Chapitre 6
Carmen referma la porte à clé derrière elle et grimpa dans les étages. L'escalier en bois craqua sous son poids. Au deuxième étage, une porte s'ouvrit et Jacky sortit sur le palier.
- Salut Carmen ! Dit-elle d'un ton léger en refermant la porte de son appartement.
- Salut. Répondit-elle avec moins d'enthousiasme.
Le regard de Jacky se fit plus perplexe quand elle la dévisagea des pieds à la tête :
- Mais...qu'est-ce qui t'es arrivé ? S'exclama-t-elle en fronçant le nez, légèrement dégoûtée. Tu es dans un état...
Carmen secoua la tête d'un air navré :
- Ne m'en parle pas ! Je reviens de mission et j'ai dû passer par les égouts pour échapper à mes poursuivants.
- Les égouts ? Répéta-t-elle, surprise. Ça explique tes vêtements et...l'odeur.
Jacky était indéniablement une très belle femme. Elle avait une petite vingtaine d'année, le teint de porcelaine, des courbes généreuses, de longs cheveux roux et de grands yeux bleus. Elle était pour Carmen ce qui se rapprochait le plus d'une amie, bien que les deux femmes ne soient pas particulièrement proches.
Jacky ne se prenait pas la tête avec de longues questions existentielles. Elle vivait au jour le jour, se liant et se déliant des autres membres de la Famille du Sud sans vraiment avoir d'attache particulière. Un garçon lui plaisait ? Elle le fréquentait. Puis, elle se lassait, elle coupait le lien et recommençait quelques semaines plus tard avec quelqu'un d'autre.
- Tu sais où est Cooper ? Demanda-t-elle en changeant de sujet.
Carmen haussa les sourcils :
- C'est lui, ton nouveau chevalier servant ? S'étonna-t-elle.
Jacky lui fit un clin d'œil complice.
- Le temps que cela durera. Répliqua-t-elle avec un sourire malicieux.
- Il était encore au bar quand je suis partie. Répondit Carmen. Mais au vu du nombre de bières qu'il a bu, je ne crois pas qu'il soit en état pour quoi que ce soit.
Carmen songea qu'une nouvelle comme celle-ci en aurait fait hurler de rage plus d'une. Mais Jacky ne fut nullement déstabilisée d'apprendre que son nouvel amoureux n'était pas en état pour passer un moment romantique avec elle. Au contraire, son sourire s'accentua :
- Tant pis. Je ne vais pas lui courir après ! Aucun homme ne mérite que je lui coure après. Tu n'es pas d'accord ?
Carmen haussa les épaules :
- Je suppose qu'il doit exister des exceptions. Marmonna-t-elle.
- Comme Aydan, par exemple ? Répliqua-t-elle avec un sourire moqueur.
Carmen éclata de rire pour masquer sa gêne.
- Entre autre ! Mais ne lui répète pas.
- Aydan ne vient jamais discuter avec moi. Répliqua-t-elle. Allez savoir pourquoi...Ajouta-t-elle en faisant semblant de réfléchir.
Les deux jeunes femmes se sourirent, complices. Cela faisait déjà quelques temps que des rumeurs courraient sur une liaison entre Aydan et Carmen. Mais ni l'un ni l'autre n'y prêtait attention. Ils étaient coéquipiers, ils aimaient se taquiner mais aucun des deux ne faisait le moindre pas vers l'autre. Et ils n'en parlaient pas.
- Je vais quand même aller boire un verre au bar. Poursuivit Jacky en descendant quelques marches de l'escalier. Je trouverai certainement de la compagnie là-bas !
- Certainement. Marmonna Carmen.
Jacky lui jeta un coup d'œil :
- Tu ne voudrais pas venir avec moi ? Ce serait l'occasion de te faire belle et de t'amuser ! Et comme ça, on en profiterait pour avoir des discussions plus intéressantes que les banalités échangées sur le palier !
Carmen lui sourit :
- J'aurais accepté avec plaisir. Mais je suis confinée à domicile.
Jacky sourcilla.
- Oh. Murmura-t-elle. Pour longtemps ?
- Selon l'humeur de Laurent.
- Aïe ! Je vois le genre. Bon...une prochaine fois alors ! Salua-t-elle en poursuivant sa descente.
Carmen lui souhaita une bonne soirée et continua son ascension jusque sous les toits, là où elle avait installé son appartement. Sa voisine de palier, Petra, était si discrète que c'était comme si elle n'était pas là.
Carmen n'était pas souvent dans son appartement, bien que celui-ci soit confortable et disposait de tout l'équipement nécessaire. Elle possédait une petite cuisine ouverte sur le salon, avait une grande chambre à coucher et elle avait de l'eau chaude et froide quand elle prenait une douche, ce qui n'était pas le cas de tous les logements du quartier général. Mais ces appartements-là étaient généralement abandonnés.
Carmen enleva ses Basquets qu'elle jeta aussitôt à la poubelle avec un soupir de regret. Elle allait devoir s'en trouver une autre paire. Ce qui voulait dire qu'elle allait devoir vadrouiller dans les vieilles boutiques de la ville pour s'en dénicher une nouvelle. En attendant, elle avait toujours une vieille paire de Rangers qui traînaient quelque part dans sa chambre et qui allait bien faire l'affaire...
Elle sortit de son armoire un pantalon de training et un t-shirt et prit une douche. Elle avait l'impression que sa peau collait de transpiration et que les odeurs nauséabondes l'avaient imprégnée. Elle laissa l'eau chaude se déverser sur son corps avec un soupir de contentement. Elle se lava les cheveux trois fois en songeant qu'il fallait qu'elle les coupe prochainement ; ils atteignaient presque le bas de son dos et commençaient à la gêner dans ses mouvements, ce qui l'obligeait à toujours les attacher.
Elle frotta énergiquement chaque parcelle de son corps pour faire disparaître les dernières traces de sa mésaventure dans les égouts, se sécha et s'habilla, mettant dans une bassine ses vêtements sales. Elle se laissa tomber sur le canapé du salon et s'alluma une cigarette.
La soirée avait été riche en évènements. L'angoisse qu'elle avait ressentie un peu plus tôt s'était apaisée. Elle regarda les volutes de fumées s'élever au-dessus de sa tête d'un air absent. Elle se demandait combien de temps Laurent allait la faire patienter avant de la convoquer. Elle n'aimait pas rester confiner trop longtemps à un endroit. Elle était plus à l'aise à l'air libre, même si son appartement était aussi accueillant qu'un cocon.
Elle fuma sa cigarette jusqu'au filtre. Le tabac, le sucre et la viande étaient des denrées rares sur l'Ile. Les Survivants ne devaient rien gaspiller car ça faisait longtemps qu'ils n'étaient plus ravitaillés.
Ils étaient abandonnés à leur sort.
Lorsqu'elle eu terminé sa cigarette, Carmen se leva et se rendit dans sa chambre. Elle ouvrit la fenêtre et escalada le rebord. A moitié dans le vide, elle jeta son bras vers le haut et agrippa la charpente du toit. Ses doigts se refermèrent sur le bois et elle se hissa sur les tuiles humides à la force de ses bras.
D'habitude, l'exercice était aisé. Dès le premier jour où Carmen s'était installée dans le quartier général de la Famille du Sud, elle avait grimpé sur le toit de la maison et elle pouvait y rester des heures à réfléchir ou admirer le paysage à la lueur de la lune. Mais ce soir, il lui fallu plus de temps pour reprendre son souffle.
"Je suis plus fatiguée que ce que je ne pensais." Songea-t-elle en étirant les bras pour faire cesser les fourmillements qui parcouraient ses muscles.
Elle monta un peu plus haut et s'assit sur l'arrête du toit. Depuis son perchoir, elle pouvait voir la ville plongée dans l'obscurité hormis quelques lampadaires allumés, ceux qui délimitaient les territoires des Quatre Familles. Et si elle regardait loin devant elle, il n'y avait que la masse sombre de l'océan, une immensité noire d'encre que même les pâles rayons de la lune ne parvenaient à percer. Une vaste étendue hostile de laquelle aucun secours n'arriverait jamais.
- Nous sommes seuls. Murmura-t-elle pour elle-même.
"Si ridiculement seuls".
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