Chapitre 15-1 : " V " comme vampire.

Le Mikado n'était pas dans son état normal. Ça remuait en lui, ça se contorsionnait dans tous les sens, ça lui donnait d'étranges envies. Celle de poser une main réconfortante sur l'épaule de l'inspectrice afin de lui montrer son soutient, par exemple. Ou encore d'aller boire un verre dans la taverne au coin de la rue avec Desiderio. 

Ridicule. 

Il avait l'impression qu'on le brûlait de l'intérieur. Il voulait parler et combler le vide installé depuis leur départ de chez Luaya. Ils voyaient à leur mine défaite la déception provoquée par la vieille sorcière. Une course contre la montre avait débuté. L'épée de Damoclès oscillait lascivement au-dessus de leurs têtes, attentive à l'échéance finale pour s'abattre sur eux. Il était l'heure de franchir une nouvelle étape. Ils ne pouvaient plus rester sagement assis à réfléchir sur le coupable. La reine Victoria voulait des résultats. Ils devaient passer à l'action et appréhender les suspects, quitte à condamner au gibet un innocent. Le Mikado coula un regard vers Thémis. Saura-t-elle envoyer un bouc émissaire à la potence pour sauver sa vie ? La peur la guidera-t-elle vers le chemin des couards ou prendra-t-elle ses responsabilités, au risque de tout perdre ?

Il aurait aimé chasser le brouillard dans lequel le duo naviguait. Il s'inquiétait pour eux et ce futur incertain qui se profilait devant son compagnon de chasse. 

Absurde. 

Il paraissait être le seul à percevoir le verre remuer en lui, le seul à se sentir différent depuis cette entrevue infructueuse. Il n'y avait plus ironique situation que la sienne. Devenir humain alors qu'il était empereur et vampire. Non mais franchement, si c'était une blague, elle était de mauvais goût ! Qu'est-ce qu'il avait fait pour mériter pareil châtiment ? Puis brusquement, la solution à son problème lui apparut. Il devait se nourrir. Immédiatement, sans plus attendre. Qu'importe comment Thémis et Desiderio réagiront. Les priorités avant tout.

Le duc fronça les sourcils. Les pas derrière lui s'étaient arrêtés. Le vampire se tenait immobile au milieu de la chaussée. Son regard était sauvage, dangereux. Soudain, il se mit en mouvement. Thémis regarda Desiderio, hébétée par ce soudain changement de comportement. Il n'allait tout de même pas... ? 

Au bout de la rue, une prostituée riait sottement aux propos graveleux du marin. Ils venaient des docks où le ballet de marchandises s'était tu pour la nuit. Leur odeur nauséabonde l'aurait révulsé en temps normal.

- San Silvestre ! Arrêtez-le avant qu'il ne les vide de leur sang !

Ses repas n'étaient jamais triés au volet. Toutefois, le vampire se trouvait dans un cas d'extrême urgence. Alors il attaqua. Doté d'une vitesse surnaturelle, le Mikado fut sur ses proies avant qu'elles ne s'en rendent compte. Ses iris se teintèrent d'un vert émeraude. Ce fut le seul avertissement auquel ils eurent droit. Il jeta la catin contre le mur d'une maison. Elle s'évanouit sous le coup. Le matelot sortit de sa poche un couteau rouillée par le sel marin. Il fit quelques drôles de mouvements afin de le tenir éloigner. L'humain savait se battre, les docks et une vie en pleine mer avait forgé son caractère. L'innocence était arrachée telle un sparadrap, ne laissant plus que brutalité et injustice. Les estafilades, la dent fissurée et les tatouages en témoignaient. De rage, le marin cracha au sol.

- Ve'mine, suppôt de Satan. Tu ne m'app'oche'as pas. Ça non ! Némo se'a pas ton casse-c'oûte ce soi'.

Il cracha à nouveau, comme pour se porter chance. Ces marins, de grands superstitieux !

- Allons mon ami, dépose l'arme au sol et faisons cela correctement.

- Va te fai'e fout'e !

- Soit.

Avant qu'il ne puisse cligner des yeux, le vampire le maintenait par derrière, l'obligeant à lâcher son poignard qui ricocha sur les pavées. Un bras fut passé autour du cou, l'autre emprisonnait ses bras contre son torse buriné. Le marin se débattit, essayant d'échapper à cette étreinte mortelle. Mais la lutte était perdue d'avance. Le surnaturel possédait une force qui le dépassait. Il rougit sous la pression exercée par le garrot de chair.

- Mac-c-chabée d'eau de v-vaisselle ! Etouffe-toi avec-c mon s-sang !

Ça le fit rire, jusqu'à ce qu'une pointe de réticence se mêle à sa faim. Un cri lui fit relever la tête. Thémis et Desiderio arrivaient en courant. Les yeux exorbités de l'inspectrice le suppliaient de ne pas continuer.

- Mikado arrêtez !

Il ne répondit pas, il avait autre chose à faire que de laisser croire à une jeune femme qu'il possédait une once de bonté. Il pencha le cou du matelot avec violence, faisant craquer les cervicales. Puis ses canines acérées pénétrèrent la carotide. Une expression de terreur et d'intense douleur traversa le visage du mortel. Quelques gouttes de sang coulèrent le long du cou pour se perdre dans l'encolure de sa chemise éliminée. L'hémoglobine coula le long de la gorge du vampire. Son goût exotique lui arracha un gémissement de plaisir. Décidément, voire le monde bonifiait la nourriture. Il resserra son étreinte et enfonça ses dents plus profondément, à un endroit puis à un autre. Enfin repue, le Mikado recula et lâcha le cou du marin qui s'écroula au sol. Sans vie.

Devant lui, une inspectrice irradiait littéralement de colère. Seule la main qui empoignait son coude l'empêcha de le lui en foutre une. Il n'avait rien fait de mal. Il le savait. Tuer et se nourrir d'êtres humains faisait partie de sa nature. Pourtant le phénomène recommençait. Il les sentait. Ces traces d'émotions qu'il ne comprenait pas, qu'il n'avait plus ressenti depuis longtemps.

- Pourquoi avez-vous fait cela ? Attendre de rentrer chez vous était trop dur ? Votre manoir primitif regorge pourtant d'esclaves de sang.

Il essaya de ne pas y penser mais son esprit le trahit lorsqu'il croisa le regard du métamorphe. Les remords et la tristesse refirent surface. Ces petites ombres que l'inspectrice avait décelée à leur première rencontre.

« Catherine ». Comment avait-il pu l'oublier ? Il avala la salive avec difficulté.

- Ce n'est pas la même chose, parfois je ressens la nécessité de chasser.

- Vous vous moquez de moi ?!

- Je suis un prédateur.

- Merci bien, je ne l'avais pas remarqué, lui balança une Thémis sarcastique.

Le Masque d'Acier lui fit un sourire mielleux.

- Certains humains se retrouvent subjugués par notre apparence d'éphèbe. Ils désirent si ardemment devenir comme nous ou sentir la jouissance d'une morsure, qu'ils en oublient notre nature. Je voulais uniquement vous la rappeler.

L'image d'une certaine baronne lui vint à l'esprit. La jeune femme afficha un air sceptique.

- Voyons inspectrice, pourquoi une telle tête si vous vous obstinez à rester éloignée de tout amusement ?

- Nos centres d'intérêt diffèrent.

- Allons bon, le Tout Londres sait que vous avez en horreur les bals et autres mondanités.

- Une femme ne peut-elle revêtir le statut de vieille fille en paix ?

- Ciel ! Vous n'en n'êtes pas encore une. Et puis même si cela était le cas, vous avez les arguments nécessaires pour convaincre n'importe quel homme de vous épouser. Ou de vous entretenir.

Il appuya ses paroles d'un regard éloquent. Outrée par une telle audace, Thémis mis ses poings sur les hanches. Ça allait barder.

- Ne me tentez pas ! J'ai sur moi le nécessaire pour vous castrer.

L'homme masqué porta la main à son cœur, s'éloignant tout de même d'un pas de cette femme imprévisible. Un rire illumina le visage de Desiderio. Thémis se retourna vivement à ce son. C'était la première fois qu'elle le voyait sourire. Un sourire franc et honnête, non une mimique rieuse à moitié dissimulée. Mon Dieu ! Avait-il idée de son pouvoir de séduction quand il se départait de son air d'ombrageuse suffisance ?

- Pourquoi ne lui dis-tu pas enfin la vérité sur ceux de ton espèce ?

Le Mikado avait aussi son charme, plus atypique et mystérieux, il n'en était pas moins une essence masculine. 

- Quelle vérité ?

Les épaules du Masque tressautèrent d'amusement.

- Votre trousse de secours comporte surement de l'eau bénite agrémentée d'ail et de sel. Voire de l'aubépine et une croix en argent. Je me trompe ?

- Non, répondit-elle méfiance.

Une main froide alla se poser au bas de son dos mais un feulement l'en dissuada. Un frôlement de tissu, et ce fut une force plus chaleureuse qui l'incita à rebrousser chemin.

- Revenons vers la calèche, à l'abri des brigands et des créatures nocturnes. Une conversation intéressante nous attend. Faites-moi une faveur.

- Laquelle ?

- Evitez tout évanouissement, je n'ai pas de sel sur moi.

Si un regard pouvait tuer le vieux vampire, c'était bien celui que lui lança la jeune femme.

Il s'amusait comme un petit fou.  

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