Une fleur épanouie
J'ai fait ce voyage seule voilà dix ans. Mes pas m'ont conduite sur bien des lieux, dans bien des cultures. Je n'ai jamais été accompagnée, je reviens donc seule. Enfin pas tout à fait, j'ai trouvé la beauté. La beauté du monde, ma beauté à moi, aussi. J'ai encore plein la tête ces instants de bonheur. J'ai encore plein le cœur ces moments de joie. Et là, tout au fond, dans un coin de ma mémoire, les vieilles douleurs, les moqueries, la haine. La solitude est toujours là, bien sûr. Mais j'en ai fait une amie.
...
Qu'importe d'être seule lorsque l'on part sans bagages,
Qu'importe d'aller mal quand on quitte tout pour un voyage,
On en revient un peu changé, pas tout à fait pareil,
Mais au fond on reste le même, après tant de merveilles.
Lorsque l'on part avec la solitude, elle est une amie fidèle,
Pas du genre à nous lâcher quand on dort sous le ciel,
Mais plutôt celle qui vous accompagne, sans vraiment être là,
Et qui sera toujours réconfortante, qui guidera vos pas.
Ce qui compte, ce n'est pas l'arrivée, puisqu'elle est le départ,
Mais bel et bien le trajet, nos chemins, le hasard,
Inutile d'avoir une carte pour savoir où aller,
Il suffit du soleil et de se laisser porter.
...
Pendant que je t'écris, là, je souris. Un grand sourire à fendre les cœurs de pierre les plus durs, les plus coriaces. Et je ris. Un doux rire à lézarder toutes les ruines, à réparer toutes les blessures. Soudain, je n'ai plus peur. Après tout ce voyage, j'ai compris l'essentiel.
...
J'avais peur jadis d'éclore déjà fanée,
Mais désormais j'ai compris la vérité,
Si le papillon naît les ailes toutes fripées,
C'est parce qu'il ne les a pas encore déployées.
...
On ne naît pas vieux et grand. On naît petit et inexpérimenté. Et puis, on devient ce que l'on est, on se construit, on est détruit, et on se reconstruit. La fleur n'a pas éclos fanée, elle a éclos flétrie. Puis, elle s'ouvrira plus encore, et deviendra grande et majestueuse. Mais seul le temps peut la faire devenir ainsi.
...
La rose s'est moqué du bourgeon sans épines,
"Comment fais-tu pour te défendre ? Tu n'a pas de piquants sur ton échine !"
La jacinthe a ri du bourgeon sans feuilles,
"Comment fais-tu quand le vent frappe à ton seuil ?"
La marguerite a taquiné le bourgeon sans pétales,
"Comment fais-tu pour te trouver beau ? Tu es aussi laid qu'un chien sans poil !"
Le bourgeon soudain a eu mal, très mal, et de douleur a crié,
Alors, les fleurs, en chœur, se sont moquées.
Durant quelques instants, il a continué, puis a ouvert les yeux,
Il était entouré d'une robe de pétales délicats, de pollen généreux,
Hérissé d'épines tranchantes et de feuilles douces comme le coton,
"Alors, rit-il, suis-je toujours un laideron ?"
...
Ce voyage a commencé comme une éclosion, une renaissance. Une fugue, des peurs, des rêves, des appréhensions, de la honte, de la liberté...
J'ai ri souvent, j'ai rencontré parfois, j'ai été seule là-plupart du temps, j'ai apprécié chaque fois. J'ai su prendre goût à la vie, redécouvrir ce que je savais déjà. J'ai vu de mes propres yeux la misère et l'injustice de notre monde. J'ai pleuré, j'ai réfléchi, j'ai agi. Je ne pouvais pas rester les mains dans les poches. J'ai voyagé pendant une décennie pour trouver des solutions. J'ai pansé mes blessures en pensant aux leurs.
Je suis partie sans bagage : ni remords, ni regrets. Rien de bien trop lourd à traîner derrière moi, si ce n'est la culpabilité et ce sentiment de lâcheté. Je me trouvais peu courageuse de partir pour fuir mes problèmes.
J'ai su trouver la beauté dans le regard d'un bébé en Inde, dans le sourire d'une jeune fille au Kenya, dans la main tendue d'un enfant au Mexique, dans chaque parole, dans chaque histoire, chaque choix, chaque chanson, chaque tradition gravée dans ma mémoire.
Si je devais choisir un nouveau nom au carnet que tu es, sûrement t'appellerais-je bien autrement : un carnet de bord suit nos voyages, et je t'ai laissé là... Alors peut être serais-tu mes Mémoires, en quelques sortes ?
Au bout du voyage, je n'ai pas trouvé les réponses à mes questions. Mais je sais que je suis loin d'être la seule à me demander "Pourquoi moi ?". Je sais que je suis la Fleur Sauvage que maman aimait tant, je suis libre, fougueuse. Je sais surtout une chose. Et c'est là l'essentiel. Ce sera ma toute dernière phrase, avant de refermer à tout jamais ce carnet. Car j'ai décidé de vivre ma vie, plutôt que d'en faire un récit. Oui, aujourd'hui j'ai compris.
Parfois, avec la force de notre volonté, on peut changer le monde, on peut changer des vies. Si ton destin, ton chemin est tout tracé, il te suffit parfois de prendre un crayon et de le redessiner.
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