Chapitre 83

Il fallut une bonne dizaine de minutes à Sergueï pour consoler et réconforter Carmen. Il avait réussi à faire sortir la jeune fille de la maison mais elle ne savait trop comment, ses esprits étant complètement embrumés par leur découverte. En fait, elle ne se souvenait de pratiquement de rien, si ce n'est d'avoir hurlé le nom de Lorik et d'avoir pleuré. Elle avait peut-être aussi maudit Laurent, mais elle n'en n'était plus sûre.

- Il va me le payer ! Gronda-t-elle en essuyant ses larmes d'un revers de la main. Ça va me prendre le temps qu'il faudra, mais s'il fait le moindre mal à Lorik, je jure que je vais le tuer !

- Il ne lui fera rien. Répondit Sergueï. Si Laurent voulait tuer Lorik, nous aurions retrouvé son cadavre...

- Tu n'en sais rien ! Coupa-t-elle sèchement. Tu ne connais pas Laurent aussi bien que moi ! Il peut très bien l'avoir déjà tué, ou emmené dans un endroit qu'on ne retrouvera jamais !

- Peut-être, mais ce n'est pas en perdant notre calme qu'on va le retrouver...

- Il l'a peut-être emmené dans la montagne. Poursuivit Carmen, sans l'écouter. Ou dans un des villages abandonnés de la côte. Il y a tant de cachettes...

- Laurent ne prendrait pas le risque de quitter la ville, pas avec nos patrouilles...Commença Sergueï.

- A moins qu'il n'ait déjà tué Lorik. Marmonna Carmen en faisant les cents pas, plus pour elle-même que pour Sergueï. Et que tout ceci ne soit qu'un plan macabre pour nous entraîner dans un piège.

- En fait, tu ne m'écoute pas du tout.

- Mais dans ce cas, que cherche-t-il à faire ? A nous prouver qu'il est toujours là, prêt à se venger ?

- Tu es en train de perdre le contrôle de tes nerfs, ma belle.

- C'est sûrement ça ! S'écria-t-elle soudain.

Elle cessa de faire les cents pas et regarda Sergueï d'un air résolu.

- Laurent veut le vaccin contre la maladie de l'Année Noire et il sait que je ferais tout pour retrouver Lorik ! Il veut m'entraîner dans un piège pour qu'on fasse un échange ! C'est la seule hypothèse logique.

Elle lança un regard triomphant à Sergueï, comme si elle venait de résoudre une énigme particulièrement ardue. Le jeune homme se contenta de l'observer de longues secondes avant de pousser un long soupir et se remettre sur ses pieds.

- Soit, Laurent veux te conduire dans un piège. Un piège dans lequel tu fonceras tête baissée, sans réfléchir à un plan...

- Il n'y a pas un millier de plans ! Répliqua-t-elle sèchement. Il faut que je retrouve Lorik ! Sa vie est en danger, je dois le sortir de là !

- Et tu crois que ça va l'aider que tu te retrouves à la merci de Laurent ? Assena-t-il rudement. Tu dois garder la tête froide, Carmen. Réfléchis et pense à ce gamin. Nous pouvons le sauver, mais pour cela, il faut que tu te calme.

Elle hésita.

- Tu...tu as raison. Balbutia-t-elle en baissant la tête. Je n'arrive pas à réfléchir correctement...

- T'inquiète, je suis là. Sourit-il. Je vais t'aider.

Il leva la tête vers le ciel et le contempla quelques instants, pensif.

- Le soleil commence à décliner. Déclara-t-il soudain. La nuit ne va pas tarder à tomber. Mais je suppose qu'il est inutile que je te dise ça, puisque tu vas passer la nuit dehors à rechercher celui que tu appelles ton « petit frère » ?

- Tu supposes bien. Affirma-t-elle d'un ton décidé. Comment pourrais-je dormir en sachant que Lorik est en danger ? Nous devons le retrouver !

- Soit. Alors, par quoi on commence ?

- Que veux-tu dire ? S'étonna-t-elle.

- A nous deux, il va nous falloir des semaines pour fouiller tous les recoins de la ville. Répondit-il sur le ton de l'évidence. Donc, qu'allons-nous faire ? Alerter les autres ? Rester tous les deux ? Fouiller chaque recoin de cette ville ? S'arrêter à plusieurs secteurs qui peuvent avoir leur importance pour Laurent ? Que comptes-tu faire, Carmen ?

- Je...Je ne sais pas. Répondit-elle, démoralisée par l'ampleur de la tâche. Je ne suis pas aussi douée que toi en stratégie, je ne sais pas ce que nous devons faire, ni par quoi nous devons commencer.

Elle regarda Sergueï avec espoir, comme s'il avait le pouvoir de tout changer. Ce dernier se frotta la nuque, désemparé.

- Si j'étais à ta place, j'irais avertir les autres. Déclara-t-il. Il s'agit de Laurent, de notre ennemi. Et à présent, il a un otage. Un gosse ! Si j'étais à ta place, j'irais retrouver les autres et je les avertirais de ce qui se passe. Mais je te connais, tu ne le feras pas. Ajouta-t-il avec un faible sourire. Tu ne le feras pas parce que tu estimeras que c'est une perte de temps. Et qu'il faudra convaincre Nathaniel, Ysia et Renzo de venir t'aider, que tu devras leur dire et leur montrer tout ce que tu sais. Et que le temps nous manque pour que tu prennes une telle décision. Je sais que tu es prête à te lancer toute seule contre le danger, que tu es prête à défier Laurent sans aucune aide. C'est peut-être ça qui te conduiras à ta perte, finalement. Acheva-t-il dans un soupir.

Il lui tendit la main :

- Mais il est hors de question que je te laisse seule face à lui.

Carmen la prit sans hésiter :

- Merci, Sergueï. Murmura-t-elle.

- Ne me remercie pas encore. Répliqua-t-il. Une fois que nous aurons neutralisés Laurent et retrouvé Lorik, je te jure que je vais te faire passer l'envie de jouer les héroïnes téméraires !

Elle parvient à esquisser un sourire et un haussement d'épaules désintéressé en entendant cette menace.

- Bon, Réfléchissons...Poursuivit Sergueï d'un air pensif. Où Laurent a-t-il put amener Lorik ? Toi qui le connais si bien, tu as peut-être une idée ? Ajouta-t-il en la regardant avec attention.

- Je ne sais pas...Murmura-t-elle. Il lui faut un endroit dans lequel Laurent se sent en sécurité, où il aura tous les pouvoirs.

- Dans le quartier général de la Famille du Sud ? Suggéra-t-il.

Mais Carmen secoua la tête :

- Non, il court trop de risques en retournant là-bas. Il va se cacher ailleurs.

- En ville ? Il y a un endroit dans lequel il se sent bien ?

- Pas que je sache. Depuis que j'ai rejoint sa Famille, il y a des années, je ne l'ai pas vu une seule fois quitter le quartier général. Je ne crois pas qu'il soit redescendu en ville depuis des années. Le jour de la bataille était sans doute sa première sortie depuis ces dix dernières années !

- Réfléchis, ma belle. Intima Sergueï d'un ton pressant. Il y a forcément un endroit, sur cette Ile, où Laurent se sent en sécurité et l'égal d'un roi, lui qui est si narcissique.

Carmen réfléchit à vive allure, désespérée. Elle avait beau chercher dans sa mémoire, elle ne savait pas où Laurent pouvait se sentir bien. En fin de compte, elle ne connaissait pas son ancien Chef de Famille aussi bien que ça.

Elle devait trouver un endroit dans lequel Laurent se sentait à l'aise, en sécurité, un endroit duquel il pouvait élaborer une stratégie. Carmen ne voyait que son bureau mais elle savait que Laurent ne pouvait pas être là-bas, c'était trop dangereux pour lui.

Elle repassa dans sa tête tous les éléments qu'elle connaissait de Laurent. Tout ce qu'il lui avait dit, tout ce qu'elle avait entendu de lui, tout ce que lui avait raconté les autres membres de la Famille du Sud ou de la Famille du Nord, elle passa tout en revue dans sa tête. Mais une fois de plus, elle ne voyait pas quel endroit pouvait procurer à Laurent un sentiment de puissance.

- Laurent a écrit ce message pour que tu le trouves, Carmen. Reprit Sergueï d'une voix lente. Il savait que Lorik attendait ton retour et c'est pour ça qu'il a laissé son nom. Il veut que tu le cherches et que tu le trouves. Et s'il ne t'a laissé que son nom, ça veut dire qu'il pense que tu sais où il est.

- Laurent me surestime, je ne sais pas où il est. Grogna-t-elle, frustrée.

- Ça doit être un endroit que vous connaissez tous les deux.

Carmen se massa les tempes, comme pour inciter son cerveau de fonctionner plus vite.

- Il y en a peut-être un...Murmura-t-elle, indécise.

- Lequel ? Questionna-t-il.

- Je ne sais pas. Répondit-elle. Je me dis juste que...ça pourrait être là-bas...

- J'adore quand tu es claire et concise, je trouve même que c'est le moment rêvé pour faire un concours de devinettes ! Lança-t-il d'un ton narquois.

Elle le fusilla du regard :

- Suis-moi.

Et elle se mit à courir.

Dans son dos, elle entendit Sergueï jurer mais elle ne se retourna pas pour savoir s'il la suivait ou non. De toute manière, elle n'avait pas besoin de le faire ; quelques secondes plus tard, les pas de Sergueï résonnaient derrière elle.

Carmen n'avait pas le temps de lui expliquer son idée. Elle voulait simplement vérifier si elle pouvait être correcte ou non. La vie de Lorik en dépendait.

Elle se souvenait simplement de quelques mots, ceux qu'elle avait crachés à la figure de Laurent quand elle était enchaînée dans la cellule de Samaël et Adonis. Elle avait parlé de son histoire, une vieille histoire que seules quelques personnes connaissaient. Une histoire par laquelle tout commençait pour Laurent.

Il avait ravi le titre de Chef de la Famille du Sud à Aël après avoir découvert que ce dernier avait tué Santana. Cet épisode de sa vie devait représenter quelque chose de fort. Après tout, c'était grâce à ça qu'il avait pu devenir le Chef de la Famille du Sud.

Et c'était en haut des falaises que le destin de Laurent avait changé à jamais.

Carmen courait sans s'arrêter. Un mauvais pressentiment lui enserrait le cœur. Derrière elle, les pas de Sergueï lui indiquaient qu'il la suivait toujours.

Elle l'entraîna le long des ruelles, jusqu'à atteindre la colline qui longeait de bord de mer, dont le flanc grimpait de plus en plus haut, devenant de plus en plus raide et se terminant par de hautes falaises. Un sentier sinueux le longeait, zigzagant entre les pins, les buissons de ronce et les hautes herbes.

Sans hésiter, Carmen le gravit, sans freiner sa course. Elle évita les cailloux et les racines qui menaçaient de la faire trébucher, elle évita les ronces qui risquaient de se prendre dans ses vêtements. Elle grimpa le long du sentier, le souffle court, le cœur battant, les côtes douloureuses.

Elle ne cessa de courir que lorsqu'elle parvint à un surplomb en roche grise, créant un espace d'environ trois mètres entre les pins et les hautes herbes. Puis, il y avait l'immensité bleu sombre qui s'étendait jusqu'à l'horizon orangé et le vide, un vide d'une hauteur de trente mètres. Un vide mortellement dangereux.

Carmen s'immobilisa vers le surplomb et regarda l'océan qui s'étendait loin sous ses pieds. Sergueï arriva quelques secondes plus tard, légèrement essoufflé.

- Bordel ! Jura-t-il d'une voix rauque. Tu vas m'expliquer, à la fin ?

- C'est ici. Murmura-t-elle en guise de réponse. C'est ici qu'Aël a tué Santana.

- Comment le sais-tu ?

- Parce que c'est moi qui le lui ai dit. Lança une voix narquoise dans leurs dos.


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