Lorsque l'on brise les ailes d'une créature, quelconque soit-elle, pour qu'elle ne puisse pas s'enfuir, c'est douloureux. Très douloureux. Ce mariage était tout à fait légal : nous étions tous deux majeurs. Il n'était pas non plus vraiment forcé, disons arrangé. Peter et moi nous connaissons depuis l'enfance, je ne l'ai jamais aimé. Il a toujours eu cette manie affreuse de torturer les fourmis qui avaient le malheur de le croiser.

Je me préparais depuis quelques années à arrêter brusquement mes études. J'avais été prévenue : dès que j'aurais mon bac, j'arrêterai mes études pour épouser Peter. Je m'étais accrochée jusqu'au bout à l'espoir que je parviendrai à convaincre mes parents, en vain. Mon petit monde de rêves et de lumière s'effondrait.

Le Kenya d'aujourd'hui, c'était pour moi un idéal. Quand ma mère me racontait sa vie d'avant, quand elle ne pouvait pas aller à l'école, quand elle avait encore plus faim que moi aujourd'hui quand elle travaillait de puis si jeune ; je me disais que je n'aurais pas pu être plus heureuse. L'essentiel n'était plus de survivre, on pouvait aimer vivre. Ma rencontre avec Mlle Fleur a changé mon opinion. Il existait un monde plus heureux encore, un endroit où les gens vivaient bien mieux que chez moi. Mon existence vacillait.

...

Il a fallu une fleur, une pétale sans courroux,

Pour que brille soudain, mon monde oublié,

Le vent était si doux, lui a redonné goût,

Mais le vent tourne, je n'ai pas été épargnée.

Il a suffi d'un souffle, un léger coup de vent,

Pour que vole en éclat, mon monde si idéal,

Il a suffi d'un mot, un parole légère,

Pour que vrille mes îles, en mille coquille de verre.

La houle doucement, s'attaqua aux racines,

Mes îles qui flottaient, tremblèrent violemment avant de sombrer,

Mes cris ne furent que vain, s'éteignirent mes rêves, en centaines de ruines,

Puis se fana la vie, et tout devint noirci, tout et rien furent mêlés.

...

Avant de crouler, mon pays imaginaire a tangué pendant des années. Mlle Fleur m'avait donné envie de vivre pleinement. Après l'école, j'ai fait des études. Je suis passée dans des niveaux supérieurs. Là-plupart des lycées étaient loin de ma ville natale. Je n'ai pas découragé, je suis partie. Je suis rentrée l'année dernière. Les universités étaient trop chères pour mes parents. Depuis ce jour, je travaille, dans l'espoir de réunir un jour assez de fond pour étudier. Mais je dois aussi subvenir à nos besoins, alors l'argent que j'ai mis de côté n'est qu'une misérable somme dérisoire.

J'ai besoin de réponses. J'ai besoin de comprendre. Je sais que ma mère voit très mal le retour de Mlle Fleur. Mais je dois lui parler. Je dois écouter mon cœur. Sinon, je le regretterai.

...

 Cris, larmes, incompréhension,

Je veux une autre vie, elle s'en fiche, elle m'ignore,

Refus catégorique, aucune solution,

Je dois partir, je dois fuir, ténue lumière es-tu encore ?

Minuscule luciole, as-tu survécu ?

Quand ton monde en volute, s'est envolé,

Petite créature, es-tu morte ou bien déchue ?

J'ai besoin de ta lumière, dans l'obscurité.

J'ai besoin de ta présence, pour me guider,

J'ai besoin de partir, pour vivre comme je le sens,

J'ai besoin de ton avis, pour ne pas abandonner,

J'ai besoin de toi, tout simplement.

...

Ma mère a refusé. Je m'en doutais, pourtant ça me déchire. Les autres veulent que j'obéisse, ils me croient une poupée, une marionnette. Moi, je veux simplement ma propre vie? Je veux être heureuse. Et si je n'en ai pas le droit, alors, à quoi bon vivre ? Peter trouvera quelqu'un d'autre, mes parents ont d'autres enfants, et Mlle Fleur a trouvé sa voie.

Je vais partir. J'ai décidé de profiter de chaque instant. Je ne suis pas docile. Je suis une luciole, ma propre lumière, sauvage et belle.

Je n'emporterai pas ce carnet avec moi. Je veux que Mlle Fleur puisse le retrouver, si elle en a besoin. Je veux qu'elle puisse lire, qu'elle puisse comprendre. Je veux qu'elle sache, si elle me cherche. Je sais qu'elle comprendra ma souffrance. Je sais ce que je veux être.

Je ne tremble pas. Je respire. Je reviendrai.

À bientôt.