Chapitre 74
Sa remarque suscita quelques éclats de rire dans la foule mais Carmen n'y prit pas garde. Elle remarqua du coin de l'œil que tous les prisonniers avaient jeté un coup d'œil rapides par-dessus leurs épaules, éberlués. Certains émirent des exclamations de surprise et de dénégation, mais ils furent rapidement réduits au silence par un coup de crosse dans le dos. Ils ne comprenaient pas, ils ne pouvaient comprendre, que la présence de Carmen était une ruse.
Et elle n'avait aucun moyen de leur communiquer le plan.
Elle accorda donc à Laurent une attention entière et sourit à son tour. Puis, elle lança avec le ton le plus bravache qu'elle put :
- Je te remercie pour ces aimables paroles de bienvenue, Laurent. Moi aussi je suis contente de te revoir.
Sa réplique était ni cinglante, ni teintée de défi. Mais au moins avait-elle eu le mérite d'effacer les sourires moqueurs des membres de la Famille du Sud.
Sans décroiser les bras, Laurent fit lentement le tour du feu et lui fit face, la tête légèrement inclinée sur le côté, comme pour mieux l'observer.
- Tu es venue seule ? Demanda-t-il doucement.
- En effet.
- Où est l'infirmier ?
- Il n'est pas avec moi.
- Tu as le don pour nommer des évidences. Où est-il ?
- En lieu sûr.
- En lieu sûr...Répéta-t-il.
- Je n'allais pas le faire venir puisque moi, je suis là. Avec ce que tu désir le plus.
Laurent plissa les yeux mais ne la lâcha pas de son regard. A la lueur des flammes, ses yeux gris comme de l'acier ressemblaient à deux dards glacés.
- Vous l'avez fouillé ? Demanda-t-il.
Il continuait de la fixer mais cette fois, il s'adressait à Kylian.
- Oui. Répondit aussitôt ce dernier. Elle n'avait pas d'armes sur elle, mais j'ai retrouvé ceci dans l'une de ses poches.
A ces mots, il sortit de sa poche le flacon de Cytarabine. Cette fois, Laurent détourna son attention de Carmen pour regarder le flacon. Ses yeux étaient rivés dessus, comme s'il s'agissait de la chose la plus importante qu'il puisse exister sur Terre.
- Ainsi donc, tu es revenue avec le vaccin. Commenta-t-il avec un sourire triomphant. Je ne m'attendais pas à ce que tu sois aussi docile...à moins qu'il ne s'agisse d'un piège ? Ajouta-t-il brusquement, une lueur inquiétante dans les yeux.
Carmen se crispa, même si elle s'attendait à cette réaction. Elle savait que Laurent n'était pas suffisamment téméraire pour s'injecter aveuglément un produit dans ses veines. La question qu'il fallait se poser à présent, c'était à « qui » il allait l'administrer. Et les candidats ne manquaient pas.
Elle pria pour que Sergueï et Emilio se dépêchent.
Mais de son côté, elle devait suivre le plan et leur gagner du temps. Le plus possible.
- Où est Nathaniel ? Demanda-t-elle d'un ton neutre, comme si la question n'était pas importante. Il ne me semble pas l'avoir aperçu parmi tes prisonniers...Aurait-il réussi à t'échapper ? Ajouta-t-elle avec un petit sourire moqueur.
Laurent grimaça mais ne répondit pas à la provocation. Il jeta un coup d'œil par-dessus son épaule et esquissa un signe de tête à peine perceptible à l'un des membres de la Famille du Sud qui était posté de l'autre côté du feu. Cooper répondit d'un même signe de tête silencieux et se détacha du groupe pour s'engouffrer dans une maison proche.
Le cœur battant, Carmen attendit qu'il revienne. Elle savait que Nathaniel n'avait pu échapper à la Famille du Sud et qu'il avait été fait prisonnier. Mais elle espérait de tout son cœur que le Chef de la Famille du Nord n'avait pas été brutalisé.
Mais il était vain de s'accrocher à un tel espoir. Carmen le comprit dès qu'elle vit la porte s'ouvrir à nouveau...et que Samaël apparu dans l'embrasure.
Aussitôt, les yeux de prédateur du mercenaire balayèrent la place et vinrent se poser sur elle, comme si c'était elle qu'il cherchait. Il grimaça un sourire cruel et s'effaça pour laisser sortir Nathaniel de la maison, solidement maintenu par Cooper.
Carmen déglutit difficilement lorsqu'elle vit Nathaniel se faire pousser si brutalement hors de la maison qu'il manqua de trébucher. Cooper l'obligea à s'avancer jusqu'au centre de la place, près du feu.
Il était dans un état pitoyable ; son visage était baigné de son propre sang, une grande entaille barrait son front et sa joue gauche, ses lèvres étaient fendues, l'un de ses yeux était fermé, violacé et gonflé, son nez était cassé et il se déplaçait en boitant, incapable de reposer sa jambe sur le sol, probablement fracturée. Ses mains étaient liées dans son dos et il respirait avec beaucoup de difficultés.
- Comme tu peux le constater, ton Chef de Famille est toujours en un seul morceau. Commenta Laurent d'un ton nonchalant.
Carmen ne l'écouta que d'une oreille distraite, peinée de voir quel atroce spectacle offrait Nathaniel à la vue de tous. Lorsque Nathaniel se fut approché, il releva la tête et son œil valide croisa ceux de Carmen.
L'expression de son visage se décomposa.
- Oh mon Dieu ! S'exclama-t-il, sous le choc, la bouche pleine de sang. Carmen ? Que fais-tu ici ? Pourquoi n'es-tu pas restée à l'abri ?
La jeune fille tenta de lui adresser un sourire rassurant, mais elle ne fut pas sûre d'être convaincante.
- Tout va bien, Nathaniel. Assura-t-elle toutefois. Je sais ce que je fais.
Laurent émit un ricanement méprisant :
- Je n'en suis pas sûr ! Assena-t-il d'un ton mauvais.
Les membres de la Famille du Sud éclatèrent de rire à nouveau, mais Carmen ne leur accorda aucune attention. Elle regardait Nathaniel avec insistance, comme si elle espérait qu'il comprenne dans son regard que Sergueï et Beniamino allaient intervenir pour les sortir de là. Et que Beniamino était en sécurité, attelé à la création d'un vaccin.
Nathaniel la regarda un long instant, les sourcils froncés, incertain.
- En tout cas, je ne suis pas sûr qu'il la croie. Intervint Samaël.
Il échangea un regard narquois avec Laurent avant de reposer ses yeux sur Carmen.
La jeune fille sentit ses jambes trembler de peur et une goutte de sueur glacée couler sur sa colonne vertébrale. A cette heure, Samaël savait qu'Adonis était mort. Ou du moins, il se doutait que quelque chose lui était arrivé. Les deux mercenaires n'avaient jamais été séparés aussi longtemps...Peut-être même avait-il découvert le cadavre de son acolyte ?
Samaël fit un pas dans sa direction :
- Nous n'avons toujours pas eu l'occasion de terminer notre conversation, il me semble. Déclara-t-il d'un ton mauvais.
- Ce n'est pas ma faute si on nous interrompt à chaque fois. Répliqua-t-elle sans réfléchir.
Si elle avait eu le pouvoir de ravaler les mots qu'elle venait de prononcer et les empêcher de franchir ses lèvres, elle l'aurait aussitôt utilisé ; le visage de Samaël s'était figé en un masque de cruauté, inhumain. Elle n'avait jamais eu aussi peur d'un homme.
- Je te ferais payer la moindre de tes insolences, petite vipère. Gronda-t-il d'une voix sourde.
« Je n'en doute pas... » Songea-t-elle, pour elle-même cette fois-ci.
- Tout comme je te ferais payer ce que tu as fait à Adonis. Ajouta-t-il dans un vain effort pour empêcher sa voix à trembler de rage. Car c'est à toi que je dois ça, n'est-ce pas ?
Visiblement, le mercenaire savait qu'Adonis avait été tué. Il avait même dû voir son cadavre. Mais il ne semblait pas vouloir que tout le monde sache ce qu'il lui était arrivé. Carmen le comprenait : les deux tueurs tiraient leur pouvoir de la crainte qu'ils inspiraient et de leur réputation de psychopathe. Si les autres Survivants savaient que les mercenaires n'étaient pas aussi invulnérables qu'ils voulaient le faire croire, ils tenteraient sûrement de s'en prendre à eux.
Et Samaël savait que Carmen n'était pas étrangère à la mort d'Adonis. Et dès qu'il en aurait l'occasion, il allait le lui faire payer. C'était d'ailleurs qu'une question d'heures avant que Laurent ne l'autorise à se jeter sur elle. Dans la cellule, le Chef de la Famille du Sud l'avait déjà condamnée sans le moindre remord, il n'allait pas en avoir d'avantage à présent...
- Assez traîné ! Gronda Laurent, soudain de mauvaise humeur. Toi ! Ajouta-t-il à l'adresse de Cooper qui sursauta violemment. Apporte-moi ce flacon.
Le jeune homme ne protesta pas une seconde. Il se précipita vers Carmen, toujours menacée par le fusil de Kylian, sans oser croiser le regard de la jeune fille. Il prit le flacon que son ami lui tendait et retourna rapidement auprès du Chef de la Famille du Sud pour le lui donner, avec la même crainte qu'un oiseau devant s'approcher d'un chat affamé. Il ne se détendit que lorsqu'il retourna à sa place.
Laurent observa le flacon à la lumière des flammes qui crépitaient au centre de la place. Il le fit rouler entre ses doigts, ouvrit le bouchon et sentit le liquide avant de le refermer d'un claquement sec. Il jeta un regard mauvais à Carmen :
- Qu'est-ce qui me dit que ce n'est pas un piège ? Demanda-t-il, hargneux.
- Ma seule parole ne te suffit pas ? Rétorqua-t-elle, faussement scandalisée.
Dans son dos, le canon du fusil s'accentua contre sa colonne vertébrale.
- Non. Répondit-il simplement.
Elle poussa un soupir navré :
- Oui...Je me doutais bien de ta réponse. Mais je comprends que tu te méfie. Ce flacon est peut-être un piège...ou pas.
Laurent l'observa. Une nouvelle lueur venait d'éclairer son regard. Carmen comprit que c'était de la curiosité.
Jouant le tout pour le tout, n'ayant que d'autre choix que de gagner du temps pour Sergueï et Emilio, elle poursuivit :
- Car en fin de compte, tu ne sais pas si je dis la vérité ou non. Et si c'était vraiment le vaccin contre l'Année Noire que tu tenais entre tes mains ?
- Pourquoi me le donnerais-tu ? Rétorqua-t-il. Tu n'as rien à gagner en le faisant, et tout à perdre.
- Bien au contraire, Laurent. Je n'ai rien à perdre. Et je peux gagner.
Laurent fronça les sourcils. Il la regardait avec considération, longuement. Carmen savait qu'il tentait de déceler le mensonge sur son visage mais elle resta imperméable. Elle attendit, essayant de ne pas montrer la tension qui la tiraillait.
Bluffer contre Laurent était l'un des jeux les plus dangereux qu'elle eut à faire dans sa vie.
- Tiens donc ? Marmonna-t-il finalement. Et qu'as-tu à gagner dans cette partie, dont nous savons l'un comme l'autre que l'issue te sera fatale ?
- C'est vrai, le combat est inégal. Concéda-t-elle. Mais ne pas tenter de marchander avec toi serais stupide.
- Marchander ? Répéta-t-il.
Laurent parut stupéfait. Puis, il rejeta la tête en arrière et éclata de rire, timidement imité par quelques membres de la Famille du Sud.
- Tu veux passer un marché ? S'exclama-t-il, hilare. Qu'est-ce que tu veux en échange de ce vaccin ? La vie de tes amis ? Aaaah, Carmen...Soupira-t-il en secouant la tête, amusé. Ça ne marche pas comme ça avec moi, et tu le sais très bien. Ce vaccin ne vaut pas la vie de tes misérables compagnons, à moins qu'ils ne souhaitent se joindre à moi et me jure fidélité. Et je doute que ce soit le cas. Ajouta-t-il en lançant un regard moqueur vers les prisonniers.
- Pourquoi ne tenterai-je pas ma chance ? Répliqua-t-elle. Je peux faire appel à ta parole d'honneur, Laurent. Tu as de nombreux défauts, -bien trop nombreux pour tous les citer-, mais s'il y a quelque chose que je ne peux pas nier d'avoir admiré chez toi, c'est ta parole d'honneur. Je t'ai apporté le vaccin, tu vas me faire tuer par Samaël. Je peux bien avoir une petite compensation, non ? Laisse partir les membres de la Famille du Nord...ou au moins quelques-uns !
Elle sut qu'elle venait de commettre une erreur au moment même où ces mots franchissaient ses lèvres. Laurent éclata à nouveau de rire :
- Quelques-uns ? Répéta-t-il. Lesquels ? Quels seront celles et ceux que tu vas sauver ? Et qui vas-tu condamner ? Tu es donc prête à endosser le rôle de juge et de bourreau en même temps ? Quel courage, Carmen ! Tu m'impressionnes.
Il la regardait à présent avec beaucoup de satisfaction, un sourire d'appréciation malsaine aux lèvres.
- Tu as décidemment beaucoup changé, ces dernières semaines. Commenta-t-il. Je ne sais pas ce que Nathaniel t'as fait, mais je ne m'attendais pas à ce que tu sois devenue aussi opportuniste et sans scrupules au contact de la Famille du Nord. En fin de compte, c'est plutôt plaisant. Et ça me conforte dans l'idée que tu aurais pu faire de grandes choses à mes côtés. Mais si tu espérais m'attendrir ou me duper avec tes mensonges dérisoires, tu te trompes sur toute la ligne. Et je ne laisserais partir aucun membre de la Famille du Nord.
- Mais...commença Carmen, la gorge sèche.
- Ceux qui voudront vivre devront se plier à mes règles et mes lois. Coupa-t-il brutalement. Ceux qui refusent de se soumettre seront exécutés.
Il y eu des acclamations réjouies parmi les membres de la Famille du Sud et des mouvements de panique chez les prisonniers. Sergueï et Emilio avaient intérêts de se dépêcher s'ils voulaient éviter que Laurent ne mette ses menaces à exécution.
Cette fois, ses possibilités de gagner du temps pour eux s'amenuisaient de seconde en seconde.
- Et toi aussi, tu mourras, Carmen. Poursuivit-il d'un ton indifférent. Je devrais sans doute te faire un traitement de faveur, puisque tu m'as si gentiment donné ce que je voulais. Mais je n'oublie pas que tu sais certaines choses à mon sujet et je ne souhaite pas qu'elles soient divulguées. Je me doute que tu mens également sur sa composition. Et je ne suis pas stupide pour m'injecter ce produit dans les veines. C'est pourquoi, c'est « elle » qui va recevoir ton vaccin.
En disant ces mots, il détourna les yeux de Carmen. Durant une fraction de seconde. Une fraction de seconde qui glaça le sang de Carmen. Une fraction de seconde durant laquelle Laurent avait braqué toute son attention sur Ariane.
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