Chapitre 10 : Le poids des mots
Le reste de la journée passa sans que le jeune garçon ne reparle de son poème à qui que ce soit. Il le gardait pour lui, bien caché au fond de son sac, loin des regards curieux. Mais chaque fois qu'il y pensait, une petite voix dans sa tête lui soufflait que ce qu'il avait écrit n'était pas juste un moment d'impulsion. C'était comme une fenêtre ouverte sur une partie de lui qu'il avait longtemps ignorée.
Le lendemain matin, en entrant dans la cour du lycée, Léo se sentit une fois de plus tiraillé entre ses deux facettes : le Léo de la blague et du rire et ce Léo plus sombre qu'il avait cru pouvoir dissimuler. Il avait toujours cru qu'il serait toujours ce garçon qui faisait oublier les problèmes.
Pendant la récréation, alors qu'il traînait près du grillage avec Max, il aperçut Anna. Elle était seule, comme d'habitude, assise contre le mur du gymnase, son carnet ouvert sur ses genoux. Ses yeux étaient plongés dans les pages, son esprit loin des autres. Il aurait pu simplement partir, aller retrouver ses amis, jouer au foot, comme à son habitude. Mais quelque chose avait choisi de le retenir. Peut-être était-ce la même chose qui l'avait poussé à écrire le poème la veille, ce sentiment d'être vu pour la première fois.
Il s'approcha, hésitant, mais n'arrivait pas à détourner son regard d'Anna. Elle leva les yeux au moment où il s'approcha et leur regard se croisa.
__ Tu écris encore ? demanda Léo.
Anna lui sourit.
__ Oui... J'écris toujours. Ça m'aide à y voir plus clair. Et toi, tu écris des blagues, je crois. Ou tu écris aussi d'autres choses, des choses plus sérieuses ?
Léo sentit un léger rougeur se diffuser sur ses joues. Comment savait-elle ça ? Il n'avait pourtant rien montré. Elle était perspicace, bien plus que n'importe qui dans la classe.
Il tenta de garder son côté blagueur.
__ Des blagues, des poèmes, des histoires absurdes... Mais rien d'aussi sérieux que ce que tu fais.
Elle haussa les épaules, comme si cela n'avait pas vraiment d'importance.
__ Tu sais, c'est juste que je pense que, euh... les mots peuvent nous aider à comprendre les choses qu'on ne peut pas voir tout de suite. Si ça se trouve, toi aussi, tu cherches à comprendre quelque chose. Et c'est peut-être pour ça que tu écris, même si tu n'oses pas le dire.
Léo se sentit comme pris en faute. Ce qu'elle disait était presque trop juste, trop proche de lui. Il n'osa rien ajouter, mais son regard se baissa involontairement vers le carnet qu'elle tenait. Il était attiré par l'idée d'en savoir plus. Qu'est-ce qu'elle écrivait exactement ?
Le reste de la journée se déroula lentement. Il est n'arrivait pas à se concentrer en cours. Ses pensées revenaient sans cesse à Anna et à son carnet. Finalement, elle était un peu comme lui. Il la trouvait tellement différent, mais aussi tellement semblable.
Lors du cours de français, il ne put s'empêcher de sortir discrètement son carnet de son sac. Il n'avait pas l'intention de lire ce qu'il avait écrit, mais il se surprit à le faire. À mesure qu'il reliait son poème, il se sentit de plus en plus mal à l'aise. Ces mots qu'il avait écrit pour évacuer, pour oublier un peu son malaise, étaient encore trop vrais. Trop noirs. Et pourtant, une partie de lui ressentait un soulagement après les avoir posés sur le papier.
Au moment où il tourna une nouvelle page, une pensée traversa son esprit. Il prit un stylo et commença à écrire quelque chose, mais cette fois, il se laissa aller. Ce n'était pas un poème de tristesse pure, mais une sorte de détournement des idées sombres qu'il portait. Un mélange de vérité cachée et de sarcasme.
« Je suis le clown que tout le monde adore,
Celui qui rit, mais qui pleure en dehors.
Quand ils demandent, ça va Léo ?
Je réponds oui, mais en dedans je crie très haut.
Ma vie, c'est un spectacle sans fin,
Où je suis le héros, mais le rôle est en déclin.
Je souris, je ris, je m'amuse,
Mais derrière tout ça, j'ai la tête qui fuse.
Alors riez, mes amis, riez encore,
Car derrière ce masque, je suis un mort.
Un homme qui danse, un homme qui chante,
Mais dans le silence, tout ça me hante. »
Léo ressentit une étrange sensation en finissant d'écrire. Il n'était pas sûr de vouloir partager ce poème, même si le ton était un peu plus léger, mais il savait qu'il venait d'accepter quelque chose : il ne pourrait plus continuer à jouer le rôle du clown éternellement. Les mots, même ceux qu'il écrivait en plaisantant, avaient leur propre pouvoir. Il se demanda si Anna ressentait la même chose lorsqu'elle écrivait.
À la fin de la journée, alors qu'il se dirigeait vers la sortie, il l'aperçut de loin, assise seule sur un banc. Il se demanda si, un jour, il pourrait lui parler de ce qu'il ressentait. Mais il se contenta de sourire, cette fois sans masque et de lui faire un signe de la main.
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