Chapitre 71

Ce fut le craquement du bois des marches de l'escalier qui les tirèrent de leur sommeil. Aussitôt, ils se redressèrent et tendirent l'oreille, le cœur battant. Quelqu'un était en train de monter jusqu'à eux.

Ils se jetèrent un regard éloquent et agirent aussitôt, en silence. Sergueï mit en joue son fusil et le braqua sur la porte close, le doigt sur la gâchette, prêt à tirer sur l'intrus. Carmen et Beniamino se plaquèrent de part et d'autre de la porte et tirèrent leurs couteaux de leurs poches.

Carmen sentait son cœur tambouriner dans sa poitrine tandis que les bruits de pas se rapprochaient de leur position. Est-ce que Samaël les avait retrouvés ? Elle en eu des frissons d'effroi à cette unique pensée. Elle tendit l'oreille. Les pas venaient de s'arrêter dans le couloir, juste devant la porte. Elle échangea un regard avec Beniamino qui était prêt à bondir sur l'intrus et Sergueï qui ajusta légèrement son fusil contre son épaule, concentré.

La poignée de la porte s'abaissa. Carmen resserra ses doigts sur le manche de son couteau. La porte s'ouvrit brusquement. D'un même mouvement, Beniamino et elle se jetèrent sur l'intrus pour le maîtriser.

Ce fut aussitôt le capharnaüm. Carmen, qui avait brandit son couteau, fut stoppée dans son geste par la main puissante d'Emilio qui avait donné dans le même temps un coup de pied dans la cuisse de Beniamino qui, emporté par son élan et surpris par le coup, perdit l'équilibre et les renversa. Tous trois s'écrasèrent sur le sol dans un amas humain de pieds et de bras, sonnés et stupéfaits.

- Bon Dieu ! Jura Emilio entre ses dents.

- Merde ! Jura à son tour Carmen en grimaçant de douleur, la jambe coincée entre le plancher poussiéreux et le torse puissant d'Emilio.

- Est-ce que ça va ? Demanda Sergueï en se précipitant sur eux pour leur venir en aide.

Fort heureusement, le jeune homme avait reconnu Emilio à temps et n'avait pas tiré, évitant de justesse d'abattre un puissant allié.

- Il y a quelqu'un qui écrase mon bras ! Lui répondit Beniamino en pestant. Déjà que j'en ai plus qu'un de valide...

- Si vous pouviez vous relever, ce serait bien. Grogna Emilio.

Sergueï leur donna un coup de main pour se défaire les uns des autres. Lorsque tout le monde put se redresser, le souffle court, Ben s'adressa à Emilio :

- Qu'est-ce que tu fiche ici ? Tu n'as pas été capturé, comme les autres ?

- Je vous cherchais, quelle question ! Répliqua ce dernier en levant les yeux au ciel, exaspéré. Quand je me suis aperçu que Laurent allait abattre Nathaniel si la Famille du Nord ne se rendait pas, je me suis caché. Je ne voulais pas me rendre. Mourir au combat, oui, mais me faire capturer et traîner aux pieds de cette raclure de Laurent, pas question ! Et je me suis dit que je serais sûrement plus utile libre que prisonnier.

- Est-ce que tu sais quelque chose qui nous a échappé ? Demanda Carmen.

Elle était profondément soulagée de savoir Emilio en vie et libre. C'était un homme de combat calme et expérimenté. Son aide ne pouvait être que bénéfique.

Ce dernier haussa les épaules :

- J'ignore ce dont vous êtes au courant. Marmonna-t-il. Pour ma part, j'ai juste eu l'occasion d'observer ce qui se tramait dans le quartier général de la Famille du Nord. Laurent en a pris le contrôle et a rassemblé tout le monde sur la place principale. J'ai vite remarqué que vous ne faisiez pas partie des prisonniers, j'en suis donc venu à la conclusion que soit vous étiez morts, soit vous aviez refusé de vous rendre. Je suis d'ailleurs très content que vous fassiez partie de la deuxième catégorie.

- Parce qu'il y en a des qui font partie de la première catégorie ? Demanda Sergueï, tendu.

- Salvatore. Répondit-il sans la moindre émotion. Je l'ai vu se faire descendre par deux types de la Famille du Sud.

- Merde. Jura Beniamino dans un souffle.

Carmen grimaça à l'annonce de la nouvelle. Salvatore était le chef d'équipe qui semblait de mauvaise humeur lorsque Nathaniel leur avait ordonné de ne pas tuer les ennemis.

- Bah ! S'exclama Emilio avec un rictus méprisant. Il n'y a pas de quoi verser des larmes ! Cet idiot est passé outre les ordres de Nathaniel et a voulu faire un exemple avec un membre de la Famille du Sud capturé. Salvatore s'est mis à le torturer pour qu'il hurle de plus en plus fort et deux autres membres du Sud ont déboulés. Et contrairement à Salvatore, ils étaient armés de mitraillettes. Et ils se sont montrés un peu plus expéditifs que lui.

- Je vois le genre...Maugréa Sergueï.

- Et vous ? Reprit Emilio. Qu'est-ce que vous savez au juste ?

Rapidement, Carmen et Beniamino lui expliquèrent tout ce que Nathaniel avait entreprit depuis qu'il avait décidé d'étudier la maladie de l'Année Noire. Emilio devint très pâle lorsqu'ils lui racontèrent que tous les Survivants étaient contaminés par le virus et que Laurent avait l'intention de se servir de Beniamino et de Carmen pour son propre compte. Mais il ne les interrompit pas une seule fois et il fut même un peu soulagé d'apprendre que grâce à eux, il y avait une chance de créer un vaccin et de se soigner.

- Je vois. Murmura-t-il à la fin de leur récit. Je vous avoue que je ne m'attendais pas à de telles informations.

- C'est compréhensible. Marmonna Carmen.

- Tu as bien caché ton jeu, Ben. Reprit-il en fusillant l'infirmier du regard.

Ce dernier haussa les épaules, démuni :

- Qu'est-ce que je pouvais faire d'autre ? Demanda-t-il. Nathaniel m'avait fait jurer de garder le secret. Tu te vois, toi, d'annoncer à tout le monde qu'on est contaminé par la maladie de l'Année Noire ? La paix était déjà bien précaire entre les Quatre Familles, une telle annonce aurait fait ressurgir tout ce que nous souhaitions combattre. Par la peur, nous nous serions tous entretués, comme par le passé. Nous n'avions pas survécu parce que nous étions plus intelligents ou moins bestiales. Nous avions juste eu la chance que le virus décide de dormir au sein de notre organisme durant toutes ces années sans nous achever.

- Je comprends le raisonnement de Nathaniel. Déclara Emilio. Toutefois, j'estime que ce n'était pas à lui de prendre une telle décision. Il aurait dû nous en parler.

- De toute manière, il est trop tard pour revenir en arrière. Intervint Carmen. Pour l'heure, peu importe de savoir si Nathaniel était dans le tort ou non. L'important, c'est de se serrer les coudes et d'empêcher Laurent de commettre un massacre.

- Je suis d'accord avec toi, princesse. Approuva Emilio en se reprenant. Bien ! Ajouta-t-il d'un air sérieux. Comme vous vous en rendez compte, notre situation n'est guère brillante. Nous nous retrouvons à quatre contre trente, autant dire qu'on a la même probabilité de survie qu'un lapin tombant du haut d'une falaise. Mais je suppose que vous avez déjà réfléchit à un plan de votre côté ?

Il les regarda tour à tour avec beaucoup d'intérêt, cherchant des yeux celui ou celle qui prendra la parole pour l'informer de leur plan d'attaque. Seulement, Carmen, Sergueï et Beniamino n'avaient pas encore eu le temps d'y réfléchir.

- Vous n'avez pas de plan ? S'étonna Emilio, ses épaules s'affaissant dans un geste de déception.

- Il est en cours de réflexion. Répliqua Sergueï d'une voix sèche.

Emilio le foudroya du regard mais le jeune homme lui tint tête sans la moindre difficulté.

- Je suppose que tu sauras nous guider. Soupira Emilio. Notre Chef de Famille est retenu en otage et en tant que son fils et héritier, c'est à toi que reviens la charge de nous sortir de ce merdier. En es-tu capable ?

Il le regardait avec beaucoup d'insistance, comme s'il cherchait à évaluer les capacités de leader de Sergueï. Carmen ne pouvait pas le lui reprocher ; ils allaient devoir confier leurs vies à Sergueï et c'était les décisions de ce dernier qui allaient les sauver ou les condamner. La jeune fille avait confiance en lui, mais elle voulait être sûre d'avoir raison de le faire.

Le jeune homme se redressa :

- Bien sûr que je réussirais à vous guider. Répondit-il. J'en ai les capacités.

- Ce n'est pas un jeu. Insista Emilio. Ce n'est pas un test que tu dois relever pour prouver que tu feras un bon Chef de Famille ou non. Tu dois être capable de reconnaître si tu peux prendre la responsabilité de nos vies ou non. Aucun d'entre nous ne t'en voudras si tu ne te sens pas prêt pour ça.

- Je sais. Répondit-il d'un air grave.

- Parfait. Dans ce cas, explique-nous ce qu'on va faire.

Sergueï détourna la tête et regarda la fenêtre obscurcie durant de longues secondes. Quand il reporta son attention sur le groupe, son visage était toujours grave. Mais à cela venait de se rajouter autre chose : de la détermination.

- Nous allons réfléchir ensemble à un plan. Chacun d'entre vous va apporter des informations qui vont nous être utile. Carmen ; toi, tu connais Laurent et la Famille du Sud mieux que quiconque. Ton savoir nous aidera à prévoir ce qu'il compte faire et comment il va réagir selon les circonstances.

- Evidemment. Assura-t-elle, confiante.

- Beniamino ; tu es notre infirmier. Ton avis médical nous sera utile. Et toi, Emilio, tu possèdes l'expérience du terrain. A nous quatre, nous devrions être capable de planifier une action qui nous sauvera de la folie de Laurent.

- Ça me va. Confirma Emilio, visiblement satisfait que Sergueï prenne les choses en main.

Sergueï se mit à faire les cent pas sous le regard attentif des autres, le visage grave.

- Ce que Laurent veut à tout prix, c'est de vous récupérer, Ben et Carmen. Commença-t-il. Il veut le vaccin qui lui permettra de guérir à la maladie de l'Année Noire et le plus tôt sera le mieux.

- En effet. Approuva Carmen. Il semble évident que Laurent ait très peur de mourir de la maladie.

- Ça, on s'en serait douté. Répliqua Ben d'une voix lasse.

Sergueï lui lança un regard qui le força à se taire. Ilse tourna ensuite vers Carmen :

- Tu peux nous en dire plus sur lui ?

- Je suis prête à te révéler tout ce que je sais. Affirma-t-elle en redressant les épaules.

- A ton avis, comment Laurent va-t-il agir ?

Elle réfléchit longuement. Elle passa mentalement en revue tout ce qu'elle savait de son ancien Chef de Famille et un plan commença à germer dans son esprit.

- J'ai peut-être une idée. Commença-t-elle, hésitante. Mais je ne sais pas si elle pourrait fonctionner...Je ne suis pas très douée pour élaborer des plans. S'excusa-t-elle en rougissant légèrement.

- J'ai remarqué, oui. Commenta Ben en réprimant un sourire. Il n'empêche, ton dernier plan a fonctionné ! Pas exactement comme tu l'espérais, mais on s'en est quand même tiré. Et on peut affirmer, en toute modestie, que nous sommes les seuls à avoir eu la chance d'échapper à Samaël et Adonis !

- Et alors ? Tu t'attends à recevoir une médaille ? Répliqua sèchement Emilio.

- Non. Je veux une statue à mon effigie. En or massif et grandeur nature, s'il te plaît.

Carmen sourit. Emilio donna une claque à l'arrière de la tête de l'infirmier pour le faire taire.

- Tu as un plan pour vaincre Laurent ? Quel est-il ?

Visiblement, il se montrait très intéressé et impatient de connaître son idée.

La jeune fille prit une grande inspiration avant de déclarer :

- On va faire ce que Laurent veut de nous : on va élaborer un vaccin.

Un long silence s'installa suite à ses paroles. Les trois hommes la regardèrent d'un air stupéfait.

- Je m'attendais à tout, sauf à ça. Maugréa Emilio. T'es sûre d'avoir bien compris la situation, princesse ?

- Evidemment. Répliqua-t-elle, piquée au vif.

- Et comment tu comptes t'y prendre ? S'exclama Beniamino en levant les yeux au ciel. Nous n'avons pas le matériel adéquat pour ça, il est à l'infirmerie de la Famille du Nord.

- La Famille du Sud possède également une infirmerie. Objecta Carmen.

- Soit. Mais élaborer un vaccin demande du temps. Or, on n'en a pas.

- C'est vrai. Mais Laurent, lui, l'ignore. Répliqua-t-elle. Il ne s'y connait pas en médecine, il ne sait pas le temps qu'il faut pour élaborer un vaccin, pas plus qu'il ne sache quelles sont les étapes pour le faire. Tout ce qui l'intéresse, c'est de savoir que ce vaccin va lui sauver la vie.

- Que proposes-tu, dans ce cas ? Demanda Emilio.

- Je propose que nous nous rendions dans le quartier général de la Famille du Sud. Répondit-elle. Nous allons nous faufiler dans l'infirmerie et Beniamino va commencer l'élaboration du vaccin. On n'aura pas le temps de le terminer avant que Laurent ne perde patience et ne décide de tuer les otages. En revanche, on peut gagner du temps en proposant un autre vaccin à Laurent...Ou n'importe quoi d'autre, du temps qu'il ne se rende pas tout de suite compte de la supercherie.

- Un autre vaccin qui servirait de leurre ? C'est pas bête...Commenta Sergueï. Mais il faudrait que l'un de nous se dévoue pour se jeter dans la gueule du loup.

- Laurent sera très méfiant. Avertit-elle. Je propose donc que ce soit moi qui me rende auprès de lui. Comme ça, il aura l'impression que nous aurions rempli une part de son marché.

- C'est risqué, comme plan. Commenta Beniamino. Bien trop risqué, d'ailleurs.

- As-tu une meilleure idée ? Intervint Sergueï. N'hésite pas à nous en faire part dans ce cas !

L'infirmier se rembrunit.

- Non. Répondit-il. Aucun plan sensé ne me vient en tête.

- Ce plan est complètement fou. Marmonna Emilio. Et il tiendra du miracle si nous le réussissions ! Mais c'est d'accord. Je te suis, princesse.

Carmen lui lança un regard, rassurée.

- Je propose que pendant que tu te rendes à Laurent, Emilio et moi nous nous infiltrerions dans le quartier général de la Famille du Nord. Intervint Sergueï. Tu feras diversion pendant qu'on tente de libérer les otages. Ou qu'on trouve un angle d'attaque duquel on peut neutraliser Laurent définitivement.

- Nous sommes donc d'accord ? Demanda Emilio.

Tout le monde hocha la tête.

- Parfait. Allons-y. Annonça Sergueï d'une voix déterminée.


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