Chapitre 57
Carmen reprit aussitôt sa course, sans se retourner. Elle avait trop peur de perdre quelques précieuses secondes que ses deux poursuivants pourraient tourner à leur avantage. Elle bifurqua aussitôt dans une ruelle adjacente.
Elle n'avait pas oublié qu'elle avait un pistolet accroché à sa ceinture mais elle savait qu'elle ne pouvait pas s'en servir. Donner un coup de feu au milieu du quartier général de la Famille du Sud n'était pas ce qu'on pouvait appeler une « bonne idée ».
Toutefois, elle possédait un maigre avantage sur ses poursuivants ; le quartier général de la Famille du Sud était vaste et offrait beaucoup de cachettes. Elle avait passé beaucoup de temps à longer ses rues et en découvrir chaque recoin. Adonis et Samaël ne passaient pas autant de temps dans le quartier général. Toutefois, ils étaient plus rapides qu'elle et Carmen savait qu'elle devait ruser si elle voulait offrir à Beniamino l'opportunité de s'infiltrer dans la maison principale.
Elle zigzagua dans les rues avec l'agilité d'une belette, passant d'une ruelle à une autre sans freiner sa course, dérapant légèrement mais réussissant toujours à conserver son équilibre dans les virages serrés qu'elle prenait. Dans son dos, elle pouvait entendre Adonis pousser un juron sonore. Carmen en aurait souri si elle n'était pas aussi concentrée sur sa course et aussi terrifiée à l'idée de tomber entre leurs griffes.
Les deux mercenaires ne semblaient pas avoir pris en compte le fait qu'elle pouvait être très endurante et qu'elle connaissait le quartier général de la Famille du Sud par cœur. Elle connaissait toutes les ruelles sinueuses, toutes les cachettes, tous les recoins, toutes les rues qui se finissaient en impasse.
Elle n'avait pas l'intention de se laisser capturer aussi facilement.
Carmen se glissa dans une autre ruelle et bifurqua brusquement sur sa droite, dans une petite cour intérieure entourée de trois maisons. Elle se plaqua entre le mur et un amas de paniers en osier et retint son souffle. Moins de dix secondes plus tard, Samaël lui passa à côté, sans la voir, et poursuivit sa route le long de la ruelle. Carmen poussa un bref soupir de soulagement, sortit de sa cachette et se remit à courir en sens inverse. Elle avait réussi à semer l'un des mercenaires.
Temporairement, mais c'était mieux que rien.
De plus, elle devait prendre garde à Adonis. Elle se doutait bien que les deux mercenaires s'étaient séparés pour mieux la coincer et qu'Adonis était quelque part dans les parages, également à sa recherche. Elle bifurqua sur sa droite, longea une petite rue et tourna sur sa gauche.
Elle faillit rentrer dans Samaël qui atteignait l'angle de la maison au même moment. Elle voulut hurler mais lorsqu'elle vit son poing voler dans sa direction, elle leva les bras par réflexe. Le choc fut dur à encaisser. Elle poussa un cri de douleur. Samaël lui avait probablement brisé les os de son poignet, tant elle avait mal. Elle lui balança son propre poing au niveau du plexus solaire mais le mercenaire para le coup aisément. Il lui saisit le poignet au vol, le tordit violemment et lui donna une gifle qui la fit percuter le mur le plus proche. Complètement sonnée, Carmen vit les étoiles.
- N'essaye plus de me frapper. Intima-t-il d'une voix étonnement calme.
C'était l'une des choses les plus effrayantes chez lui ; son apparente tranquillité. Il avait un caractère bien moins explosif qu'Adonis mais ça ne le rendait pas moins dangereux. Au contraire. Samaël prenait le temps de trouver tous les points faibles de sa victime et savait les exploiter à la manière froide d'un serpent.
Ses yeux aussi étaient effrayants. D'un gris sombre, anthracite, ne dégageant ni compassion, ni pitié. Seule une lueur d'intelligence calculatrice les faisait briller. Il était grand, bien plus grand que Carmen qui se sentait comme une souris piégée entre les pattes d'un chat.
Elle prit appui contre le mur pour s'aider à se redresser, les sens en alerte. Samaël la regardait avec attention, comme s'il réfléchissait déjà aux tortures qu'il pouvait lui infliger. Mais il ne bougeait pas. Il attendait probablement qu'elle tente de se battre ou de s'échapper avant d'esquisser le moindre geste.
- Sinon quoi ? Marmonna-t-elle.
Elle aurait voulu dire ça avec bravache et d'un air de défi, mais elle n'y parvint pas. Sa voix n'était plus qu'un murmure à peine audible et elle osait à peine lever les yeux vers lui.
Samaël sourit presque amicalement :
- Tu te doutes que ce ne serait pas une bonne idée, n'est-ce pas ? Répliqua-t-il. Je n'aime pas quand on me résiste, et j'aime encore moins quand il s'agit d'une femme.
- C'est bête, mais j'avais justement prévu de ne pas te faciliter la tâche. S'exclama-t-elle en retrouvant un peu de son courage.
- Peu importe. Rétorqua-t-il froidement. Ta course s'achève ici, ma belle.
- Tu as l'intention de me tuer ?
Cette fois, le sourire du mercenaire devint diabolique.
- Bien sûr que je vais te tuer. Fit-il. Mais pas ici. On va se rendre dans un endroit calme où on va pouvoir attendre les autres.
- Les autres ? Répéta-t-elle, sans comprendre.
- Adonis et sa proie.
Carmen déglutit avec difficulté. C'était donc pour cette raison qu'elle n'avait plus aperçu Adonis la poursuivre ? Parce qu'il s'était rendu compte qu'il manquait quelqu'un au tableau de chasse et qu'il avait décidé de chercher Beniamino ?
- Ça fait longtemps que mon ami a quitté le quartier général de la Famille du Sud. Rétorqua-t-elle d'une voix assurée.
Mais Samaël ne la crut pas. Elle le sut dès qu'elle croisa son regard et qu'elle vit les commissures de ses lèvres esquisser un rictus.
- Je le constaterai par moi-même lorsqu'Adonis reviendra. Mais en attendant...
Il ne termina pas sa phrase. Il tendit la main vers elle et Carmen tenta aussitôt de faire un bond sur le côté pour lui échapper. Mais Samaël fut bien trop rapide. Il lui attrapa rudement les cheveux et elle sentit des larmes de douleur lui monter aux yeux. Mais elle les retint, ne voulant pas lui faire le plaisir de la voir déjà souffrir. Elle savait que ce qui l'attendait par la suite allait être bien pire.
Sans le moindre ménagement, le mercenaire l'entraîna à sa suite. Ils s'engouffrèrent dans une série de petites ruelles, s'éloignant de plus en plus du centre du quartier général. Au fil de leurs pas, le soleil se leva, baignant d'abord les toits des maisons d'une douce lueur dorée, puis, peu à peu, les murs en pierre.
Carmen eut un sursaut de panique. Nathaniel n'allait pas tarder à donner son signal pour attaquer la Famille du Sud et elle se retrouvait prisonnière des deux sanglants mercenaires. Elle espérait de tout son cœur que Beniamino ait pu échapper à la traque d'Adonis et poursuivre la mission.
Samaël la fit brutalement entrer dans une maison à l'aspect abandonné. Une forte odeur de moisissure la prit à la gorge et la fit tousser. Le mercenaire lui fit descendre les escaliers en pierre qui menaient à la cave. Il ouvrit une lourde porte métallique et la poussa à l'intérieur.
Carmen avait eu raison de penser que les cellules de la Famille du Sud étaient bien moins confortables que celles de la Famille du Nord. Il n'y avait pas de matelas, pas de fenêtre, aucun mobilier. Il y avait bien une ampoule qui brillait au-dessus de leurs têtes lorsqu'ils entrèrent mais elle dégageait une lueur macabre. A moins que ce ne fût que l'impression qu'avait la jeune fille en découvrant plusieurs pairs d'anneaux en fer fixées au mur du fond.
Samaël la poussa brutalement contre ce dernier. Carmen retint un cri de douleur lorsque son dos heurta violemment la surface froide. Il lui saisit les poignets et les leva au-dessus de sa tête pour les fixer aux anneaux. Elle dû presque se mettre sur la pointe des pieds pour toucher le sol.
- Je crois que tu n'auras pas besoin de ça. Commenta le mercenaire et lui prenant le pistolet qu'elle avait à la ceinture.
Il retira le chargeur et fit tomber toutes les cartouches au sol qu'il envoya ensuite rouler au loin du bout du pied.
- C'est gentil à toi de ne pas t'en être servi. Ajouta-t-il avec un sourire mauvais. Si tu avais tiré, tu aurais ameuté toute la Famille du Sud. Et je préfère être au calme quand je m'amuse.
Carmen lui lança un regard noir qui le fit sourire. Samaël jeta le pistolet dans un coin de la pièce, recula de quelques pas, se saisit d'une chaise en bois et vint la poser à quelques mètres d'elle. Il passa une jambe de chaque côté du dossier et posa son menton sur ses bras croisés, sans la lâcher des yeux.
- On n'a plus qu'à attendre. Déclara-t-il simplement.
Les minutes s'écoulèrent dans un silence de plomb. Carmen sentait ses bras s'engourdir, toujours maintenus par les anneaux en fer. Elle gardait résolument son attention sur ses pieds, refusant de croiser les yeux gris du mercenaire. Elle sentait son regard peser sur elle, la sonder des pieds à la tête, conservant un silence qui devenait de plus en plus inquiétant.
Soudain, elle entendit des bruits de pas dans les escaliers. La porte métallique grinça légèrement sur ses gongs lorsqu'elle s'ouvrit. Carmen releva la tête, le cœur battant. Elle poussa un gémissement d'horreur quand elle vit Adonis entrer dans la cellule, tordant violemment les bras de Beniamino dans son dos, faisant grimacer de douleur ce dernier.
Adonis n'était pas aussi grand que Samaël, mais il avait des épaules plus larges et des membres plus puissants que son acolyte. Il avait les yeux sombres, si sombres, qu'on ne pouvait distinguer l'iris de la pupille. Une barbe de quelques jours rongeait sa mâchoire carrée et trois cicatrices blafardes striaient sa joue gauche, comme s'il avait été attaqué par un animal.
A moins que ce ne soit une de leurs nombreuses victimes qui lui avait infligé de telles blessures en se débattant violemment.
Le mercenaire poussa brutalement l'infirmier qui atterrit face contre terre aux côtés de Samaël. Ce dernier lui jeta un vague coup d'œil désintéressé.
- Tu as fini par l'attraper, alors ? Fit-il simplement remarquer.
- Il s'est un peu débattu. Répondit Adonis en haussant les épaules, indifférent. Mais ça ne lui a pas servi à grand-chose.
- Elle aussi, elle s'est débattue. Dit Samaël et désignant Carmen d'un signe de tête. Mais comme tu peux le constater, elle m'a donné moins de mal que toi.
Carmen ne les écoutait plus. Elle gardait les yeux rivés sur Beniamino dont les bras endoloris étaient secoués de tremblements tandis qu'il tentait de se relever.
Adonis avait arraché à l'infirmier sa sacoche qu'il balança dans un coin de la pièce. Il y eut un faible bruit de verre brisé, probablement un flacon qui avait éclaté sous l'impact mais personne n'y prit garde. Le mercenaire s'approcha de son captif et l'attrapa rudement par les bras pour le forcer à se relever. Il le poussa brusquement contre le mur et entreprit de l'enchaîner à son tour. Carmen put voir son visage et elle eut un pincement au cœur quand elle constata qu'il avait la lèvre inférieure en sang et un œil au beurre noir.
Une fois qu'il eut enchaîné son prisonnier, Adonis recula auprès de Samaël pour mieux les observer.
- Alors, par quoi on commence ? Demanda-t-il en sortant le couteau qu'il portait à sa ceinture pour admirer la lame tranchante.
Samaël sourit :
- Que dirais-tu de commencer par lui ? Proposa-t-il en désignant Beniamino d'un signe de tête. Je parie qu'il cèdera avant la fille !
Son acolyte grimaça :
- Tenu ! Elle est peut-être plus maligne, mais pas plus courageuse. Elle ne tiendra pas cinq minutes !
Alors qu'ils étaient en train de débattre de la façon dont ils allaient les torturer, Carmen en profita pour chuchoter à Beniamino :
- Ça va ? Demanda-t-elle dans un murmure pour que les mercenaires ne l'entendent pas.
- Ouais...Grogna-t-il, la bouche pleine de sang. Je suis sûr qu'ils m'ont cassé la mâchoire !
- Probablement...Mais maintenant qu'ils nous ont capturés, ils vont faire bien pire.
- Très rassurant. Commenta-t-il d'un ton narquois. J'ai hâte de commencer !
- Je suis désolée de t'avoir entraîné dans un tel merdier.
Il poussa un grognement.
- Ne le sois pas...J'ai manqué de vigilance.
Au même moment, Samaël et Adonis s'interrompirent.
- C'est quoi ces messes basses ? Gronda Adonis en brandissant son couteau, soudain agressif. Et si je commençais par t'arracher la langue ? Ajouta-t-il en regardant Beniamino d'un œil mauvais.
Samaël intervint d'une voix lasse :
- Laisse sa langue tranquille pour le moment. Il en aura besoin pour hurler lorsqu'on lui arrachera la peau des os.
- On va lui faire la même chose qu'à Livio ? S'étonna-t-il. J'aurais préféré qu'on tente d'autres formes de supplices, histoire de varier les plaisirs. Mais bon ! C'est vrai que cette méthode m'avait particulièrement amusé...
Il aurait été difficile pour Carmen de définir lequel des deux était le plus dangereux ; Adonis, qui se montrait particulièrement agressif ? Ou Samaël, dont le calme de sa voix annonçait une torture lente et calculée ?
Ce dernier reporta son attention sur Carmen qui tressaillit. Il l'observa de longues secondes avec curiosité. Une curiosité malsaine, comme s'il réfléchissait déjà aux blessures qu'il pouvait lui infliger pour la faire hurler de douleur et de peur.
- Ça faisait un moment qu'on n'a plus dû s'occuper d'une fille. Commenta-t-il soudain.
- Des années. Confirma Adonis dans son dos.
- C'était déjà qui, la dernière ? Demanda Samaël, songeur. Isis, non ?
Adonis grogna :
- Cette petite garce a manqué de m'éborgner ! Gronda-t-il en passant un doigt sur les cicatrices de son visage.
Son ami ricana :
- En effet, elle s'était bien débattue. Elle avait du cran. Ajouta-t-il, faussement impressionné. Mais elle a quand même cédé à la douleur. Comme tous les autres.
Ainsi, Carmen avait raison. C'était bien une de leurs victimes qui avait infligé ces blessures à Adonis, la dénommée Isis. Elle se souvint avoir déjà entendu ce nom auparavant. C'était Nathaniel qui l'avait prononcé lors de leur dîner. Il avait dit que Laurent avait fait assassiner les vingt et un membres de la première génération de la Famille du Sud et Isis était l'une des membres qui avait été assassinée.
Mais dans ce cas, ça ne pouvait signifier qu'une seule chose : Nathaniel lui avait dit la vérité.
Carmen avait prêté allégeance et juré fidélité à un meurtrier.
Cette pensée lui donna envie de vomir.
Et Samaël et Adonis étaient dans le coup, bien sûr. Si elle se référait à ce qu'elle savait d'eux et qu'elle calculait bien, à cette époque, les deux mercenaires n'étaient même pas âgés de seize ans. Des gosses.
Elle n'osait pas songer jusqu'où allait leur cruelle imagination à présent qu'ils étaient adultes.
- A ton avis, combien de temps va-t-elle tenir ? Poursuivit Adonis en la regardant de haut en bas, comme pour évaluer ses capacités.
Son ami sourit :
- Nous verrons !
Il sourit à Carmen. Elle frissonna. Il y avait quelque chose d'inhumain dans son regard. Elle pouvait y lire un plaisir malsain et cruel.
Elle allait passer un « très » mauvais moment.
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