Chapitre 73

Les trois compagnons quittèrent le quartier général de la Famille du Sud au pas de course, toujours sur leurs gardes. Le risque qu'un ennemi ne se retrouve sur leur chemin n'était pas à exclure. Mais tout était calme dans les ruelles obscures de la ville. Apparemment, la famille du Sud et Celle du Nord s'était regroupée dans le quartier général de cette Dernière, attendant que le vaccin ne soit livré.

Ils ne croisèrent pas non plus des membres de la Famille de l'Est et de la Famille de l'Ouest. Soit ils étaient tous retournés à leurs occupations, abandonnant Nathaniel et les siens à leur sort, soit ils attendaient quelque part, à l'affut de la moindre opportunité pour contre-attaquer.

Bien trop rapidement à son goût, Carmen, Sergueï et Emilio traversèrent la ville et se retrouvèrent à une centaine de mètres du quartier général de la Famille du Nord.

Carmen regarda l'ombre du mur d'enceinte qui se découpait dans l'obscurité. Juste derrière, elle apercevait des lueurs vaciller sur les toits des maisons. Elle poussa un soupir résigné : à présent qu'elle devait mettre en action ce qu'elle avait prévu de faire, elle se sentait beaucoup moins sûre d'elle.

- Il est temps. Murmura-t-elle toutefois.

Emilio posa sa main sur son épaule et la serra dans un geste qui se voulait rassurant.

- Tout va bien se passer. Chuchota-t-il d'un ton confiant. Essaye de gagner le plus de temps possible et nous, on se charge du reste.

Elle hocha la tête, un peu plus raidement que ce qu'elle aurait voulu. Sergueï la prit dans ses bras et la serra fort contre lui. Carmen se laissa aller, guettant le battement de son cœur, lent et régulier comme le roulement des vagues, qui avait le don de l'apaiser. Elle se mit sur la pointe des pieds et déposa un baiser sur ses lèvres.

- Bonne chance. Murmura-t-elle.

- Bonne chance à toi, ma belle.

Elle se dégagea avec douceur de ses bras et lui donna le couteau qu'elle avait toujours en sa possession. Elle parvint à esquisser un faible sourire, comme pour leur dire de ne pas s'inquiéter pour elle, et se dirigea vers les grilles d'enceinte du quartier général de la Famille du Nord tandis que dans son dos, les deux hommes disparurent silencieusement dans la nuit.

Elle avait l'impression que le chemin était interminable. Elle compta chaque pas qui la rapprochait dangereusement des grilles et de la portée des tirs des membres de la Famille du Sud qui étaient sûrement postés derrières.

Ses doutes se confirmèrent lorsqu'une déflagration éclata dans le silence de la nuit. La balle de fusil heurta brutalement un pavé, faisant voler de minuscules éclats de pierre à moins d'un mètre devant elle. Elle s'immobilisa aussitôt, se retenant de toutes ses forces pour ne pas courir se mettre à l'abri.

- Qui est là ? Hurla une voix qu'elle reconnut sans trop de mal et qui provenait des grilles.

- C'est moi, Carmen ! Hurla-t-elle en retour. Je me rends !

Pendant de longues secondes, seul le silence lui répondit. Elle se crispa, s'attendant à ce qu'on lui tire à nouveau dessus. Pourtant :

- Approche-toi de la grille, les mains en évidence ! Hurla à nouveau la voix.

Carmen obéit docilement. Lentement, elle leva les mains à hauteur d'épaules et longea la rue jusqu'aux grilles qui s'ouvrirent dans un grincement métallique.

- Entre et dépêche-toi ! Gronda l'un des deux hommes qui l'accueillirent.

Elle franchit la grille et se retrouva aussitôt avec le canon d'un fusil de chasse braqué sur sa poitrine. Elle retint son souffle tandis que les hommes l'encerclaient, leurs armes pointées sur elle. Mais Carmen garda son attention sur celui qui lui faisait face, dont elle avait reconnu la voix. A présent qu'elle était proche de lui, elle pouvait distinguer ses traits dans la semi-obscurité de la nuit.

- Salut, Carmen. Dit-il.

- Salut, Kylian. Salua-t-elle en retour. Ça faisait longtemps.

- Je te le fais pas dire ! Grogna-t-il. T'es venue seule ?

- Comme tu peux le voir.

- Où est l'infirmier ? Demanda-t-il sèchement. Laurent a précisé que vous deviez venir tous les deux, si tu ne veux pas voir tous les membres de la Famille du Nord se faire descendre !

- Disons qu'il a eu un empêchement. Rétorqua-t-elle.

- C'est ça, oui ! Répliqua-t-il, narquois.

Il abaissa son fusil mais Carmen garda ses mains en évidence. Dans son dos, le deuxième homme, qui, à en juger par sa silhouette, ne pouvait être que Lucas, avait toujours son arme pointée sur elle.

- Tu es armée ? Demanda Kylian.

- Non.

Il esquissa un sourire condescendant.

- Bien sûr...question stupide, réponse idiote, n'est-ce pas ?

- La question ne se posait pas.

- Tu ne m'en voudras pas si je ne te crois pas ?

- Le contraire m'aurait étonné.

- Je me suis toujours méfié de toi.

- Je sais.

- Garde les mains en évidence durant la fouille.

Carmen réprima une moue dégoûtée. Elle s'était attendue à ce qu'on la fouille, elle savait que plus personne, au sein de la Famille du Sud, ne lui faisait confiance. Mais être palpée par Kylian était probablement une expérience qu'elle n'oublierait pas de sitôt.

Comme elle s'y attendait, le moment fut pénible. Kylian ne s'attardait pas sur ses parties intimes et se contentait de faire glisser ses doigts sur ses bras, sa taille, ses hanches et ses jambes. Carmen s'efforça de garder un visage impénétrable, mais elle ne fut pas sûre de son effet. Elle avait la désagréable sensation d'être sale.

Après quelques secondes, le jeune homme se redressa, le flacon contenant le leurre dans la main.

- C'est quoi, ça ? Demanda-t-il d'un ton autoritaire.

Carmen redressa la tête :

- C'est le vaccin. Mentit-elle d'une voix assurée.

- Le vaccin...Répéta-t-il lentement. Tiens donc. Et pourquoi celui qui l'a mis au point n'est pas avec toi ?

Carmen prit une grande inspiration et planta son regard dans celui du jeune homme :

- S'il n'est pas venu, c'est parce que j'avais l'intention de négocier avec Laurent.

Kylian et Lucas s'esclaffèrent.

- Négocier ? Répéta ce dernier en ricanant. Tu n'as rien à négocier, ma jolie ! Je te signale que tu n'es pas en position de force et que Laurent ne négocie jamais avec les traîtres.

- Ça, ce sera à lui de juger, pas à toi. Répliqua-t-elle sèchement. Vous allez me conduire auprès de Laurent ? Il me semble qu'il m'attend, non ? A moins qu'il n'ait appris entre-temps les vertus de la patience ?

Dans son dos, Lucas cessa brusquement de rire et appuya le canon de son fusil de chasse entre ses omoplates, prêt à lui trouer le dos. Elle chancela légèrement sous la force du coup mais garda la tête haute.

- Je te conseille de ne pas trop te la ramener, Carmen ! Gronda Kylian, hargneux.

- Sinon quoi ? Rétorqua-t-elle. Qu'est-ce que tu pourrais m'infliger qui me fasse trembler de peur ?

- Moi ? Rien. Nous nous connaissons depuis trop longtemps pour avoir peur de l'autre, tu ne crois pas ? En revanche, j'ai entendu dire que Samaël était impatient de te revoir. Il semblerait que vous ayez encore une conversation à poursuivre...

Carmen sentit son sang se glacer dans ses veines. Elle pria que dans l'obscurité, Kylian n'aperçoive pas la fine pellicule de sueur qui perlait sur son front. Elle ne voulait pas qu'il voit qu'elle avait peur de se retrouver à nouveau face au mercenaire.

D'autant plus qu'à cette heure, Samaël devait savoir qu'Adonis était mort.

Et il devait être fou de rage.

- Ça tombe bien, j'avais encore des tas de choses à lui dire. Fit-elle en haussant les épaules.

Kylian lui sourit d'un air goguenard, nullement dupe. Puis, il se tourna vers Lucas :

- Ferme la grille et surveille les alentours. Ordonna-t-il. Si tu vois le moindre mouvement, tu tires. Moi, je vais la conduire jusqu'à Laurent.

Lucas se renfrogna :

- Pourquoi est-ce que je devrais rester seul ici, alors que tout le monde est sur la place ?

- Parce que c'est un ordre que je te donne. Répliqua sèchement Kylian. Tu surveilles les alentours et tu la ferme !

- Il n'y aura personne qui osera se pointer devant les grilles. Insista-t-il. Elle est venue seule...

- Et tu la crois ? S'exclama Kylian en levant les yeux au ciel, exaspéré. T'es vraiment con ! Premièrement, tu ne dois jamais croire une seule parole que pourrait prononcer cette petite vipère ! Deuxièmement, nous n'avons aucune garantie que tous les membres de la Famille du Nord soient bien capturés ! Et troisièmement, je te signale que la Famille de l'Est et Celle de l'Ouest ne sont pas loin, à attendre la suite des événements ! La moindre faute de notre part, et on se fera massacrer ! Alors on s'en tient au plan de Laurent et tu restes là. Et gare à toi si tu dors à mon retour !

Lucas bougonna quelques mots que Carmen ne comprit pas. Et Kylian n'y prêta aucune attention. Il poussa Carmen du bout de son fusil pour l'inciter à avancer et elle se mit docilement en marche.

- Comme tu l'as sans doute comprit, Laurent est sur la place principale. Indiqua-t-il. Tu connais le chemin, je suppose ?

Elle se contenta d'hocher raidement la tête. Oui, elle connaissait parfaitement le chemin qu'il fallait emprunter pour se rendre sur la place. Dans son dos, Kylian pesta d'une voix sourde :

- Tu sais quoi, Carmen ? Si on m'avait dit qu'un des membres de la Famille du Sud était un traître, ce n'est pas sur toi que j'aurais parié. Sincèrement ! Ajouta-t-il en l'entendant pousser une petite exclamation incrédule. De nous tous, je croyais que tu serais celle qui n'allait jamais retourner sa veste. Après tout, tu as toujours été la petite préférée de Laurent...

- Je ne vois pas de quoi tu parles. Maugréa-t-elle. Cite-moi une seule fois où j'ai bénéficié d'un traitement de faveur ?

- Je pourrais t'en fournir une bonne dizaine. Affirma-t-il.

- Ce ne sont que des spéculations. Et des rumeurs de comptoir. Répliqua-t-elle. Il n'y a pas d'intérêt à ce que j'y réponde.

- Bah ! De toute manière, c'est pas comme si tes excuses allaient changer quoi que ce soit à ta situation, n'est-ce pas ?

- Non, en effet. Je ne m'attends pas à ce que Laurent se montre clément.

- T'as raison de ne pas être trop optimiste.

Devant eux, la rue s'ouvrait sur la place principale du quartier général de la Famille du Nord. Carmen fit encore quelques pas avant d'y parvenir. Elle se figea quand elle découvrit le spectacle qui s'offrait devant ses yeux :

La place était éclairée par un grand feu qui brûlait en son centre, dégageant une chaleur étouffante et de grandes flammes rouges et orange s'élevaient vers le ciel et diffusaient des lueurs inquiétantes contre les façades des maisons. A droite, elle aperçut les membres de la Famille du Nord, tous alignés à genoux face au mur de l'une des maisons, les mains sur la nuque, solidement encadrés par une demi-douzaine de membres de la Famille du Sud qui les regardaient avec hostilité, comme s'ils rêvaient de les abattre.

Parmi les prisonniers, Carmen reconnut la silhouette frêle d'Ariane. Elle ressentit un pincement au cœur lorsqu'elle remarqua que ses épaules tremblaient. La jeune fille devait être terrorisée. Elle aurait voulu courir vers elle pour la réconforter, la rassurer, lui dire que tout allait bien se passer.

Mais il lui était impossible d'agir de la sorte. Pas sans dévoiler le plan qu'elle avait mis au point avec Sergueï, Emilio et Beniamino. Elle risquerait de les trahir. De plus, sa propre position n'était guère brillante et elle n'aurait pas pu approcher les prisonniers. Pas avec celles et ceux qui les entouraient et qui avaient leurs armes braqués sur eux, attendant, impatients, que l'un des prisonnier ne tente un geste désespéré de fuite pour l'abattre.

Ou attendant que Laurent ne leur en donne l'ordre.

Ce dernier se tenait devant le feu, tournant nonchalamment le dos aux prisonniers, les bras croisés et le regard perdu dans les braises incandescentes qui rougeoyaient dans l'obscurité. Il semblait ne plus être là, indifférent à ce qui se déroulait autour de lui, comme étranger aux autres.

Mais lorsque Kylian poussa Carmen, si rudement qu'elle manqua de trébucher, Laurent cligna des yeux pour revenir à lui et il tourna la tête vers elle. Il n'esquissa pas un geste, n'émit pas la moindre parole, se contentant simplement de l'observer.

Mais autour de lui, la place s'était agitée. Certains membres de la Famille du Sud poussèrent des exclamations de surprise en la voyant, d'autres se mirent à rire moqueusement. Mais Carmen les ignora. Elle n'avait d'yeux que pour Laurent.

Le Chef de la Famille du Sud sourit d'un air presque amical alors qu'elle fut contrainte de s'approcher d'avantage du feu.

- Carmen. Salua-t-il d'une voix forte. Bon retour chez toi ! Ajouta-t-il, narquois, en désignant la place d'un geste ample du bras.


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