Agnosco Veteris Vestigia Flammae


Renversé sur ma chaise, je m'accorde quelques secondes pour fermer les yeux, quelques secondes pour digérer l'horreur de tout ce que je viens de lire. Cela dépasse tout ce que j'imaginais. Je pensais avoir atteint le summum en découvrant les maltraitances dont était victime Malefoy étant enfant, mais tout ceci est pire. Malefoy a été violé. A plusieurs reprises, et par sa propre tante, avec le consentement de ses parents. Il a été torturé. Et cette initiation horrible, avec Astoria Greengrass... C'était aussi du viol. Pour lui comme pour elle. En public, en plus. Quels dégâts cela a-t-il pu faire sur la psyché de deux adolescents aussi jeunes ? Soumis à de telles pressions, à un si jeune âge...

Le seul soulagement à retirer de tout ceci, c'est que Drago semble avoir eu la présence d'esprit d'accepter, avec le temps, que lui aussi était une victime. Je n'ose pas imaginer le réseau dantesque d'émotions tentaculaires qu'il a dû ressentir... La culpabilité, la honte, le dégoût de soi et des autres, la colère, la haine, l'auto-apitoiement... J'ignore comment on peut se relever d'autant d'épreuves. Une seule suffirait déjà à détruire un homme, alors autant d'horreurs, alors qu'on n'est encore qu'un enfant...

Je ne peux retenir les deux larmes qui me brûlent les yeux. Elles tombent sur le papier du dernier journal, se mélangent aux mots que Drago a tracés, sans les brouiller. Son encre et mes larmes, réunies, en une étrange alchimie...

C'est à mon tour de m'en vouloir. Je m'en veux de n'avoir rien vu. En cinquième année, je me rappelle que Drago me paraissait déchaîné, presque comme une caricature de lui-même : plus arrogant, mesquin, et en un sens plus ridicule que jamais, à mes yeux. Ce n'était pas non plus une bonne année pour moi. Avec le retour de Voldemort, avec la Coupe de Feu et ce qui était arrivé à Cédric, et toutes ces rumeurs derrière mon dos... Je n'ai pas été capable de voir plus loin. Mes propres problèmes m'accaparaient. Mes rêves, mes visions, ma connexion avec Voldemort, et cet horrible pressentiment du désastre qui se rapprochait... J'ai bien failli me couper de tous ceux qui m'étaient proches, cette année-là. Je nageais dans une brume perpétuelle, un écran fait de colère et de rage aveugle. Par conséquent, il ne m'a pas été bien difficile de jeter un jugement rapide sur Drago... Je l'ai trouvé plus petit que jamais, plus oubliable que jamais. A quel point j'avais tort... J'aurais dû me rendre compte qu'il se droguait. J'aurais dû me rendre compte que son comportement n'avait rien de sain ni de normal, pas même pour lui. J'aurais dû...

Je rouvre les yeux, assailli par mes actes manqués et toutes ces possibilités à jamais avortées. Je songe à ce que j'aurais fait à la place de Malefoy... Je ne sais pas si j'aurais survécu. Le monde aime célébrer les souffrances que j'ai dû endurer tout au long de mon adolescence. Je me rends compte aujourd'hui que ce n'était rien. Que d'autres, à l'époque, souffraient dix fois plus que moi. Même de l'autre côté de la barrière. Mais c'est moi que l'on encense, et c'est Malefoy que l'on démolit, une fois de plus, même par-delà la mort...

Je serre les poings. Mais soudain, quelqu'un frappe à ma porte :

- Harry ? fait la voix d'Hermione, hésitante.

Je me traine pour lui ouvrir. Même cela semble au-dessus de mes forces. Je n'ai envie de voir personne, et je lui en veux de me prendre de court : je n'ai pas encore décidé si je pouvais lui parler des journaux ou non...

Pourtant son visage m'interpelle dès que je lui ouvre le battant. Elle a pleuré, c'est évident. Elle se retient très fort pour ne pas pleurer à nouveau. Pendant deux secondes, nous restons stupidement ainsi, sans rien dire, trop choqués l'un par l'autre, et puis soudain, la vérité éclate :

- Ron m'a dit, déclare-t-elle en laissant échapper deux larmes sur ses joues.

Je répugne à la laisser raviver mon chagrin qui cherche lui aussi à sortir, par tous les pores de ma peau... Aussi je réponds :

- Il t'a dit quoi ?

- Pour Malefoy...

Elle secoue la tête :

- Harry, je suis tellement désolée...

J'ai presque envie de reculer pour fuir sa compassion. J'adore Hermione. Elle est et restera toujours ma meilleure amie. Mais sur le moment, elle n'est qu'un rappel puissant de ma douleur et de ma culpabilité, et je retourne à l'intérieur pour pouvoir lui tourner le dos, ne serait-ce qu'une poignée de secondes :

- Entre, je lance laconiquement.

Je me rends dans la cuisine le temps de nous servir à tous les deux un verre d'eau. Mes mains tremblent au-dessus de l'évier... Finalement, au bout du compte, je n'en peux plus :

- J'ai cru qu'il allait m'attaquer..., je murmure tout bas, sans me retourner, si bas que je crains qu'elle ne m'entende pas.

- Je sais, répond Hermione.

Je sens sa main se refermer timidement sur mon épaule :

- Je sais...

Mes larmes reviennent, incontrôlables :

- Si seulement j'avais attendu une seconde de plus... Si seulement j'avais réfléchi avant d'agir...

Elle secoue la tête :

- Tu ne pouvais pas savoir, dit-elle. Tu as réagi à l'instinct, comme n'importe qui l'aurait fait.

- Ce n'est pas une excuse...

Je me retourne enfin. Hermione me regarde, les yeux baignés de larmes à nouveau. Sa réaction intense, même si je ne la comprends pas, me frappe de plein fouet et déchire l'abcès de culpabilité en moi :

- Il m'a sauvé la vie, Hermione ! je m'exclame sans parvenir à contenir mes sanglots. Il m'a sauvé la vie, et moi je l'ai tué ! Il est mort ! Ce n'est pas une conséquence que l'on peut excuser...

Je renverse mon verre sur le plan de travail, totalement bouleversé :

- Et maintenant, tous ces salopards de la Gazette et du Ministère lui mettent tous les crimes possibles sur le dos et le massacrent sans même un procès... Sans qu'il puisse se défendre...

Hermione retire doucement sa main :

- Ron a dit qu'il était bien la Ronce, murmure-t-elle très doucement, comme si elle pressentait le danger de ses paroles.

Je hausse les épaules. Le regard dans le vide, je réalise que cette révélation ne me fait plus ni chaud ni froid :

- La Ronce tuait des Mangemorts, je réponds, atone.

- Pas seulement. Tu le sais.

Je secoue la tête :

- On n'a aucune preuve. Les épouses, oui. Mais nous n'avons jamais retrouvé les enfants.

- Quand bien même. Il était quand même coupable, et tu le sais. Même si ce face-à-face s'était déroulé différemment, tu aurais dû l'arrêter, et il aurait probablement été condamné.

- Mais il serait encore en vie...

- Pour un ancien Mangemort ? Je crois que le Baiser de Détraqueur aurait fait son retour, exceptionnellement...

Je refuse de la regarder. Hermione travaille au Ministère, elle sait ce qu'elle dit. Pourtant, je me risque à avouer devant elle ce que je n'ose pas m'avouer à moi-même :

- J'aurais peut-être pu le laisser partir...

Elle ne dit rien. Je l'observe à nouveau en silence, troublé par son visage en pleurs, ses yeux remplis de compassion, et cette façon très particulière qu'elle a de me regarder, comme si elle était sincèrement désolée, comme si nous avions perdu plus qu'un vieil ennemi, mais bien un être cher, au-delà de ma compréhension...

- Pourquoi est-ce que ça t'affecte autant ? je demande, plus que jamais mal à l'aise devant cet air navré qu'elle me tend.

Elle avale sa salive :

- Parce que..., hésite-t-elle, ...nous le connaissions depuis longtemps. Nous avions un passé, tous ensemble.

- Oui, mais nous n'étions pas proches. Vous vous haïssiez.

Elle hausse les épaules :

- Les gens changent. J'ai grandi. Je suppose que Malefoy aussi.

L'espace d'une seconde, je songe à lui parler des carnets. Je veux lui hurler la vérité, je veux lui dire que c'est nous qui avions tort, et que depuis le début, Malefoy était bien plus âgé que nous, dans son cœur et dans son âme... Mais je ne peux pas. La pensée de Ron s'impose spontanément à mon esprit. Ron a toujours haï la Ronce – et Malefoy, par extension – au-delà de toute imagination. Déjà le jour de notre face-à-face, il avait tenté de me dissuader d'y aller, hurlant à mes oreilles que c'était un piège... Quelque part, sa paranoïa a dû prendre le contrôle de mes gestes, ce soir-là... Je ne peux pas confier l'histoire des journaux à Ron. C'est lui qui a hérité de l'enquête, Dieu seul sait ce qu'il en ferait... Et si je parle à Hermione, par devoir, elle s'en ouvrira à Ron... Je le sais, c'est une certitude. Ron est Auror, tout comme moi. Et Hermione est droite comme la justice. Elle devra le lui dire. Alors, je garde le silence, la laissant regarder autour d'elle dans mon appartement vide :

- Où est Gabrielle ? finit-elle par demander.

- En France, je soupire. Avec ses parents, et Bill et Fleur. Elle rentre la semaine prochaine.

Hermione m'adresse à nouveau un regard désolé :

- Est-ce que ça ira pour toi tout seul, d'ici là ?

Je détourne les yeux :

- Je ne sais pas..., je réponds. Je suppose qu'il faudra bien.

Je sors avec Gabrielle Delacour, la jeune sœur de Fleur, depuis six mois maintenant. Même si je l'ai connue étant enfant, notre différence d'âge ne se ressent plus tant que ça à présent. Du moins de l'extérieur...

J'expire tandis que je tente de toutes mes forces de l'expulser de mon esprit. Gabrielle est à des milliers de kilomètres de ce à quoi je désire penser en ce moment...

Comme sa sœur, elle est belle à en mourir. Toutes les têtes se retournent lorsqu'elle traverse la rue : elle le sait et n'en retire rien d'autre qu'une joie innocente, sans orgueil. Ces seuls mots suffiraient à la définir : joyeuse. Innocente. Sans orgueil. C'est peut-être pour cela que je l'ai choisie...

Je suis partisan de la théorie qui veut que l'on ait plusieurs amours, dans notre vie. Certains plus intenses que d'autres, certains plus vrais, d'autres plus durables... En ce qui me concerne, à trente ans révolus, je suis convaincu d'avoir vécu au moins trois amours profonds, sincères, qui m'ont brûlé et façonné pour faire de moi celui que je suis aujourd'hui. Gabrielle n'en fait pas partie.

D'abord, il y a eu Ginny, le premier véritable amour de ma vie. Puis George, qui m'a aidé à me reconstruire. Et enfin Noah, le pire de tous, celui qui a traversé mon cœur comme un météore et n'en a laissé que des cendres. A côté de cela, la douce et jolie Gabrielle ne fait pas le poids...

Je l'aime beaucoup. Je l'ai vu grandir au fil des années, au gré des réunions de famille. Je l'ai vue devenir une jeune femme gracieuse et épanouie, coqueluche de la mode et des podiums sorciers. Lorsque je l'ai vue timidement me tourner au tour, je lui ai répondu. Sans trop de sérieux tout d'abord, mais avec cette excuse magique : « Pourquoi pas ? ».

Avec le temps, j'ai largement eu le temps d'être blessé et blasé en amour. J'ai aimé une fois de toute la force de mes os, et je ne m'attends plus à aimer aussi profondément un jour, je ne pense pas même me le permettre. Mais je ne m'interdis pas d'aimer simplement. Même si ce n'est pas aussi fort. Même si ce n'est pas mon âme sœur.

Alors, Gabrielle et moi, nous nous sommes rapprochés et dans un premier temps, j'ai apprécié le courant d'air frais qu'elle semblait m'apporter. Gabrielle est plus jeune que moi : vingt-quatre ans. Autrement dit, elle possède encore cette vivacité propre aux oisillons qui viennent de prendre leur envol : cette spontanéité, cette foi en l'avenir, cette assurance qui croit pouvoir jeter à bas des montagnes et conquérir le monde...

A côté d'elle, je suis vieux. J'ai aimé retrouver en elle tout ce que je n'étais plus. J'ai envié sa confiance, son idéalisme, son bonheur pur et simple de tous les instants, juste du fait d'être en vie...

Je pensais qu'en sortant avec elle, elle pourrait ranimer un peu de tout cela en moi. Qu'elle contrebalancerait ma tendance au pessimisme et au cynisme, toutes ces pensées résignées et systématiquement sombres, qui me tirent vers le bas...

Ça n'a pas été le cas. Très vite, sa jeunesse et sa jovialité sont devenues pour moi des défauts. Je me suis rendu compte que ce que je percevais derrière sa bonne humeur constante, c'était un manque de profondeur affreux. Et quoi de plus logique ? Gabrielle a eu une enfance heureuse. Elle n'a pas connu la guerre, elle n'a encore jamais été écorchée par la pointe de la vie... Je ne peux pas lui en vouloir de n'être que le produit de ce qu'elle a vécu : une enfance non ternie par les horreurs du monde...

Mais avec elle, je me sens seul. Je ne peux pas lui parler de ce que nous n'avons jamais partagé. Je ne peux pas lui faire comprendre la tristesse et l'obscurité ancrées en moi, et qui ne partiront jamais. Je ne peux pas lui dire pourquoi je souris aussi peu, pourquoi il est si difficile de voir la lumière pour moi, et pourquoi je me réveille parfois en pleine nuit, à cause des cauchemars... Avec Ginny, je peux en parler. Avec George, je le pouvais aussi. Avec Noah... Noah était probablement l'être le plus détruit que j'aie jamais rencontré.

Alors à côté d'eux, ce frêle et joli papillon que j'ai apprivoisé m'apparait soudain bien transparent... Et je suis heureux qu'elle ne soit pas là tandis que je découvre les affres du passé de Malefoy. Je n'aurais ni l'envie ni la patience de lui décrire tous les bouleversements que sa mort suscite en moi, ni les journaux, ni ma culpabilité... Je sais que j'aurais beau essayer, elle ne comprendrait pas. Elle tenterait dans un premier temps de me consoler, de me faire positiver. Je lui en voudrais, et elle finirait par se lasser de ma mentalité vieille et triste, qui l'empêche de s'envoler...

Je ne crois plus que ça durera très longtemps, elle et moi. Mais ma vie sentimentale est le cadet de mes soucis pour l'instant.

- Ron m'a aussi dit autre chose, reprend soudain Hermione, me tirant de ma rêverie. Si tu le souhaites, il consent à ce que tu ailles voir le corps de Malefoy à la morgue. Mais il faut que tu fasses vite, parce qu'ils comptent l'emmener dès la fin de la semaine.

- L'emmener ? je répète, méfiant. Où ça ?

Hermione se mord les lèvres :

- Personne n'a réclamé le corps, dit-elle. Et pour autant qu'on le sache, Malefoy n'a plus de famille connue, alors... il aura un enterrement public.

- Qu'est-ce que ça veut dire ?

Hermione prend son temps pour répondre, comme si elle savait déjà que ses mots ne me plairont pas :

- Le Ministère ne peut pas se permettre de payer pour l'enterrement de Drago Malefoy, dit-elle finalement. Et ils ne veulent pas d'un enterrement qui tournerait au pugilat. Donc... ils vont le mettre dans une fosse commune.

Mon sang ne fait qu'un tour :

- Une fosse commune ? je répète, spontanément hors de moi.

- Oui...

Frénétique, je me passe la main sur le visage pour contenir toute ma rage :

- Jusqu'où est-ce qu'ils vont aller ?! je m'exclame. Jusqu'à quel point est-ce qu'ils vont être capables de déshonorer son corps et sa mémoire ?!

- Je ne sais pas...

- C'est inadmissible ! Je ne laisserai pas faire ça, c'est impossible.

Inspirant à fond, je prends ma décision à l'instant même où je la formule :

- Je vais m'en occuper, je déclare.

- Quoi ?

- Je vais m'en occuper. Dis à Drake de préparer le corps, je paierai pour tout.

- Mais Harry...

Hermione me dévisage, désemparée. Je sais à son visage qu'elle est déchirée entre deux opinions : elle pense que j'ai raison, mais elle sait aussi que le Ministère n'acceptera jamais qu'Harry Potter paye pour les funérailles de Drago Malefoy.

- Je me fous de ce que dit Shacklebolt, je décrète, plus sûr de moi que je ne l'ai jamais été depuis des années. Il n'a qu'à éviter de faire fuiter l'information. Ce sera un enterrement confidentiel : pas de journalistes, pas d'imbéciles haineux pour venir cracher sur sa tombe...

- Mais où est-ce que tu comptes l'enterrer ? demande Hermione d'une petite voix.

A nouveau, sa question me plonge dans la confusion. La réponse est évidente, pourtant :

- A Godric's Hollow, je réponds.

- Tu n'es pas sérieux...

- Et pourquoi pas ? Il sera tranquille là-bas. Il sera bien.

Plus j'y songe, plus cela me procure un semblant de chaleur au fond du cœur... Oui. Drago reposera à Godric's Hollow. Auprès de mon père et de ma mère, à un endroit où je pourrai le visiter souvent. Il ne sera pas tout seul. Il ne sera pas entouré par des inconnus ou des gens qui le haïssent. Je peux au moins faire cela pour lui...

Plus sérieux que jamais, je me précipite dans mon bureau pour rédiger rapidement une missive, que je fais envoyer au légiste :

- Si Drake fait des histoires, insiste en mon nom, j'ordonne à Hermione tout en commençant à rédiger une autre lettre. Dis-lui que je paierai tout ce qu'il faudra.

Hermione me regarde à nouveau de cet air désolé qui me donne envie de lui fendre le crâne en deux pour lire ses pensées... Mais elle ne proteste plus :

- A qui tu écris ? demande-t-elle simplement.

- A McGonagall, je réponds, évasif. J'ai besoin de remettre de l'ordre dans mes pensées, je crois... Poudlard me fera du bien.

Hermione esquisse un semblant de sourire :

- C'est une bonne idée, oui... Je m'inquièterai moins pour toi en te sachant aussi entouré.

Je fais oui de la tête. Alors, Hermione se penche vers moi et m'embrasse sur la joue. Son baiser, comme ses larmes, me semble empreint d'une signification que je ne comprends pas... Mais elle transplane avant que j'aie le temps de lui demander une réponse.

XXX

McGonagall ne fait pas d'histoires quant à ma requête de venir passer quelques jours à Poudlard. Lorsque je la retrouve dans son bureau de Directrice, je vois bien qu'elle aussi est émue par les derniers évènements, et par tout ce que la presse en raconte... S'il y a une chose que j'ai toujours apprécié et estimé chez Minerva McGonagall, c'est son équité. McGonagall s'est toujours montrée juste et impartiale envers tous – c'était ce qui faisait d'elle une directrice de maison redoutée, d'ailleurs... Mais respectée. Et profondément aimée, quoi que l'on en dise.

Comme moi, elle a connu Malefoy, et tandis que je lui serre la main dans son bureau, je n'ai besoin que d'un seul regard pour sentir à quel point elle aussi est désolée de tout ce qui lui est arrivé, du destin posthume qui lui est réservé, et d'à quel point les gens se trompent sur son compte... Elle aussi a connu l'adolescent blond et terrifié durant sa sixième année. Elle sait que quels que soient ses actes, Malefoy n'était pas seulement un Mangemort et un assassin, mauvais par définition. C'était un être humain complexe, avec ses zones d'ombres et ses nuances, mais un être humain avant tout. Un enfant qu'on a jeté en pâture dans l'arène...

Sans s'attarder trop longtemps sur la nostalgie, McGonagall me libère et m'invite à me promener librement dans les couloirs du château. C'est une sensation étrange. Me voilà revenu presque quinze ans en arrière...

Le château n'a pas changé. Son ambiance magique est toujours là, elle suscite les mêmes émotions qu'à ma première arrivée ici, familières, complices : l'émerveillement, l'euphorie, et cette sensation de chaleur intime que seul procure le lieu que l'on considère comme chez soi...

Ce que la guerre a détruit, la paix l'a reconstruit. Les nouveaux élèves s'arrêtent devant moi dans les couloirs, me saluent ou murmurent entre eux. Tous me reconnaissent. Tous ont dû lire dans la Gazette ce qu'il s'est passé il y a quelques jours...

Je leur souris poliment, mais mon regard les dissuade de s'approcher plus près. Je ne suis pas d'humeur à jouer les héros, aujourd'hui...

Confusément, je repense aux années que j'ai vécues ici. A chaque coin de couloir, je me revois affronter Malefoy : par un regard, une remarque, une bagarre, une simple manière d'être... Notre relation a toujours été un affrontement, sous toutes ces formes. Même en cet instant, je cherche à affronter sa mort pour retrouver ne serait-ce qu'un fragment de lui, à travers ces couloirs...

Le flot des souvenirs me fait mal. Tout est trop familier. Tout est douloureux. Les odeurs, les murs, les sons... Ce sont les mêmes. Mais il leur manque quelque chose à présent. La magie de mon enfance, bien sûr. Mon innocence. Et mon meilleur ennemi, qui, même si je ne le remarquais pas, donnait du relief à mon existence... Combien de fois Malefoy m'a-t-il servi d'exutoire à ma propre colère ? Combien de fois a-t-il été le coupable parfait à blâmer, pour tout ce qui m'arrivait ? Je ne sais pas si j'aurais aussi bien affronté cette guerre sans Malefoy, en vérité... Il m'apportait le contrepoint nécessaire pour survivre... Quelque part, il était autant un repère que ces murs que je retrouve aujourd'hui.

J'inspire en me retenant de fermer les yeux. Quel gâchis...

Je erre sans but pendant encore une heure ou deux, à la fois heureux et triste de me trouver là, ce mélange doux-amer si parfait que seul le passé nous procure... Enfin, lorsque j'en ai assez, je me résous à tourner de nouveau mes pensées vers Malefoy. J'imagine l'adolescent de seize ans qu'il a été. Je le revois durant notre sixième année, belliqueux et terrifié, tremblant dans la salle de bain du deuxième étage... Mes souvenirs fuient l'affrontement qui s'en est suivi. Au lieu de cela, je pense au journal. Le journal de sa sixième année. Où Malefoy a-t-il bien pu le laisser ?

Je pense d'abord à son dortoir à Serpentard, et je descends dans les profondeurs du château, tout en bas, jusqu'aux cachots... Je patiente quelques minutes devant le mur qui en dissimule l'entrée, jusqu'à ce qu'un élève obligeant ne m'apprenne le mot de passe. Alors, je retrouve la salle commune, exactement telle que dans mon souvenir. Cela fait si longtemps que je n'ai pas mis les pieds dans cette pièce... A l'époque, j'avais pris l'apparence de Goyle.

Le canapé est toujours le même. Je revois encore Malefoy enfant s'y asseoir, et se livrer malgré lui sur la Chambre des Secrets... Notre entrevue n'avait pas été très productive, ce jour-là. Mais j'avais pu sentir, à la façon dont il toisait ses deux acolytes, à quel point il les méprisait et se sentait seul... Si seulement j'avais eu l'âge de comprendre, à l'époque... Mais j'étais obnubilé par mon plan, et Malefoy, lui, n'a jamais été du genre à montrer ses faiblesses...

Je salue les quelques élèves de Serpentard qui sont réunis là en pleine journée. Tous me regardent avec des yeux ronds. Même si les mentalités ont changé, il reste surréaliste de voir Harry Potter débarquer au beau milieu de la salle commune des verts et argents...

- On peut vous aider, monsieur Potter ? me demande timidement l'un d'entre eux.

- Non, je réponds avec un sourire. Je suis passé voir une vieille connaissance, c'est tout.

Regardant autour de moi, je cherche en vain le chemin des dortoirs :

- A la réflexion, j'aimerais beaucoup voir vos dortoirs, je reprends l'air de rien.

Je vois à leurs visages qu'ils redoutent une inspection de ma part. Ils se disent : encore un Auror qui nourrit une méfiance sans borne envers la maison de Salazar... Quand ces préjugés cesseront-ils ? Alors, je les rassure :

- Je veux juste voir l'ancien dortoir de Drago Malefoy, j'avoue, certain qu'ils comprendront.

Leurs mines se ternissent à ces mots. Peut-être qu'eux aussi sont enclins à un jugement plus indulgent envers leur ancien camarade... Il est étrange de songer qu'aujourd'hui, et dans ce cas précis, ce sont sans doute les Serpentards qui sont les plus ouverts d'esprit...

- C'est par là, m'indique l'élève poli en m'entraînant vers un escalier dissimulé derrière une tapisserie. Vous êtes en train d'enquêter ?

- On peut dire ça, je réponds, évasif.

Il me conduit jusqu'à un corridor percé de multiples portes, chacune donnant sur une chambre commune. Celle de Malefoy était la première, sur la droite :

- Son lit est celui du centre, m'indique l'élève. On l'a laissé libre depuis la fin de la guerre. Personne ne veut le prendre.

Je hoche la tête. Je vois brusquement sur les épaules du garçon tout le poids que l'héritage des Serpentards fait peser sur lui. Tous ces jeunes gens savent que la plupart de leurs prédécesseurs ont joué un rôle terrible, dans les deux guerres qui se sont succédées... Ils savent que Voldemort et ses disciples ont vécu ici entre leurs murs... Ces fantômes ne doivent pas être faciles à assumer.

En remerciement, je lui adresse donc une poignée de main franche, puis j'entre seul dans le dortoir des Serpentards.

La pièce est circulaire, souterraine. Les murs presque noirs m'évoquent de la pierre volcanique. Je peux percevoir le clapotement discret du lac au-dessus de ma tête, et je songe à cette mélodie que Malefoy a dû entendre, nuit après nuit, berçant ses songes... La trouvait-il apaisante ?

Il y a quatre lits dans la pièce, disposés de manière rayonnante contre les murs arrondis. Celui de Malefoy, comme je pouvais m'y attendre, fait directement face à la porte. En bon héritier princier... Je m'approche, intimidé, avec encore une fois la sensation de profaner un lieu, un souvenir, une tombe, quelque chose que je n'étais pas supposé toucher... Mais c'est plus fort que moi.

Rien ne distingue le lit des trois autres qui l'accompagnent. A part le fait que personne n'y a dormi depuis plus de quatorze ans...

Les rideaux sont tendus, la courtepointe verte et argent rabattue sur un édredon rembourré. Je vois la fine couche de poussière que personne ne s'est soucié – ou n'a osé enlever. Je passe ma main sur le tissu malgré moi, et alors, sans réfléchir, je m'allonge sur le lit.

Je reste là quelques instants, les mains croisées derrière la nuque, à contempler le plafond du baldaquin peuplé d'araignées. Il y a quelque chose d'étrange à me dire que j'ai là la même vue que celle que Malefoy a eue, pendant les six années de son adolescence...

Il s'est allongé sur ce lit, lui aussi. Il y a dormi, rêvé, aimé peut-être. Il y a fait des cauchemars aussi, sans doute. Pleuré. Tremblé...

Je frissonne brusquement. J'aimerais percevoir sa présence, son odeur, quelque chose. Mais il n'y a plus rien. Rien que de la poussière et du vide... Le fantôme que je cherche désespérément à retrouver ne vient pas. Malgré tous mes efforts, Malefoy est allé dans le seul endroit où je ne peux pas le suivre... Je ne parviendrai jamais à établir un lien avec lui...

Mes larmes reviennent – je les sèche brutalement. Il faut que je m'active. Il faut que je fasse quelque chose pour oublier tout ceci... Je suis venu ici avec un but. Fébrilement, je me relève et me met à examiner le lit sous toutes ses coutures. Je démonte d'abord les draps, les oreillers, le matelas, mais cela aurait été trop facile : ces couvertures ont été mises au propre et dressées il y a longtemps, par des gens qui n'étaient pas Malefoy...

Alors, je passe au meuble en lui-même. C'est un très beau lit à baldaquin, en bois d'ébène et à colonnes torsadées. Ces circonvolutions m'évoquent des reptiles, dressés à l'affut pour défendre le Serpentard endormi... Souriant vaguement de ma propre imagination, je m'incline pour examiner le cadre, les montants, et enfin le baldaquin lui-même. Bien évidemment, il n'y a rien. Je soupire en songeant que j'aurais pu déduire cela dès le début. Drago n'aurait jamais dissimulé son journal dans un dortoir qu'il devait partager avec trois autres élèves. Jamais il n'aurait pris le risque de rédiger ses entrées – voire même de laisser savoir qu'il les rédigeait – alors qu'il était entouré de sympathisants de Voldemort qui auraient pu le dénoncer...

Non, Malefoy devait avoir trouvé un autre endroit. Un endroit sûr, secret, où n'importe quoi pourrait rester caché...

Encore une fois, la réponse me semble évidente. Je ne m'attarde pas plus longtemps et je remonte à la surface du château, pour emprunter un chemin qui ne m'est que trop familier...

La Salle sur Demande s'ouvre devant moi, obligeante, au bout de mon troisième passage. Je retrouve la pièce remplie d'objets où Voldemort avait dissimulé le diadème de Rowena Serdaigle... Et alors, une angoisse terrible me saisit. Le feu. Le Feudeymon jeté par Crabbe tandis qu'il me poursuivait, et qui a réduit toute la salle en cendres...

Les objets que je contemple ont été accumulés depuis. Mais ce ne sont plus les objets d'origine... La mort dans l'âme, je réalise que le journal a probablement dû bruler lui aussi, perdu pour toujours... En désespoir de cause, je jette un « Actio journal ! ». Mais seul le silence me répond.

Alors, brusquement vidé de mes forces, frustré de voir tous mes espoirs anéantis, je m'agenouille sur le sol et enfouit ma tête entre mes mains. Je reste là longtemps, insensible au froid et à l'âpreté des dalles sous mes pieds. L'une d'elles bouge, tandis que je tente de me relever...

Incrédule, je crois presque sentir les battements de mon cœur s'arrêter tandis que j'insiste, délogeant la dalle encore plus. Et alors, je songe : « La Salle sur Demande. La salle qui nous procure exactement tout ce dont nous avons besoin... ».

Sans oser y croire, je soulève la dalle et découvre un minuscule carnet rabougri, bruni par la chaleur du feu, mais intact... C'est un véritable miracle. J'en pleurerais presque de joie, si toutes mes larmes n'avaient pas déjà servi ma peine...

Délicatement, tentant de contenir mon impatience pour ne pas endommager le papier, j'ouvre le carnet à la première page. Le soulagement s'échappe littéralement de mon corps. C'est l'écriture de Malefoy, aucun doute. Conservée sur ce parchemin qui craque, séché par le feu... Je jette aussitôt un sort pour le consolider. Et puis, sans plus attendre, j'entame ma lecture.

X

« 10 juillet 1996.

Ça y est, c'est arrivé. V. l'a fait. Je suis officiellement devenu un Mangemort. »

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