Chapitre 17-1 : Thé et milord.
Le thé.
Péché mignon des anglais.
- Qu'en penses-tu ma chérie ?
Son ennemi juré.
- Vous avez raison milord. Le temps se prête à des jeux de cartes devant la cheminée. Les nuages au-dessus de nos têtes ne présagent rien de bon mais enfin, le climat anglais est si volatile...
- ...qu'on ne sait jamais à quoi s'attendre, finit Lord Hawington.
Face au sourire attendri du lord, Thémis rougit d'un air gêné, priant pour que son invité ne prenne pas ça comme une marque d'intérêt.
- Vous êtes si prévenant ! minauda Lady Amelia Windellford.
Ne s'attendant pas à cette attitude de la part sa plus vieille amie, Lady Julia la contempla interdite. Forcée de faire un mariage rapide avec le vicomte Windellford il y a quelques années de cela, Amelia avait été la cible des mauvaises langues. Toutefois, confidentes l'une de l'autre, la comtesse Barowmerry savait qu'Amélia avait mené une belle vie avec son défunt époux. Sa mort fut une tragédie qui lui enleva le goût de vivre pendant de longs mois. Néanmoins, elle reprenait pied avec la réalité de la plus imprévue des manières. Une cruelle vérité qui la poussait à se mettre en quête d'un homme pouvant l'entretenir, elle et ses enfants...Mais Hawington paraissait incapable de lâcher Thémis du regard, conquis par sa beauté exotique.
Toutefois, les pensées de la demoiselle se trouvaient bien loin de là. Elle avait décidé de bannir définitivement le thé de sa vie. A compter d'aujourd'hui, la broderie remplacerait cette abominable coutume. Aurevoir tea time ! Adieu les punitions pour avoir abandonné le bal sans prévenir ! Goodbye visiteurs non grata ! Elle espérait simplement que Lady Julia n'inventerait pas l'heure du café...
Depuis quelques jours, l'ennui la tuait à petit feu. Thémis semblait attendre. Sa mère la voyait souvent se ronger les ongles ou regarder l'horloge en laissant échapper de temps à autre un soupir de frustration. La fibre maternelle lui disait que derrière l'état inhabituel de sa fille se cachait un certain métamorphe de sa connaissance. Bien qu'être en leur présence soit éreintant, tenter de s'interposer dans leur discussion se révélait être suicidaire. Lady Julia avait eu l'occasion de voir la joie qu'éprouvait sa fille lors de ses échanges. Peu de personnes ne la considéraient pas comme un bas-bleu, une créature étrange et hautaine nécessitant prouver sa supériorité par l'étalage de son intelligence. Les mauvais garçons l'adoptèrent pour sa repartie, mais aucuns n'avaient ce regard-là.
Trois coups de heurtoir sur le battant de la porte d'entrée. Les cliquetis du majordome, un murmure puis des pas étouffés par le tapis du salon.
- Mesdames, Hawington, me permettez-vous de me joindre à vous ?
Thémis se glaça à cette voix. Elle ne l'avait plus entendue depuis une éternité, et c'était seulement maintenant qu'elle se rendit compte combien Son Altesse féline lui avait manqué. Doucement, elle se tourna vers l'entrée du salon. Il se tenait là, devant elle. Sa bouche s'assécha soudain, et son esprit cessa de fonctionner. Thémis avait oublié combien il était séduisant. Il irradiait d'une beauté chaude et tentatrice. Ses yeux mordorés semblaient l'engloutir sous une tendresse qu'elle n'avait jamais vue auparavant. La jeune femme sentit la joie pétiller en elle telles des bulles de champagne. C'était à cause de lui, ce vide qu'elle ressentait depuis des jours. Son absence avait créé un manque auquel elle ne s'attendait pas. Comment avait-elle bien pu s'attacher si rapidement à cet homme diabolique et impertinent ? A ses mains qui l'entouraient avec fermeté et une douceur inespérée ? Son aura protectrice et cet éclat espiègle dans ses pupilles ?
Lui et personne d'autre.
Son pouls s'accéléra à sa vue et Thémis sut, au sourire de Desiderio, qu'il avait perçu.
- Mon cher ami ! s'exclama Lady Julia, ne dites pas de pareilles sottises et asseyez-vous donc. Vous êtes toujours le bienvenu ici.
Sans rompre l'échange visuel, le duc s'assit à côté d'Hawington. Il prit de grandes inspirations, emplissant ses poumons de son odeur à elle. Dieu, comme ce petit bout de femme sentait bon ! Un parfum féminin et floral qui changeait de tous ces effluves chimiques. Ces yeux aussi lui avaient drôlement manqué. Aussi noirs qu'était le péché d'amour. Un amour qui débordait de son âme.
- J'espère que tout s'est bien passé dans la forêt d'Epping, Primum.
- Oui merci, répondit ce dernier.
Son attention se porta brièvement sur Lady Windellford avant de revenir à son point d'origine.
- Je suis venu dès que j'ai su pour le nouveau meurtre. Je n'arrive pas à croire qu'il ait tué un enfant...c'est...inhumain !
Thémis eut l'impression de recevoir un seau d'eau glacé sur la tête. Qu'elle avait été sotte de croire qu'il était revenu pour elle ! Idiote et naïve. Après tout, elle n'avait rien à lui offrir. Cependant, après tout ce temps, elle pouvait encore retranscrire dans le moindre détail leur unique baiser. Et Thémis voyait dans son regard tigré qu'il n'avait pas oublié non plus malgré le qualificatif employé. Erreur. Elle avait été tellement blessée par ce...ce goujat et sa fuite. Mais quand il la dévorait ainsi du regard, comme s'il voulait goûter ses lèvres encore une fois et soulever sa robe, elle oubliait tout.
La jeune femme rosit à cette idée. Quelle sensation devait-on éprouver dans les bras du Primum ? A quoi ressemblerait-il dans sa glorieuse nudité ? Un gloussement involontaire lui échappa. Elle ne le saura jamais, à moins de céder à la tentation ou de se marier avec lui. Une illusion romantique qu'elle devait étouffer dans l'œuf au plus vite ! Elle ne devait rien espérer de lui ! Mais il était trop tard, son cœur en avait décidé autrement. Elle ne pouvait pas effacer du jour au lendemain l'attachement qu'elle ressentait pour cet homme aux blessures cachées derrière un verni de bonnes manières.
- Bien que la victime soit un enfant, le mode opératoire est le même. Le Couturier a vraisemblablement peu de scrupules à s'en prendre aux innocents et à s'exposer en plein jour.
- Il le faisait déjà auparavant non ? interrompit Hawington.
- C'est différemment. Les meurtres se faisaient dans des endroits peu fréquentés ou connus des habitués et des londoniens des bas-quartiers.
- Et le comte d'Englinton ? C'était le premier meurtre si je ne me trompe pas, il a pourtant eu lieu à côté de la Chambre des Lords. En plein jour.
- Mais le corps était caché par les flammes et carbonisé. Son œuvre n'a pu être admiré que par le légiste.
- Un bien curieux bonhomme, murmura Lady Julia pour elle-même.
- Lady Windellford a raison. Pourquoi est-ce que le meurtrier déciderait de sortir de l'ombre ?
- Parce que la prochaine pleine lune arrive à grand pas, et qu'elle sera la conclusion d'un rituel dont on ne comprend pas encore la teneur, répondit le duc.
Les visages devinrent graves et l'étincelle de l'horreur s'inscrivit dans leurs yeux. Lady Julia n'aurait jamais pensé que cet après-midi si agréable finirait ainsi. Revenir à des sujets de conversation superficielle lui paraissait maintenant déplacé.
- Voulez-vous du thé et des petits gâteaux ? lança l'amphitryonne, sa clochette à la main.
Hawington sursauta.
- Non merci, mais je dois m'en aller. Je n'ai que trop abusé de votre hospitalité.
Il fit un baisemain aux dames, s'attardant plus que la bienséance ne le permettait sur la main pâle et fine de Thémis. Elle sentit son cœur tambouriné dans sa cage thoracique. Non parce qu'Hawington était ce qui s'approchait le plus à un mari idéal, mais parce que Thémis sentait Desiderio les fusiller alternativement du regard.
Sa déesse féminine dansait la polka devant la jalousie dont il faisait preuve.
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> Le saviez-vous ?
Au 19e siècle, un "bas-bleu" est une femme de lettres. Cette expression est normalement un hommage aux hôtesses cultivées du 17e siècle qui présidaient des salons littéraires ouverts aux gens d'esprit et non aux élégants. Mais ce terme prit rapidement une connotation péjorative comme celui de "femmes savantes" de Molière.
Au weekend prochain ♥
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