Chapitre 86
Elle fila rapidement jusqu'à l'infirmerie où elle retrouva Ariane.
Sa jeune colocataire était allongée dans l'un des lits, les couvertures tirées sur sa poitrine, les bras posés le long de son corps. Sa crinière blonde avait été repoussée sur le côté. Les yeux clos, elle semblait dormir, sa respiration était lente et régulière.
Carmen s'approcha et se pencha sur elle :
- Ariane ? Appela-t-elle. Est-ce que tu m'entends ?
Durant quelques secondes, Carmen n'eut aucune réaction de la part de sa colocataire. Puis, ses paupières se froncèrent, comme si elle avait senti une présence près d'elle. Elle bougea une main et tourna légèrement la tête vers elle en ouvrant un œil timide.
- Carmen ? C'est...toi ? Murmura-t-elle d'une voix faible.
Carmen lui sourit :
- Oui, c'est moi.
Ariane sourit. Ce n'était guère plus qu'un haussement des commissures mais son visage en devint rayonnant.
- C'est...chouette que tu sois...là. Chuchota-t-elle. J'ai eu peur...
- Et moi donc ! Soupira-t-elle.
Elle tira une chaise et s'assit tout près de son visage, glissant une main dans la sienne. Sa peau était tiède, comme si la vie et la chaleur s'échappaient de son corps frêle de danseuse. Mais elle restait très douce.
- C'était...quoi ? Demanda Ariane. Dans la seringue...
- De la cytarabine. Répondit-elle. Un traitement contre la leucémie, de ce que j'ai compris. Mais tu ne risques rien ! Ajouta-t-elle précipitamment en la voyant s'agiter. Il n'est pas mortel.
- Je ne me sens...pas bien. Souffla-t-elle.
- C'est normal. Compatit Carmen. Mais Beniamino assure que tu iras beaucoup mieux dans une semaine.
- Oh ! S'exclama-t-elle. C'est une bonne chose, alors...
Elle referma les yeux et prit une grande inspiration. Quand elle les rouvrit, elle les posa sur elle et lui sourit à nouveau :
- On a gagné...
- Oui, on a gagné. Non sans mal, non sans pertes, mais on a gagné. Laurent est mort, Samaël et Adonis, les deux mercenaires, sont morts aussi. La Famille du Sud s'est rendue et tous les Survivants ont été vaccinés.
Ariane grimaça.
- Houlà...ça fait beaucoup d'informations à emmagasiner...en peu de temps...Il va falloir que tu me...raconte tout...
Carmen sourit et s'exécuta.
Elle ne sut pas combien de temps elle parla, mais elle tenait à tout lui relater, tout ce qu'elle avait vécu, vu et entendu durant la bataille. Elle ne lui cacha aucun détail, même le plus atroce. Ariane l'écoutait. Elle avait fermé les yeux mais Carmen savait qu'elle ne s'était pas endormie.
Quand elle eut terminé son récit, Ariane resta silencieuse un long moment. Durant un bref instant, Carmen s'en inquiéta et vérifia son pouls pour s'assurer qu'il n'y ai pas de complications.
- T'inquiète, Carmen...Chuchota Ariane, la sentant faire. Tu vas pas...te débarrasser de moi...aussi facilement !
Carmen éclata de rire, soulagée :
- Je m'en doute ! Répliqua-t-elle. Tu es plus coriace que tu en as l'air !
- Ça...c'est grâce à toi...
- Vraiment ?
- Tu es ma source...d'inspiration...Celle que j'aurais bien voulu...être. A deux ou trois points près...
- Je vais dire à Beniamino d'augmenter la dose de tes médicaments, tu es en train de dérailler ! La rabroua Carmen avec sévérité. Ne dis pas des conneries pareilles. Tu es une fille exceptionnelle, Ariane. Bavarde comme une pie, exubérante et naïve comme une gamine, certes. Mais tu es aussi courageuse, gentille, généreuse, drôle et tu vois le monde comme s'il ne recelait que de merveilles. Alors, par pitié, ne dis plus jamais que tu veux être comme moi. Ce serait du gâchis.
- C'est ce que tu penses ? Murmura-t-elle.
- T'ai-je déjà menti ? Rétorqua Carmen.
Ariane resta silencieuse à nouveau, mais cette fois, elle semblait réfléchir.
- Au fond...On se complète bien, non ? Fit-elle en souriant.
- On est une paire, toute les deux.
- Les meilleures amies ?
- Pourquoi pas ?
- Tu resteras à la maison, alors ?
- Il faut bien que quelqu'un me tire du lit par les pieds de temps en temps. Sourit Carmen.
- Et que quelqu'un...me tienne tête pendant une bataille d'oreillers.
- Et que quelqu'un m'organise une fête d'anniversaire.
- On remet ça pour tes vingt-et-un ans ?
- D'accord. Mais cette fois, on se fera une bataille de bombes à eau.
- Mon rêve !
Elles éclatèrent de rire. Celui d'Ariane était un peu rauque mais son visage s'était illuminé de joie.
- Et alors...toi et Sergueï... vous êtes enfin ensemble ?
- Pourquoi « enfin » ? Demanda Carmen, soupçonneuse.
- Parce que c'était...évident. Sergueï n'a jamais été aussi gentil qu'avec toi...et j'ai bien vu comment...vous vous regardiez...le jour de ton anniversaire.
- On ne se regardait pas ! Protesta-t-elle en rosissant.
Ariane lui fit un sourire moqueur.
- Pas en même temps, c'est vrai...Mais votre façon de vous regarder et de détourner le regard...avant que l'autre ne le surprenne était aussi évident...que le nez au milieu de la figure !
- Si tu le dis. Grommela Carmen. Mais nous ne sommes pas ensemble. Pas vraiment.
- Oh ! Ça viendra...un jour...Mais...et la chemise d'homme...que j'ai vu dans le salon...la veille de la bataille...c'était pas une hallucination, n'est-ce pas ?
- Euh...Non, en effet. Avoua Carmen en détournant le regard, ne sachant pas vraiment où se mettre.
- Ça explique pourquoi...tu as dit avoir passé...une bonne soirée ! S'exclama-t-elle en se retenant de rire.
- Oui...
Ariane émit un ricanement moqueur qui se changea bien vite en une quinte de toux. Carmen lui tapota le dos et sa colocataire retrouva bien vite un souffle normal.
- Je suis...contente...pour vous deux.
- Merci, Ariane. D'ailleurs, Sergueï me demande de t'embrasser de sa part.
Elle arqua un sourcil, étonnée.
- Ah ? Fit-elle. C'est gentil de sa part...Mais alors, pourquoi n'ai-je pas encore reçu mon baiser ? Ajouta-t-elle, faussement accusatrice.
- Parce que je ne sais pas comment il voulait que je te transmette son baiser. Répliqua-t-elle.
Lorsqu'elle lui relata la conversation qu'elle avait eue avec le jeune homme, Ariane se mit à glousser :
- Me rouler un patin ? Pourquoi pas ? Rétorqua-t-elle avec sérieux. Mais je t'avertis ; j'ai une haleine de phoque.
Carmen la regarda, interloquée. Ariane, ayant remarqué son air stupéfait, sourit :
- Tu vois ? J'apprends vite quand je suis avec toi. Je commence à avoir le même humour que toi !
- C'est ce que j'ai constaté, oui. Ria Carmen.
Elle se leva de sa chaise et se pencha sur le visage d'Ariane pour y déposer un baiser sur le front de la jeune fille.
- De la part de Sergueï. Murmura-t-elle.
Puis, elle lui donna un second baiser, sur la joue.
- Et celui-là, c'est de ma part. Ajouta-t-elle.
Ariane sourit :
- Merci. Merci d'être là, Carmen.
Carmen quitta Ariane plusieurs heures plus tard. Les deux jeunes femmes avaient encore longuement discutés sur les événements qui allaient suivre et beaucoup rit sur les différents aspects de leur colocation. Mais Ariane, encore très affaiblie par les traitements, s'endormit au milieu de la conversation et Carmen la laissa se reposer en fermant doucement la porte de l'infirmerie derrière elle.
En longeant la rue, elle hésita à aller retrouver Sergueï. Mais elle prit tout de même le chemin de l'appartement qu'elle partageait avec Ariane. Elle avait besoin de se reposer et d'être un peu seule après tous les derniers événements qu'elle avait vécu ces derniers jours.
Dans l'appartement, rien n'avait changé, tout était exactement à la même place que quand elle était partie. Pourtant, elle avait l'impression de redécouvrir le lieu. Peut-être était-ce parce qu'Ariane n'était pas là ?
Elle espérait que sa bavarde de colocataire se remette de ses blessures causées par la cytarabine. Et que Beniamino prendrait bien soin d'elle dans les jours à venir. Et qu'Emilio prenait bien soin de Lorik qui devait s'être assoupit dans une des cellules, en compagnie des autres membres de la Famille du Sud. Et que Dieu, si tant bien même qu'il existât, prenait bien soin d'Aël.
Au lieu de retourner dans sa chambre et de s'affaler dans son lit pour exaucer le besoin de repos que son corps réclamait, elle se rendit dans la cuisine, fouilla dans les placards jusqu'à trouver une bouteille de Gin à moitié vide, quitta l'appartement et monta dans le grenier.
Comme le matin de la mort de Bryan, Antoine et Livio, elle se glissa par la lucarne et grimpa sur le toit. Elle s'assit sur l'arrête, déboucha la bouteille et en but une longue gorgée. L'alcool amer lui brûla la gorge et elle tressaillit légèrement. Mais à la seconde gorgée, elle s'habitua à nouveau à cette sensation et parvint à s'apaiser quelques peu.
Carmen aurait été incapable de nommer toutes les pensées qui lui étaient passées par la tête depuis qu'elle se tenait sur le toit. Elle avait songé à la mort de tous ces amis et ces ennemis, elle avait songé à sa propre mort qu'elle avait frôlé à plusieurs reprises, elle avait songé à Sergueï, à Nathaniel, à Laurent, à Ariane, et à tant d'autres personnes et à tant d'autres choses qu'elle ne se souvenait plus. Ses paupières s'étaient souvent longuement fermées et elle s'était assoupie quelques instants, mais elle n'était pas assez fatiguée pour ne plus penser.
Et puis, elle ne pouvait pas dormir maintenant. Le ciel s'était éclaircit, les étoiles pâlissaient à vue d'œil, l'aube était proche. Les jours précédents, elle n'avait pu profiter du spectacle solaire qu'elle aimait regarder à l'aube et au crépuscule. Mais une fois de plus, elle put contempler les rayons qui brillaient peu à peu derrière les montagnes, éclairant lentement le paysage au même rythme que le soleil se levait.
Carmen observa le phénomène, se sentant à nouveau complètement apaisée.
Elle avait pu revoir le soleil.
A l'avenir, tout allait bien se passer.
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