Chapitre 3 : Vous, toujours et encore vous.

Une jeune inspectrice courrait à en perdre haleine à travers les rues londoniennes, ses bottines tapant avec force sur les pavés. C'était une belle journée qui s'annonçait, le chant des oiseaux de ce samedi matin accompagnant une jeune femme curieuse des événements de la nuit précédente. Tellement curieuse qu'elle se dirigeait droit vers Les plaisirs de la Lune, dernier endroit où l'homme au cigare avait été vu. 

Un télégramme était arrivé ce matin, envoyé par Lysandre, seule présence féminine du trio dangereux. Apparemment son cher Duc avait commencé l'enquête sans elle. Or, s'il y avait une chose que Thémis ne supportait pas, c'était qu'on la nargue. Elle se retrouvait donc à courir aussi vite que ses petites jambes le lui permettaient, dans l'espoir fou d'arriver au lupanar avant San Silvestre.

Dans un quartier malfamé, une maison s'élevait fièrement au milieu des odeurs de la Tamise. L'inspectrice Barowmerry s'autorisa une minute de repos, son souffle saccadé redevenant peu à peu normal. Sans demander l'autorisation, elle ouvrit la porte d'entrée en bois sombre où une torche éteinte trônait au-dessus. Au milieu d'une entrée décorée de voiles jaunes, deux hommes aux longs manteaux noirs étaient en train de parler à une femme usée par la vie. Autrefois pourvue d'une beauté angélique malheureusement fanée par le temps, elle devait avoir la quarantaine passée. Les bras croisés devant sa poitrine, son menton pointu mis en avant, les rides aux coins des yeux accentués par la suspicion, elle était l'image même de la patronne bornée.

- ....faites donc un effort. Un homme au ventre bedonnant, moustaches et bottes en cuir. Hercule Poirot un cigare aux lèvres. Non, toujours rien?! Mais c'est que vous le faites exprès, ma parole.

- J'vous dis que j'l'ai pas vu. C'est que y'a du monde qui vient chez moi mon chou.

Elle s'approcha de lui, poussant sa parodie de séduction jusqu'à glisser un doigt tout le long du torse de San Silvestre, les yeux aguicheurs.

- Venez donc ce soir goûter mes délicieuses filles.

- ...Avec plaisir.

La propriétaire du lupanar ne pouvait être plus contente. Ça lui ferait une sacrée réputation, des aristocrates chez Les plaisirs de la Lune. Elle salivait d'avance la montée de sterling qui s'en suivrait. Elle sortit de sa rêverie en entendant une porte claquer. Ils étaient partis. Oh mais qu'importe, ils reviendront. Un sourire vainqueur sur les lèvres, elle s'en alla informer ses filles. Mais pourquoi avait-elle cette diffuse impression d'avoir invité un dangereux prédateur dans sa bergerie ?


Quelques rues plus loin, un homme lâcha brusquement le bras d'une jeune femme imprévisible...

- Vous, toujours et encore vous. Ne savez vous donc pas que ce genre d'endroit est indigne d'une femme de votre rang ? Qu'est-ce qui vous a pris ?

- C'est de votre faute Monsieur, alors culpabilisez en silence.

Et sans plus, elle se tourna vers l'homme aux cheveux indigo, posté à quelques pas d'eux.

- Bonjour, Thémis de Barowmerry. Vous devez être le mari de Lysandre.

- Lord Lincoln Royale, lui répondit-il, son sourire amusé faisant ressortir son nez proéminent. Si j'ai bien compris, on devra se côtoyer tout au long de cette enquête.

- En effet, notre coopération a débuté hier selon mes souvenirs.

San Silvestre s'avança agressivement vers elle, vexé de s'être fait ignorer ainsi.

- Je vous signale Mademoiselle qu'on va dans un lupanar. Une maison close. Un bordel avec des catins à l'intérieur. Des belles- de- nuit. Des gourgandin- 

- Je sais, vous n'avez pas besoin de m'exposer votre connaissance de ce milieu Monsieur, le coupa-t-elle. Je me déguiserai en domestique. Il est courant d'en apercevoir dans les Bas Quartiers de Londres, visitant médiums et chamanes pour leur maître, achetant potions et remèdes pour les maux aristocratiques qui doivent à tout prix rester secrets. Personne ne me remarquera.

- Oui vous avez rais-

- Ahah !

- Personne ne remarquera une servante aux mains immaculées et le Primum d'Angleterre dans un lupanar. Ce ne sera pas étrange du tout.

- ... Le sarcasme ne vous sied guère. Ayez confiance en moi. En attendant, nous pourrions rendre une petite visite au légiste de la police.

Pour seule réponse, le Duc lui fit signe de s'avancer vers la calèche qui les attendait patiemment. Sur les parois en bois se trouvaient une armoirie illustrée d'un félin regardant fièrement droit devant lui de ses yeux ambrés, prêt à vous dévorer. Thémis était impatiente de monter dans la calèche. Vraiment.

- Panthera tigris, murmura Desiderio à son oreille, le tigre royal.

Son souffle chaud lui procura d'indécents frissons. Elle ne savait pas ce qui lui arrivait. Ce n'était pourtant pas la première fois qu'un homme lui murmurait à l'oreille. Étrange... Elle n'était sure que d'une chose cependant, montrer sa faiblesse passagère au Duc symboliserait la mise à mort des cendres de confiance et de respect qui s'installaient doucement entre eux. Or, elle voulait éviter toute moquerie professionnelle de sa part. Elle se recomposa donc un visage indifférent avant de lui faire face.

- Vraiment ?

- Vraiment.

Et le trajet se passa dans le plus grand des silences, chacun observant par les minuscules fenêtres de part et d'autre de la calèche le paysage londonien. « Scotland Yard, Monsieur » cria le cocher. Enfin ils arrivèrent devant le commissariat. Poussés par le développement de l'Institution, les agents de police s'étaient transférés sur Victoria Embankment, prenant le nom révélateur « le Nouveau Scotland Yard ». Thémis était fière de cette devanture en brique rouge qui contrastait joliment avec les boutiques environnantes. Elle les conduisit jusqu'à la morgue située au sous-sol du commissariat, tout en saluant ses collègues de travail, en ignorant les soupirs méprisants du Duc et les sourires amusés de son acolyte. Un trajet inespérément fatiguant en somme. Et c'est quand elle s'approcha du lieutenant Kingdom qu'elle sentit enfin sa délivrance arrivée. Elle l'accueillit d'un chaleureux sourire.

- Inspectrice, Messieurs. Je vous présente le médecin légiste de Scotland Yard, Edward Esquisse. Il travaillera avec nous pour cette enquête.

Devant eux se présenta un homme âgé au sourire édenté, les cheveux clairsemés de gris, de grosses lunettes sur le nez. Un léger doute s'instaura en eux sur la fiabilité analytique de ce médecin à moitié aveugle, ne pouvant vraisemblablement marcher que par petits pas trainants. Il souleva le drap blanc jusqu'au torse des victimes, découvrant des visages terrifiés.

- Le meurtre des prostituées est antérieur, il remonterait à deux semaines environ. Par contre l'homme a été tué récemment. Il y a un jour ou deux je dirais.

- Ont-elles été violentées ?

- Eh, bien... c'est difficile à dire vu leur profession et la décomposition avancée. J'ai remarqué de multiples coups de couteaux, une trentaine environ, avec des morsures sur les seins et diverses parties du corps. Pour répondre à votre question Inspectrice, je ne sais pas si elles ont été sexuellement abusées, mais leurs corps est en miette. Elles ont été passées à tabac, ce qui expliquerait le manque de preuves à analyser. 

- Un tueur extrêmement violent. Qu'en est-il de l'homme ?

- Un coup net à la jugulaire. Il s'est vidé de son sang, une mort lente et douloureuse si je puis me permettre. Une torture qui débuta quand le tueur lui coupa le phallus, ou peut être quand il cousit d'abord ses paupières et ses lèvres. Pauvre homme...

- Votre rapport confirme nos doutes, il cherche à se venger. Il faut qu'on le retrouve au plus vite avant qu'il ne commette d'autres meurtres.

-  Soyez prudent car Celui-Qui-Se-Joue-Des-Londoniens est plus dangereux que vous ne le croyez.

Mais la prière du légiste ne s'entendit pas. Le quatuor déjà loin, leurs esprits assagis de questions. 

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Prochain chapitre : rendez-vous au lupanar.

Le Duc Desiderio et Thémis arriveront-ils à s'infiltrer en toute discrétion ? Auront-ils les réponses qui feront avancer l'enquête ? 


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