Il faisait encore très chaud quand je suis rentrée du travail ce soir-là. Ma tête était encore un peu brumeuse, comme toujours, parce que j'avais fait un long trajet, que j'avais beaucoup travaillé et surtout que j'avais très soif. Mlle Fleur était devant notre petite maison, elle m'attendait, en souriant. Je lui ai rendu son sourire, et je suis allée boire.

Quand je suis retournée la voir, elle n'avait pas bougé. Elle m'a dit qu'elle avait une surprise pour moi alors je me suis empressée de lui demander ce que c'était. Il s'agissait d'un petit carnet : celui-ci à vrai dire. Seulement trois pages étaient utilisées et je les ai lues. J'ai alors compris pourquoi ma bienfaitrice était revenue chez moi après avoir décidé de retourner en France. Elle voulait me confier son carnet de bord. J'ai été très touchée et je l'ai remerciée. Ensuite, j'ai aussitôt voulu écrire quelque chose, pour "inaugurer" sa nouvelle possesseuse.

...

Les rêves, on me l'a dit, deviennent réalité,

Seulement si l'on caresse, patiemment, les nuages,

Les rêves, on me l'a dit, ne sont pas vérité,

Mais ils viennent à passer, oubliés avec l'âge.

...

Je m'appelle Florida, j'ai 19 ans. Il y a quatre années de cela, j'ai fait la rencontre de Fleur, une jeune française perdue, venue s'échouer au Kenya. Elle parlait un peu anglais, et, en repartant, elle était devenue une vraie bilingue. Grâce à elle, j'avais appris que j'aimais écrire, que j'aimais la poésie. Hélas, un après après le jour où elle est repartie, j'avais l'âge de travailler, j'ai donc quitté l'école en hâte et j'ai laissé ma passion de côté. Jamais je n'aurais cru la revoir. Non, jamais.

J'ai beaucoup réfléchi ces derniers temps, et cet improbable retour m'a offert ce dont j'avais rêvé : l'occasion de changer de nouveau ma vie. Fini le travail ennuyeux pour gagner si peu. Aujourd'hui, mes songes vont triompher. Je deviendrai auteure de fictions, et je tirerai ma famille de la pauvreté où elle est enlisée comme un éléphant dans la boue.

Mon corps est léger quand j'écris, rempli de lucioles de toutes les couleurs. Il virevolte, comme un monde fantastique, mon cerveau est en action, les pensées se déplacent comme des îles flottantes. Oh, bien sûr, je ne parle pas du dessert dont m'a parlé Fleur. Non, je parle des ces belles îles, tout au Sud, en Tanzanie, à quelques centaines de kilomètres de chez moi. Dans les contes que me racontait ma grand mère, Zanzibar, envahie par les eaux, se dressaient soudain pour flotter jusqu'au Golfe d'Aden. Ma grand mère racontait de fabuleuses histoires, c'est ainsi que je suis devenue si passionnée par mes rêves. Mais, avant de rencontrer Fleur, je n'aimais pas lire pour autant.

C'est comme cela que je me conçois : une petite fille pleine de rêves et de lumière, dans un monde ténébreux et fantastique à la fois. Un monde où tout peut arriver, un monde où je serai libre de choisir ma vie.

...

La nuit, les lucioles m'illuminent,

Lumières ne brillant qu'un soir ou deux,

Sans faire ni états d'âme ni adieux,

Avec elles mes rêves se dessinent.

Mes songes se déguisent, se parfument,

La pâleur du ciel, quand fane le soleil, m'enivre,

En moi, tout mon corps veut juste vivre,

Brillant de milles feux, qui, au matin, se consument.

...

La beauté est une amie infidèle, subjective de toute façon,

La jeunesse est une fleur passagère, car nous vieillissons,

L'intelligence est une idée bien frêle, quand nous perdons raison.

La vie est une tendresse éphémère, tous parmi nous mourrons.

...

Je secoue la tête, encore perdue dans les nuages. La brume autour de moi s'estompe, mes compagnes lucioles s'éteignent brusquement, mes rêves se brisent, mes pensées-îles flottant à la dérive s'échouent brutalement sur le rivage. Tout autour de moi n'est que vide et désespoir, même Mlle Fleur baisse les yeux. Elle n'ose pas me regarder, ça vaut mieux. Je tremble de tous mes membres, je hurle, je pleure, je m'y refuse. Je ne peux pas. Non... je ne peux pas ! Pourtant, il est bien là, face à moi.

Mon futur époux.