Chapitre 85
Carmen ne vit pas le chemin parcouru lorsqu'ils regagnèrent le quartier général de la Famille du Nord. Elle déambulait comme une somnambule, ne sentant qu'à peine le bras que Sergueï avait passé autour de sa taille pour la soutenir et la main de Lorik coincée entre ses doigts.
Aël était mort. Il était partit. Plus jamais il ne lui servirait de verre de Gin, plus jamais il ne serait là pour la rassurer, plus jamais il ne lui donnerait ses bons conseils, plus jamais il ne la regarderait avec bienveillance. Celui qu'elle avait toujours considéré comme un père ne serait plus jamais là pour elle.
Et ça lui crevait le cœur.
Quand ils franchirent les murs d'enceinte du quartier général, le soleil avait disparu derrière les montagnes et les étoiles commençaient à briller au-dessus de leurs têtes.
- Carmen ?
La voix de Sergueï lui parvint, lointaine, comme un écho. Elle dut faire de gros efforts pour revenir à la réalité. Elle tourna la tête vers lui :
- Oui ?
Il la regardait avec inquiétude, comme si elle couvait une maladie contagieuse.
- Je sais que ça va être dur pour toi, mais nous devons amener Lorik devant Nathaniel.
Elle resta quelques instants sans rien dire. Elle sentait les doigts du jeune garçon dans sa main. Quand elle lui jeta un coup d'œil, elle remarqua qu'il se frottait les yeux de fatigue et qu'il se retenait de bailler. Il devait être épuisé après tous les événements qui s'étaient déroulés dernièrement.
- Tu as raison. Murmura-t-elle en reportant son attention sur Sergueï.
- Et nous devons aussi lui dire que Laurent et...Aël, sont morts. Reprit-il, hésitant légèrement à prononcer le nom d'Aël.
Elle hocha simplement la tête.
Ils longèrent la rue jusqu'à la place principale. De nombreuses personnes s'y trouvaient, profitant de l'air doux du soir pour continuer à discuter et boire à la victoire. Ils prirent la direction du réfectoire sans que personne ne fasse à attention à eux.
Ce ne fut qu'une fois à l'intérieur que les regards commençaient à se poser sur eux. Lorik, surtout, était dévisagé avec intérêt et méfiance, certains se demandant qui il était et ce qu'il faisait là. Sergueï tendit le cou et repéra Nathaniel. Quand ce dernier tourna la tête dans sa direction, le jeune homme fit un signe de main à son père pour qu'ils les rejoignent.
Nathaniel se fraya un passage dans la foule et s'arrêta devant eux, les observant tour à tour, les sourcils froncés :
- Où étiez-vous passé ? Demanda-t-il d'une voix autoritaire. Qu'est-ce que vous avez fait pour revenir dans un tel état ? Et c'est qui, ce gamin ?
Nathaniel porta toute son attention sur Lorik qui se blottit un peu plus contre Carmen. Ses sourcils se froncèrent un peu plus.
- Attends un peu...Murmura-t-il. Je te connais, toi ! Tu ne serais pas le gamin qui m'a livré un message de Laurent, il y a quelques jours ?
Lorik ne put que hocher la tête, bien trop impressionné par la carrure de Nathaniel pour oser ouvrir la bouche. Le Chef de la Famille du Nord leur fit signe de le suivre :
- Venez avec moi, tous les trois.
Ils obéirent sans discuter. Ils le suivirent hors du réfectoire et sortirent sur la place principale. Ils longèrent la rue principale jusqu'à la maison de Nathaniel et ce dernier les firent entrer dans son bureau. Lorsque la porte se referma sur eux, il se retourna et les passa en revue d'un regard noir :
- Vous m'expliquez, à présent ? Demanda-t-il sèchement. Qu'est-ce qu'il fiche ici, ce petit ?
- Et bien...Commença Sergueï, en jetant un coup d'œil à Carmen.
- Il s'agit de mon petit frère. Répondit-elle en croisant le regard de Nathaniel.
Le Chef de la Famille du Nord en resta bouche-bée. En quelques mots, Carmen lui expliqua qui était Lorik pour elle et comment elle s'était occupée de lui durant toutes ces années. Elle lui raconta comment elle avait ordonné à Lorik de se cacher dans la vieille grange car elle le savait en sécurité là-bas et comment elle avait persuadé Sergueï de l'aider à le chercher.
- Et tu t'es laissé embarquer dans cette histoire ? L'interrompit Nathaniel en jetant un coup d'œil furieux à son fils.
Le jeune homme haussa les épaules, nullement impressionné.
- Que je la suive où non n'y aurait rien changé, elle serait partie quand même. Répondit-il. Et heureusement que je suis allé avec elle, la suite de l'histoire devrait beaucoup t'intéresser...
Nathaniel lança un regard interrogateur à Carmen qui poursuivit son récit. Elle expliqua comment ils avaient cherché Lorik en vain et comment ils avaient découvert le message de Laurent. Elle raconta comment elle avait eu l'idée des falaises, le seul lieu, à sa connaissance, qui représentait pour Laurent un symbole de pouvoir et de contrôle. Elle parvint à lui raconter la discussion qu'ils avaient eue avec Laurent, comment ce dernier les avait menacés, comment était intervenu Aël et le combat qui s'en était suivit. Sa voix se brisa quand elle arriva à l'épisode où les deux hommes avaient disparus dans le vide et elle ne put continuer, les larmes menaçant de jaillirent.
Sergueï passa un bras autour de ses épaules et il la serra contre lui. Puis, il releva la tête vers Nathaniel qui n'avait plus rien dit depuis de longues minutes.
- Laurent est mort, Nathaniel. Déclara-t-il. Et il en est de même pour Aël.
- Oui...Murmura-t-il. Il est mort...C'est une nouvelle...intéressante.
Carmen le vit se gratter la nuque d'un air désemparé, perdu dans ses pensées. Lui-même ne devait pas savoir s'il devait se réjouir ou s'attrister de la nouvelle.
- Et Aël aussi. Poursuivit-il lentement. C'est tragique qu'il soit mort ainsi...J'aurais aimé le revoir...
Il les contourna et alla s'assoir derrière son bureau, se passant une main fatiguée sur son visage.
- Aël était notre ennemi. Déclara-t-il d'un ton las. Mais si j'ai bien compris, son dernier geste a été de vous sauver de Laurent. Je ferais bien graver une stèle en son honneur, mais j'ignore si Renzo et Ysia seraient d'accord...Mais les morts méritent qu'on se souviennent d'eux.
- Et Lorik ? Demanda Carmen. C'est un membre de la Famille du Sud, il est considéré comme un ennemi mais...ce n'est qu'un enfant ! Quelle sera sa punition ?
Nathaniel posa son regard d'acier sur Lorik. Il semblait réfléchir.
- Il sera enfermé avec les autres membres de la Famille du Sud et il sera également jugé. Déclara-t-il d'un ton neutre. Mais puisque ce n'est qu'un enfant, sa punition sera moins lourde que celle des autres. Tu l'as dit toi-même, Carmen : il est notre ennemi. Nous saurons faire preuve de clémence mais nous ne l'oublierons pas.
- Tu promets qu'il ne lui arrivera rien ? Insista la jeune fille en resserrant sa main sur les doigts de Lorik.
Nathaniel éclata de rire :
- Voyons, Carmen, qu'est-ce que tu vas penser là ? Nous n'allons pas emmurer vivants les membres de la Famille du Sud ou leur arracher les yeux !
Elle tressaillit en entendant de telles tortures mais Nathaniel poursuivit :
- C'est Renzo qui a des idées aussi ridiculement inutiles. Mais Ysia et moi sommes d'accord pour affirmer que les membres de la Famille du Sud seront plutôt condamnés aux travaux forcés. Après tout, il y a une ville qui doit être reconstruite après tous ces combats !
- Je préfère votre idée, c'est vrai. Confirma Carmen, rassurée.
Nathaniel se leva de son siège.
- On va emmener ce garçon auprès des autres prisonniers. Je crois qu'il est en train de dormir debout.
Quand Carmen regarda à nouveau Lorik, elle remarqua qu'effectivement, il semblait lutter de toutes ses forces pour garder les yeux ouverts.
Ils ressortirent du bureau et retournèrent sur la place. Nathaniel fit un signe de main et Emilio quitta le groupe de personnes avec lequel il discutait pour les rejoindre. Nathaniel posa une main sur l'épaule de Lorik :
- Emmène-le auprès des autres prisonniers, Emilio.
- D'où sort-il ? S'étonna ce dernier, soupçonneux.
- C'est une longue histoire. Rétorqua-t-il avec flegme. Amène-le simplement auprès des membres de sa Famille et veille à ce qu'il puisse se reposer et manger.
Emilio n'insista pas et tendit la main à Lorik. Ce dernier la regarda avec inquiétude avant de lancer un coup d'œil à Carmen. Elle sourit d'un air encourageant et Lorik finit par prendre la main d'Emilio et se laissa entraîner derrière lui sans résister.
Carmen le regarda disparaître dans la grande rue avec un pincement au cœur. Elle espérait avoir pris une bonne décision.
Nathaniel se détourna et soupira :
- Bon ! Voilà une bonne chose de faite...Je vais retourner à la fête à présent, il faut que j'informe Ysia et Renzo de ce qu'il s'est passé sur les falaises. Vous vous joignez à moi ? Ajouta-t-il en leur lançant un regard interrogateur.
- Volontiers. Soupira Carmen. Je crois que j'aurais bien besoin d'un grand verre de Gin.
- Alcoolique. Murmura Sergueï, narquois.
- Baratineur. Rétorqua-t-elle.
Ils suivirent Nathaniel à l'intérieur du réfectoire et commandèrent de quoi boire.
Si au départ, Carmen peinait à ne pas penser à Lorik et à la mort d'Aël, l'alcool et les discussions parvinrent à la détendre. Elle finit par se laisser aller, discutant et riant auprès de tous. Et lorsque Beniamino arriva à son tour dans la salle, le visage fatigué mais content, Carmen se joignit aux autres pour l'applaudir chaleureusement.
Le bel infirmier sourit et salua la foule d'un geste de main, ravi d'être le centre de l'attention. Après quelques minutes durant lesquels il discuta avec quelques personnes et serra la main de certains, il se glissa jusqu'à eux, un verre de vin à la main :
- Eh bien ! S'exclama-t-il la voix un peu rauque. Quelle victoire !
- Tu as l'air épuisé. Commenta Nathaniel en lui faisant une tape sur l'épaule.
Beniamino massa son épaule endolorie en grimaçant :
- J'ai pas arrêté de courir partout depuis hier matin ! Je vous épargne tous les détails, mais j'ai hâte d'aller me coucher !
- Personne ne te retient. Répliqua Carmen avec un sourire sarcastique.
Il lui fit un clin d'œil :
- Rien que pour t'emmerder, je vais rester.
Elle haussa les épaules, indifférente :
- Dans ce cas, c'est moi qui irai me coucher.
- Pas tout de suite, alors. Rétorqua Beniamino. Il y a quelqu'un qui te réclame.
- Qui ? S'étonna-t-elle.
- Ariane s'est réveillée. Elle est encore un peu dans les vapes mais elle est consciente...
- Et tu ne pouvais pas me le dire plus tôt ? S'exclama-t-elle, exaspérée.
Elle finit son verre de Gin d'une seule traite, salua tout le monde et embrassa Sergueï.
- Je suppose que je te retrouve demain ? Dit-il doucement.
- A la première heure. Promit-elle avec le sourire.
- Menteuse. Rétorqua-t-il. Tu vas passer toute la nuit avec Ariane et demain matin, tu seras trop fatiguée pour faire quoi que ce soit avec moi !
- Serais-tu jaloux ? Ria-t-elle.
- Moins que toi. Renchérit-il. Embrasse Ariane de ma part, d'accord ?
- De quelle manière ? Je l'embrasse sur la joue ? Ou je lui roule un patin ? Rétorqua-t-elle, moqueuse.
- Chiche ! Lança Sergueï.
Carmen en resta pantoise. Sur ce coup-là, le jeune homme lui avait cloué le bec.
N'ayant plus rien à redire, elle s'éloigna d'un pas qui se voulait digne, sous le ricanement moqueur de Sergueï.
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