Épilogue : Les chemins se séparent
Léo, maintenant étudiant à l'université, marchait dans les allées du campus, un peu perdu dans ses pensées. Il avait toujours ce carnet dans son sac, bien que les poèmes qu'il y lisait ne soient plus aussi fréquents qu'autrefois. Parfois, il s'asseyait sous un arbre, en silence, et se laissait envahir par la brume des souvenirs. Anna. Ces souvenirs, d'abord aussi nets que des dessins au crayon, commençaient à s'estomper, comme une aquarelle sous la pluie. Mais chaque fois qu'il y pensait, son cœur se serrait.
Il avait grandi. Un peu plus barbu, un peu plus sérieux aussi, mais il n'avait jamais oublié le jeune garçon qu'il avait été : celui qui ne pleurait jamais, celui qui cachait son chagrin sous des blagues et des sourires. Aujourd'hui, pourtant, il comprenait bien mieux ce qu'il avait vécu. Sa mère, son père, les blessures, les silences... Anna. Tout cela avait été un moment charnière de sa vie. Un moment qui l'avait forgé, mais aussi un moment qui était aujourd'hui lointain, comme une page qui se tournait.
Un jour, alors qu'il s'installa sur un banc du parc à côté de la bibliothèque, il sortit ce carnet. Les pages avaient jauni, certaines griffonnées, d'autres vides.
Il lut un de ses poèmes, une ode au temps et à l'attente. Sa gorge se serra. Combien de fois avait-il lu ces lignes, cherchant à comprendre ce qu'elle ressentait vraiment ?
Puis, presque par réflexe, il sortit un stylo. Il hésita un instant, regardant la page blanche qui suivait le dernier poème d'Anna. Devait-il écrire ?
Mais les mots vinrent, presque naturellement. Une conversation silencieuse, entre eux, à travers les années.
Le Carnet sur le Banc
« C'était un après-midi d'automne, la brume effleurant l'air,
Quand je l'ai trouvé, là, sur ce banc solitaire,
Un carnet, fatigué, aux pages éparpillées,
Comme si les mots eux-mêmes cherchaient à s'évader.
Je l'ai pris, hésitant, me demandant à qui il appartenait,
Les couvertures usées, un peu déchirées,
Et à l'intérieur, des pensées fragiles, des poèmes d'un autre temps,
Qui vibraient de douleur, d'amour et de larmes s'échappant.
Les lettres dansaient sous mes yeux, comme des souvenirs enfouis,
Je me suis perdu dans les lignes d'une âme égarée,
Anna.
Tes initiales, écrit avec une tendresse sauvage,
Chaque mot me frappait, chaque phrase était une rage.
Je n'ai pas cherché à savoir d'où tu venais,
Ni pourquoi ce carnet reposait là, abandonné,
Mais les pages semblaient m'appeler,
De comprendre, de sentir ce que toi, tu avais laissé derrière.
Et j'ai lu.
Ton histoire s'étend devant moi, sans filtres ni fard,
Des poèmes où chaque mot était un cri,
Des confessions murmurées à un monde qui ne t'entendait pas,
Des espoirs fragiles, brisés et des rêves qui s'échappaient.
Je me suis arrêté, le cœur battant,
Cette écriture... c'était comme si tu étais là, près de moi,
Comme si chaque page me racontait ton histoire,
Et j'ai su, à cet instant, que je ne pouvais pas simplement partir.
Tu avais déposé un morceau de toi dans ces mots,
Et moi, je n'étais qu'un passant,
Mais ce carnet... ce carnet était tout ce qu'il te restait de réel,
Je n'ai pas su quoi faire.
Le garder ? Le laisser dans le vent ?
Mais je savais, au fond de moi, qu'il fallait que je le protège,
Qu'il fallait que je découvre, un peu plus, de l'âme qui se cachait derrière tes vers.
Tu m'as écrit sans le savoir,
Et moi, je t'ai lu, sans vraiment le croire.
Mais à travers ces mots, je t'ai trouvé,
Et dans ce carnet, ton âme m'a parlé.
Je ferme les yeux et je me souviens,
De ce moment, ce fil qui m'a relié à ton chemin.
Tu disais que l'espoir était un fil léger,
Que, parfois, il cassait, mais jamais sans céder.
Je voudrais te dire que tu avais raison,
Que la vie est un mélange d'éclats et d'abandon.
Mais aussi que dans les ombres, il y a la lumière,
Une chaleur qui persiste, même solitaire.
Anna, ce carnet est le pont entre nous,
Un refuge pour nos âmes, nos rêves dissous.
Et si un jour le hasard nous rassemble,
Je te dirai tout ce que mon cœur tarde à comprendre. »
Dans les rares moments où il se perdait dans ses pensées, il repensait à leur dernière rencontre. Le concours de poésie. Son poème, « Papa ». Le Ce moment où il avait laissé toute la douleur qu'il cachait sortir, comme un torrent de mots. Il ne regrettait rien. Ni son poème, ni ses larmes. Cela faisait partie de lui, de ce qu'il était devenu.
Il était fier de lui. Fier d'avoir osé, malgré sa peur, se dévoiler à ses parents, à ses amis, même aux inconnus dans la salle. À ce moment-là, ce n'était pas la victoire du concours qui comptait, mais la libération qu'il avait ressentie. C'était comme si, enfin, il avait eu l'opportunité de briser le masque du clown joyeux et de montrer à tout le monde la vérité : il lui manquait quelque chose. Quelqu'un.
Et cette personne, c'était son père. Il l'avait vu dans le public. Et pour la première fois depuis longtemps, il l'avait senti, qu'il était réel. Leur séparation n'était plus une simple absence dans son cœur, mais un vide qu'ils pourront combler.
~📝📝📝~
De l'autre côté, Anna vivait une autre réalité, une réalité loin de la maison, loin de son père et de tout ce qui faisait partie de son ancienne vie. Elle était loin, mais pas totalement déconnectée. Elle se souvenait de cette conversation avec lui, de la façon dont il lui avait expliqué qu'il pensait que c'était pour son bien, pour qu'elle trouve un équilibre.
Cette soirée-là, elle était assise sur son lit, les genoux repliés contre sa poitrine. Elle avait entendu les pas de son père dans le couloir et son hésitation devant sa porte. Pendant un instant, elle envisagea de ne pas répondre, de laisser le silence régner comme il l'avait fait si souvent entre eux ces derniers mois. Mais quelque chose dans la voix de Marc, dans sa manière de frapper, la fit changer d'avis.
__ Entre, avait-elle répondu, à contrecœur.
Son père poussa lentement la porte. La pièce était baignée par la lumière d'une petite lampe de chevet projetant des ombres dans les pièces. Anna fixait son père avec une méfiance teintée de curiosité.
— Anna, commença Marc, hésitant. Je... je voulais te parler. Pas pour te groder ou pour imposer quoi que ce soit. Juste... parler.
Il s'arrêta, cherchant ses mots. Sa fille fronça les sourcils mais ne dit rien, attendant qu'il continua.
__ Je sais que j'ai été absent. Pas seulement physiquement, mais dans tout le reste. Depuis que ta mère est partie... Et toi, tu t'es retrouvée seule, à essayer de comprendre ce qui nous arrivait à tous les deux. Je ne t'ai pas soutenu comme j'aurais dû. Et pour ça, je suis sincèrement navré.
Anna baissa les yeux, jouant nerveusement avec une mèche de ses cheveux. Elle n'était pas habituée à ce genre d'aveux de la part de son père.
__ Papa... murmura-t-elle, mais elle ne sut pas quoi dire de plus.
Marc fit quelques pas dans la pièce, s'arrêtant près du bureau d'Anna. Ses yeux tombèrent sur une lettre, couvertes de gribouillis et de phrases griffonnées à la hâte. Il le reconnaît immédiatement comme la première lettre qu'Hélène avait commencé à tenir après son diagnostic de cancer du sein.
__ Elle t'écrivait des lettres, continua-t-il, la voix tremblante. Quand elle était à l'hôpital, elle notait tout dans ce carnet. Pas seulement pour toi, mais pour nous deux. C'était sa manière de rester connecté à nous malgré... tout.
Anna releva la tête. Marc s'assit sur le bord du lit, le carnet dans les mains, hésitant à l'ouvrir.
__ Pendant sa maladie, ta mère n'a jamais arrêté de croire en nous. Même quand les choses semblaient impossibles, elle trouvait toujours une raison de sourire, de se battre. Elle écrivait dans ce journal, parfois pour moi, parfois pour toi. Elle voulait qu'on sache qu'elle nous aimait, quoi qu'il arrive.
Marc tendit le grand cahier à Anna, ses yeux brillants d'émotion.
__ Je pense que tu devrais le lire, dit-il doucement. Peut-être que ses mots pourront t'aider là où les miens échouent.
Anna le prit avec précaution, comme si elle tenait un trésor fragile. Puis, il se leva, lui laissant l'intimité de ce moment. Avant de quitter la pièce, il se tourna une dernière fois vers elle et l'appela par son prénom.
Anna leva les yeux du journal, un peu irritée par l'interruption, mais elle n'eut pas le cœur de l'envoyer promener.
__ Qu'est-ce qu'il ya, papa ? demanda-t-elle d'une voix neutre.
Marc entra à nouveau, mais cette fois, il resta debout près de la porte. Il passe une main nerveuse dans ses cheveux, signe évident de son trouble.
__ Écoute, commença-t-il. Sandrine et moi... nous avons beaucoup discuté ces derniers temps. Et il y a une décision que nous envisageons. Ce n'est pas facile à dire, ni pour moi, ni pour elle.
Anna sentit son estomac se nouer. Elle croisa les bras, son regard devenant plus méfiante.
__ Quelle décision ? demanda-t-elle froidement.
Marc inspira profondément avant de répondre.
__ Nous avons pensé qu'il serait peut-être mieux pour toi d'aller en pensionnat. Un endroit où tu pourrais te concentrer sur tes études, te faire des amies, et surtout, prendre un peu de distance avec tout ce qui se passe ici. Je sais que ce n'est pas l'idéal, mais...
__ En pensionnat ?! coupa-y-elle, sa voix montante d'un cran. Tu veux m'envoyer loin ? C'est ça, ta solution ?
__ Anna, attends, laisse-moi t'expliquer, implora-t-il. Ce n'est pas un moyen de me débarrasser de toi. Je pense simplement que... que tu pourrais avoir une meilleure chance là-bas. Ici, on est tous tellement... brisés. Je ne veux pas que tu restes coincée dans cette spirale. Peut-être qu'un nouvel environnement pourrait t'aider à te retrouver.
Anna le fixa, son regard passant de la colère à une forme de résignation. Elle baissa les yeux, ses mains tremblantes sur le cahier de sa mère.
__ Tu crois que c'est moi, le problème ? demanda-t-elle, la voix tremblante. Que c'est moi qui rend les choses difficiles ?
__ Non, non, ce n'est pas ça, répondit Marc, paniqué. Ce n'est pas de ta faute. C'est moi, c'est... tout ce qui est arrivé. On a échoué, et je veux juste... je veux juste te donner une chance d'aller mieux.
Un silence tendu s'installa dans la pièce. Puis, contre toute attente, Anna soupira profondément et parla d'une voix basse.
__ Tu as raison.
__ Comment ça ?
__ J'ai besoin de partir, reprit Anna. Pas parce que je vous déteste, toi ou Sandrine. Mais parce que... tout ici me rappelle maman. Et toi... toi, tu n'es plus vraiment là, papa. Pas comme avant. Et Sandrine... elle essaie, mais elle ne comprendra jamais. Elle n'est pas maman.
Ses yeux se remplissent de larmes, mais elle les rétint avec force.
__ Quand maman est partie, c'est comme si tout ce qui comptait pour moi s'était écroulé. Toi, tu as fait de ton mieux, je le sais. Mais tu t'es éloigné. Et puis, tu t'es remarié. C'était trop, trop vite. Et moi, je suis resté là, coincé entre le passé et ce nouveau présent que je n'avais pas choisi.
Marc sentit une immense vague de culpabilité l'envahir. Il voulait parler, mais Anna continua
__ Si aller au pensionnat peut m'aider à respirer, à comprendre ce que je ressens... alors oui, je veux y aller.
Elle le regarda droit dans les yeux, et dans son regard, Marc vit une maturité qu'il n'avait jamais remarquée auparavant. Une part de lui voulait s'opposer, lui dire qu'il allait changer, qu'il serait là pour elle. Mais ce n'était pas si simple que ça.
__ Tu es sûr de toi ? demanda-t-il enfin.
__ Non, avoua-t-elle, mais je pense que c'est ce qu'il me faut.
Marc hocha lentement la tête, le cœur lourd, mais rempli d'une étrange forme de respect pour sa fille. Il se rapprocha d'elle, posa une main hésitante sur son épaule.
__ Alors, je te soutiendrai, promit-il.
Anna acquiesça, et pour la première fois depuis longtemps, ils partagèrent un moment de compréhension silencieuse.
Au pensionnat, la vie était différente. Les journées étaient rythmées par les cours, les activités, les amitiés. Anna s'était fait des amies, mais elle se sentait parfois un peu en manque. La nuit, souvent, lorsqu'elle avait du mal à s'endormir, elle allait discrètement dans la cuisine, volant quelques sucreries ou un morceau de gâteau pour calmer sa tristesse. C'était un petit plaisir qu'elle ne partageait avec personne.
Elle n'avait jamais arrêté d'écrire. Un grand cahier, offrîtes par Sandrine lors de l'un de ses retours à la maison, était devenu son confident. Elle y écrivait tout ce qui traversait son esprit : ses pensées, ses souvenirs, ses rêves, ses peurs. Dés fois même, elle y versait aussi des larmes, la tristesse de l'absence de sa mère, la distance avec son père, le sentiment d'être un peu perdu, même entourée de monde.
Sa belle-mère pendant les fêtes lui rendait visite lorsque son père était occupé. C'était à ces moments-là qu'elles avaient leurs conversations les plus franches.
Anna n'avait jamais oublié Léo. Il restait quelque part dans son cœur. La séparation, bien que nécessaire, l'avait profondément touchée.
Dans la lumière douce de sa chambre, un soir d'hiver, Anna tourne une page de son cahier. Elle avait pris un moment pour écrire un poème, mais cette fois, pas un poème comme les autres. Un poème simple, sans rime, juste des mots, des pensées qui se suivaient comme un flot continu, un enchaînement de sentiments bruts. Elle n'avait pas voulu forcer les mots, elle voulait juste qu'ils soient libres, qu'ils s'échappent d'elle comme une bouffée d'oxygène.
Elle s'arrêta un instant avant de commencer à écrire :
Les lignes de mon cœur
« Je ferme les yeux,
Et ton visage refait surface,
Comme une lumière qui vacille,
Mais ne s'éteint jamais tout à fait.
Léo, te souviens-tu ?
De ce carnet tenu entre nos mains,
Des mots qui flottaient, comme des promesses,
Et des silences qui en disaient plus que nos phrases.
Ici, tout est différent.
Le pensionnat a des murs hauts,
Et des amitiés qui s'effleurent sans s'attacher.
Mais dans ce tumulte, c'est toi que je cherche,
C'est ton humour, ton regard,
C'est toi qui me manque.
Es-tu toujours celui qui fait rire le monde,
Tout en cachant ce que tu ressens vraiment ?
Ou as-tu changé, comme tout semble changer ici ?
Moi, je t'attends parfois dans mes pensées,
Comme la chaleur dans un hiver trop long.
Parfois, j'ai peur, Léo.
Que le temps efface,
Que nos souvenirs deviennent des pénombres,
Et que ton visage devienne flou,
Comme une photographie qui s'efface à force d'être touchée.
Mais il y a des choses qu'on n'oublie pas.
Les moments où tu étais là,
Où tout était plus simple.
Ces fragments de toi, de nous,
Je les garde, serrés contre mon cœur,
Comme une promesse que je n'ose formuler.
Un jour, peut-être,
Le hasard fera entrelacer nos routes.
Peut-être qu'alors, je verrai dans tes yeux
Si tu as pensé à moi, comme moi à toi.
Mais si ce jour ne vient pas,
Je te porterai quand même,
Dans les lignes de mon cœur »
Anna posa son stylo et observa le texte qu'elle venait d'écrire. Ces Quelques phrases sans prétention, étaient tout ce qu'elle pouvait offrir à son ami, à Léo, qu'elle n'oublierait jamais. Peut-être qu'un jour ils se retrouveraient. Peut-être qu'ils se reconnaîtraient. Mais pour l'instant, les chemins de la vie étaient imprévisibles, et que le plus important était d'avancer, d'écrire son histoire, une page à la fois.
Elle ferma son cahier et regarda par la fenêtre. La neige tombait doucement, recouvrant tout d'un manteau blanc. Un sourire nostalgique se dessina aux lèvres. Puis elle se leva, éteint la lumière et se glissa sous les couvertures.
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