Causa Mortis

Bonjour amis lecteurs =)

Voici une nouvelle histoire qui me tient particulièrement à coeur, et dont le concept j'espère vous plaira. Comme je le dis dès le résumé : Drago meurt dès le début de la fiction, et tout l'enjeu de cette histoire sera d'apprendre à le connaître, petit à petit, au gré des souvenirs qu'il a laissés derrière lui. C'est donc une relation posthume que je vais tenter d'établir entre nos deux personnages, Drago et Harry =)

Mais ne vous en faites pas, tout ne sera pas tout noir, loin de là ^^ et j'espère que vous vous laisserez intriguer par cette approche un peu particulière.

Un grand merci à Enorae, sans qui je n'aurais pas eu cette idée, et dont les conversations sont une source sans borne d'inspiration.

Bonne lecture ! N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé =)

Natalhea

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Je ne sais pas pourquoi je suis là. Je ne sais pas pourquoi je resserre les pans de ma cape autour de moi, en cette froide nuit de décembre, au plus noir du plus noir du quartier des Embrumes. Tout dans mon corps me crie de faire demi-tour. La moindre fibre de mon être se hérisse au contact des dizaines de regards que je sens se poser sur moi, tandis que je m'enfonce toujours plus loin dans les bas-fonds du monde : des regards indiscrets, scrutateurs, hostiles. Je ne suis qu'une silhouette encapuchonnée de plus au milieu de l'enfer, mais ce soir, mon instinct me laisse sans repos. Tous mes sens en alerte hurlent pour que je les entende : « Ne fais pas ça ! N'y va pas ! Fais demi-tour ! ». Mais je ne les écoute pas. Pourquoi ?

A cause de ce bout de parchemin froissé au creux de ma main. Je n'ai pas pu me résoudre à le lâcher, depuis que je l'ai reçu. Je l'ai serré si fort que les ongles de mes doigts ont percé ma peau, diluant dans l'encre ma sueur et mon sang. Ce message était simple. Il disait :

« Potter, il faut qu'on parle. Viens me rencontrer ce soir à une heure, au croisement de Northumberland et Mary's. Depuis le temps, je pense que tu sais qui je suis. Si tu le sais, alors tu sais aussi que je ne te ferai pas de mal. Viens seul. »

Le cœur battant, je resserre un peu plus mes doigts autour du parchemin. Pas de signature. Mais l'écriture en elle-même est une signature. Cette écriture, elle a hanté mes rêves, elle a poursuivi mes jours et mes nuits, partout, sans relâche. Cela fait des années maintenant que je reçois des lettres telles que celles-ci. Elles me sont toujours adressées, à moi et à moi seul. Mais d'habitude, elles sont envoyées à mon bureau, au Ministère. C'est à ma qualité d'Auror qu'elles font appel. Mais pas aujourd'hui. Cette lettre m'est parvenue par la poste moldue londonienne, à mon adresse personnelle, dans la plus grande discrétion. Cette lettre, son auteur ne voulait pas que qui que ce soit d'autre puisse la lire...

Relâchant ma respiration, je laisse mes pensées défiler. C'est une folie pour moi d'être venu ce soir... C'est une folie d'avoir accepté ce rendez-vous... Parce que l'auteur de cette lettre est un meurtrier.

Cela fait bientôt dix ans qu'il sévit. La presse l'a surnommé « La Ronce ». Parce qu'il est une épine dans la société anglaise, pour le service des Aurors, et pour ses victimes... Parce qu'il a cette façon si particulière de tuer. A l'arme blanche. Jamais par magie. Ses meurtres devraient presque relever de la police moldue, mais... Il ne tue que des sorciers.

Je secoue la tête, tentant de rassembler tout ce que je sais. La Ronce est insaisissable. Insaisissable, car personne ne semble même parvenir à savoir si elle tue pour elle-même, ou sur contrat. Ses victimes sont presque toutes d'anciens Mangemorts. Des membres de la pègre. Des sympathisants des idées extrémistes véhiculées par les Sang-Purs. Pourtant, ses meurtres dénotent une cruauté, une rage et une sauvagerie qui ne correspondent pas à un simple exécutant de sang-froid. Non, ces meurtres sont personnels. La Ronce connait ses victimes. Et parfois, elle leur inflige pire que la mort. Elle les torture. Les mutile. Assassine leur famille. Non, la Ronce n'est pas un justicier... Elle sert ses intérêts : une folie meurtrière qui a plongé Londres dans un bain de sang depuis plus de dix ans...

Les Aurors la haïssent. Je suis bien placé pour le savoir. Dans l'opinion publique, la Ronce inspire des sentiments partagés : approbation pour les victimes qu'elle tue, horreur devant la façon dont elle le fait... Ses carnages sont tels que les Aurors en sont venus à douter qu'il s'agisse d'une seule et même personne. Dans l'Allée des Embrumes, « la Ronce » est presque devenu un nom de code. Un fantôme, une ombre, une malédiction qui plane au-dessus des anciens partisans de lord Voldemort, une force surnaturelle qui s'abat, inéluctable, aussi absolue que l'étreinte de la mort, sur tous ceux qui ont le malheur d'attirer son regard... Prononcer son nom, c'est comme l'invoquer. Susciter sa force et son pouvoir. L'attirer.

Je songe à tout cela tandis que mon rythme cardiaque s'accélère, dans la nuit et le froid glacial. Je suis bien placé pour savoir que la justice sorcière est cruelle. Le Baiser du Détraqueur n'est pas la marque d'une société clémente... Aussi, en d'autres circonstances, le service des Aurors aurait pu cautionner la Ronce. Ne pas la poursuivre. La laisser leur venir en aide en paix. Mais il y a eu les lettres.

Depuis plus de dix ans maintenant, la Ronce envoie des lettres, adressées d'abord au simple Auror que j'étais, et puis au directeur que je suis devenu. Ces lettres ne contiennent rien de personnel. Rien de rédigé. Seulement des listes. Des listes interminables de noms. De lieux. De dates. Des listes de révélations.

La première fois que nous avons analysé l'une de ces listes, nous avons découvert qu'elle recensait les noms de vingt-deux victimes de lord Voldemort. Vingt-deux personnes, sorciers ou moldus, qui avaient été portées disparues pendant la guerre, et dont les corps n'avaient jamais été retrouvés. La liste donnait leurs noms, la date de leur mort, et l'identité de ceux qui les avaient tués. Bellatrix Lestrange. Antonin Dolohov. Les frère et sœur Carrow. Lord Voldemort. La lettre ne contenait aucune autre explication, aucune signature. A la fin, une seule phrase disait simplement : « Potter, donne la paix à leurs familles ».

Au début, dans l'expectative, je me rappelle que le service n'avait pas donné suite. Et puis est arrivée la deuxième lettre. Celle-ci contenait une liste de lieux. Des endroits reculés, souvent perdus en pleine campagne. Par curiosité, Ron, deux autres collègues et moi, nous nous sommes rendus sur le premier site. L'auteur avait indiqué des coordonnées précises, au pied d'un vieux chêne. Nous avons creusé, et nous avons trouvé le premier corps de la première liste. Caroline Hayes. Une mère de famille Moldue de trente-et-un ans, disparue avec ses deux enfants en juin 1997. Les enfants étaient enterrés deux mètres plus loin.

A partir de ce jour-là, tout a changé. Les lettres arrivaient régulièrement, presque tous les mois. Et toutes délivraient le même lot d'horreurs. Des victimes par centaines. Des tombes par milliers. L'une d'elle nous conduisit un jour sur le site d'un ancien village moldu, qui avait été entièrement rasé par les Mangemorts de Voldemort. L'affaire avait défrayé la chronique moldue, sans jamais trouver d'explications. La lettre nous les a fournies. A quelques kilomètres du village, nous avons découvert une fosse, qui contenait les corps des deux-cent-douze victimes. Un véritable charnier à ciel ouvert, que des sortilèges avaient jusqu'alors dissimulé aux regards...

C'est à cet instant-là que le meurtrier a gagné son surnom de « Ronce ». La presse a immédiatement fait le lien entre les lettres de révélation et les meurtres vengeurs des anciens Mangemorts ayant échappé à la justice jusque-là. Il était évident que l'assassin et l'auteur de ces lettres n'étaient qu'une seule et même personne. Comme pour leur donner raison, les lettres se virent soudain adjoindre une signature : « la Ronce ». Et toujours, ces petites phrases finales : « Potter, rend les corps à leurs familles. Fais-en sorte qu'ils aient des funérailles dignes. Permets à ces gens de faire leur deuil ».

La haine des Aurors n'a pas tardé à s'enflammer. Parce que la Ronce les faisait passer pour des imbéciles. Parce qu'elle dénichait ceux qu'ils n'avaient pas réussi à trouver depuis toutes ces années, parce qu'elle leur livrait des informations qui leur avait toujours échappé, et parce que le peuple, malgré lui, l'approuvait...

Pourtant, personne ne pouvait nier que la Ronce était un personnage ambigu. Un être capable de la violence la plus extrême, et qui tuait parfois des innocents : des femmes, des enfants... Son extrême connaissance de la guerre et des crimes des Mangemorts attestait qu'il avait dû en être un lui-même, ou du moins, fréquenter ce milieu, être un proche de Voldemort.

Ces raisons ont suffi à déclencher contre la Ronce une véritable chasse à l'homme. Le pourquoi de ses motivations est devenu secondaire. Il fallait l'arrêter. Et pourtant, moi, je n'ai jamais cessé de me poser cette question... Pourquoi s'être retourné contre les Mangemorts ? Si la Ronce était l'un d'entre eux pendant la guerre, pourquoi tous ces meurtres, pourquoi ces révélations ? Et pourquoi s'adresser à moi... ?

Petit à petit, dans mon esprit, s'est frayée une certitude évidente. La Ronce devait être un homme jeune et en bonne condition physique. Un homme qui par conséquent devait avoir mon âge pendant la grande guerre. Un homme qui avait subi les évènements, mais qui les avait suivis de près : dans l'entourage direct du mage noir. Un homme qui me connaissait, suffisamment pour s'adresser à moi et me tutoyer. Un homme qu'on n'avait jamais retrouvé depuis...

Je ne connaissais qu'un seul homme susceptible de correspondre à cette description. Son nom figurait sur certaines des listes que nous avions reçues, dans la colonne des coupables. Drago Malefoy.

Cela fait plusieurs années maintenant que j'ai cette certitude. Je m'en suis ouvert à Ron et à Hermione, qui la partagent. Pourtant, pour une raison qui m'échappe, je ne l'ai jamais mentionné dans aucun de mes rapports... Tout comme j'ai toujours pris soin de me distancer par rapport à l'enquête. Je ne souhaite pas traquer la Ronce. Je ne veux pas pourchasser cet homme qui soulève dix fois plus de questions qu'il n'apporte de réponses. Surtout si c'est Drago Malefoy. Sans que je comprenne pourquoi, je ne veux pas être confronté à cette partie de mon passé...

Malefoy s'est enfui à la fin de la guerre, juste avant que les procès ne commencent. Il savait ce qui l'attendait, probablement. Il n'a jamais été arrêté. Ses parents, eux aussi, ont disparu dans la nature, comme bon nombre de leurs anciens amis avec eux... Mais aujourd'hui, je crois que Malefoy m'a envoyé une invitation. La Ronce veut me parler. Et je ne suis pas sûr de vouloir entendre ce qu'elle a à me dire...

Je pourrais perdre mon poste si on découvrait ce que j'ai fait. Je n'ai pas parlé de la lettre, alors que j'aurais dû. Je n'en ai parlé qu'à Ron. Il m'a traité de cinglé, il m'a hurlé que c'était un piège, que je devrais appeler du renfort et en profiter pour tendre une embuscade à la Ronce... Mais je lui ai fait promettre de tenir sa langue. La Ronce est Malefoy, je le sais. Et, comme il le dit dans sa lettre, il sait que je l'ai deviné. Que par conséquent, nous devons vraiment nous parler. Le lien qui nous unit lui et moi est trop ancien, trop profond, trop complexe, pour se solder par un simple guet-apens... Malefoy a raison : je sais qu'il ne me fera pas de mal. Du moins je veux le croire... Mais pourquoi ?

Parce que je revois l'adolescent d'il y a douze ans. Je revois l'adolescent qui tremblait et qui pleurait seul à l'idée de la tâche que Voldemort lui avait confiée. Je revois l'adolescent torturé, déchiré de terreur et de pressions contraires, baisser sa baguette devant Albus Dumbledore. S'il y a bien un ancien Mangemort désireux de faire payer ses pairs, ce doit être lui... Ce désir de repentance et de justice lui correspond. Même si le Malefoy que j'ai connu n'était pas un meurtrier... J'ai besoin de réponses.

Voilà pourquoi je m'enfonce dans le quartier des Embrumes aujourd'hui. Le brouillard qui se referme autour de moi reflète ma brume intérieure : je suis perdu, égaré, à la recherche de mon propre passé, et des fantômes qui l'habitent...

Il est minuit cinquante-huit lorsque j'arrive au croisement de Northumberland et Mary's. L'endroit est totalement désert. Il fait si froid que l'air lui-même semble s'être gelé, suspendu sur place. Pas un souffle, pas un bruit. Le carrefour aboutit à une impasse d'où je ne pourrai pas m'enfuir. Les taudis qui m'entourent me fixent de leurs fenêtres aveugles, d'où il serait facile de jeter un sort, ou une lame...

Soudain, je perçois un changement. Un instant j'étais seul, maintenant je ne le suis plus. Quelqu'un d'autre vient de briser l'atmosphère de ce monde figé. Il est là devant moi, dans l'obscurité et la brume. Je ne l'ai pas entendu arriver. Ses pas ne font pas le moindre bruit sur le sol glacé. Il est grand, plus grand que je ne l'aurais cru. Entièrement dissimulé sous une cape et un capuchon noir, lui aussi. Je ne vois pas son visage. Il ne dit rien. Est-ce que c'est lui ?

Désespérément, je cherche dans sa démarche, son attitude, sa posture, un détail qui me semblerait familier. Mais l'homme n'arbore devant moi qu'une façade. Ses gestes sont lents, précis et mesurés. Il sait exactement où se placer pour éviter l'éclat de la Lune et préserver les faveurs du brouillard. Ses mouvements sont ceux d'un félin capable de bondir à tout instant, mais qui prend son temps : gracieux, silencieux, mortel. Il jauge sa proie avant de l'approcher. Sa proie ce soir, c'est moi. Est-ce que je viens stupidement de me jeter dans la gueule du loup ?

Une angoisse sans nom me saisit tout à coup : « Et si je m'étais trompé ? Et si la Ronce n'était pas Malefoy ? Et si Ron avait raison ? Et si, pire que tout, la Ronce était bien Malefoy ? Que devrais-je faire ? Que dois-je faire ?! ».

L'homme s'avance tout à coup. Il n'enlève pas son capuchon, mais redresse la tête de façon à ce que la Lune l'éclaire. Un foulard noir dissimule son visage. Pourtant, à la seconde où je croise son regard, plus le moindre doute n'est possible. Je connais ces yeux gris. L'espace d'un instant, le choc me paralyse sur place, et deux images se superposent : mes souvenirs, et ce que je vois aujourd'hui. Ces pupilles d'acier, glaciales, translucides... Elles n'expriment pas la moindre émotion. Elles se contentent de me transpercer dans une sorte d'attente, comme pour me capturer, s'assurer que je ne m'enfuirai pas...

L'homme abaisse son foulard, et cette fois je le vois. Malefoy. Je n'arrive pas à y croire. L'avoir en face de moi après toutes ces années, si semblable et pourtant si différent... Mon cerveau n'arrive pas à concilier ces deux images : l'adolescent blond, chétif, plein de morgue, et cet homme grand et fort, imperturbable, au regard si dur et si froid...

Ses traits ont conservé la finesse qui les caractérisait. Ses cheveux mi-longs semblent être noués sous son capuchon, dégageant plus que jamais ses yeux pâles. Il a le teint de l'hiver, comme s'il passait ses journées et ses nuits dans ce monde glacé, dévoré de fatigue... Malgré cela, il exhale une indubitable aura de menace et de force. Ce soir, la menace est-elle tournée contre moi ?

Je ne sais pas quoi faire. Les souvenirs que je conserve de Malefoy remontent à loin et sont presque tous teintés de haine. J'ai méprisé l'avorton arrogant qu'il était alors. Mais j'ai aussi eu pitié de lui. Par certains aspects, j'ai compris la situation terrible dans laquelle il se trouvait, sans la moindre issue, tout comme moi... Et malgré tous ses crimes, je crois que je comprends la Ronce. Je comprends pourquoi elle a envoyé toutes ces lettres et dénoncé tous ces crimes. Ce que je ne comprends pas, ce sont les meurtres. Les victimes innocentes... Cet enchaînement étrange d'évènements qui a fait qu'aujourd'hui, moi, Harry Potter, directeur du service des Aurors, je me retrouve à le traquer lui, Drago Malefoy, tueur en série et ennemi public numéro un...

Je veux comprendre comment nous en sommes arrivés là. Je veux comprendre pourquoi nous nous retrouvons face à face aujourd'hui, en pleine neige, en pleine nuit, séparés par une barrière invisible... Qu'est-ce qui a fait de lui un criminel et de moi un Auror ? Comment en est-on arrivés là ?

Il s'anime tout à coup, et je sais qu'il va parler. Je le sens. Je vais avoir des réponses, enfin... Mais c'est un mouvement qui semble attirer son attention. Tout à coup, nous ne sommes plus seuls dans la ruelle. Deux autres silhouettes émergent des ombres : deux capuchons, et ceux-là sont armés.

Le piège se referme trop vite pour que j'aie le temps de réagir : je ne ressens qu'une insurmontable trahison, un coup de poignard si intense qu'il me crucifie sur place et manque de me faire tomber à genoux :

- Tu m'as trahi ! je crie à travers toute la ruelle. Tu m'as menti ! C'était un piège !

Il recule, à peine. C'est de la peur que je lis sur ses traits. De la peur ? Mais tu as gagné ! Tu m'as dit de venir et je suis venu ! Tu m'as piégé ! Ron avait raison ! Maintenant, tu vas m'assassiner ici dans le caniveau, dans la neige et le froid, mais je ne me laisserai pas faire...

Malefoy esquisse soudain un geste vif. Dans ses mains, deux lames viennent capturer l'éclat de la Lune, l'espace d'une seconde. Je n'arrive pas à y croire. Je n'ai pas le temps d'y croire, tout va trop vite, je dois réagir : je lève ma baguette et Malefoy lance les lames, droit devant lui, droit vers moi. Je veux me jeter à terre, me protéger le visage, mais il est trop tard... Mon sortilège est parti. J'ai préféré attaquer plutôt que de me défendre, et je vais en payer le prix... Mais les secondes s'écoulent, et trois corps s'effondrent dans la neige.

Je me retourne, stupéfait. Les deux capuchons qui me prenaient en tenaille derrière moi se sont écroulés, tués nets, une dague plantée en pleine tête. Malefoy git devant moi. Dans la précipitation, je ne sais même plus quel sortilège je lui ai jeté... Mes réflexes d'Aurors ont dû reprendre le dessus, et j'ai dû le stupéfixé... Mais non.

Je vois le sang dans la neige. Sous la lumière très pure, il apparait presque noir. Je vois Malefoy étendu juste-là. Bizarrement, le temps semble s'étirer. Chaque seconde dure une éternité. L'éternité me file entre les doigts...

Mon esprit est devenu blanc, je ne peux me focaliser sur rien. Je ne vois que des détails. Sa main qui se referme compulsivement sur la neige. Le sang qui goutte de sa bouche. Sa respiration rauque.

Je ne l'ai pas stupéfixé. Je lui ai jeté un Sectumsempra. Tout à ma terreur, ma panique exacerbée, la fureur d'avoir été trahi, je suis revenu aux premiers instincts de mon combat contre Malefoy, de mon combat contre mon ennemi... Je lui ai jeté un Sectumsempra.

Mais cette fois, ce n'est pas comme dans les toilettes de Poudlard. Je n'ai pas besoin d'observer les blessures pour le savoir. Malefoy et moi ne sommes plus des adolescents de seize ans en train d'affuter leurs premières armes. Je suis un Auror. Mes sortilèges sont puissants, et frappent toujours leur cible...

Etourdi, comme hors de moi-même, je m'agenouille auprès de la silhouette tressautant dans la neige. Malefoy a perdu son capuchon. Ses cheveux libérés se répandent autour de lui comme une couronne d'ange. Son regard écarquillé se pose partout et nulle part, ébahi, comme surpris lui-même de se trouver là... Il y a de la douleur dans ce regard. Et je ne comprends pas ce qui se passe...

Que s'est-il passé... ? Malefoy a... Il a tué ces hommes. Il a tué ces hommes que je croyais être ses alliés... Qui étaient-ils, que voulaient-ils ? Malefoy les connaissait. Il les a tués, et moi j'ai...

Je ne sais pas ce que j'ai fait. Seigneur, qu'est-ce que j'ai fait ?!

La poigne de Malefoy m'agrippe tout à coup. Dans un effort désespéré pour rester lucide, je le vois braquer son regard sur moi et m'obliger à le dévisager. Il ne parle pas. Il n'en a plus la force. Tous ses traits, tous ses membres se contractent en un seul et ultime effort : un à un, ses doigts desserrent les miens et y glissent quelque chose. C'est petit et lourd. Réchauffé par le contact de sa paume. Une clé.

Je la fais tourner entre mes doigts, incrédule, mais Malefoy me secoue à nouveau : il me transperce du regard, comme personne ne l'a jamais fait avant. Juste assez pour m'infliger une blessure, une entaille profonde qui ne me tuera pas, mais qui ne guérira jamais... Par ce seul regard, Malefoy s'infiltre en moi. Je le sens. Sa vie s'échappe de lui avec le sang qui se répand dans la neige. Impossible à rattraper, impossible à retenir, comme le sable s'écoulant lentement dans un sablier... Je sais que ces instants ne me quitteront plus jamais : la ruelle, le froid, sa chaleur, sa main dans la mienne, son regard qui pénètre au plus profond de moi, qui me supplie, qui se raccroche à chaque parcelle de moi...

Je sens son souffle sur mon visage. Je sens son souffle une dernière fois, et puis plus rien. Son âme me possède à l'instant même où elle quitte son corps. Car Malefoy me hante désormais, je le sais, il est inscrit dans ma chair.

Incapable de bouger, je reste là, dévoré par le froid de minute en minute, sans réaction. Je suis dévasté. Bouleversé au-delà de toute émotion, sans raison valable, sans pouvoir l'expliquer. Parce que Malefoy est mort et que c'est trop absurde. Parce que tout est arrivé si vite, que rien n'a plus le moindre sens. Il se tenait là, et la seconde d'après il n'y est plus... Il est mort. Il n'y a plus rien dans ses yeux grands ouverts. Rien que la douleur. Et cette supplique, ce dernier regard qu'il a planté en moi...

Qui étais-tu, Malefoy ? Que s'est-il passé dans cette ruelle ? Qu'est-il arrivé pour que l'un de nous deux finisse par devoir tuer l'autre ? Je ne comprends pas, et j'ai peur de comprendre...

Hébété, je regarde la clé. C'est une petite clé en métal, du genre de celles que l'on faisait au siècle dernier. Très épaisse et très lourde. Aucune marque, aucune inscription. Je n'ai pas la moindre idée de ce qu'elle ouvre, ni de pourquoi Malefoy me l'a confiée. Cela devait être important pour lui, pour qu'il y consacre ses dernières forces... Etait-ce pour cela qu'il m'avait donné rendez-vous ici ?

Un froid immense s'abat soudain à l'intérieur de moi-même. Je regarde mes mains, et je voudrais me les couper. Je regarde ma baguette, et je la jette dans la neige. Malefoy ne m'a pas parlé. Au final, il n'aura pas eu le temps de prononcer une seule parole, un seul mot. Je n'entendrai plus jamais le son de sa voix. Même en souvenir, je n'arrive pas à m'en rappeler. Je ne saurai jamais ce qu'il était venu me confier dans cette ruelle. Je ne saurai jamais s'il avait vraiment quelque chose à me dire, ou s'il comptait me piéger... Mais je réalise avec horreur qu'il m'a sans doute sauvé la vie cette nuit. Et moi, je la lui ai prise...

Frissonnant extérieurement et au plus profond de moi-même, je me rends compte que je devrais bouger. La procédure exigerait que je prévienne les autres Aurors, que l'on boucle le quartier, que l'on analyse la scène du crime... J'imagine déjà les gros titres du lendemain. La mort de Malefoy va défrayer la chronique, et j'en suis déjà malade... D'autant qu'on me célèbrera encore pour cet « exploit »...

Non, je ne veux pas songer au lendemain, je ne peux pas. Je ne peux pas quitter le chevet de Malefoy dont le corps refroidit déjà lentement sous la neige... Malgré moi, mes doigts effleurent sa main, sa cape, la tunique noire qu'il porte en-dessous... Ses vêtements sont un véritable arsenal d'armes blanches. Je découvre de multiples poches contenant des lames aussi petites que des pointes de flèches. Deux stylets dissimulés dans ses manches. Un ensemble complexe de lanières et de baudriers qui retiennent autant de poignards dont j'ignore même les noms. Si après cela on doute encore qu'il était bien la Ronce...

Dans une de ses poches intérieures, juste au-dessus de son cœur, je trouve néanmoins quelque chose de plus petit et de plus doux. Un carnet. Je l'ouvre à la dernière page marquée :

« 14 décembre 2010 »

C'est la date d'aujourd'hui.

« Jour fatidique. J'ai donné rendez-vous à P. Je ne pense pas me tromper en affirmant qu'il sait qui je suis. Je crois que d'une certaine façon, je l'espère. J'espère ne pas avoir correspondu avec lui pendant toutes ces années sans qu'il sache qui j'étais... Cela rendrait une partie de mes actes vides de sens. Mais après tout, j'ai accepté depuis longtemps l'idée que mes espérances envers P. ne soient pas partagées. »

Je fronce les sourcils. J'interromps ma lecture aussitôt, comme si le carnet m'avait brûlé. C'est un journal. Un journal intime. Et ce que je viens de lire, Malefoy l'a écrit aujourd'hui...

Un horrible conflit me tiraille. Ce journal est une preuve. Quoi qu'il arrive, dès que les Aurors rappliqueront, il sera décortiqué et analysé pour la postérité. Et pourtant... Et pourtant, j'éprouve une culpabilité indicible à le lire. Peut-être parce que j'ai le corps de Malefoy là, à côté de moi, littéralement sous mes doigts...

Je le dévisage à nouveau, même si je dois m'y forcer, même si cela me met le cœur au bord des lèvres... Ces lignes... C'est lui qui les a écrites. Cet inconnu que j'ai connu étant jeune, si peu... Ces pensées, ce sont les siennes. Et je dois comprendre. J'ai besoin de comprendre...

Dans ce journal, Malefoy a peut-être écrit les raisons de son rendez-vous. Cela me décide. Sans plus hésiter une seconde, je reprends ma lecture :

« J'espère qu'il me fera confiance. Il n'a aucune raison, après tout, mais c'est P. J'espère qu'il me fera confiance. Je suis dans l'impasse cette fois. Je dois lui confier le coffret. On m'a trahi, je ne peux pas le transporter moi-même au risque d'être pris... Je ne peux pas envoyer une simple missive à P. contenant une adresse et les instructions : mes lettres pourraient être interceptées... Non, je dois le voir en personne. Le rendez-vous en soi est risqué. S'ils interceptent mon message avec le point de rendez-vous... Ou si P. ramène tout le service des Aurors pour m'arrêter... Mais je n'ai pas le choix. Je n'ai personne d'autre sur qui compter. Personne en qui je fasse davantage confiance. Je dois confier le coffret à P. Il n'y a pas d'autre moyen. »

L'entrée s'arrête là. Je caresse la moitié de la page restée vierge, comme en attente de plus, tel un voyageur terrassé par la soif... Il n'y a aucune réponse là-dedans. Seulement plus de questions. Malgré moi, je tourne les pages à rebours, parcourant les entrées des jours précédents... Malefoy s'exprime brièvement, dans un style clair et direct. Je suis frappé par cette écriture si familière, élégante et penchée, qui tremble au détour de certaines pages... Le papier est froissé. A certains endroits, on sent qu'il a été mouillé, atteint par l'humidité ou la pluie. Malefoy l'avait sur lui. Il est probable qu'il l'emportait partout...

Agenouillé à même le sol, je ne sais plus quoi faire. Je tiens d'une main le journal, de l'autre la clé. Je sais à présent que cette dernière ouvre sans doute le coffret que Malefoy tenait tant à me confier... Mais qu'y avait-il dans ce coffret ?

Plus que jamais, je me découvre atteint d'une soif dévorante de savoir. J'ai besoin de comprendre ce qu'il vient de se passer cette nuit. J'ai besoin de comprendre pourquoi Malefoy git étendu mort tué de ma main dans la neige. J'ai besoin de comprendre quand tout ceci a basculé, pour lui comme pour moi... Quand les évènements sont-ils devenus inéluctables ? Quand l'issue que j'ai sous les yeux aujourd'hui est-elle devenue la seule issue possible ?

Mais surtout, j'ai besoin de savoir si Malefoy était bien le monstre que les Aurors décrivent. J'ai besoin de comprendre les choix qu'il a fait, et pourquoi il les a faits. Autrement, je crois bien que je pourrais y perdre l'esprit... Parce que cette nuit est trop absurde. Parce que cette mort n'a aucun sens. J'ai tué un homme que j'ai connu autrefois, qui a été enfant avec moi, qui a connu la guerre avec moi, un homme qui m'a sauvé comme je l'ai sauvé...

Malefoy...

Qui étais-tu ?

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