13 : Les non-dits
Sandrine était déjà debout, bien avant que le reste de la maison ne s'éveille. Elle préparait le petit déjeuner et regardait la table vide, les tasses qu'elle venait de poser avec soin, comme si elles représentaient l'équilibre fragile de sa vie. Elle savait qu'Anna n'allait pas descendre pour le petit-déjeuner, comme d'habitude. Elle avait une façon de se lever tard les week-ends, de s'isoler et Sandrine respectait cela. Mais aujourd'hui, elle ne pouvait pas ignorer le sentiment de frustration qui la rongeait.
Elle était bien consciente que la situation n'était pas simple. Quand elle avait épousé Marc, il avait une fille, une adolescente fragile, en deuil de sa mère. Sandrine avait essayé de s'investir dans leur relation, d'être une figure maternelle pour Anna. Mais à chaque tentative, elle se heurtait à une barrière invisible. Anna la fuyait, comme si elle la voyait seulement comme une intruse dans un monde qu'elle ne voulait pas partager.
Sandrine Soupira. Elle avait l'impression d'être constamment à côté d'elle-même. Quand elle avait rencontré Marc, elle avait voulu fonder une famille, créer un foyer chaleureux et accueillant. Mais avec Anna, tout était plus compliqué. Anna ne voulait pas de son affection, elle rejetait ses gestes tendres, ses efforts pour créer un lien.
Sandrine n'était pas rancunière. Elle comprenait qu'Anna portait le poids de la disparition de sa mère, mais elle avait l'impression d'être en train de se perdre dans cette relation sans issue. Il y avait des moments où elle se demandait si son mariage avec Marc avait été une erreur, si cette famille qu'elle avait voulue n'était tout simplement pas faite pour elle.
Sandrine avait pris sur elle et l'avait toujours fait. Mais aujourd'hui, elle sentait que quelque chose devait changer.
Marc descendit enfin, les cheveux éparses, le regard fatigué mais tranquille. Il n'était pas encore bien réveillé, mais il avait cette routine qui faisait qu'il savait que le petit-déjeuner serait prêt. Il se posa silencieusement à la table. Sandrine, elle, attendait avec une patience palpable. Elle lui servit du café, les yeux fixant le sol comme si elle préparait ses mots depuis longtemps.
Marc prit une première gorgée, cherchant un mot pour démarrer la journée, mais Sandrine ne le laissa pas faire. Elle brisa le silence, d'une voix calme mais ferme.
__ Chéri... il faut qu'on parle d'Anna.
Les mots tombèrent, lourds de sous-entendus. Marc leva les yeux, surpris par la gravité dans la voix de sa femme. Il avait l'habitude des conversations légères et des problèmes quotidiens. Mais là, quelque chose était différent.
__ Qu'est-ce qui ne va pas, avec elle ? questionna-t-il en la regardant, sentant une sorte d'urgence dans son ton.
Sandrine se mordit la lèvre, hésitant avant de parler. Elle avait toujours évité de faire des vagues, d'apporter trop de tensions. Mais aujourd'hui, elle n'en pouvait plus.
__ Je crois qu'Anna n'arrivera jamais à accepter notre famille. Elle est... toujours dans le passé. Elle ne veut pas de moi. Elle ne veut pas de nous. Je... je me sens exclue à chaque instant.
Marc baissa la tête. La situation était délicate, mais il n'avait jamais osé aborder la question de front. Depuis la mort d'Hélène, il n'avait jamais vraiment su comment être un père et encore moins un mari. Il était un homme brisé, coincé entre le désir de protéger sa fille et celui de préserver sa nouvelle famille.
__ Elle est en souffrance, Sandrine... murmura-t-il, presque comme une excuse.
__ Je sais... répondit-elle, mais sa voix tremblait. Mais ça devient insupportable. Elle n'est pas... elle n'est pas une enfant. Elle est une adolescente, mais son comportement me met à l'écart chaque jour. Je fais tout ce que je peux pour l'aider, mais... il n'y a pas de place pour moi dans sa vie.
Elle marqua une pause, regardant Marc droit dans les yeux, comme pour lui imposer son idée.
__ Je pense qu'il est temps qu'Anna parte en pensionnat.
Marc ne savait pas comment réagir. Il n'était pas surpris par cette suggestion, mais il n'en était pas moins choqué. Envoyer Anna en pensionnat... C'était une décision lourde, une décision qui allait marquer un tournant définitif dans leur vie familiale. Il n'avait pas réfléchi à cette option, il s'était contenté d'essayer de maintenir un semblant d'équilibre, en espérant que le temps finirait par guérir les blessures.
__ En pensionnat... répéta-t-il, comme pour s'assurer qu'il n'avait pas mal compris.
Sandrine acquiesça lentement, son regard se durcissait.
__ Oui. Elle a besoin d'un environnement où elle pourra se concentrer sur elle-même. L'école ne lui convient plus et il y a toujours cette distance entre nous. Peut-être que dans un endroit plus structuré, elle pourra guérir.
Marc la regarda en silence, se sentant de plus en plus coupable. Il savait que Sandrine avait raison sur certains points, mais l'idée d'éloigner Anna le bouleversait. Pourtant, il était trop fatigué pour s'opposer fermement. Il ne voulait pas perdre sa femme, ni perdre Anna.
__ Je vais y réfléchir... dit-il enfin, d'une voix lourde.
Sandrine n'a pas répondu immédiatement. Le silence s'étira encore, lourd de non-dits. Sandrine, dans sa volonté de préserver l'harmonie, avait franchi une ligne invisible. Tandis que son mari était accablé sa propre culpabilité.
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