Chapitre 8
Les jours s'écoulèrent avec une lenteur affligeante. Carmen avait peu de distractions à sa disposition. Elle avait bien quelques livres, des romans et des encyclopédies qu'elle avait déniché lors de ses vagabondages dans la ville, mais elles les avaient tous lu plusieurs fois et pouvait les réciter par cœur.
En revanche, elle aimait beaucoup écrire ou réécrire les histoires qu'elle avait lues. Un couple qu'elle jugeait inapproprié ? Elle réécrivait l'histoire pour faire en sorte qu'ils ne se rencontrent jamais. Un criminel qui avait été arrêté ? Elle faisait en sorte qu'il s'échappe de manière spectaculaire. Et quand elle n'écrivait pas, elle s'accoudait à la fenêtre et regardait les allées et venues des membres de sa Famille qui, eux, n'étaient pas obligés de rester confinés à domicile. C'était l'occasion pour elle de restée connectée avec eux, de ne pas se sentir totalement isolée...
Le petit Lorik passait tous les jours devant la maison et la saluait avec de grands signes auxquels elle répondait toujours avec le sourire.
Lorik était le cadet, le plus jeune, le petit dernier de la Famille du Sud. Il avait à peine six ans quand il avait été retrouvé dans un petit village côtier, à l'ouest de l'Ile, à moitié mort de faim et déshydraté. Les membres de la Famille du Sud avaient choisis de le ramener et Carmen s'était occupée de lui, avait veillé sur lui. Elle l'avait bercée, elle l'avait fait rire, elle lui avait montré tous les jeux qu'elle connaissait.
De son enfance, il n'avait gardé que les boucles blondes en bataille et les grands yeux bruns expressifs. Il n'avait plus de souvenirs de sa vie avant d'être recueillit par la Famille du Sud. Aujourd'hui, du haut de ses douze ans, Lorik avait l'esprit vif et curieux, toujours volontaire pour aider ses aînés. Son rôle au sein de la Famille était celui de messager. C'était lui qui portait les messages d'un coin à l'autre du quartier général, car s'il était encore possible de trouver des piles pour des lampes torches et du courant pour alimenter certaines maisons et quelques ordinateurs, la plupart des circuits électriques étaient hors d'état de marche et le téléphone n'existait plus.
Lorik était le seul a toujours l'appeler frangine, ce que les autres membres avaient cessés de faire depuis bien des années.
Nico aussi la saluait quand il l'apercevait à la fenêtre, mais avec plus de retenue que l'exubérant Lorik. Parfois, ce n'était rien de plus qu'un hochement de tête mais la jeune fille s'en contentait. Et elle le saluait toujours en retour. Ce n'était pas parce qu'il traînait avec des abrutis d'ivrognes comme Kylian qu'il en était également un. Elle trouvait même que c'était dommage que Nico ne se mettait pas plus en avant, plutôt que de rester dans l'ombre de son ami.
Et elle pouvait aussi voir Aydan.
Même depuis sa fenêtre, elle pouvait constater qu'il était dans un sale état. Son œil droit était enflé, violacé, son bras gauche était en écharpe et il boitillait légèrement. Laurent lui avait fait payer cher son abandon.
Leur Chef de Famille ne se salissait pas les mains à punir ceux qui désobéissaient aux ordres. Il préférait faire appel à Samael et Adonis, deux hommes qui étaient d'avantage des mercenaires que des membres de la Famille. Ils ne venaient que lorsque Laurent avait besoin d'eux pour punir un de ses membres et ils pouvaient avoir la main lourde. Carmen ne les avait aperçu qu'à deux reprises et à chaque fois, elle avait eu la chair de poule rien qu'en croisant leur regard.
Et Aydan venait de faire les frais de leur cruauté.
A le voir boitiller le long de la rue, elle en avait une boule au ventre. Elle se sentait coupable envers lui. Est-ce qu'il lui en voulait ? Allaient-ils repartir pour faire une mission ensemble ?
Ce qu'elle vit par la suite lui indiqua clairement que la réponse à sa question était « non ».
Aydan tourna la tête, mais ce n'était pas pour lever les yeux vers elle. C'était une autre maison qu'il regardait. Une jeune fille blonde se tenait sur le seuil de la maison et lui faisait signe d'approcher. Carmen pu voir, impuissante, cette peste d'Eileen passer l'une de ses mains autour du cou d'Aydan et se coller à lui. Depuis son observatoire, Carmen ne pouvait pas entendre ce qu'ils se disaient, même si elle en avait une idée assez précise.
Elle vit la jeune fille se mettre sur la pointe des pieds pour murmurer quelque chose à l'oreille du jeune homme et se dernier éclata de rire. Puis, elle lui prit sa main valide et l'entraîna à l'intérieur de l'infirmerie, refermant soigneusement la porte derrière eux.
Carmen soupira en refermant la fenêtre, s'assit par terre, le dos appuyé contre le canapé et passa une main lasse sur son visage.
Devait-elle vraiment être surprise de la scène qu'elle avait vue ?
Non. Aydan et elle n'avaient jamais été ensembles. Ils avaient toujours fait les missions rien que tous les deux et une complicité c'était installée entre eux. Peut-être même autre chose. Carmen ne pouvait pas prétendre ne pas tenir à lui. Mais était-ce réellement de l'amour ? Peut-être. Mais voir Aydan dans les bras d'Eileen lui avait fait mal.
Et ça la rendait furieuse de ressentir une telle émotion.
Elle n'avait rien de personnel contre Eileen. C'était la seule qui avait des compétences dans les soins, elle était donc l'infirmière attitrée de la Famille du Sud. Ses talents en médecine étaient avantage, au même titre que les talents de Carmen pour déverrouiller des cadenas. La seule chose qu'elle pouvait reprocher à l'infirmière, c'était son opportunisme.
Depuis le temps qu'elles se côtoyaient, Carmen avait constaté qu'Eileen ne rendait service que si elle avait quelque chose en échange. C'était donnant-donnant. Est-ce que Carmen devait lui en vouloir ? Oui, sans doute. Mais après tout, c'était de bonne guerre ; dans le monde qu'était celui des Survivants, il fallait apprendre à se battre avec ses armes. Et Aydan était libre. Libre de faire ce qu'il voulait avec les femmes qu'il voulait.
Ils étaient tous libres.
Elle ferma les yeux et attendit. Elle ne pensait déjà plus à Aydan et Eileen. Sa propre vie ne tenait qu'au fil de la volonté de Laurent. Elle ne pouvait que faire ça.
Attendre.
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