Chapitre 63
Carmen n'avait pas envie d'interférer dans le combat des deux hommes. Avec beaucoup de prudence, elle s'approcha et ramassa la première arme qu'elle avait à portée de main ; un cran d'arrêt à la lame petite mais large. Depuis qu'elle n'avait plus son Taser et que Samaël lui avait repris son pistolet, n'importe qu'elle arme était bonne à prendre pour se protéger.
Elle abandonna les deux hommes qui, trop occupés à leur combat, n'avaient pas fait attention à elle. Elle se remit à courir en direction du quartier général de la Famille du Sud.
Elle repassa par le même chemin qu'elle avait emprunté quelques heures plus tôt avec Beniamino. Même à l'abri sous l'ombrage des feuilles des oliviers, Carmen sentit le soleil lui brûler la nuque. En sueur, elle atteignit le mur et parvint à sauter de l'autre côté. Elle fit quelques pas prudents dans les ruelles, tendant l'oreille et observant chaque recoin avec une attention particulière.
Le quartier général avait bel et bien été déserté. Il n'y avait plus un bruit, elle était seule. Il n'y avait même plus de trace d'Eileen. Peut-être avait-elle décidée de s'enfuir, finalement ? Ou alors, elle était allée rejoindre Laurent et lui aurait inventé des mensonges pour qu'on ne la soupçonne pas ? Les deux hypothèses étaient plausibles...
Et il n'y avait pas le moindre signe de vie de Samaël et Adonis. Même si cette constatation ne voulait rien dire ; les mercenaires étaient doués pour s'attaquer à leurs proies au moment où elles s'y attendaient le moins. Mais elle espérait sincèrement qu'ils avaient autre chose à faire que de revenir vérifier si les prisonniers étaient toujours là. Elle n'était pas de taille à affronter deux hommes assoiffés de sang et enragés.
Elle se dirigea prestement vers la maison principale et y entra. Elle tendit l'oreille. Il n'y avait pas un bruit. Silencieusement, elle grimpa les escaliers jusqu'au dernier étage. Dans le couloir, il y avait plusieurs portes mais la jeune fille savait qu'elle devait aller ouvrir la dernière. C'était derrière cette porte qu'il y avait les ordinateurs dans lesquels Laurent stockait ses informations.
La porte était verrouillée par un lourd cadenas à quatre chiffres. Elle soupira. Finalement, même si son plan avait fonctionné, Beniamino aurait perdu beaucoup de temps à trouver la combinaison. Elle fit appel à ses ressources et en quelques secondes, elle trouva le code. Le cadenas émit un déclic et elle entra.
Dans la pièce, il y avait plusieurs tables sur lesquelles il y avait un ordinateur. Dans un coin de la pièce, une imprimante était posée sur une quatrième table. Il y avait plusieurs étagères contre les murs, remplies de livres, de bibelots et de classeurs.
Carmen s'assit derrière un des ordinateurs et l'alluma. Comme elle l'avait pensé, Laurent était trop sûr de lui. Il ne pensait pas que quelqu'un parviendrait à entrer. Il n'y avait pas de mot de passe pour l'ordinateur mais la plupart des fichiers qu'elle découvrit étaient codés. Elle eut beau chercher partout, la liste des noms des traîtres n'était pas sur cet ordinateur.
Elle quitta sa place et s'assit derrière le second ordinateur. Comme pour le précédent, les fichiers étaient protégés par des codes. L'un d'eux était même très complexe. Elle sourit : elle avait trouvé la liste. Elle mit plusieurs minutes pour décrypter tous les codes qui protégeaient la liste et elle put l'imprimer.
Elle récupéra la feuille et jeta un coup d'œil dessus. Il y avait une dizaine de noms, suivis de quelques phrases explicatives. Elle ne prit pas le temps de tout lire mais elle se dit que ça ressemblait presque à un compte rendu, comme un dossier personnel fait sur chaque nom présent sur la liste.
C'était une drôle d'impression que de penser à ça.
Elle plia la feuille et la mit dans sa poche. A présent, elle devait retourner au cœur de la bataille et trouver Nathaniel pour la lui donner.
Elle se retourna vers la porte et se figea.
Aydan se tenait sur le seuil de la pièce, le regard rivé sur elle, immobile. Une franche surprise marquait son visage. Carmen constata qu'il avait déjà participé à la bataille qui faisait rage en ville ; son t-shirt noir était déchiré par endroit, ses jeans étaient couverts de poussière, ses mains et sa joue droite portaient des égratignures et des hématomes mais à part ça, il ne semblait pas être blessé.
Lentement, le jeune homme fit un pas dans la pièce. Une colère froide brillait dans ses yeux, à présent.
- Carmen. Salua-t-il simplement.
- Aydan. Répondit-elle en se tendant, prête à se battre.
Le jeune homme s'avança encore, sans la quitter des yeux.
- Une fois de plus, tu te retrouves là où tu n'es pas censée être. Commenta-t-il.
- Oui, je suis très douée pour ça.
Elle serra la feuille qu'elle avait pliée dans sa poche. Ce geste n'échappa à Aydan qui plissa légèrement les yeux.
- Qu'est-ce que tu fais là, Carmen ? Demanda-t-il en faisant un pas de plus dans sa direction. N'es-tu pas censée être en train de te faire torturer par Samaël et Adonis ? Le bruit courait qu'ils t'avaient capturé avec un membre de la Famille du Nord.
Elle haussa les épaules :
- Il faut croire qu'ils avaient mieux à faire que de me tuer. Répliqua-t-elle.
- Comment as-tu fais pour t'échapper ?
- Par un heureux concours de circonstances. Répondit-elle simplement. J'ai beaucoup de chance, comme tu le sais.
- Effectivement. Concéda-t-il. C'est effarant comment une seule personne parvient à échapper à la mort autant de fois !
- Je sens une note de déception dans ta voix. Fit-elle remarquer. Dois-je en conclure que tu voulais ma mort ? Aurais-tu quelque chose à me reprocher ?
Si Carmen montrait à Aydan qu'elle était au courant de son plan, ce dernier saurait tout de suite qu'Eileen l'aurait trahit, étant la seule personne connaissant son secret. Le mieux qu'elle pouvait faire, c'était de jouer les ignorantes pour ne pas trahir l'infirmière.
Après ce que cette dernière avait fait, elle pouvait bien lui rendre la pareille...
Et elle voulait qu'Aydan lui avoue ce qu'il avait fait. Elle voulait se rendre compte s'il avait quand même le courage de lui avouer ses torts ou s'il était trop lâche pour ça.
- Bien sûr que je te reproche quelque chose. Répondit-il en haussant les épaules. Et c'est évident que je veuille ta mort.
- Tiens donc ? Qu'est-ce que j'ai fait de si terrible qui mériterait ma mort ?
- Tu n'en a pas une petite idée ?
- J'ai beau réfléchir, je ne vois pas, non. Ironisa-t-elle.
Il la regarda en fronçant les sourcils, comme s'il cherchait à savoir si elle se moquait de lui.
- Tu ne m'as pas aimé. Lâcha-t-il en serrant les dents.
Carmen resta silencieuse quelques secondes, sans cesser de l'observer.
- Toi non plus, tu ne m'as pas aimé. Répliqua-t-elle. Tu es partit avec Eileen. Je t'ai vu avec elle. Aurais-je dû me battre pour toi ? Peut-être, oui... Mais je ne savais même pas si je ressentais de l'amour pour toi. Et tu m'as mentit quand tu avais dit qu'il n'y avait rien entre Eileen et toi. Alors, effectivement, je ne t'ai pas aimé. Ou plutôt, je ne t'ai pas aimé de la manière dont tu voulais.
- Peut-être. Admit-il. Mais ça n'a plus la moindre importance puisque à présent, je vais te tuer. Eileen sera bien trop heureuse de te remplacer et je sais qu'elle fera exactement ce que je lui dirais de faire. Et elle ne me trahira pas. Non seulement parce qu'elle est aveuglément amoureuse de moi, mais aussi parce qu'elle connaît mon secret. Si elle parle, Laurent la punira sévèrement, tout comme il me punira.
- Ah. Laisse-moi deviner...Fit-elle semblant de réfléchir. C'était toi le coup de la bombe ? Et c'était moi ta cible ?
- En effet. Cooper est vraiment très bavard quand il boit. Commenta Aydan d'un ton blasé. Ça n'a pas été compliqué de savoir où tu allais faire ta patrouille, de confectionner une bombe et de la placer au bon endroit.
- Tu as failli tuer Kylian, Nico, Max et les autres. Gronda-t-elle subitement. Le bruit de l'explosion a alerté une patrouille de la Famille du Nord et on s'est fait attaquer. Tu les as tous mis en danger. Aucun d'entre eux n'aurait pu revenir vivant.
- Dommage collatéral. Répliqua-t-il en haussant les épaules. On aurait mis ça sur le compte de la Famille du Nord.
Son ton était froid, sans le moindre remords.
« Si tu avais vu son sourire...Quand il parlait de toutes ces horreurs...Toi aussi, tu aurais eu peur... » Lui avait affirmé Eileen. Et Carmen comprenait ce qu'elle avait voulu dire par là. Elle n'avait jamais vu Aydan dans un état semblable auparavant et c'était très inquiétant.
- C'était un jeu d'enfant d'échapper aux soupçons. Poursuivit-il avec un sourire mauvais. J'étais blessé, personne ne m'aurait cru capable de quitter le quartier général de la Famille du Sud en pleine nuit et revenir sans que personne ne s'aperçoive de mon absence. Kylian et son équipe t'ont cherché un long moment. Je t'avoue avoir été très déçu qu'ils ne ramènent pas ton corps. Mais quand on s'est rendu compte que tu avais été capturée par la Famille du Nord, je me suis dit que le problème avait été réglé puisqu'Elle t'aurait torturée et tuée.
Et tu es revenue. Là aussi, j'ai été déçu. Quand tu m'as dit que tu devais parler à Laurent, j'ai pris peur. Je me suis dit que tu me soupçonnais pour la bombe. Je m'étais déjà fait passer à tabac par Samaël et Adonis parce que j'étais revenu sans toi après notre dernière mission, je n'osais pas imaginer ce qu'ils allaient me faire si Laurent apprenait que j'avais planifié une attaque qui aurait dû te coûter la vie ainsi que celles de Kylian et de son équipe. Je me suis couvert lorsque j'ai hurlé que tu étais une traîtresse et que tu voulais tuer Laurent.
Ça n'a pas été évident de le convaincre. Il avait de la peine à croire que tu avais rejoint la Famille du Nord. Mais Nathaniel est réputé pour laver le cerveau de ses prisonniers et de les convaincre de trahir leurs Familles respectives. Jouer sur ce point a été relativement facile, en fin de compte. Mais à présent, je vais m'occuper de toi personnellement. Cette fois, ta bonne étoile ne te sauvera pas la vie.
Carmen mit quelques instants pour se ressaisir. Ce qu'elle venait d'entendre la rendait triste et furieuse. Eileen avait raison, Aydan était devenu complètement fou. Il avait pris des risques énormes pour lui faire payer son refus d'être avec lui.
Elle poussa un soupir navré :
- Tu m'excuseras, mais je n'ai pas l'intention de rejoindre la mort de sitôt. Mon existence est encore trop douce pour que j'y renonce.
- Ça, c'est très ennuyeux. Commenta-t-il. Mais je ne compte pas te laisser en profiter. Je vais te tuer ici même, rapidement. J'aurais bien voulu te faire souffrir mais finalement, je ne vais même pas t'offrir une longue agonie.
- C'est un bon plan. Fit-elle d'une voix faussement admirative. Mais tu te doutes bien que je n'ai pas l'intention de me laisser faire ?
- Je l'ai supposé, en effet. C'est pour ça que j'ai amené ceci.
En disant ces mots, il sortit de sa poche un couteau à cran d'arrêt et il déplia la lame.
- Je me suis trompée sur ton compte, Aydan. Dit Carmen en sortant le sien. Tu as encore suffisamment d'honneur pour te battre à armes égales.
- Ce n'est pas par honneur ou par souci d'égalité. Répliqua-t-il. On a volé mon fusil et il ne me reste plus que ce couteau.
- Ça, c'est bête. Siffla-t-elle, ironique.
Elle avait une petite idée de qui était le responsable de ce vol. Enfin, « la » responsable. Aydan sourit :
- Ce n'est pas grave. Dit-il doucement. Je parviendrai quand même à te tuer.
- Au lieu de faire des projets d'avenir, concentre-toi sur le moment présent. Conseilla-t-elle. Je ne suis pas encore morte.
- Dans moins d'une minute, ce sera le cas.
Carmen se mit en position de défense. Elle savait par instinct qu'il n'allait pas tarder à l'attaquer. Ils s'observèrent durant de longues secondes. Aydan bondit, le couteau en avant. La lame brilla fugacement. Carmen fit un bond sur le côté pour l'éviter. Aydan fit une rotation du poignet et elle se protégea avec son propre couteau. Les deux lames s'entrechoquèrent avant de séparer. Il recula avant de repartir à la charge. Il visa le ventre de Carmen et elle se protégea. Mais à la dernière seconde, il feinta et elle poussa un cri de douleur quand le couteau lui entailla l'épaule droite. Elle recula à son tour en pressant sa main sur sa blessure. Elle sentait un filet de sang s'écouler entre ses doigts mais l'entaille n'était pas trop profonde. Elle sentait son épaule tirailler mais elle ne s'avoua pas vaincue.
Cette fois-ci, ce fut elle qui attaqua. Elle brandit son couteau, comme pour lui entailler le torse, mais il para le coup sans grande difficulté. En revanche, il ne put éviter le coup de pied qu'elle lui donna dans la cuisse. Il grogna de douleur et recula de quelques pas, boitillant légèrement. Son visage se crispa sous l'effet de la rage et il la chargea aussitôt.
Carmen ne savait pas depuis combien de temps ils se battaient ainsi. Peut-être dix minutes, peut-être une heure. Elle était trempée de sueur et de sang, son souffle était court, ses muscles tremblaient.
Elle passa une main sur son visage pour dégager quelques mèches de cheveux qui s'étaient collées à son front. En plus de l'entaille qu'elle avait à l'épaule, elle en avait sur la cuisse, le dos, le ventre et le bras. Heureusement pour elle, Aydan n'était pas dans un meilleur état.
La pièce était dans un chaos indescriptible. C'était comme si une tornade avait fait irruption, balayant les tables, les chaises, les ordinateurs et les bibliothèques.
Aydan attaqua une nouvelle fois et Carmen rassembla ses forces pour parer le coup, l'empêchant de planter son couteau dans son cou. Mais elle fut trop lente pour éviter le coup de poing qu'il lui envoya et qui vint s'écraser sur sa mâchoire. Elle eut l'impression que sa tête allait exploser. Elle recula en titubant, complètement sonnée. Un deuxième coup l'atteignit à la tempe et un éclair blanc envahit sa vision brièvement. Elle sentit à peine deux mains la repousser brutalement en arrière.
Elle heurta la surface en bois de la seule table encore debout et elle hurla de douleur quand Aydan lui planta son couteau dans l'épaule, la transperçant de part en part, l'épinglant à la table comme un vulgaire insecte.
Carmen essuya ses yeux. Sa vue était brouillée par des larmes de douleur. De sa main libre, elle tenta d'arracher le couteau mais elle ne parvint qu'à le bouger de quelques millimètres. Au-dessus d'elle, Aydan émit un ricanement satisfait.
Il s'éloigna et ramassa le deuxième couteau qu'elle avait perdu dans la bataille. Il le brandit et fonça sur elle. Carmen avait tellement mal qu'elle ne parvenait plus à réfléchir. Son cerveau était comme nappé dans un épais brouillard. Mais elle vit Aydan bondir sur elle, prêt à la tuer. Son instinct de survie prit le relais à ce moment précis. Dans une ultime tentative pour rester en vie, elle releva ses jambes sur sa poitrine et les déplia brusquement, de toutes ses forces, heurtant Aydan à la poitrine.
Sous la violence de l'impact, il fut projeté en arrière. Son pied trébucha sur un bibelot et il perdit l'équilibre. Son dos heurta violemment la fenêtre et la vitre explosa. Il fit un mouvement pour se rattraper à quelque chose mais il était trop tard. Aydan bascula dans le vide en poussant un hurlement de terreur.
Il y eu un bruit sourd et le silence enveloppa Carmen.
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