Et Lux In Tenebris Lucet
Je ne sais pas exactement comment décrire les jours qui viennent de s'écouler. Depuis la mort de Drago, le temps me semble distordu, irréel. C'est encore plus vrai depuis que j'ai fini les journaux. Aussi douloureuse qu'ait été leur lecture, ils étaient une promesse de découverte, d'abandon, de retrouver un peu l'homme que j'ai aimé entre leurs pages, l'espace de quelques instants... Traquer les journaux, les lire, suivre les traces laissées par Drago : c'était tout ce qui comptait pour moi. Comme un moyen de fuir la réalité, de fuir la douleur... Mais je ne peux plus fuir, à présent. Cela fait un mois que Drago est mort.
Soufflant entre mes mains pour les réchauffer, je m'agenouille doucement au coin de la tombe à Godric's Hollow. Je suis encore revenu te voir, Drago. Je n'y peux rien. Je crois que je risque de revenir encore longtemps.
Comme d'habitude, je contemple la pierre couverte de neige, je déchiffre ton nom gravé dans la froideur du marbre, et tout cela aussi me semble irréel. Ou trop réel. Je ne sais plus quoi penser. Ça aussi, ça m'arrive souvent, dernièrement...
Je regarde le cimetière autour de moi, les tombes de mes parents au loin, et la terre si noire, et je sais, je sais, Drago, que cet endroit est le seul endroit sur Terre où nous serons jamais vraiment réunis, toi et moi. L'admettre me déchire le cœur. Pourtant, je continue de revenir, encore et encore... Si seulement tu pouvais revenir toi aussi...
Malgré moi, j'esquisse un sourire. J'ai déposé des narcisses sur la tombe de mes parents avant de venir te voir. Maintenant que je sais que c'était toi, Drago... C'était toi l'inconnu qui déposait toujours une couronne de narcisses sur leur tombe... Et c'est pour cela que les narcisses ont fané une fois que tu es mort...
Mais je ne les laisserai pas. Je continuerai à en apporter, encore et encore. Comme ça, tu ne partiras pas tout à fait...
Pour toi, je n'ai pas apporté de fleurs. Ma seule présence suffit. J'aimerais croire que tu peux la sentir, à travers la pierre, mais... Je sais bien que tu n'es pas là. Tout ce qui reste de toi partira bientôt en poussière : de la chair, des ossements, des cheveux et des ongles... En fait, je crois que je frissonnerais si je te savais prisonnier de cet endroit... Je préfère t'imaginer libre, loin d'ici, en paix. Avec mes parents, peut-être. Je crois que tu leur aurais plu.
Esquissant un geste, j'exhibe la dernière parution de la Gazette du Sorcier :
- Regarde-ça, j'articule en souriant à la tombe. J'espère que tu ne m'en voudras pas trop, Drago, je sais que c'étaient tes journaux intimes, mais... J'ai dit la vérité. J'ai dit ta vérité au monde.
En première page, le titre s'étale : « Drago Malefoy : Révélations sur le Mangemort qui devint la Ronce ».
- Je sais, ce n'est pas très engageant dit comme ça, je reprends. Mais ils ont vraiment été honnêtes. Ils ont reproduit les extraits que je leur ai donnés. Et très bientôt, tout sera publié...
Je pense à l'immonde biographie écrite par Rita Skeeter sur Dumbledore des années plus tôt, et je chasse cette pensée de mon esprit :
- Comme ça, ils sauront enfin qui tu étais, Drago. Tu comprends ? Plus de masques. Plus de mensonges. Ils sauront toute la vérité sur toi, ils sauront à quel point tu étais bon, à quel point tu n'as pas eu le choix, et tout ce que tu as souffert...
Je caresse la une du journal, où une photo d'un Drago adolescent me dévisage d'un air impassible :
- J'espère que tu approuves mon choix, je murmure. Je ne vais rien censurer, rien cacher au monde : ils sauront tout de toi et moi... Même si ça me coûte ma place d'Auror... Je ne suis plus très sûr de vouloir faire ce métier, de toute façon.
Je secoue la tête. Cela fait une semaine que j'ai achevé ma lecture des journaux. Une semaine que Ron a débarqué dans mon appartement et m'a laissé lire le dernier journal... Lui aussi a lu tous les autres, à présent. Et je sais que son point de vue a changé. Nous n'avons pas encore vraiment eu l'occasion d'en parler, mais... Quand je lui ai dit que j'allais diffuser les journaux dans la Gazette, il n'a pas cherché à m'en empêcher. Il a simplement hoché la tête. Avant que je ne parte, il m'a semblé qu'il voulait me dire quelque chose, mais... Il a renoncé. Il est encore trop tôt, sans doute. Lui aussi est sous le choc de ce qu'il a lu. Sous le choc de ce qu'il a fait. Au moins, nous sommes deux à porter ce fardeau, maintenant... Mais peut-être que nous aurons un avenir, en fin de compte...
Un avenir...
Distraitement, je caresse la pierre tombale, humide et froide. Par moments, je souhaiterais que ce soit cela mon avenir. Je ne vois que cela. Et puis mon esprit projette en rafale toutes les images des gens auxquels je tiens... Ron, Hermione, Ginny, tous les Weasley, leurs enfants, et même Gabrielle... Je vois toutes les amitiés, toutes les épreuves endurées, les sourires échangés, et je comprends que mon esprit tente désespérément de me dissuader. « Ne fais pas ça », me dit-il. « Ils ne méritent pas que tu leur infliges ça. Tu as encore une vie, malgré tout. Même s'il ne peut plus en faire partie. Drago n'aurait pas voulu que tu te suicides pour le rejoindre. »
C'est vrai. Tu n'aurais pas voulu ça, je le sais. Mais alors, pourquoi tu m'as laissé ? Pourquoi m'avoir dit la vérité alors qu'il était déjà trop tard ?
Toutes ces questions tournent, sans but, dans ma tête. A chaque fois, leur vacuité me rattrape. Il n'y a pas d'explication. Il n'y a rien de rationnel dans la mort qui nous frappe. Aucune illumination ne viendra frapper d'un nouvel éclairage la mort de Drago pour lui donner sens. Il est mort, c'est tout. Et moi, je suis forcé de continuer...
Tremblant, je regarde vers le ciel. Mes longues heures passées à méditer dans le noir m'auront au moins rendu plus lucide vis-à-vis de ces dernières semaines. Je sais que la traque et la lecture des journaux a été pour moi une obsession, une échappatoire... Maintenant que tout est dévoilé, la seule échappatoire qu'il me reste, c'est le dernier mystère... Ce coffret dont tu n'as pas voulu parler, même dans tes journaux, Drago...
C'est aussi pour ça que je viens souvent à Godric's Hollow. L'origine du lion... C'est là que tu l'as caché, et le lien semble tellement clair... Astoria avait une maison à Godric's Hollow. Elle y a vécu avec ta mère, et puis avec toi. Alors, j'ai cherché dans les registres une maison ayant appartenu à Harriet Shelby, mais... Quand je m'y suis rendu, elle était vide. Inoccupée depuis des années.
Malgré tout, c'était étrange de déambuler entre ces murs, d'imaginer que tu y avais vécu, que tu y avais été heureux peut-être, l'espace de quelques instants... Que se serait-il passé si tu n'avais pas décidé de revenir à Londres, Drago ? Si tu avais laissé la Ronce s'éteindre, pour rester ici et construire une vie avec Astoria ? Vivriez-vous toujours ici alors, heureux, entre ces murs ? En vie, tous les deux...
Je ne peux m'empêcher de l'imaginer, et cela me met les larmes aux yeux. Un tel gâchis...
La maison de Godric's Hollow n'a rien donné, et je ne sais plus où chercher. Dans le doute, l'origine du lion aurait pu faire référence à Poudlard, à la maison Gryffondor, mais... Là-bas encore, je n'ai rien trouvé. Seulement le regard de pitié de Minerva McGonagall, quand elle a vu dans quel état j'étais... Je suis fatigué que l'on ait pitié de moi. Cela ancre un peu plus la tristesse dans ma chair, et tout ce que j'ai fait... Mais je ne peux pas l'éviter.
- Alors, où est-ce que tu l'as caché, Drago ? je demande à la tombe silencieuse.
Une part de moi ne croit déjà plus vraiment à cette quête. J'y crois parce que, comme tout le reste, c'est un moyen d'échapper à la réalité, encore un petit peu. Parce que je redoute le moment où plus rien ne viendra me distraire de ta mort, de mes actes, de mes regrets. Mais je sais que c'est vain.
Il fait froid, la nuit tombe peu à peu. Je me résous à me relever.
- A bientôt, je murmure.
Je ne sais pas si tu m'as entendu, mais j'essaye de m'en convaincre. Que dirais-tu si tu me voyais en ce moment, Drago ? J'aimerais tellement te parler, une fois, rien qu'une dernière fois... Pour te dire que je connais la vérité, que je t'aime quand même, pour te demander pardon... Pour te dire adieu...
Mais je ne peux pas. Chaque jour, le constat est le même, implacable. Alors, je remonte doucement la petite place de Godric's Hollow, incapable de transplaner. Je passe devant la statue qui représente mon père et ma mère, et moi enfant dans leurs bras... Je songe à ce Noël sinistre où Hermione et moi avons découvert ce village pour la toute première fois...
Et là, soudain, alors que la maison se dessine tout au bout de la rue, la vérité me frappe de plein fouet. La maison. Elle se tient là, invisible aux Moldus, en ruines, depuis toutes ces années. Ma maison. L'origine du lion. Se pourrait-il que...
Courant presque, j'affronte la neige jusqu'à franchir le portail. Tandis que j'effleure la porte d'entrée, des dizaines de mots, de messages de soutien, d'amour à la famille Potter, apparaissent gravés dans le bois. Parmi ces dessins, je le cherche : un indice, une marque... Un lion.
Un petit lion, minuscule, comme celui gravé dans la bibliothèque où se cachaient les journaux de Drago. Le lion... C'était moi. Ça a toujours été moi.
Tremblant de tout mon corps, je pousse le battant. Il est verrouillé, mais je sors la clé de Drago, et alors, il cède sans effort et s'ouvre devant moi. Mon cœur bat à tout rompre. Je ne suis jamais rentré dans la maison. Même pas ce fameux soir, avec Hermione. Tout juste avais-je jeté un coup d'œil à l'étage de l'aile droite, détruite par le sortilège de Voldemort...
Aujourd'hui, j'entre, et je redoute ce que je vais voir...
Ce n'est plus seulement Drago qui m'appelle par-delà la mort. Ce sont aussi mon père et ma mère. Ils ont vécu entre ces murs, avec moi, ils y ont été heureux, et ils y sont morts... Drago, pourquoi me fais-tu revivre ça ?
« Parce que tu es le seul qui aurait pu comprendre la référence », me murmure une voix qui est celle de Drago. « Parce que personne d'autre que toi ne se serait aventuré jusqu'ici... ».
Ce raisonnement se déroule, très clair, dans mon esprit, à mesure que je l'évoque. Il fait sombre à l'intérieur de la maison. La poussière et les toiles d'araignée recouvrent tout. Plus rien n'est discernable dans la brume de mes souvenirs : un canapé, une cuisine peut-être, mais ils ne m'évoquent rien... Tous les souvenirs importants sont depuis longtemps tombés en poussière, avalés par les hautes herbes, emportés par le vent, les intempéries et les animaux... Plus personne n'est entré ici depuis vingt-neuf ans... Plus personne, sauf Drago peut-être ?
Désespérément, je cherche des signes d'activité autour de moi. J'aperçois des trouées dans les toiles d'araignées. Des altérations dans les couches de poussière. Je les suis, le cœur de plus en plus frénétique, incapable de croire que peut-être, j'ai vu juste, peut-être, je vais trouver le coffret, enfin...
Et ensuite ? Je continuerai à le protéger, puisque c'était ce que Drago voulait, mais... Que contient-il ? Pourquoi était-ce si important à ses yeux, important au point de mourir pour lui ?
Je m'arrête net, pétrifié. Les traces s'interrompent en haut d'un escalier étroit qui plonge dans le noir. Au bas de l'escalier, une porte. Et sous la porte, de la lumière.
Je descends les marches, silencieux, focalisé sur ce qui m'attend au bas de ces marches. Pour la première fois depuis des jours, mon chagrin m'a quitté : je ne pense plus qu'à ce qui m'attend dans les reflets chauds de cette lueur, et déjà, les espoirs les plus fous prennent leur envol en moi, se déploient, s'élancent... Je tente de les maitriser, mais je ne peux pas. Je désespère trop de le revoir...
Je pousse le battant, et la lumière m'inonde.
C'est une pièce longue et basse de plafond, sans doute une cave, à l'époque où mes parents habitaient la maison. Quelqu'un l'a nettoyée et a consolidé les murs. Des flammes en bocal projettent leur lueur sur le sol en terre battue et les parois de pierres nues. A l'intérieur, il n'y a pas grand-chose. Des étagères à vin, que l'on a reconverties pour ranger des livres. Une table branlante et deux chaises, recouvertes de papiers. Un évier en pierre, un poêle où une buche se consume doucement... Une porte perce le mur du fond, ouverte sur l'obscurité.
Prudemment, je m'avance. J'ai à peine remarqué que j'ai sorti ma baguette, par réflexe. Je ne vois pas trace d'un coffret nulle part. En revanche, l'endroit parait habité : l'atmosphère est tiède, et quelqu'un d'autre a dû faire apparaitre les flammes, sinon elles se seraient éteintes à la mort de Drago.
Je fais le tour de la pièce, pas à pas. Chaque regard m'apporte de nouveaux indices qui nourrissent mon espoir : je trouve des couverts, des provisions, un livre ouvert sur la table... La porte obscure donne sur une salle de bain étroite, et enfin, une chambre...
Le lit est défait. La personne qui y a dormi pour la dernière fois lisait un roman de science-fiction. Comme les romans que j'ai trouvés dans l'appartement de Drago...
L'espoir m'étouffe tout à coup, m'étreint, mais soudain la porte des escaliers claque et une voix lance sèchement :
- Expelliarmus.
Ma baguette jaillit de mes doigts sans que je puisse la retenir. Stupéfait, mon cœur explose dans ma poitrine, et je me retourne pour découvrir une silhouette pâle et fine, dans l'encadrement de la porte.
L'espace d'une seconde, je crois bien que mon esprit s'arrête. C'est lui, il n'y a pas de doute possible. C'est lui à treize ans, lorsque nous nous affrontions encore dans les couloirs de Poudlard. Mais les secondes passent, et petit à petit, la vérité s'impose à moi : non, ce n'est pas lui, mais c'est un jeune garçon au teint pâle qui me dévisage d'un air impassible, un jeune garçon qui porte sur ses traits le fantôme de Drago...
Ses yeux se plissent pour s'habituer à l'obscurité, et il semble alors me reconnaitre :
- Mon père m'avait dit que vous viendriez, lance-t-il d'une voix blanche.
Il baisse sa baguette. Je le regarde, abasourdi, n'osant comprendre ce que ses paroles et ses traits révèlent :
- Ton père ? je répète bêtement.
- Il est mort, n'est-ce pas ?
Sa voix est froide en disant cela. La voix d'un enfant qui n'a déjà plus aucune illusion sur la vie, et qui a accepté ce deuil comme une évidence, inéluctable, glacée. Devant mon silence, il reprend :
- Mon père m'avait dit que les choses pouvaient mal tourner. Il m'a demandé d'attendre ici un mois, et puis de partir si je n'avais aucune nouvelle de lui ou de vous. Vous avez de la chance. J'avais prévu de partir dans deux jours.
Hébété, mes mots ont du mal à rejoindre mes pensées :
- C'est toi le coffret... ? j'articule sans y croire.
Il me fixe, et un petit sourire en coin se dessine alors sur ses traits, comme s'il avait pitié de mon ignorance. Il ressemble tellement à Drago à cet instant que je suis tout simplement incapable de bouger. Mais ses yeux sont verts, comme l'étaient sans doute ceux d'Astoria. Ses traits, pâles et pointus, sont empreints d'une douceur fragile que Drago n'avait pas, presque féminine. Des cheveux très fins encadrent ce beau visage triste... Ils sont blonds, comme ceux de Drago...
Esquissant soudain un geste vers la table, l'enfant fouille dans la pile de papiers. Il en retire un rouleau de parchemin qu'il me tend sans trahir la moindre émotion :
- Mon père m'avait demandé de vous donner ça, au cas où il ne reviendrait pas.
A nouveau, mon cœur s'arrête de battre. Je saisis le parchemin qui semble étonnamment doux entre mes doigts. Je remarque que le sceau a été brisé :
- Tu l'as lu ? je demande en fixant le garçon.
Il hausse les épaules. Il ne s'en veut pas et je ne peux pas lui en vouloir non plus. Si ce sont bien les dernières paroles de son père...
Fébrile, je déroule le parchemin. A nouveau, pour la toute dernière fois, l'écriture fine et rigoureuse de Drago se délie devant moi :
« Harry,
Il y a tellement de choses que je voudrais te dire et j'ai si peu de temps pour le faire. Si tu lis cette lettre, alors je présume que tu es arrivé jusqu'ici sans encombre, mais que moi, en revanche, je n'ai pas eu autant de chance. Peu importe. Je dois parer à toutes les éventualités, alors voici le plus important : Harry, je sais que de ton point de vue, j'ai toujours été ton ennemi : en tant que Mangemort à Poudlard, en tant que la Ronce à présent... Je sais qu'à tes yeux, nous n'avons jamais rien partagé, que nous ne nous connaissons pas, et que tu n'as aucune raison de m'aider, de me rendre service, ou de couvrir mes crimes...
Pourtant, Harry, même si cela te semblera difficile à croire, nous avons été proches, dans cette vie. Plus proches que tu ne pourras jamais l'imaginer, et c'est sans doute ma faute si tu l'ignores aujourd'hui. Harry, je suis Noah.
Cette affirmation va te laisser sans voix, je le sais, et dans un premier temps, tu ne me croiras pas. Alors laisse-moi te convaincre. Je suis Noah. Je t'ai rencontré dans un bar le 1er décembre 2000. J'ai emménagé avec toi quelques semaines plus tard, et ensemble, nous avons passé trois années merveilleuses. Trois années qui m'ont permis d'apprendre à te connaitre. Aujourd'hui, je sais que tu te réveilles encore parfois la nuit à cause des guerres que tu as vécues. Je sais que tu bois ton café froid le matin et que tu prends toujours deux sucres dans ton thé. Je sais que tu aimes veiller tard le soir, que tu n'as jamais pu me battre aux échecs, et que tu te moquais de moi lorsque nous pliions des chaussettes sur le canapé les weekends. Je sais que tu aimais que je t'embrasse dans le cou quand nous faisions l'amour. Et un million de détails, un million de petites choses que je ne peux pas retranscrire par des mots. Ton rire, le goût de la pluie sur ta peau lorsque tu rentrais du travail, la sensation d'avoir un foyer lorsque nous étions ensemble... Tout cela, je l'ai perdu le jour où je t'ai quitté. Il ne s'est pas écoulé un seul jour depuis sans que je regrette de l'avoir fait. Mais aujourd'hui, tu comprends pourquoi.
Je suis désolé, Harry, désolé de te balancer tout ceci dans une lettre, sur un simple bout de papier, en quelques lignes, alors que je devrais te le dire en face, après toutes ces années. Je suis désolé de t'avoir menti, désolé de ce que je t'ai fait subir, et désolé d'avoir été celui que je suis : un Mangemort, un criminel et un meurtrier. J'aurais souhaité une vie plus simple, pour toi et moi. Mais aujourd'hui, si je t'écris tout cela dans la hâte, c'est que j'ai désespérément besoin de toi. Si tu m'as suffisamment aimé dans ta vie, je t'en prie, je t'en supplie : trouve la force de me pardonner pour ce qui va suivre.
Harry, j'ai besoin que tu protèges mon fils. Tu as dû le rencontrer si tu lis cette lettre aujourd'hui. Il a treize ans, il est le fils que j'ai eu avec Astoria Greengrass pendant cette terrible année où Voldemort régnait... J'ignorais son existence lorsque nous sortions ensemble. Je ne l'ai appris qu'il y a cinq ans. Sa mère est morte depuis, et je suis tout ce qui lui reste. Si tu lis ces lignes, il est probablement tout seul à présent...
Harry, je t'en prie. Si tu sais qui je suis, alors tu sais aussi que j'ai de nombreux ennemis, qui seraient ravis de s'en prendre à lui, que ce soit pour m'atteindre ou pour éteindre une bonne fois pour toutes la lignée des Malefoy. Je t'en supplie, prends soin de lui. Ce n'est qu'un enfant, comme nous l'étions, toi et moi : il n'a rien à voir dans les conflits qui agitent notre monde, et dans les crimes que j'ai commis. Je sais que tu comprendras, que tu feras ce qui est juste.
Merci, Harry, de tout mon cœur. Et je te demande encore une fois de me pardonner. Comme dans toutes les épreuves de ta vie, je t'en demande trop. Mais si tu lis cette lettre alors que je suis retenu, blessé ou prisonnier, je te promets de faire mon possible pour revenir à toi et m'expliquer en personne. Si je ne suis plus de ce monde, en revanche, sache que je t'ai aimé, de toutes les façons qu'une personne puisse aimer. Tu as été un éclat de chaleur, de pureté, d'espoir, dans ma vie. Tu as compté plus que n'importe qui d'autre en ce monde, et tu m'as sauvé, de si nombreuses fois, sans même le savoir.
Si tu éprouves un jour le désir de comprendre, rends-toi sur Sherrington Street, à Londres. Tu y trouveras un petit armurier, et au-dessus de son local, l'appartement où j'ai vécu ces sept dernières années. Au-dessus de mon bureau, derrière la coupure de journal qui te représente, tu trouveras un petit lion gravé. Passe ton doigt dessus : il te reconnaitra. Tu trouveras alors, je l'espère, quelques fragments de moi... Mes journaux intimes de ces dix dernières années : lis-les, je t'en prie, et tu comprendras... Tu verras à quel point je t'aimais, à quel point tu comptais pour moi... Je suis désolé de ne pas pouvoir faire mieux. Personne d'autre que moi ne regrette davantage, crois-moi, de ne pas être à tes côtés en cet instant.
Je t'aime, à tout jamais,
Drago. »
Lorsque j'achève ma lecture, des larmes baignent mon visage. L'enfant me regarde en silence, et je devine derrière cette distance, cette façade, qu'il cherche à se protéger de mon chagrin. Lui aussi souffre, même s'il a appris à ne pas le montrer. Lui aussi sait que nous avons tous les deux partagé un lien, un lien très fort, privilégié, avec une personne extraordinaire qui s'en est allée aujourd'hui... Il sait que j'ai aimé son père, comme lui-même l'a aimé, et que nous sommes unis par une même souffrance...
Lentement, puisant dans mes ressources les plus insoupçonnées, je me redresse et je lui demande :
- Comment tu t'appelles ?
- Scorpius, répond-il. Scorpius Malefoy.
Je hoche la tête, paralysé par ses yeux verts. Il me semble qu'à travers eux, Drago me fixe, par-delà la chair, la mort et le temps. Les mots de sa lettre résonnent en moi : ses aveux, son amour, ses excuses, alors que je devrais être celui qui demande pardon... Drago a écrit ces lignes juste avant de me retrouver... Dans l'éventualité où il mourrait... Se doutait-il, alors, qu'il confierait son fils à l'homme qui venait de l'assassiner ?
Cette vérité me poignarde, les mots s'étouffent dans ma gorge. Comment suis-je censé regarder cet enfant en face ? Comment suis-je censé affronter son regard, jour après jour ?
- Oui, il est mort..., je murmure enfin, en réponse à sa question. Je suis désolé, je ne savais pas, je... Tout est arrivé si vite... Il est mort, je l'ai tué...
L'enfant est d'une pâleur de marbre devant moi. Je le sens lutter contre les larmes : il y parvient. Il articule alors de sa voix si jeune :
- Il vous aimait... Et je sais que vous l'aimiez, vous aussi. Il m'a souvent parlé de vous. Quoi qu'il ait pu se passer, ce n'était pas votre faute.
Il détourne les yeux en disant cela. Mais l'émotion qui me traverse tout à coup est sans nom, intense. C'est comme si tous mes remords des dernières semaines prenaient corps tout à coup, et qu'ils étaient absous, véritablement absous, par une personne dont le jugement importe... Le fils de Drago... Et à travers lui, Drago lui-même...
Ses dernières lignes résonnent en boucle dans ma tête. Des paroles d'amour. Même dans l'urgence, jusqu'au dernier instant, Drago m'a aimé. Je peux imaginer à présent ce qu'il pensait, ce qu'il brûlait de me dire ce soir-là, lorsque nous nous sommes retrouvés dans le froid glacial, par une nuit de décembre...
Et aujourd'hui, alors que je dévisage cet enfant, je comprends. Je comprends que Drago m'a légué la seule et unique chose capable de redonner un sens à ma vie. Une lumière. Un espoir. Un cadeau, une rédemption : la promesse d'une vie nouvelle, tout simplement.
Alors, timidement, pleurant toujours et souriant malgré tout, je tends la main vers Scorpius. Il fronce les sourcils – exactement comme son père – mais il la saisit malgré tout, comme s'il avait compris. Ensemble, nous quittons le sous-sol, gravissons l'escalier, et nous entrons dans la lumière.
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Bonjour amis lecteurs,
Et voilà, Carpe Noctem est maintenant terminée ! Que dire à part que ce fut un énorme travail : reconstituer 19 années de journaux intimes, mois après mois, a été un challenge exigeant, laborieux et en même temps merveilleux. Cette fiction fut riche en émotions, et j'ai vraiment adoré l'écrire, j'ai adoré ce mode de narration si particulier, l'ironie dramatique qu'il créait, et j'ai adoré partager tout cela avec vous.
Vous l'avez vu, j'ai tenu ma promesse : pas de résurrection inopinée et complètement what the fuck. Même si ça aurait fait plaisir à beaucoup d'entre vous sur le moment, je pense que ça aurait sapé toute la puissance narrative de la fiction. J'espère donc que vous avez aimé cette fin malgré tout, et toutes les péripéties qui l'ont précédée. Félicitations à ceux qui avaient trouvé ce qu'était le coffret ;)
Enfin, si vous aimez ce que je fais, je tiens à vous dire que j'ai déjà publié deux romans papiers !
Le premier, Ézéchiel, est un thriller psychologique qui parle de la frontière entre le rêve et la réalité, et de la façon dont notre subconscient peut nous manipuler. Avec une jolie romance en prime ;D !
Il est paru le 27 janvier 2021 chez Edelweiss Editions ! Vous pouvez d'ores et déjà découvrir les 16 premiers chapitres gratuitement sur ce site, et le roman est disponible à la commande sur Internet sur le site de ma maison d'édition, ainsi que sur toutes les plateformes dédiées.
Le second, Into the Deep, est un roman fantastique qui explore la fosse des Mariannes, l'endroit le plus profond sur Terre ! Un jeune océanologue y découvre une créature qui pourrait bien remettre en question tout ce qu'il croyait savoir sur les fonds marins, sur la science et, en définitive, sur lui-même...
Il est paru le 12 avril 2022 chez SNAG Fiction, et il est disponible sur Internet et dans toutes les librairies !
Si vous souhaitez soutenir une jeune auteure et vous procurer mes romans, je vous suggère de cliquer sur mon LinkTree, disponible sur mon profil, et dont je vous remets le lien ici :
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Vous y trouverez des liens menant vers mes romans, mais aussi vers mes réseaux sociaux, où je partage toutes mes actualités d'écriture !
Aidez-moi à faire vivre ces beaux projets !! =)
Je vous dis à très bientôt pour de nouvelles aventures,
Nat'
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