Une toute dernière vérité

Depuis deux ans et demi, elle avait reconstruit quelque chose qui ressemblait à une vie normale et vivait avec David, un homme qu'elle avait rencontré par hasard lors de ses premiers mois d'exil. Il travaillait comme artisan, fabriquant des meubles sur mesure dans son atelier. Avec lui, elle avait trouvé un amour doux, sans attentes ni jugements.

Il ne lui posait pas de questions sur son passé. Il avait compris, dès le début, qu'elle portait en elle des cicatrices profondes. Et elle l'avait aimé pour cela, pour cette capacité à accepter son silence.

Un rire perça soudain le calme du matin. La femme tourna la tête et sourit en voyant Simon, un petit garçon de quatre ans, courir pieds nus dans l'herbe, poursuivi par un chien enjoué. Il était le fils de son mari, né d'une précédente union.

__ Simon, mets tes chaussures, il fait encore frais ! lança-t-elle en riant doucement.

Le petit s'arrêta net, le visage illuminé par un sourire espiègle. Il était devenu une partie essentielle de sa vie, un lien inattendu avec une innocence qu'elle pensait avoir perdue.

Ses  journées s'écoulaient entre son travail à la bibliothèque Équinoxe et les moments passés avec David et Simon. À la bibliothèque, elle avait trouvé un havre où elle pouvait s'immerger dans les livres, échapper au poids de ses souvenirs. Les habitants de la ville la connaissaient sous le nom d'Ophelie Durand, une femme discrète et gentille qui appréciait les choses simples de la vie.

Mais des jours, le passé refaisait surface.

C'était une journée particulièrement calme à la bibliothèque lorsqu'elle l'aperçut. Une jeune adolescente s'était installé dans un coin de la salle, plongé dans son carnet. Elle écrivait avec une concentration silencieuse. Ophelie l'observa discrètement, un frisson parcourant son corps. Il n'y avait pas de raison particulière à cette sensation étrange, mais quelque chose chez cette jeune fille, ce petit carnet, la fit se sentir... bouleversée.

Elle s'approcha d'elle, lentement, comme attirée par une force invisible. Elle leva les yeux au moment où elle passa tout près et leurs regards se croisèrent. Un instant suspendu, comme si le monde autour d'eux avait cessé d'exister. Puis, comme si rien n'était arrivé, elle baissa les yeux et reprit son écriture.

La bibliothécaire s'éloigna, mais son esprit restait figé sur cette scène. Elle ne semblait pas l'avoir reconnu. Pourtant, dans son cœur, un mot résonnait : Anna Marc. Elle avait vu ses initiales, sur le coin de la page qu'elle écrivit. Elle en était certaine.

Un poids écrasant, se déposa sur ses épaules. Elle était sûre qu'elle était sa... Ce carnet, c'était le même qu'elle lui avait donné lors de son septième anniversaire. Le même style d'écriture, la même manière de poser ses mots sur le papier, celle qu'elle avait lue tant de fois, quand elle lui écrivait autrefois.

Les jours suivants, Ophelie n'arrivait plus à penser à autre chose. Elle se retrouvait dans les recoins de la bibliothèque, cherchant des occasions de la croiser, sans oser l'approcher directement. Elle avait trop peur. Trop peur que ce soit effectivement elle et que la vérité éclate. Trop peur que le regard de cette adolescente trahisse son passé, qu'elle vit au fond de ses yeux l'histoire qu'elle avait voulu enterré.

Elle s'efforça de se concentrer sur son travail, mais à chacune de ses visites, son cœur s'emballait.

Un jour, alors qu'elle était encore là, elle la fixa un peu plus longtemps que d'habitude. Cette fois, Anna la remarqua. Elle s'arrêta d'écrire et la regarda avec intérêt.

__ Vous avez l'air de vous y connaître beaucoup en matière de livres, dit-elle doucement, brisant le silence.

Elle haussa les épaules, un sourire timide se dessina sur ses lèvres.

__ Oui, c'est un peu mon métier.

Elle se leva soudainement, et d'un geste embarrassant, elle tendit son carnet vers elle.

__ J'écris aussi... peut-être un jour, j'oserai partager ce que je mets dedans.

Ophelie le regarda. Son cœur se palpita et lui sourit, sans le prendre.

__ Peut-être un jour, oui.

Ensuite, elle tourna ses pas et se dirigea vers le rayon de livres.

La nuit suivante, après avoir couché Simon, Ophelie s'assit dans son salon, le premier journal d'Anna posé sur ses genoux. Elle l'avait emporté avec elle lors de sa fuite, incapable de laisser derrière ce témoignage des pensées.

Elle ouvrit une page au hasard.

__ J'ai rêvé d'ELLE cette nuit. ELLE n'était pas là, près de l'étang. Elle souriait, mais elle ne disait rien. J'ai voulu lui parler, lui demander pourquoi elle est partie. Mais les mots ne sortaient pas. Et quand je me suis réveillée, j'étais seule.

Elle ferma les yeux, tentant de ne pas pleurer. Elle se demandait souvent si elle avait fait le bon choix. Si sa disparition avait provoqué plus de mal qu'elle ne l'imaginait.

David entra dans le salon, un regard doux posé sur elle.

__ Tu penses encore à elle ?

Sa femme hocha la tête sans répondre. Il s'approcha et s'assit à côté d'elle, posant une main réconfortante sur la sienne.

__ Un jour, tu trouveras la force de lui parler, dit-il.

__ Et si elle me déteste ? murmura-t-elle.

David réfléchit un instant.

__ Elle voudrait comprendre.

Ophelie baissa les yeux. Elle espérait qu'il avait raison, mais l'idée de se confronter à Anna, à ce qu'elle avait laissé derrière elle, la terrifiait.

Elle se leva, alla jusqu'au grenier et sortit une des lettres qu'elle avait écrites. Elle lut la première paragraphe, mais cette fois-ci, quelque chose manquait.

Elle redescendit et s'assit à son bureau, une feuille vierge devant elle. Elle commença à écrire une nouvelle lettre, pas pour se cacher, mais pour expliquer. Pour la première fois, elle envisageait réellement de la lui envoyer.

« Anna,
Je ne sais pas si ces mots te parviendront un jour, mais je dois les écrire. Peut-être que tu ne comprendras pas pourquoi je suis partie, mais sache que c'était pour te protéger...Tout ce qu'on t'a dit à mon sujet, tout ce que tu crois savoir, est un mensonge. J'ai fui parce que je n'avais pas le choix. »

Ses mains tremblèrent un peu alors qu'elle poursuivait.

« Un jour, je veux que tu connaisses la vérité, je te donnerai rendez-vous près du lac, tu te souviens quand je t'y amenais ? Mais, pas pour te faire souffrir, plutôt pour que tu comprennes que je t'ai toujours aimée. Mon départ n'a jamais été un abandon. C'était un acte désespéré, mais nécessaire. »

Elle posa son stylo, le regard perdu dans le vide.

Le temps serait peut-être son allié où elle devrait affronter son passé et retrouver Anna pour lui expliquer tout. Mais pas encore. Pour l'instant, elle devait se contenter de survivre. Et de vivre avec l'idée qu'elle n'était plus qu'une fantôme.

Au bas de la lettre, elle signa d'une main frémissante :
La sœur d'Hélène.


Qu'en pensez-vous ? Écrire une suite ou bien laissez votre imagination la finir ? ?

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