais malgré moi, je ne peux pas m'en empêcher. Parce que ce salopard, il m'a conduit à l'aimer...

« Je ne peux m'empêcher de penser que P. a regretté de m'avoir blessé uniquement parce qu'il ne voulait pas avoir ça sur la conscience. Ce n'était pas par rapport à moi. Mais uniquement par rapport à lui. Il s'est dit : « Mon Dieu non, je ne veux pas être un meurtrier, je ne veux pas vivre avec ce sang sur les mains et cette tâche sur la conscience ! ». Mais il ne s'est pas dit : « C'était Drago Malefoy ! Je ne veux pas tuer Malefoy... ».

Le pire, c'est que je crois qu'il a raison... A cet instant, je n'avais peur que pour ma conscience... Mais bordel de Dieu, ce n'était pas ma faute ! Comment est-ce que j'aurais pu deviner ? Comment est-ce que j'aurais pu imaginer toute cette profondeur, sous ce masque ?

Par pitié, dis-moi que ce n'était pas ma faute... Moi aussi, j'ai besoin d'être pardonné...

« Qu'est-ce que tu crois, P. ? C'est la suite logique. C'est ce qui nous attend. Cet affrontement n'a-t-il pas sonné comme une prémonition, à tes yeux ? »

Si. Terriblement. C'est toi qui as toujours eu raison, tu as toujours été le plus lucide de nous deux...

« Je me dis que peut-être, finalement, ça aurait été bien que tu me tues. »

Je t'ai tué... Je t'ai tué... Seigneur, comment as-tu pu souhaiter cela ne serait-ce qu'un seul jour dans ta vie ? Comment as-tu pu croire que cela ne me ferait rien ? Je t'ai tué, et ça me bouffe de l'intérieur !!

« P. a commencé à sortir avec G.W. Que dire de plus ? »

Je sais ce que tu as pu ressentir. Je sais ce que c'est que de regarder de loin une personne qui n'a même pas conscience de toi... Encore une fois, je ne sais plus comment le dire, mais je suis désolé...

« J'ai couché avec A. Je ne sais pas très bien comment ça s'est fait. Quand je pense au passif que nous avons elle et moi, ça parait presque surréaliste. Et pourtant, sur le moment, c'était tellement naturel... »

Que dire de plus ? A part que je suis heureux qu'il y ait eu une part de lumière au milieu de tout ceci... Qu'Astoria ait été là pour te l'apporter, puisque moi je n'étais pas à la hauteur... Que je suis furieux parce que j'aurais aimé que ce soit moi... Que je suis jaloux alors que tu es mort...

« Tout est organisé. Tout est fin prêt. Je n'arrive pas à croire que c'est moi qui suis responsable de ce qui est sur le point de se produire... Je n'arrive pas à croire que c'est mon nom que l'on citera dans les livres d'histoire, lorsqu'on se demandera où est-ce que tout cela a commencé, et comment cela a été rendu possible... »

Encore une fois, je suis amer, parce que tout cela sonne tellement vrai... Tu avais décidément tout prévu, Drago... Toutes les retombées de tes actes, tu les avais envisagées. Quelque part, c'est encore pire. C'est comme si tu avais vu ton avenir avant de le vivre. Comme si tu avais décidé d'endurer ton présent malgré tout. Pour être contraint de vivre effectivement ton avenir ensuite...

C'est presque un double châtiment.

« Je ne sais pas ce que je vais faire... Je ne suis pas prêt, je ne l'ai jamais été... Je ne veux pas tuer D... Mais je ne veux pas mourir ! Je ne veux pas mourir, par pitié, quelqu'un, faites quelque chose ! Que tout cela ne repose pas uniquement sur mes épaules !! »

Je sais que tu ne voulais pas le tuer. Je sais que tu étais perdu. Mais tu as baissé ta baguette, Drago...

« P., est-ce que j'aurai le temps de te revoir, ce soir ? Je crois qu'il ne vaut mieux pas. Dieu sait ce qu'ils te feraient. Et en même temps, je sais que d'ici quelques heures, si j'agis comme prévu, tu voudras me tuer... »

Je n'ai jamais voulu te tuer. C'est ça le pire, je n'ai jamais voulu te tuer...

« J'aurai perdu la moindre lueur d'espoir qui aurait pu subsister entre nous. J'aurai tout perdu. Peut-être ma vie, peut-être mon âme...

Mon amour pour toi, c'est tout ce qu'il me reste. Même si je ne le mérite pas. Même si je n'ai pas le droit de le ressentir. »

Tu le méritais. Tu méritais tout l'amour possible.

« Je l'emporterai avec moi, quelle que soit l'issue de ce soir. C'est la seule chose qu'ils ne m'enlèveront jamais. »

J'aurais voulu pouvoir te le rendre...

« Mon amour pour toi. »

Je m'arrête. Je dois m'arrêter, je n'en peux plus. La douleur est trop forte. Je regarde autour de moi, et je réalise qu'inconsciemment, j'ai quitté le Chemin de Traverse pour rejoindre le Londres Moldu. Je suis perdu quelque part devant le London Bridge, et je regarde bêtement la Tamise, sans y trouver la moindre idée ni réconfort. Je poursuis ma route, à défaut. Un cadavre en suspens, comme l'a si bien dit Drago...

L'horreur de cette sixième année me poursuit, parasitée par l'insouciance qu'elle représentait jusqu'à présent pour moi. Le décalage continue de me rattraper, et de m'ébahir. J'ai envie de me traiter d'imbécile. J'ai envie d'attraper le jeune moi par les épaules et de le secouer en hurlant : « Réveille-toi ! Vois-le pour ce qu'il est réellement ! Aide-le avant qu'il ne soit trop tard ! ». Mais je ne peux pas faire tout ça... Les Retourneurs de temps ne peuvent pas m'emmener aussi loin... Et même s'ils le pouvaient, je ne pourrais pas parler à celui que j'étais à l'époque pour le convaincre, c'est interdit...

Je me perds dans mes conjectures et je soupire. Il me faut un certain temps pour me rendre compte que j'ai marché tout l'après-midi, et que la nuit est tombée. Les ruelles sont silencieuses. Je suis dans un bas quartier du Londres Moldu, et un frisson me hérisse la nuque.

Je reconnaitrais cette sensation entre mille. Une sirène d'alarme. Danger...

Lentement, je remonte la ruelle, m'engouffre dans une autre. Je tente vainement de me repérer au milieu des maisons en briques. J'entends des éclats de voix à l'autre bout de la rue et cherche à les contourner, mais ce n'est qu'une impasse...

Alors, je les aperçois. C'est un groupe de jeunes hommes, d'environ 20 – 25 ans. Tous sont vêtus comme s'ils vivaient dans la rue. Tous ont l'air de junkies ou de gangsters à la petite semaine. Ils sont rassemblés autour d'une silhouette adossée contre un mur, qui doit être leur dealer. Ils ne m'ont pas encore repéré, mais avec ma baguette, je n'ai rien à craindre.

Jusqu'à ce que je vois le visage du dealer.

D'un seul coup, mon sang ne fait qu'un tour dans mes veines. Mon cœur bondit, m'électrise, et je me retrouve glacé des pieds à la tête, une bombe au creux de l'estomac, du feu dans la poitrine. Je ne sais pas quoi faire. En l'espace d'une seconde, tout mon souvenir de Drago s'échappe pour être remplacé par un autre, plus dévastateur, plus puissant, parce que vécu, concret, éprouvé... C'est lui, mon Dieu, c'est lui...

Son prénom franchit mes lèvres malgré moi :

- Noah...

Un prénom d'outre-tombe, un prénom auquel je m'interdis de penser pour ne pas qu'il me consume...

Mais je le redis plus fort :

- Noah !

Tous les hommes se retournent. Ils me voient fixer le dealer et quelques-uns ricanent, mais je n'en ai rien à faire. Ils peuvent me battre, me planter, je n'en ai rien à foutre, il faut que je m'approche. Parce que c'est lui...

Je n'arrive pas à y croire. Je le vois : lui et ses yeux bleus acérés, faits pour mépriser, lui et son sourire cruel que j'adorais détester, lui et son nez taillé à la serpe, ses cheveux bruns... Noah, c'est toi, c'est bien toi, et tout mon corps veut mourir... Je suis mort chaque seconde passée loin de toi... Et je ne t'ai pas vu depuis presque sept ans, est-ce que tu te rends compte ? Je suis mort chaque seconde...

Mon esprit, mon âme, tout, tout veut s'abreuver de toi, et je vois dans tes yeux que tu me reconnais...

Je la vois, cette demi-seconde où tu réalises enfin qui je suis. Où tu te figes, tes paupières lourdes se soulèvent, et puis soudain...

La fuite. Il me faut plusieurs secondes pour l'encaisser : je te vois bousculer tes amis, lâcher ta marchandise à terre, et courir, courir, courir comme si ta vie en dépendait...

J'ai le souffle coupé. Stupidement, je hurle :

- NOAH !

Et puis je réalise que je vais te perdre, que tu vas disparaitre, encore, que d'un instant à l'autre tu ne seras plus là...

Et moi aussi je cours. Je cours en maudissant le quartier Moldu qui m'interdit de transplaner. Je cours sans cesser de hurler ton nom, mon cœur battant à tout rompre dans ma poitrine, ton visage, ta vision remplissant et détruisant tout...

Je n'ai pas le loisir de m'interroger ou de comprendre. Pourquoi tu me fuis, pourquoi tu me fuis encore... Pourquoi tu sembles avoir si peur de moi. Tu m'as laissé, tu m'as détruit, mais jamais je ne te ferais de mal... J'avais juste besoin de savoir que tu étais en vie... J'ai juste besoin de t'entendre parler et respirer, je t'en prie... Je ne supporterai pas d'autres retrouvailles avortées...

Je cours comme un dératé, je cours à m'en rompre les côtes, mais tu disparais au prochain carrefour. Je m'arrête sur place et je hurle. Je hurle tout l'air de mes poumons. Des fenêtres s'ouvrent et des passants me crient de me taire, mais je n'en ai rien à foutre. J'ai perdu l'amour de ma vie, pour la deuxième fois, et aussi stupidement... J'ai tout perdu...

Il me faut longtemps avant de pouvoir me redresser et contenir mes larmes. Comme un mort-vivant, je déambule dans les rues de Londres, à la recherche d'un fantôme ayant tantôt le visage de Noah, tantôt celui de Malefoy... Les deux histoires se mélangent dans mon esprit... Les deux tragédies... Noah parlait toujours très peu de son passé, mais du peu que j'avais pu lui soutirer, il était aussi sordide que celui de Malefoy... Cela avait laissé des traces en lui. Des démons qu'il ne maitrisait pas toujours parfois. Mais je l'ai aimé en dépit de tout ce qu'il avait souffert. Lorsque l'on aime vraiment, on se rend compte que les souffrances de l'autre sont aussi un cadeau. Tout comme ses qualités, ou ses vertus. Cela forme un tout. Et il est si rare de tout posséder d'une personne, en lui offrant tout en retour...

Les démons de Noah jouaient bien avec les miens. Je l'ai aimé plus profondément qu'il n'est possible d'aimer pour un être humain. Je l'ai aimé à en mourir. Et plus rien n'a jamais été pareil quand il est parti...

Rageur, j'assiste au lever du jour en essuyant mes larmes. Je suis totalement bouleversé. Le journal de Malefoy, Noah... C'en est trop. Trop d'émotions et de culpabilité d'un seul coup. Trop d'opportunités gâchées...

Rassemblant les dernières forces que mes regrets ont épargnées, je rejoins un endroit tranquille et transplane dans mon appartement. Le sommeil tend vers moi ses bras drapés de fantômes. Je refuse de m'y abandonner... Si je leur cède ce soir, je crois bien que je ne me relèverai pas...

Je me sens seul. Mais je ne veux voir personne. L'absence de Noah s'est réveillée comme une blessure à vif dans mon esprit, comme s'il m'avait quitté la veille... Et d'un seul coup, je me rappelle la chaleur de son corps, la douceur de ses lèvres, son cynisme et sa noirceur, son intelligence, sa fragilité, et à quel point c'était irritant, exaltant et merveilleux de vivre avec lui...

Je me rappelle tout ceci et je vois son regard dans cette ruelle, terrifié et repoussé par moi, au point de me fuir...

C'est un coup de poignard pire que tous les autres. Voir l'homme que j'aime me fuir... Je l'ai retrouvé une seconde seulement pour le perdre aussitôt... C'est le fiasco de Malefoy qui s'est rejoué sous mes yeux... Si seulement je l'avais observé de loin en attendant le bon moment... Si seulement je l'avais rattrapé...

Epuisé, je dépose machinalement le sixième carnet sur mon bureau et effleure le septième. Je ne devrais pas. Je sais que je tombe de sommeil et que mes idées sont en vrac. Mon cœur, mon esprit, plus rien ne tient la route. Mais tant pis. Je ne peux pas m'en empêcher. Je ne veux pas me retrouver seul avec moi-même, et Drago, tu es tout ce qu'il me reste... En ces heures si sombres, tu me fais du mal et du bien, tout à la fois... Alors fais-moi oublier, Drago... Fais-moi oublier, et fais-moi mal, parce que je le mérite. Ouvre-moi les yeux sur tout ce que je n'ai pas su voir... Fais-moi t'aimer à chaque ligne un peu plus, puisque, comme Noah, je t'ai déjà perdu.

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