Chapitre 70

« Repose-toi. »

Quelle idée saugrenue !

Comment pouvait-elle songer à s'endormir alors qu'elle ne savait pas ce qui se passait hors des murs de cette maudite maison abandonnée ?

Depuis le départ du jeune homme, les minutes s'étaient éternisées, se changeant en heures. Inquiète, Carmen restait prostrée dans un coin de la pièce et se crispait quand elle entendait des craquements dans la maison. Mais c'était une vieille bâtisse, avec des charpentes qui grinçaient sous l'effet de la chaleur et du temps. Du moins, elle espérait que ce ne soit que la chaleur et le temps.

Elle n'aurait pas été en mesure de se défendre si un ennemi la retrouvait.

Le jeune homme prenait beaucoup de temps pour revenir. Elle ne savait pas si c'était bon signe. Peut-être que le quartier général de la Famille du Nord avait été envahi et que Sergueï devait trouver un autre moyen pour entrer, sauver Beniamino et ressortir sans se faire capturer ou tuer. Elle n'oubliait pas que Beniamino était toujours blessé et probablement affaibli. Elle se souvenait qu'elle avait dû le soutenir pour revenir jusqu'au quartier général de la Famille du Nord.

A moins qu'ils soient tous les deux déjà morts. Mais ça, elle ne voulait pas y songer.

Elle n'aurait jamais voulu le montrer, mais elle était terrorisée à l'idée que Sergueï ne revienne pas. Elle passa un doigt sur ses lèvres. Elle espérait que le baiser qu'il lui avait donné ne serait pas le dernier.

Le soleil était en train de se coucher derrière les montagnes, plongeant lentement la ville dans l'obscurité. Depuis la fenêtre de la pièce, Carmen pouvait distinguer la lueur pâle des étoiles qui s'allumaient les unes après les autres. Ça faisait longtemps que Sergueï était parti à présent. La jeune fille commençait à perdre espoir.

Qu'allait-elle faire s'il ne revenait pas ? Que se passait-il réellement au-dehors ? Est-ce que la Famille du Sud avait réussi à prendre le dessus ou est-ce que la Famille du Nord avait réussi à La repousser ? Et s'il n'y avait plus qu'elle qui pouvait aider les autres ? Elle ne pouvait pas se cacher dans cette maison en ruine jusqu'à la fin de ses jours ! Mais toute seule, comment parviendrait-elle à libérer ceux qui avaient été capturés par la Famille du Sud ? Et si elle sortait, elle risquait de se faire capturer et Laurent mettrait son plan à exécution...

Ça faisait beaucoup de questions. Carmen souffla un grand coup et ferma les yeux. Réfléchir posément et intelligemment. Ça ne servait à rien de céder à la panique. Elle allait attendre ce qui allait se passer. Et en fonction des événements, elle agirait en conséquence.

Des craquements dans l'escalier l'alertèrent soudain. Elle se figea, le cœur battant et tendit l'oreille, essayant de deviner qui était en train de monter. Les pas étaient lourds et incertains. Il y avait plusieurs personnes. Ça ne pouvait être qu'eux. Et en effet, Sergueï et Beniamino apparurent dans l'embrasure de la porte, le premier soutenant le deuxième.

L'infirmier avait l'air épuisé mais semblait moins souffrir de ses blessures. Il avait repris quelques couleurs et il lui sourit quand il la vit :

- Salut Carmen ! Lança-t-il. C'est sympa la déco de ton nouveau chez-toi ! Commenta-t-il en jetant un coup d'œil circulaire à la pièce poussiéreuse.

- Bienvenue dans mon palace ! Rétorqua-t-elle sur le même ton, profondément soulagée de revoir les deux hommes. Comment tu te sens ?

- Ça va. Répondit-il simplement. Mais il parait qu'on est dans la merde ?

- Il parait, oui.

- Sergueï m'a tout expliqué. Alors comme ça, tu es au courant de tout ?

- Nathaniel s'est montré peut-être un peu trop joyeux à l'annonce de mes résultats sanguins. Il avait momentanément oublié qu'il avait affaire à Laurent.

- Et ce dernier, dans sa grande générosité, a décidé de se réserver la plus grande part du gâteau ? Répliqua-t-il, sarcastique. C'est super. Je me demande combien de bonnes nouvelles comme celle-ci je vais encore pouvoir encaisser.

Le ton de sa voix était toujours ironique mais son visage était redevenu grave. Sergueï intervint :

- Nathaniel a été capturé par Laurent.

Il fallut quelques secondes à Carmen pour assimiler cette information.

- Il a été capturé ? Répéta-t-elle.

Il regarda tour à tour les deux hommes dont les visages s'étaient assombris.

- Dis-moi ce qui se passe. Murmura-t-elle.

Sa voix s'était mise à trembler. Elle avait peur de ce qu'elle apprendrait de la bouche de Sergueï mais elle devait savoir.

- Laurent a fait prisonnier Nathaniel. Répondit-il de sa voix feutrée comme celle d'un chat. La Famille du Sud a envahi le quartier général de la Famille du Nord. Elle n'a même pas eu besoin de se battre pour ça, puisque Laurent a menacé de tuer son otage. Tout le monde a déposé les armes et s'est rendu. Même Renzo et Ysia, les Chefs de la Famille de l'Ouest et de l'Est, ont fait retirer leurs effectifs du champ de bataille pour éviter que Nathaniel ne soit exécuté. Ils sont probablement en train d'attendre la suite des événements. J'ai réussi à m'introduire dans notre quartier général et à faire sortir Ben de ce guêpier avant qu'on ne soit totalement encerclé.

- Donc...on est seuls sur ce coup ? Résuma-t-elle d'une voix blanche.

- Oui. Laurent va vite se rendre compte que Beniamino ne fait pas parti des prisonniers. Il voudra peut-être faire du chantage. Toi et Ben, en échange de la vie des prisonniers.

- C'est en effet ce qu'il va faire. Assura Carmen.

Elle connaissait trop bien Laurent pour savoir de quoi il était capable.

- Qu'est-ce qu'on va faire, alors ? Demanda Beniamino.

- On va se reposer un peu. Décida Sergueï, sûr de lui. On ne doit pas prendre de décision de manière irréfléchie et précipitée. On doit se concentrer, rester objectif et avoir un plan d'attaque. On se repose une heure, et après, on réfléchit ensemble à un plan.

- Tu n'as pas peur que Laurent profite de cette heure pour exécuter ses otages ? Demanda Carmen, inquiète pour la vie des autres.

Sergueï resta silencieux quelques minutes. Carmen savait qu'il avait pensé à cette possibilité.

- C'est malheureusement un risque qu'on va devoir courir. Murmura-t-il d'un air résigné. Nous sommes épuisés, effrayés, en colère. Nous avons besoin de repos avant de pouvoir agir d'une manière plus efficace. J'ai peur pour les membres de la Famille du Nord, je ne vous le cache pas. Mais dites-vous que les membres de la Famille du Sud sont aussi épuisés que nous. Eux aussi ont besoin de repos. Laurent a besoin des otages pour avoir un moyen de pression sur nous. Et il est suffisamment intelligent pour savoir que s'il les exécute tous, nous ne nous rendrons pas.

- Raisonnement logique. Approuva Beniamino. Je suis d'accord avec toi.

Il poussa un long soupir et il se laissa glisser contre l'un des murs décrépi par le temps. Sergueï et Carmen l'imitèrent et le silence les enveloppa quelques instants.

- Comment avez-vous fait pour sortir du quartier général de la Famille du Nord sans vous faire repérer ? Demanda subitement la jeune fille, les sourcils froncés.

Elle se demandait sérieusement comment Sergueï avait réussi un tel exploit.

Beniamino grogna, soudain de mauvaise humeur :

- Il m'a fait passer par un terrier de renard et du maquis. Avec mes blessures, en plus !

- Le terrier ? Répéta-t-elle en regardant attentivement Sergueï. Tu t'en es souvenu ?

- Je me rappelle de tout ce que tu m'as dit. Répliqua-t-il en haussant les épaules.

Elle se jeta sur lui. Oubliant complètement la présence de Beniamino et la situation critique dans laquelle ils se trouvaient, elle embrassa Sergueï avec passion. Le jeune homme, bien que surpris, lui rendit son baiser avec encore plus de fougue et passa ses bras autour d'elle pour la serer fort contre lui.

- Tu es génial. Murmura-t-elle en mettant fin au baiser.

Son sourire redevint moqueur :

- Tu n'avais pas dit que si je revenais, tu n'allais pas m'embrasser ?

- Ah ? J'ai dit ça ? Répliqua-t-elle, narquoise.

Beniamino les regardait tour à tour, la mâchoire grande ouverte.

- J'ai...loupé un épisode ? Balbutia-t-il.

- Probablement un ou deux, oui. Avoua Sergueï, sans quitter Carmen des yeux.

- Depuis quand vous êtes ensemble ? S'exclama-t-il, stupéfait.

Ni Carmen, ni Sergueï ne répondirent. Ils évitèrent même de se regarder.

- En fait...Commença le jeune homme en se grattant la nuque, gêné.

- Nous ne sommes pas à proprement parlé « ensemble ». Acheva Carmen, les joues roses. Pas encore, du moins. Ajouta-t-elle en jetant un coup d'œil à Sergueï.  

- Oh. Ça veut dire que j'ai toujours une chance ? Demanda Beniamino d'un ton faussement bravache.

Quelques secondes de silence tombèrent avant qu'ils ne se mettent tous à éclater de rire. Pendant quelques merveilleuses secondes, Carmen oublia qu'elle était cachée dans une maison abandonnée, en pleine période de guerre, avec quatre Familles en conflit et un mercenaire assoiffé de sang dans la ville. Ça lui fit beaucoup de bien de pouvoir encore rire avec Beniamino et Sergueï.

Quand ils retrouvèrent leur sérieux, Sergueï leur intima de se reposer. Carmen posa sa tête sur son épaule et ferma les yeux. Toute la fatigue, la peur, la douleur accumulées durant la journée avaient fini par avoir raison d'elle. La jeune fille ne mit guère de temps pour s'assoupir profondément, sombrant dans un sommeil, sans rêves et libérateur.


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