Chapitre 66

Carmen sursauta brusquement en entendant ces mots. Nathaniel avait un fils ? Comment se faisait-il qu'elle n'en ait jamais entendu parler ? Pourquoi personne ne lui avait rien dit ? Elle avait appris beaucoup de choses sur la Famille du Nord mais cette information-là, elle ne l'avait jamais entendue. Et elle ne l'aurait jamais imaginé !

- C'est très optimiste de ta part. Commenta la voix de Laurent. Mais tu ne penses pas qu'il fasse déjà parti des victimes de cette bataille ?

- Quand on est parent, on sait quand notre enfant est en danger. Rétorqua Nathaniel d'un ton serein. Mon fils vit encore et il poursuivra mon œuvre.

Carmen fronça les sourcils. De quelle œuvre parlait-il ? Le sens de cette conversation lui échappait complètement. Est-ce que c'était en lien avec cette bataille sanglante ? Ou avec un conflit plus profond entre les Quatre Familles ? Ou encore avec la liste de noms que Carmen avait dû récupérer pour lui ?

- Si ça peut te consoler dans ta mort. Répliqua Laurent d'un ton nonchalant.

- Et toi, Laurent ? Demanda Nathaniel sur le même ton. Qu'est-ce qui te consolerait dans la mort ?

Il y eut quelques secondes de silence. Carmen devina que le Chef de la Famille du Sud réfléchissait à la question.

- Rien. Finit-il par lâcher. Je suis né seul et j'ai grandi seul, je mourrai donc seul. Il n'y a personne que je regretterai et personne ne me regrettera.

- Même ta propre Famille ? Insista Nathaniel.

- La seule personne que je pouvais regretter, tu me l'as enlevé. A présent, elle ne représente plus rien à mes yeux.

- Ah... Carmen ?

La jeune fille tressaillit en entendant son nom. Elle ne comprenait pas pourquoi il apparaissait subitement dans leur conversation.

- Tu sais qu'elle te considère toujours comme son grand frère ? Reprit Nathaniel avec sérieux. Même en acceptant de faire partie de ma Famille, elle n'a jamais rien voulu dire sur toi. Rien que ce que je savais déjà.

- La belle affaire ! S'exclama Laurent, méprisant. Peu m'importe que Carmen meure ou souffre. Elle m'a trahi et elle connaissait mon secret.

- Ce que tu peux être exclusif ! Soupira Nathaniel. Tu n'as jamais supporté l'idée de devoir partager ! Tu veux toujours avoir tout, tout de suite, tout le temps.

- Est-ce que tu peux arrêter de me faire la morale comme si j'étais un gosse de dix ans ?

Un lourd silence s'installa entre eux. Carmen se recroquevilla, s'attendant à ce que des coups de feu retentissent de l'autre côté du muret. Mais rien ne se passa. Puis, la voix de Nathaniel s'éleva à nouveau :

- Je n'aurais peut-être pas dû lui raconter ce secret, en effet. C'était...un peu mesquin de ma part d'avoir utilisé ton passé. Mais même en étant au courant, Carmen voulait revenir vers toi. Je ne l'avais pas convaincue et si tu l'avais vue ce soir-là, tu aurais pu lui raconter n'importe quoi et elle t'aurait cru. Elle serait restée auprès de toi.

- Qui sait ? Le destin en a voulu autrement, n'est-ce pas ?

- J'avoue avoir un peu provoqué le destin.

Le Chef de la Famille du Sud poussa un long soupir exaspéré :

- Franchement, Nathaniel ; tu ne pouvais pas te trouver une autre décodeuse que la mienne ?

- Ce n'est pas ses talents de décodeuse qui m'intéressaient.

- Tu n'espères tout de même pas me faire avaler ça ? Ricana Laurent.

- Toi aussi, tu as provoqué le destin.

- Je n'ai rien à me reprocher.

- Ça, je n'en doute pas ! Tu n'es pas le genre d'homme qui se remet en question. Tu n'as jamais été comme ça. Mais tu n'es pas étranger à toute cette histoire.

- Oh ? Une histoire avant de mourir ? Demanda Laurent, sarcastique. Pourquoi pas ? Tu n'as plus grand-chose à perdre de toute manière.

- Tu te trompes, Laurent. Pour la deuxième fois, tu te trompes.

- La deuxième fois ?

Carmen entendit de la surprise dans la voix de Laurent. Puis, il y eu une violente quinte de toux. Inquiète, elle guigna à l'angle du muret pour voir ce qui se passait. Elle vit Nathaniel plié en deux, la main devant la bouche, les épaules tremblantes. Laurent ne bougeait pas, il ne profita même pas de l'occasion pour l'attaquer. Il se contentait simplement de l'observer d'un air méprisant.

La toux de Nathaniel se calma et il put se redresser, le souffle court. Il lui montra sa main.

Elle était couverte de sang.

- Tu craches du sang, maintenant ? Assena brutalement Laurent. Tu es encore plus malade et plus vieux que je ne le pensais !

- C'est vrai. Répliqua-t-il. Je suis vieux et malade. Mais toi aussi, Laurent. Tu es malade. Et tous les autres Survivants aussi, d'ailleurs.

- De quoi est-ce que tu parles ? Répliqua-t-il sèchement.

- Je te raconte la dernière histoire avant de mourir. Je suis condamné. Que je meurs de ta main ou par la maladie, ça n'a pas d'importance.

- La maladie...Répéta Laurent. Attends...Tu veux parler...de l'épidémie de l'Année Noire ?

Il eut un geste de recul et Carmen se cacha à nouveau derrière le muret. Il y avait une véritable panique qui perçait dans la voix du Chef de la Famille du Sud à présent. Et elle ne pouvait que le comprendre ; la maladie de l'Année Noire avait décimé des milliers de personnes et nul ne savait ce qui avait déclenché cette épidémie, ni comment elle se transmettait entre les individus et encore moins comment l'arrêter.

Elle se sentit brusquement nauséeuse. Que voulait-il dire par « tous les Survivants sont malades » ? Ça voulait dire qu'elle aussi était contaminée ? Tout comme Sergueï, Fiona, Ariane, Beniamino, Emilio, Renaud et tous les autres ? Mais comment Nathaniel avait pu cacher une telle information à toute la Famille du Nord ? Comment avait-il fait pour cacher son état aux yeux de tous ? Et pourquoi était-il le seul à montrer des symptômes ?

Nathaniel avait intérêt d'avoir une bonne explication ! Voulant à tout prix connaître la réponse à ses interrogations, elle tendit l'oreille pour écouter la suite de la conversation :

- Oui. C'est d'elle que je parle. Répondit Nathaniel d'un ton effroyablement calme. Laisse-moi te raconter cette histoire en commençant par te poser une question ; à ton avis, pourquoi avons-nous survécut à l'Année Noire ?

Laurent ne répondit pas. Mais de toute évidence, Nathaniel n'attendait pas de réponse car il poursuivit presque aussitôt :

- Nous avons tous été contaminés. Même nous, les Survivants, portons le virus dans notre corps. Mais contrairement aux autres, la maladie ne s'est pas déclarée. C'était comme si le virus avait décidé de dormir dans notre organisme, attendant son heure pour se réveiller et nous tuer. Depuis l'Année Noire, j'ai fait de nombreuses recherches sur le sujet. Il y a deux ans, Beniamino et moi avions fait une intéressante découverte.

- Laquelle ? Gronda Laurent, tendu.

- Qu'il y avait une possibilité de se soigner.

Carmen ressenti aussitôt un puissant sentiment de soulagement. Il disait qu'il y avait une possibilité de se soigner ! Il avait trouvé un vaccin ! A présent, peu lui importait qu'elle soit contaminée ou non, puisqu'il y avait l'espoir d'être vacciné contre la maladie de l'Année Noire ! Ils n'allaient pas tous mourir finalement.

- Comment l'as-tu découvert ? Reprit sèchement la voix de Laurent.

- Figure-toi que c'était par hasard. Répondit le Chef de la Famille du Nord. Il y a deux ans, des membres de ma Famille sont revenus d'une mission de reconnaissance de l'autre côté de l'Ile. Ils ont ramenés avec eux un jeune homme gravement blessé. Mes membres n'ont pas su me dire comment il s'appelait, ni ce qu'il faisait de l'autre côté de l'Ile, ni de quelle Famille il venait, car il ne possédait pas de tatouage. Malgré cela, Beniamino et moi avions tenté de le soigner.

Comme ce jeune homme avait perdu beaucoup de sang, il fallait lui en donner. Nous avions donc prélevé un échantillon pour savoir de quel groupe sanguin il était pour lui faire la bonne transfusion. C'est au cours de ces analyses que nous avions découverts qu'il n'était pas porteur du virus.

- Il n'était pas contaminé ?

- Il l'a probablement été. Mais son système immunitaire a détruit le virus et l'a sauvé de la maladie. Mais avant même qu'on ne se rende compte de ce que nous avions découvert, ce jeune homme était mort. Il avait perdu beaucoup trop de sang. L'échantillon prélevé n'était pas suffisant pour l'analyser et envisager un traitement grâce à lui. Et une fois mort, le sang est inutilisable.

Suite à ce constat, Beniamino et moi sommes partis du principe que s'il y avait quelqu'un qui était immunisé, d'autres personnes sur l'Ile pouvaient également l'être. Je ne te cache pas que le travail a été long et fastidieux. Nous avons prélevés des échantillons de sang à tous les membres de la Famille du Nord, sous un faux prétexte, bien entendu.

- Tu n'as rien dit à personne ?

- Pourquoi l'aurais-je fait ? Répliqua Nathaniel, une note amère dans la voix. Si j'avais annoncé à mes membres que nous étions tous contaminés par la maladie de l'Année Noire, cela aurait le chaos. Et si je leur disais qu'il y avait peut-être une chance de se soigner, je leur aurais fait refléter un fol espoir. Même aujourd'hui, je ne sais pas encore si je peux mettre au point un vaccin. Seul Beniamino était dans la confidence. Il m'a aidé dans les analyses et a suivi mes symptômes de près. Car oui, le virus qui est dans mon organisme s'est réveillé. Ce n'est plus qu'une question de semaines avant que je ne meure.

Comme tout le monde, au sein de la Famille du Nord, était porteur du virus, Beniamino et moi avions élargis nos recherches sur tous les Survivants. Cette rumeur selon laquelle on manipulait nos prisonniers pour qu'ils trahissent leur Famille et rejoignent la nôtre était un demi mensonge. En fait, nous leur avons à chaque fois prélevé un échantillon de sang qu'on analysait. Dès le premier test, la plupart d'entre eux se révélaient être négatifs. Nous les avons relâchés.

Mais certains réagissaient plutôt bien et on devait continuer nos analyses et nos tests. C'est pour ça qu'on tentait de garder nos prisonniers, quitte à essayer de les amadouer. J'avoue que le matériel médical dont je dispose n'est pas des plus rapides. Malheureusement, les uns après les autres, les tests sur les échantillons de sang ont tous échoués. Certains prisonniers sont restés et sont devenus des membres de la Famille du Nord, d'autres sont retournés auprès de leur Famille initiale. Par mesure de sûreté et d'organisation, nous avions inscrits les noms de toutes les personnes sur une liste que nous avions codée dans un ordinateur. Tu vois de quelle liste je parle ?

- Oui. Répondit Laurent avec raideur. Mais je croyais que c'était la liste des noms de traîtres potentiels...

- Je sais. Tu es tellement paranoïaque, Laurent ! Je pensais que tu te montrerais d'avantage méfiant sur les dires de tes sources. Tu as entendu parler d'une liste secrète que j'avais rédigée et tu t'en es fait tes propres déductions. Tu étais sûr qu'il y avait des traîtres au sein de ta Famille et tu as pris peur. Et si l'un de tes membres complotait contre toi ? Tu es le mieux placé pour savoir comme il est facile de détrôner le Chef de Famille. Mais tu aimes trop le pouvoir pour céder quoi que ce soit à quiconque.

Tu as donc demandé à Carmen de voler la liste et de la ramener. Je ne doute pas que tu aies réussi à lire certains noms. Le hasard –ou le destin- a voulu qu'il n'y a pas de membres de la Famille du Sud sur le bout de liste que Carmen t'avais apporté. La raison était que jusqu'à présent, je n'avais jamais réussi à capturer un membre de la Famille du Sud. Mais toi, tu restais persuadé qu'il y avait des traîtres dans ta Famille. Et dans ton esprit froid et calculateur, Carmen ne pouvait pas être une traîtresse, sinon elle ne t'aurait pas donné cette liste. C'était la seule personne en qui tu pouvais avoir une confiance aveugle et c'est pour cette raison que tu l'as envoyé infiltrer ma Famille pour découvrir les noms de tous ceux qui auraient pu te trahir.

- Tu étais au courant ? S'étonna Laurent.

- Bien sûr ! S'exclama Nathaniel d'un ton léger. Tu es tellement prévisible !

- Et tu l'as quand même enrôlée, en sachant qu'elle travaillait pour moi et qu'elle pouvait te trahir ? Insista-t-il.

- Pourquoi pas ? Elle était potentiellement saine. Un de mes membres s'est montré un peu brutal envers elle et Carmen s'est retrouvée à l'infirmerie. J'ai profité du fait qu'elle soit évanouie pour prélever quelques échantillons de son sang. Beniamino avait procédé à quelques tests et pour le moment, ils sont positifs.

- Tu es en train de me dire que Carmen est une donneuse saine ?

- « Potentiellement ». Corrigea Nathaniel. Je ne suis encore sûr de rien et je n'ai pas envie de faire miroiter de faux espoirs. Mais j'aimerais bien récupérer le bout de la liste que tu m'as volé, elle me sera très utile au cas où Carmen serait contaminée comme les autres. J'aimerais éviter de perdre mon temps à courir après des personnes que j'ai déjà analysé, si tu veux bien.

Il y eu un long silence.

- C'était une belle histoire, vieillard. Répliqua Laurent. Je te félicite pour ton imagination ! C'était très...inspiré. Mais je pense que je vais prendre le parti de ne pas te croire.


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