Chapitre 64

« Bordel ».

Carmen ne pouvait penser à rien d'autre.

« Bordel ».

Aydan avait basculé dans le vide. Il y avait ensuite eu ce bruit sourd et écœurant. Et maintenant ce silence. Un silence horrible.

- Aydan ? Appela-t-elle.

Son appel n'était guère plus qu'un murmure. Sa voix s'était comme envolée avec ces forces.

Elle reposa sa main sur le manche du couteau qui la maintenait toujours sur la table et tira. Le bois émit un craquement plaintif quand la lame sortit de la table. Elle serra les dents pour ne pas hurler de douleur. Elle sentait la lame bouger dans son épaule, meurtrissant ses chairs déchirées. Elle usa de ses dernières forces pour arracher le couteau de son épaule et cette fois, elle ne put empêcher un cri de souffrance franchir ses lèvres.

Elle glissa à terre et lâcha le couteau pour reposer sa main sur sa blessure. Elle saignait abondamment et son bras était parcouru de fourmillements. Comme un automate, elle déchira son débardeur en plusieurs bandes et se confectionna un bandage rudimentaire mais qui l'empêchait au moins de se vider de son sang. Elle bougea légèrement son épaule et grimaça. Le supplice était cinglant. Elle avait besoin de soins. Et pourtant, son épaule n'était pas son souci principal.

« Aydan... » Songea-t-elle.

Elle s'aida de la table pour se relever. Ses jambes tremblaient violemment mais elle parvint à se diriger vers la fenêtre et se pencha par-dessus le rebord. Huit mètres plus bas, Aydan reposait sur les pavés, immobile, les bras en croix, les yeux ouverts et fixés sur elle. Une large tache de sang s'écoulait sous sa tête, sillonnant entre les pavés en de minuscules ruisseaux écarlates.

Il était mort.

L'inverse aurait été impossible. Il y avait trop de sang. Et ce regard vide, la regardant sans la voir...

Elle en eu la nausée. Elle se détourna de la fenêtre et s'appuya contre le mur. Elle avait tué un homme. Elle avait tué Aydan.

- Qu'est-ce que j'ai fait ? Gémit-elle.

La tristesse et la culpabilité lui transpercèrent le cœur. Comment avait-elle pu faire une chose pareille ? Elle n'aurait pas dû le pousser, elle aurait dû tenter de l'arrêter autrement. Elle aurait pu...l'assommer, par exemple.

« Ne sois pas stupide ! » La rabroua sèchement une petite voix dans sa tête. « Il avait envie de te tuer, tu n'as fait que de te défendre ! »

C'était son instinct qui lui avait sauvé la vie. Elle n'avait pas réfléchit. Ce n'était pas dans ses intentions de tuer Aydan. Elle n'avait jamais voulu ça. Peu à peu, elle parvint à se calmer. La partie rationnelle de son cerveau s'était remise à fonctionner et elle parvenait petit à petit à faire la part des choses.

Elle se redressa. Elle glissa la main dans sa poche pour vérifier que la liste était toujours là et quitta la pièce d'un pas chancelant. Le combat l'avait épuisée mais elle devait se faire soigner et se plonger dans la bataille qui faisait toujours rage dans la ville. Elle devait retrouver Nathaniel. Cet objectif lui permettait de retrouver ses forces et sa détermination.

Elle avait une mission à accomplir.

Elle sortit de la maison en s'efforçant de ne pas regarder en direction du corps d'Aydan. Elle ne voulait pas recroiser ce regard éteint. Malgré le fait que le jeune homme ait tenté de la tuer, malgré le fait qu'elle soit responsable de sa mort, malgré le fait qu'elle ne soit pas croyante, elle se signa.

Elle chancela le long de la rue principale et entra dans la maison qui servait d'infirmerie à la Famille du Sud. Un grand désordre régnait dans la pièce, comme si quelqu'un avait tout retourné pour trouver des médicaments ou des bandages. La bataille avait commencé il y a plusieurs heures. Les premiers blessés avaient déjà dû recevoir des soins. Et il y avait peut-être déjà des morts.

Mais Carmen ne voulait pas y penser.

Elle trouva du fil de chirurgien et une aiguille dans un tiroir, ainsi que des bandages et des lotions pour désinfecter et cicatriser les plaies. Elle se plaça devant l'évier et jeta un coup d'œil au reflet qui lui faisait face. Elle avait une mine affreuse. Les traits tirés, les cheveux en bataille, couverte de poussière, de griffures, d'ecchymoses et de sang.

Elle retira délicatement ses bandages rudimentaires et les jeta dans l'évier. Elle enfila le fil dans l'aiguille, enduit délicatement les bords de sa blessures avec la lotion, prit une grande inspiration et planta l'aiguille dans sa chair. Elle serra les dents pour ne pas hurler sa souffrance. C'était très douloureux de se soigner soi-même, affaiblie et tremblante comme elle était. Si Beniamino avait été avec elle, il l'aurait aidé.

Mais vu l'état dans lequel elle l'avait ramené, il n'aurait probablement pas fait mieux qu'elle.

Carmen tenta de faire vite et bien. Elle recousu sa plaie de son épaule avant et celle de derrière. Le couteau avait frôlé l'omoplate en ressortant. Elle dut se contorsionner devant le miroir pour voir où elle plantait son aiguille. L'exercice était ardu mais elle parvint à un résultat satisfaisant. Du moins, elle ne saignait plus aussi abondamment. Elle appliqua ensuite plusieurs couches de bandages en les serrant assez. Elle avala quelques comprimés contre la douleur et quitta l'infirmerie.

Elle longea à nouveau la rue principale en direction des grilles d'enceinte du quartier général de la Famille du Sud. Elle n'entendait que le bruit de ses pas sur les pavés et les coups de feu qui retentissaient de temps à autre en écho.

Une fois qu'elle eut dépassé les grilles, elle prit une grande inspiration et elle accéléra le pas en direction de la ville.

Il était temps pour elle de se jeter dans la bataille.


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