Gens Humana Ruit Per Vetitum
« 25 décembre 1998.
Je n'ai pas pu écrire pendant longtemps. La situation a été chaotique. Mais me voilà stable à présent, autant que ma vie peut l'être désormais. Je ne sais pas vraiment par où commencer. Sept mois se sont écoulés depuis ma dernière entrée dans mon dernier journal. Les premiers temps, j'ai tenté d'écrire à droite et à gauche, de griffonner quelques fragments de pensées, mais... J'étais trop dispersé, je crois. Comme si tout avait volé en éclats d'un seul coup : ma vie, mon esprit, mon temps, mon avenir...
Survivre au jour le jour est aussi difficile que je l'avais imaginé. Cela fait perdre la notion du temps. Cela nous amène à errer sans but, en s'interrogeant sur le pourquoi de chaque lever de Soleil, chaque battement de cœur. Toute ma vie j'ai cru vivre dans la fuite, mais la fuite n'était rien à côté de tout ceci. Je croyais échapper à la peur en partant de chez moi, en laissant le souvenir de Voldemort derrière moi, mais... La peur n'est pas une chose que l'on abandonne derrière soi. C'est un bagage que l'on emporte dans son ventre et qui nous pèse, partout. Du moins quand on est lâche comme moi.
Mais commençons par le commencement. Le 6 juin dernier, je me suis enfui de chez moi. Bien sûr, je ne suis pas parti sur un coup de tête. J'avais planifié les choses, comme les Serpentards savent si bien le faire. Un mois s'était écoulé depuis la défaite de Voldemort.
Un mois, c'était largement suffisant pour me permettre de réaliser les conséquences de l'après-guerre, et de m'y préparer. Les procès arriveraient très bientôt, peu importaient les efforts de Potter pour les empêcher. Alors j'ai réfléchi.
J'ai rassemblé des objets de valeur à travers le Manoir. Petit à petit, lentement, consciencieusement, pour que mes parents ne le remarquent pas. Des objets en matériaux précieux : porcelaine, argent, diamants. Des objets non magiques. Je les ai fait disparaitre un à un dans une bourse sans fond, que j'ai pris avec moi le moment venu. Pratique, ce genre de bourse. La veille de mon départ, j'ai pu y glisser des vêtements, de l'argent, une radio, des vivres... Tout ce que je pouvais emporter sans que cela ne mène les enquêteurs jusqu'à moi. Tout ce qui pouvait me permettre de subsister. Et puis j'ai transplané.
Les premiers temps, j'ai su que ma disparition provoquerait un raz-de-marée au bureau des Aurors, aussi j'ai choisi pour destination un minuscule village perdu en Irlande. Un endroit où je pourrais m'isoler facilement sans que quiconque ne me pose de questions. Les Moldus qui peuplaient ce lieu n'ont même jamais su que j'étais là, en vérité.
Je me suis inspiré de toi sur ce coup-là, Harry. J'ai profité du relatif été pour dormir à la belle étoile pendant quelques semaines. Juste le temps que les choses se tassent. Juste le temps de trouver un moyen de rejoindre la civilisation sans me faire repérer... J'ai tenu tout un mois comme ça. J'ai écouté les informations déblatérer sur moi. J'ai su que mes parents s'étaient enfuis le lendemain de ma disparition. Evidemment : dès qu'ils se sont rendus compte que je n'étais plus là, ils ont su qu'ils devaient partir eux aussi, pour éviter le lynchage en place publique...
Beaucoup de gens ont disparu pendant ces quelques semaines qui ont précédé les procès. Beaucoup de partisans de Voldemort que le Ministère n'avait pas les moyens de faire surveiller. Beaucoup d'ordures dispersées dans la nature... J'étais l'une d'entre elles.
Par la radio, j'ai appris qu'Astoria et sa famille avaient également disparu. Aucun signe d'eux. Encore aujourd'hui, j'ignore où se trouve Astoria ni si elle va bien. Je donnerais tout pour le savoir...
Ça fait plus d'un an que je ne l'ai pas vue. L'année dernière, pendant que le monde sorcier se préparait au pire, ses parents semblent avoir eu un sursaut de conscience et l'ont éloignée du cercle de Voldemort. Elle n'a plus assisté à aucune réunion, et Voldemort n'est pas allé la chercher. Sans doute ne voyait-il en elle qu'une jeune fille peureuse et stupide. Astoria était tellement plus...
Non, il faut que je me force à parler d'elle au présent. Il faut qu'elle aille bien, c'est une obligation.
Au début du mois de juillet, j'ai enclenché la deuxième phase de mon plan. Je suis retourné à Londres, mais dans le Londres Moldu. J'ai toujours été fasciné par la facilité avec laquelle il est possible d'échapper à la justice, lorsqu'on est un sorcier. Il suffit de s'infiltrer dans la société Moldue. Le manque de communication entre les deux mondes rend tout danger quasiment inexistant. Tant que je restais loin du Chemin de Traverse et que je ne croisais aucune connaissance, j'étais parfaitement en sécurité. Le seul problème, c'était l'argent : je n'avais pas d'argent moldu. Heureusement, j'avais prévu cela aussi.
La première chose que j'ai faite en arrivant à Londres a été de trouver un petit revendeur pas très regardant, à qui j'ai refourgué quelques bibelots appartenant à mes parents. Cela a été suffisant pour m'offrir une chambre d'hôtel et des repas décents. Je peux remercier Charity Burbage pour ses cours sur les Moldus...
Le métro a été plus difficile à maîtriser, mais petit à petit, je me suis habitué. Je suis resté deux semaines dans mon hôtel à réfléchir à ce que j'allais faire ensuite. Rester à Londres était dangereux. L'idéal aurait été de fuir le pays, mais là-bas aussi, on aurait pu m'arrêter. Quelque chose au fond de moi voulait rester près de la vie active, je crois... Près de ce monde qui ne voulait plus de moi... Et près de toi peut-être aussi, Harry.
Et puis finalement, le Ministère a lancé une offensive. Une offensive à laquelle je n'étais pas préparé. Mon portrait, ainsi que ceux de tous les criminels que le Ministère voulait retrouver, ont été diffusés à la police Moldue et partout dans les rues de Londres. Je me suis enfui avant d'être dénoncé. Cette fois je me suis bel et bien retrouvé à la rue.
De fil en aiguille, de ruelle en ruelle, d'heure en heure, j'ai atterri là où finissent toutes les ordures. Dans les grandes villes, le circuit ne suit qu'une seule direction : des sommets de la vie civilisée, jusque dans les profondeurs des bas-fonds...
J'ignorais tout des bas-quartiers de Londres à l'époque. A part l'Allée des Embrumes, je n'avais jamais vraiment fréquenté d'endroits malfamés. La crasse et la pauvreté étaient inconnues pour moi, même si à l'intérieur, je me sentais sale depuis des années...
En me retrouvant à la rue, j'ai découvert ce que crasse et pauvreté voulaient réellement dire. Je me suis caché. Terrifié à l'idée d'être reconnu, par des Moldus comme par des sorciers. J'ai dormi sous un pont pendant deux nuits, avec la perspective de plus en plus glaçante de m'être précipité tout droit dans un piège, sans pouvoir m'en extirper.
J'aurais pu transplaner, bien sûr. Retourner dans ce petit village d'Irlande et me cacher derrière des sortilèges. Mais combien de temps est-ce que cela aurait duré ? Je n'avais plus de provisions, plus d'argent, et tenter de revendre des diamants au fin fond de l'Irlande n'aurait fait qu'attirer l'attention sur moi. Non, je devais trouver un moyen de subsister. De me fondre dans la masse.
Heureusement, les gens parlent, dans les bas-fonds. Les frontières entre mondes sorcier et Moldu se troublent. Même si je fuyais la compagnie comme la peste, je n'ai pu m'empêcher de surprendre des bribes de conversation, des rumeurs sur le monde d'en haut, sur Potter, sur moi... J'ai appris aussi qu'un grand nombre d'anciens partisans de Voldemort avaient choisi de se cacher à Londres comme moi. Et qu'il existait des repères sûrs pour les gens comme nous.
Un jour entier, le dilemme m'a assailli. Partir me cacher avec des gens de leur espèce – de mon espèce – me répugnait. Mais quel autre choix me restait-il ? Il me fallait un endroit pour rebondir. De la nourriture dans mon ventre, et un toit sur ma tête. J'avais de l'argent sorcier, je pouvais payer. Alors, j'ai surpris le nom d'un de ces établissements au détour d'un murmure, et, maudissant tous les risques, je me suis aventuré à nouveau dans le Londres sorcier.
En arrivant au lieu-dit – « Le Repère du Diable » - j'ai immédiatement reconnu plusieurs visages familiers. L'espace d'une seconde, je suis resté bouche bée devant ces hommes qui me souriaient, comme si ma surprise les amusait.
- Eh oui, on ne s'est pas fait prendre ! disaient-ils.
Alors que ces hommes étaient des criminels de la pire espèce. Je les connaissais. Je savais ce qu'ils avaient fait. Leurs noms étaient inscrits dans mes carnets, à côté de ceux de leurs victimes...
J'ai quand même passé la nuit au Repère. Quand je me suis réveillé le lendemain matin, ma bourse et ma cape avaient disparu. Je n'avais plus rien.
Inutile de décrire ma colère et mon désespoir, ça n'aurait pas grand intérêt. Mes voleurs étaient partis. Ils ne m'avaient laissé que ma baguette, et la vie sauve. C'était déjà bien, sans doute...
A ce moment-là, j'ai su que j'étais véritablement au pied du mur, au fond du trou. Je pouvais me rendre. Je pouvais retourner trainer comme un rat dans le caniveau, ou attendre d'être reconnu. Je pouvais transplaner en Irlande et jeter un Imperium à deux pauvres fermiers pour qu'ils m'hébergent...
Quand je suis sorti du Repère cette nuit-là, je ne savais pas ce que j'allais faire. J'ai erré toute la nuit sans plus me préoccuper de mon visage. Comme si j'invitais les ennuis à venir, peut-être... Après tout, ils venaient toujours.
Au final, c'est un homme qui est venu. Il était plus âgé que moi, déjà grisonnant. Il m'a vu déambuler sans but et il m'a demandé combien je prenais. Je voudrais pouvoir dire que je n'ai pas compris le sens de sa question, mais... La vie m'a pris mon innocence depuis bien trop longtemps pour ça.
Je ne sais pas vraiment pourquoi j'ai accepté. Encore aujourd'hui, je me demande pourquoi j'ai fait ce choix plutôt qu'un autre. Pourquoi je ne suis pas parti vivre en Irlande au milieu des moutons. Pourquoi je me suis condamné à vivre cette vie... Une part de moi ne peut s'empêcher de penser que peut-être, je l'ai fait exprès. Peut-être que les ténèbres ne se sont pas accrochées à moi, mais que c'est moi qui les ai cherchées. Peut-être que je ne suis pas fait pour la lumière. Il y a cette petite voix en moi qui veut tout détruire et me détruire avec. Il y a cette petite voix en moi qui m'attire vers l'obscur, les bas-fonds, le plus noir de la magie et de l'espèce humaine. Parce que c'est ce avec quoi j'ai grandi. C'est ce que je connais. Et c'est tout ce que je crois mériter.
J'ai suivi cet homme jusque chez lui cette nuit-là, dans une piaule sordide du Sud de Londres. Ça n'a pas été difficile. Le sexe a toujours eu quelque chose de traumatisant pour moi, peut-être parce que je m'y suis initié trop tôt, pour de mauvaises raisons et avec de mauvaises personnes, mais surtout à cause de ce que Voldemort et Bellatrix m'ont forcé à faire. Mais avec le temps, comme à toute chose, on finit par s'habituer. Aussi horribles que ces heures aient été pour moi, j'ai été habitué à être violé par ma tante. Aussi, je me suis accommodé de cet homme dont je ne connaissais même pas le nom, et une heure plus tard, j'avais de quoi m'offrir une piaule sordide à mon tour.
Cette fois, j'ai fait plus attention. J'ai appris l'art de survivre au jour le jour. Ne jamais dormir que d'un œil. Ne jamais quitter son argent des yeux. Ne jamais rien laisser sans protection. Bouger souvent. J'ai coupé mes cheveux à ras et je les ai teints en noir. J'ai utilisé quelques sortilèges subtils pour changer la couleur de mes yeux, la pâleur de ma peau... De petits détails, mais qui transforment un homme.
Ma vie de fugitif a achevé cette métamorphose. J'ai appris à connaitre tous les bouges de Londres. J'ai appris à connaître les endroits où trouver des hommes comme celui qui m'avait abordé la première nuit, et des hommes, il y en a eu beaucoup d'autres. Je ne réfléchissais pas vraiment, à cette période. Je ne ressentais pas. J'étais comme sur pilote automatique, un zombie calibré en mode « survie », et cela se répercutait sur mon apparence. J'ai beaucoup maigri en quelques semaines. L'angoisse, la solitude et le dégoût de moi-même me privaient de sommeil. Il ne m'a pas fallu longtemps pour sombrer à nouveau dans les seuls exutoires possibles pour les hommes tels que moi : l'alcool et la drogue.
La drogue coulait à flots dans les bas-fonds. Suffisamment pour que je ne me soucie plus d'être reconnu. Qui m'aurait reconnu, de toute façon ? Je croisais quelques fois des visages surgis de mon passé : d'anciens partisans de Voldemort comme ceux qui m'avaient dépouillé au Repère... Mais leur regard ne s'attardait pas sur moi. Sauf pour me sauter, ce que je refusais. Je n'étais pas encore descendu aussi bas...
Ce petit manège a duré quatre mois. Quatre mois où j'ai senti mon identité se diluer lentement dans toutes les substances que j'ingérais... Une lente déliquescence... Chaque client, chaque bouteille, chaque seringue, emportait un petit fragment de moi. Pourtant, ce n'était pas assez pour tuer la voix à l'intérieur. Ce reliquat de conscience qui pensait à la guerre et à tout ce que j'avais fait et vécu. Cette voix qui me tirait vers le bas et qui m'y encourageait, chaque jour un peu plus... Quelques fois, je repensais à toi, Potter. Je repensais à la joie que j'avais ressentie lorsque tu avais triomphé. Où était passée cette joie désormais ? Je l'ignorais. Je ne savais pas pourquoi je l'avais perdue. Ce n'était pas comme cela que j'imaginais ma fuite lorsque je m'étais enfui de chez mes parents... Pourtant, j'ai sombré petit à petit, inexorablement.
Je crois que je serais mort – d'overdose, de chagrin ou de solitude – si j'avais continué à vivre à ce train-là. Je n'aurais pas tenu plus de quelques semaines. Mais il s'est passé quelque chose il y a deux mois. Quelque chose qui m'a donné un sursaut, une raison de vivre. Un homme m'a interpelé pour que je le suive dans une impasse. Sans même m'adresser un mot, il a baissé son pantalon et m'a dévisagé. Cet homme, c'était le père d'Astoria.
Sur le moment, je suis resté sous le choc, incapable de comprendre qu'il ne me reconnaissait pas. Mon cœur battait à tout rompre. J'hésitais entre m'enfuir et le tabasser sur place. Finalement, j'ai pointé ma baguette sur lui :
- Où est Astoria ? j'ai lancé.
Il a écarquillé les yeux. Alors, il m'a regardé, vraiment regardé. Et il a su qui j'étais :
- Drago Malefoy..., a-t-il articulé.
- Où est Astoria ?! j'ai répété en enfonçant ma baguette dans son cou.
Il est tombé à genoux, à moitié dénudé, tremblant de terreur. Lui aussi avait changé. Lui aussi avait l'air d'un rat dans son caniveau :
- Elle n'est plus avec moi..., a-t-il bredouillé en larmes.
Où était passé cet homme qui nous avait torturés Astoria et moi ? Cet homme qui dédaignait sa fille au point de lui infliger un viol et une humiliation publics, au nom du mage noir... Cet homme se tenait là à mes pieds aujourd'hui, et il n'avait plus rien d'un homme.
- Qu'est-ce que tu veux dire ? Où est-elle ?! j'ai hurlé en l'agrippant par les cheveux.
- Elle et Daphnée, je les ai laissées... à l'Eventail. Il y a trois mois de ça.
Je me suis figé. Je fréquentais suffisamment de mauvaises personnes depuis suffisamment longtemps pour savoir ce qu'était l'Eventail. Un bordel. Un réseau de prostitution. Le plus vaste et le plus dur de Londres.
J'ai senti la haine affluer dans mes veines. Plus que jamais, je haïssais cet homme. Plus que mon père, plus que Voldemort : je haïssais le père d'Astoria pour ce qu'il nous avait fait à elle et moi, pour ce qu'il continuait à lui faire, alors que lui respirait toujours comme un porc...
J'ai inspiré à fond. Pour la première fois depuis des mois, je me sentais calme. Je me sentais lucide. Un sang-froid délicieux s'était coulé dans mes veines : implacable, terrible.
- Quand tu dis que tu les as laissées là-bas..., j'ai articulé lentement. Tu veux dire que tu les as vendues, n'est-ce pas ?
L'homme a gémi :
- N'est-ce pas ?!
- Oui !
- Combien ?
Le père d'Astoria a tendu les mains vers son visage, en pleurs. Mais j'ai insisté. Je devais savoir :
- Combien ?
Ma voix était froide, mesurée, comme celle d'un serpent. L'espace d'une brève seconde, j'ai eu conscience de la peur que j'infligeais à cet homme, et j'ai aimé ce que j'ai vu... J'ai aimé cette image de moi, ce passager sombre que je découvrais au fond de mon âme, et qui avait pris possession de mon corps, parlait par ma bouche...
- 100 Gallions, a répondu enfin Greengrass. Chacune.
- 100 Gallions..., j'ai murmuré.
Je l'ai lâché. Il s'est effondré sur lui-même, toujours en sanglotant, la pluie dégoulinant sur sa peau nue.
- C'est ce que vaut la vie de tes filles ?
- Je n'avais plus rien !
- Tu as encore ta vie. Et c'est déjà trop.
- Pitié, ne me tue pas !
Pendant un instant, j'ai vraiment hésité. La question s'est posée très clairement dans mon esprit. J'ai vu cet homme agenouillé devant moi, à ma merci... Me suppliant de l'épargner. Et puis brusquement, d'un seul coup, comme si la drogue avait enfoncé les portes de ma mémoire, démoli toutes mes protections, je nous ai revus Astoria et moi, contraints de copuler lors de cette cérémonie abjecte devant tous ces gens... J'ai revu Astoria toutes ces nuits où je l'ai aimée lors de ma sixième année : douce, belle et tendre, fragile, magnifique, parfaite. Et j'ai vu Astoria telle qu'elle devait être maintenant. Livrée au même enfer que celui que je m'étais infligé. Rien qu'à l'imaginer, j'avais envie de vomir.
Alors, la petite voix dans mon esprit a dit : « Vas-y. Tue-le ».
Et je l'ai tué. Ça a été aussi simple que cela. Je n'ai même pas tremblé.
A l'instant où Greengrass s'est effondré dans la boue, j'ai ressenti comme un soulagement... Une ombre s'est envolée de mes épaules. Dire que pendant tous ces mois, j'avais redouté de tuer, redouté de me battre pendant la guerre, refusé de devenir un meurtrier...
Mais c'était parce qu'on voulait m'y forcer. On voulait me contraindre à tuer de bonnes personnes. Ce meurtre-là, je l'ai choisi. Et celui que j'ai tué était loin d'être bon.
Petit à petit, alors que je laissais la pluie laver mes doutes, mes pensées se sont déroulées d'elles-mêmes. J'ai compris que je ne pouvais pas espérer survivre sans but dans ce monde. J'ai compris que j'étais destiné à autre chose, que je pouvais rendre mon existence utile, lui donner un sens. En tuant Greengrass, j'avais donné à mes démons un exutoire pour les distraire de moi-même. Qu'ils le dévorent lui, plutôt que moi. Qu'ils s'en repaissent.
Je me suis enfui de la ruelle en laissant le corps derrière moi. J'ai couru jusqu'à L'Eventail, le cœur battant la chamade, avec l'espoir insensé de retrouver Astoria... Mais la gérante à cet endroit m'a dit qu'elle et sa sœur avaient été revendues, presque immédiatement après leur arrivée.
- Les jeunes et jolies Sang-Purs en fuite sont un met prisé, tu dois t'en douter mon mignon, m'a lancé la femme en me faisant un clin d'œil.
J'ai tenté de lui en faire dire plus, mais elle a refusé. Discrétion oblige. En revanche, elle m'a proposé un travail. Le même travail que celui que je faisais dans la rue, en somme. Mais pour elle. Avec de la nourriture et un toit sur la tête. J'ai accepté. Je me suis dit que ce ne serait pas pire que mes planques, et au moins, je pourrai creuser la piste pour retrouver Astoria...
J'ai donc emporté les quelques affaires que j'avais et j'ai emménagé à L'Eventail. Je ne sais pas si la gérante ou les autres employés m'ont reconnu, mais je crois qu'ici tout le monde s'en tape. A côté des types qui passent nous voir, un ancien Mangemort comme moi fait figure d'enfant de chœur. Je me fais quand même passer pour un certain « Léo », par précaution. Ne me demande pas d'où me vient cette inspiration Harry, petit lion...
C'est ici que j'en suis aujourd'hui. Je me suis sevré, du mieux que j'ai pu. Je veux avoir les idées claires si je veux traquer les hommes qui ont acheté Astoria.
Le quotidien est étonnamment paisible. La gérante prend soin de nous. Les clients sont propres et paient mieux que dans la rue. Comme à tout, je m'y suis fait. Même si je ne compte pas en rester là.
En attendant, c'est ici que je te laisse, parce que j'ai beaucoup écrit. Je ne sais pas vraiment à qui je m'adresse en disant cela... Peut-être à toi, Harry. Parce qu'au milieu de toute cette merde, tu me manques terriblement. »
X
« 5 février 1999.
Cela fera bientôt quatre mois que je vis à L'Eventail. J'ai sympathisé avec la plupart des filles, et aussi avec les autres mecs, même si nous sommes moins nombreux. Dans notre malheur, je couche quelques fois avec Mandy et Mike. Tous sont d'accord pour dire que la vie avant comme après Voldemort craint.
Mandy était la fille d'un sympathisant de Voldemort : avec les nouvelles lois que le Ministère a mises en place, sa famille a tout perdu et elle a été contrainte d'atterrir ici pour survivre. Mike, lui, se cache parce qu'il a eu le malheur de sortir avec un Mangemort...
J'ai menti sur mon passé. A moitié. Moi aussi, j'ai inventé une jolie histoire de parents partisans du mage noir qui m'ont mouillé dans leurs combines jusqu'au cou. Je n'ai juste pas dit qu'ils s'appelaient Malefoy.
Je crois que Mike se doute de quelque chose. Avec le temps, les affiches me représentant ont disparu des ruelles, et j'ai toujours mes cheveux ras et noirs. Mais je crois percevoir dans son regard une lueur, comme s'il tentait de me dire : « Je connais ton secret, mais ne t'en fais pas. Je ne dirai rien ».
Qu'il se taise ou qu'il parle, de toute façon...
Je sortirai bientôt d'ici. J'ai complètement arrêté la drogue. Bientôt j'aurai suffisamment d'argent pour repartir dans la nature. Mais pas en Irlande, cette fois.
A force de patience et de cajoleries, j'ai fini par faire parler certaines des filles qui ont connu Astoria pendant son bref séjour ici. Elles m'ont raconté qu'elle et sa sœur Daphnée avaient été achetées par le même homme, et que cet homme était connu dans les eaux troubles de Londres. Un ancien Mangemort, très probablement. Un homme qui devait fantasmer sur elles depuis longtemps, peut-être ?
Quoi qu'il en soit, je me dois de la retrouver au plus vite. Je retournerai tout Londres s'il le faut, et tant pis pour les Aurors. Si elle est encore à Londres...
Harry, je voudrais te demander ton aide. Je sais que toi, tu ne serais pas indifférent. Astoria est une victime innocente. Moi je me sens juste impuissant... »
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« 16 avril 1999.
J'ai commencé les repérages pour ma première cible. Antonin Dolohov. Il est passé quelques fois au bordel, et les filles ont peur de lui. Heureusement qu'il n'a pas d'appétit pour les mecs...
Je l'ai déjà suivi jusque chez lui, plusieurs fois. La semaine prochaine, je passe à l'action. Je me suis acheté un poignard avec l'argent que j'ai économisé. Pour une raison étrange, je ne veux pas le tuer par magie... C'est trop miséricordieux. C'est trop rapide, et indolore. Et puis la magie, quelque part... C'est ce qui m'a foutu dans cette merde. C'est ce qui a fait de mes parents des fanatiques et de moi un Mangemort. Je crois que j'aurais sans doute été plus heureux si j'étais né Moldu. Heureux sont les ignorants...
Donc non, pas de magie. Sauf pour torturer, peut-être... L'Endoloris n'a pas son pareil. Si c'est lui qui détient Astoria, je le ferai parler. »
X
« 24 avril 1999.
Ça y est, je l'ai fait. Dolohov ne s'est douté de rien. Je suis entré chez lui hier soir – ses sortilèges de protection étaient ridicules – et je l'ai désarmé avant qu'il ait eu le temps de faire quoi que ce soit. Il ne m'a pas reconnu tout de suite. Mais quand il a vu qui j'étais, il a éclaté de rire. Je lui ai vite passé l'envie de rire...
Je me suis acharné sur lui pendant des heures, mais il n'a rien voulu dire. Tout le temps que ça a duré, j'étais... Ailleurs. Comme une autre personne. En dehors de moi-même. Et pourtant, je crois que je n'avais jamais été aussi conscient du poids de l'instant...
Je l'ai tué en utilisant mon poignard. C'était sanglant, et plus difficile que je ne l'aurais cru. Et ça ne m'a pas fait du bien. Pas comme avec Greengrass. Greengrass, c'était la première fois, c'était sur le coup de la colère... Dolohov, c'était calculé. Et même si je ne regrette pas ce que j'ai fait... Je sais que je viens de franchir une ligne que je ne pourrai plus jamais repasser. Ce meurtre a fait mourir quelque chose en moi-même, tout comme les passes et la drogue...
Je dois continuer pourtant. Je dois retrouver Astoria. Et punir les salopards dans son genre...
Comme je ne prends plus de drogue, mes rêves sont revenus. Chaque jour je revois ce que ces hommes nous ont fait, à Astoria et moi, mais aussi à toutes les victimes qui ont défilé au Manoir. Je me souviens de leurs noms, à toutes. Je me souviens de comment ça s'est passé, à chaque fois. Je veux les coucher sur le papier... Que quelqu'un sache... Qu'on les fasse payer.
Harry, c'est vers toi que je vais me tourner. C'est risqué et stupide sans doute, tu pourrais remonter ma trace. Mais je crois que tu me manques trop. D'une façon ou d'une autre, je veux t'avoir dans ma vie. Même si c'est en tant qu'Auror.
PS : j'ai fouillé l'appartement de Dolohov. J'y ai trouvé une quantité non négligeable d'argent, et une collection de potions qui me seront très utiles. Du Polynectar, notamment. Je crois qu'il est temps de changer de vie. Je crois que je suis prêt à devenir autre chose. »
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« 2 mai 1999.
Je n'arrive pas à croire que cela fait un an que Voldemort est mort. Tu y crois toi, Harry ? Qu'est-ce que tu penses en ce moment ? Qu'est-ce que tu fais ?
Je lis souvent des articles sur toi dans les journaux. Je sais que tu as épousé Weasley juste après la guerre et que maintenant vous êtes en instance de divorce. Qu'est-ce qui s'est mal passé ? Je ne peux pas dire que ça m'attriste de vous savoir séparés, mais... Je ne souhaite pas ton malheur. Et je sais que je ne pourrai jamais être avec toi, alors, autant ne pas rester seul...
J'ai quitté L'Eventail il y a quelques jours et j'ai investi l'appartement de Dolohov. J'ai jeté son corps dans la Tamise, pour qu'il soit retrouvé rapidement. La nouvelle a fait la une des journaux... Mais ce n'est qu'un début. Londres et la vermine qui la ronge ne savent pas encore à quoi ils ont affaire. Les Aurors non plus.
Je crois que je vais résider ici pendant quelques temps. Les Aurors devraient mettre un certain temps à découvrir où Dolohov vivait. Ensuite, j'emménagerai chez ma prochaine victime, et ainsi de suite. Ça me parait être un bon plan.
Le Polynectar est aussi utile que je l'avais espéré. Pour la première fois depuis presque un an, j'ai pu me promener sur le Chemin de Traverse au grand jour. J'ai pu m'acheter la dernière édition de la Gazette et contempler ta photo s'étaler en première page, Potter.
Je songe à ce que ce monde est devenu. A ce que je suis devenu. A ce que signifie cette première année sans Voldemort. Pourquoi est-ce que j'ai l'impression que tout est aussi horrible qu'avant ?
Mais les choses sont en train de s'améliorer, je le sens. J'ai choisi ma prochaine cible. »
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« 5 juin 1999.
Joyeux anniversaire Drago. J'ai 19 ans. Qui aurait cru que je ferais autant de chemin ? Une chose est sûre : lorsque je me suis enfui de chez mes parents à la même date, je ne m'imaginais pas ici. Je ne m'imaginais pas que ma vie prendrait ce tournant. Tous les jours – toutes les nuits surtout – je dois vivre avec les choix que j'ai faits. Et c'est plus dur que jamais, parce que je ne t'ai plus sous les yeux, Harry... Je commence petit à petit à réaliser que je ne ferai plus jamais partie de ta vie...
J'ai cédé. Pardonne-moi. Je t'ai écrit une lettre, avec les noms de certaines victimes. Je sais que toi au moins, tu y prêteras attention. »
X
« 10 août 1999.
Quand le meurtre devient-il une routine ? Quand est-ce qu'on s'habitue à ce genre de choses, comme on s'habitue au viol, aux passes et à tout le reste ?
Je crois que je suis en train de m'habituer. Je suis bon dans ce que je fais. Et je ne sais pas quoi en penser. Depuis que j'ai assassiné le père d'Astoria dans cette ruelle sous une pluie battante, quatre autres hommes sont morts. Tous d'anciens Mangemorts, des proches de Voldemort. Tous des monstres qui apparaissaient dans mes cauchemars...
Aucun n'a prononcé un mot sur Astoria. Elle s'est tout simplement volatilisée dans la nature, dévorée par le monde...
Est-ce que je la reverrai un jour ? J'ai peur de répondre à cette question. Parce que si la réponse est non, alors, je pourrais aussi bien la considérer comme morte... Et Astoria ne peut pas être morte... Je ne veux pas écrire son nom dans une de mes lettres, Harry...
Les journaux commencent à se douter qu'il se passe quelque chose, à présent. Les Aurors aussi l'ont compris. Je suis sûr que toi aussi, Harry, tu l'as compris... Il se passe quelque chose, et les premières réactions s'élèvent. Lorsque je flâne dans la rue sous l'apparence d'un autre, je capte des bribes de conversation, des opinions : les gens me soutiennent. Mais pas les Aurors. Les Aurors eux me haïssent. Histoire de changer. »
X
« 4 octobre 1999.
Désormais je vis dans l'appartement de Thorfinn Rowle. C'est la troisième fois que je change depuis que je me suis lancé dans... mes activités.
Je suis rôdé désormais. J'ai suffisamment d'argent pour me procurer les ingrédients nécessaires à la fabrication de Polynectar. C'était étrange pour moi, la première fois que je me suis retrouvé à nouveau devant un chaudron pour en faire... L'espace d'un bref instant, je me suis senti redevenir moi-même. L'adolescent de Poudlard, doué en Potions. Toi aussi, est-ce que tu fais des potions, Harry ? Cela fait partie de la formation d'Auror.
Le Polynectar est long et complexe à préparer. En moyenne, il ne fait effet qu'une heure, mais c'est beaucoup trop court. Un sorcier expérimenté en magie peut accoucher d'un breuvage qui dure douze heures. Moi, après quelques petites modifications à la recette, je le fais durer vingt-quatre heures.
Avec ce Polynectar, j'ai pu commencer à me fabriquer plusieurs identités. Je connais pas mal de monde dans la rue maintenant. J'ai mes contacts réguliers. Je sais qui vend de la drogue, qui vend de l'alcool, qui vend son corps. Je sais qui tabasse ou assassine sur commande. Je sais qui garde mes secrets et qui livre ceux des autres.
J'ai donc sélectionné plusieurs personnes, cinq pour l'instant, à qui j'achète des cheveux. Ce sont des types de la rue qui ne posent pas de question. Et grâce à eux, j'ai pu me forger des personnages.
Je suis plusieurs personnes à la fois. Je suis une ombre, insaisissable, parce que mes ennemis ignorent derrière quel masque je me cache. Je suis une araignée qui tisse lentement sa toile. Peut-être me faudrait-il un nom.
L'autre jour, dans la Gazette, j'ai lu un article qui me qualifiait d'épine dans le pied des autorités sorcières. Ça me plait bien ça, une épine. Je crois que je serai la Ronce. »
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« 3 décembre 1999.
Mes victimes se multiplient. Mes lettres aussi. Harry, merci de m'avoir pris au sérieux... Merci d'avoir donné suite à mes missives. Grâce à toi, tous ces corps disparus peuvent enfin obtenir une sépulture décente. Toutes ces familles déchirées peuvent retrouver un semblant de paix, et faire leur deuil. Quelque part, ces lettres, c'est une façon pour moi de me racheter. Beaucoup trop tard, sans doute. Mais c'est tout ce que je peux faire. »
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« 17 janvier 2000.
Toujours aucun signe d'Astoria. J'ai l'impression de courir après un fantôme. Mais je n'arrêterai pas ma traque. Je suis allé trop loin, maintenant. Je ne peux plus reculer. C'est devenu ça, ma vie. Je suis devenu la Ronce, avant d'être Drago Malefoy. Je crois que ça fait longtemps que je ne veux plus être Drago Malefoy, de toute façon...
Drago Malefoy est mort tellement de fois déjà. Il est mort dans la crypte de son Manoir quand il n'avait même pas cinq ans. Il est mort dans le grand salon quand il a dû coucher avec Astoria devant tous ces gens. Il est mort quand Voldemort l'a marqué, quand sa tante l'a violé, quand il s'est drogué, prostitué, quand il a tué Greengrass...
Drago est mort tellement de fois. Viens me sauver, Harry. Pourquoi est-ce que tu ne viens pas ? »
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« 14 février 2000.
Joyeuse Saint-Valentin, Harry. Je sais, c'est pathétique de ma part. J'espère que tu me pardonneras. Aujourd'hui, je n'ai pas pu m'en empêcher. Je ne t'ai pas vu depuis trop longtemps. Ton absence palpite en moi comme une créature vivante.
Avant, dans mes heures les plus noires à Poudlard, tu étais quand même là pour me haïr. Tu étais mon repère, là juste sous mes yeux. Mon amour. Mon Soleil, autour duquel je pouvais maintenir ma vie en équilibre.
A présent, tu n'es plus là. Je dois me contenter de pâles photos volées à des articles de journaux. Alors aujourd'hui, je n'ai pas pu m'en empêcher. J'ai endossé l'une de mes apparences au hasard, et je suis allé attendre en bas de chez toi.
Je sais où tu habites. Ce n'est un secret pour personne. J'ai attendu que tu sortes de chez toi, et je t'ai suivi. Tu étais seul. Je sais que tu as rompu avec George Weasley il n'y a pas très longtemps. George Weasley, franchement... Tu comptes te faire toute la famille ?
N'empêche, quand j'ai lu cette nouvelle dans les tabloïds, mon cœur n'a pas pu s'empêcher de battre plus vite... De toutes ces années où je t'ai observé de loin à Poudlard, je n'ai jamais soupçonné que tu pouvais aimer les hommes. Que tu pouvais être bi, toi aussi. C'était un espoir que je ne nourrissais même pas, même pas en rêve. Quelque part, peut-être que ça rendait les choses plus faciles. L'absence totale d'espoir me permettait de faire de toi un fantasme, sans réelle perspective d'aucune sorte.
Mais à présent que je sais que tu aimes les hommes... c'est différent. C'est comme si une porte c'était ouverte entre nous. A présent, je sais que tu aurais pu m'aimer comme moi je t'ai aimé, si les choses s'étaient passées différemment. Je le sais, et c'est encore plus terrible...
J'ai encore davantage la sensation d'un acte manqué. Je suis fatigué des regrets. Je veux les ensevelir tous sous la Ronce...
Tu n'as rejoint personne pour la Saint Valentin. Mais moi je t'ai observé, longtemps, de loin. C'était étrange de revoir tes cheveux ébouriffés, ta silhouette endurcie et tes lunettes rondes. Ça m'a fait un bien fou. Tu m'as tellement manqué, si tu savais...
Je sais que je n'aurais pas dû venir te voir : c'est trop tard à présent, je suis accro. Il faudra que je revienne, forcément...
Heureusement, j'ai plusieurs identités à revendre.
Je t'aime, Harry. Je ne l'ai pas écrit depuis trop longtemps. Je ne me suis pas autorisé à le penser depuis trop longtemps. La personne que je suis devenue ne mérite pas de t'aimer, encore moins que le Mangemort que j'étais... Mais je n'y peux rien. Je t'aime. Mon cœur se réchauffe à chaque fois que j'écris ces mots. J'aimerais t'écrire des mots comme ceux-ci, plutôt que ces listes interminables de morts...
Je t'aime, Harry Potter.
Je t'aime. »
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« 18 mai 2000.
Il s'est passé quelque chose aujourd'hui. Depuis plusieurs mois maintenant, j'étais sur la trace de David Blackwood. Pas un ancien Mangemort, mais un proche sympathisant des idées de Voldemort malgré tout. A ma plus grande surprise, j'ai découvert que Blackwood avait trouvé le moyen de refaire sa vie confortablement aux yeux de tous, en plein cœur de Londres.
Mais que font les Aurors, franchement ? Ils viennent me conspuer dans les journaux et crient à tue-tête qu'ils me haïssent. Que je les fais passer pour des imbéciles, que mes méthodes ne sont pas humaines. Mais comment expliquer une telle incompétence de leur part ? Pourquoi tant de sympathisants de Voldemort sont-ils parvenus à passer entre les mailles du filet ? A part moi, qui tente de les rattraper ?
Mais il y a pire. En arrivant dans la demeure de Blackwood, j'ai découvert qu'il avait une famille. Une femme, et un petit garçon d'environ six ans. Sur le moment, je n'ai pas su comment réagir. J'ai confiné la femme et l'enfant dans la chambre. Ensuite, je me suis occupé du mari. En vain, comme toujours. Lorsque j'en ai eu terminé avec lui, je suis retourné dans la chambre. J'ai examiné la femme et l'enfant, longuement.
Je mets toujours un point d'honneur à tuer sous ma véritable apparence, mais je porte un foulard sur mon visage : aucun risque qu'ils m'aient reconnu. Et pourtant, je ne peux pas prendre le risque de laisser des témoins derrière moi...
Mon choix a été vite fait. J'ai levé ma baguette pour leur lancer un Oubliette. Quand soudain, mon regard est tombé sur une ecchymose sur le bras du petit. Je lui ai dit d'approcher. J'ai forcé sa mère à le lâcher. Alors, je l'ai détaillé, plus attentivement. Le gamin tremblait. Il était maigre, et couvert de bleus. Couvert d'entailles. Je connaissais trop bien ces entailles...
J'ai su ce qui se passait dans cette maison sans même avoir à ouvrir la bouche. J'ai regardé la mère droit dans les yeux. J'ai su, à la façon dont elle me fixait, qu'elle savait que je savais. J'ai dit :
- Pourquoi faites-vous du mal à votre fils ?
Elle m'a répondu :
- Pour l'endurcir contre des bêtes telles que vous.
En une seconde, j'ai revu Narcissa. Ma mère. J'ai revu Narcissa, et ses obsessions malsaines, son inaction devant les actes de mon père, la façon dont elle m'a jeté en pâture dans l'arène, sans jamais me protéger...
Je l'ai sentie revenir, la colère. Cette même colère que lorsque j'avais tué Greengrass. Elle est revenue, et je n'ai pas hésité une seconde. Cette femme était un monstre. Cette femme torturait son fils pour perpétuer des croyances fanatiques. Cette femme, c'était ma mère. C'est ma mère que j'ai tuée à travers elle.
Lorsque je me suis retrouvé avec son corps dans les bras, je n'ai pas su quoi faire de l'enfant. J'ai mis trop de temps à réaliser que j'avais assassiné sa mère sous ses yeux. Je me suis approché de lui, et je l'ai pris dans mes bras, malgré ses efforts pour m'échapper. Je me suis efforcé de le calmer. Mais le gosse, évidemment, était terrorisé. Je me demande lequel de nous deux faisait le plus peur à l'autre...
Mon pouls résonnait très fort contre mes tempes. Je n'arrivais pas à regarder l'enfant dans les yeux. J'avais trop peur de ce que je risquais d'y voir. En m'introduisant chez lui en pleine nuit, en assassinant ses parents, j'avais conscience d'être devenu à ses yeux l'un des monstres que je cherchais précisément à abattre... Peut-être que d'ici vingt ans, il reviendrait me réclamer sa vengeance...
Mais en attendant, je devais décider quoi faire de lui. Je ne voulais pas lui jeter un Oubliette. Même si cela aurait été sans doute bénéfique pour lui, de retirer ce traumatisme de sa mémoire... Je ne pouvais pas lui faire ça. C'était trop important. Cela aurait été comme laver mon crime, et le tromper sur sa vie entière...
Non, heureusement, j'ai mes contacts. Pas uniquement des mecs louches et des revendeurs de drogue. Mais des gens de confiance.
J'ai pris le gamin avec moi. Je l'ai emmené jusque chez l'un de mes amis, qui est d'origine bulgare. Je le lui ai confié, en sachant qu'il saurait où l'envoyer. La Bulgarie regorge de petits monastères où l'on prendra soin d'enfants orphelins comme lui, sans poser de questions. C'est le mieux que je puisse faire pour lui. L'éloigner de moi, sans le tuer...
Avant de le laisser, j'ai baissé mon foulard pour que le gamin puisse voir mon visage.
- Je m'appelle Drago, je lui ai dit. Retiens bien mon visage. Je serai là si tu veux me retrouver un jour.
Et je suis parti. »
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« 26 août 2000.
L'incident avec les enfants s'est reproduit. Plusieurs fois. A chaque fois, je les envoie chez Dimitri, qui les expédie en Bulgarie, là où ils ne pourront pas parler de moi. A chaque fois, je tue leurs mères... Parce qu'à travers leurs mères, c'est la mienne que je vois. Parce que je ne peux pas cautionner des femmes qui blessent et torturent leurs enfants au nom d'idéologies pourries. Parce que je ne peux pas laisser de tels monstres vivre...
Je l'ai vécu, je l'ai trop vécu. A mes yeux, ces femmes sont aussi complices que leurs maris. Elles ne méritent pas de vivre.
Evidemment, la Gazette fait déjà ses choux gras de toutes ces morts, et les Aurors n'hésitent pas à me qualifier de tueur d'enfants. L'opinion hésite, vacille. Mais qu'importe. Je suis toujours en mission. Je n'arrêterai pas, pas tant que toutes ces victimes n'auront pas été vengées, tant que tous ces monstres seront encore en liberté, et tant que je ne saurai pas ce qui est arrivé à Astoria.
Harry, que penses-tu de moi ? Que penses-tu de la Ronce ? Est-ce que tu crois tous ces mensonges sur moi ? Est-ce que tu me prends pour un psychopathe, toi aussi ? Est-ce qu'il t'arrive de penser à Drago Malefoy, parfois ? »
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« 29 septembre 2000.
Je continue à te suivre, Harry. Je sais que je ne devrais pas. Je vais me brûler à ce petit jeu, tôt ou tard. »
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« 2 décembre 2000.
Je l'ai fait. Je me suis brûlé. Mais qu'est-ce qui m'a pris, Harry ? Pourquoi est-ce que je t'ai suivi jusque dans ce bar Moldu hier soir ? Pourquoi est-ce que quand j'ai vu ce type commencer à te draguer juste sous mes yeux, je n'ai pas pu le supporter ? Pourquoi a-t-il fallu que j'intervienne ? Je... »
XXX
J'interromps ma lecture, pile à cet endroit. Le souffle me manque. Mes mains agrippent le carnet de toutes mes forces, et je crois bien que j'ai envie de vomir. La tête me tourne, les lettres se brouillent juste sous mes yeux.
Un bar Moldu. Un inconnu qui me drague, un autre qui intervient. Le 1er décembre 2000.
Le 1er décembre 2000, c'est le jour où j'ai rencontré Noah.
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