Chapitre 5
Une fois la porte du bureau de Laurent refermée, elle s'appuya contre le mur du couloir et prit une grande respiration pour se forcer au calme.
Respirer, expirer.
Elle n'était pas encore tirée d'affaire.
Respirer, expirer.
Elle avait échoué.
Respirer, expirer.
Elle risquait le pire.
Respirer, expirer.
Elle longea le couloir et redescendit dans le hall d'entrée comme une automate. Si Laurent estimait que les fichiers qu'elle lui avait ramenés étaient insuffisants, elle allait le payer lourdement. C'était ainsi que ça se passait dans la Famille du Sud.
Laurent ne tolérait aucune erreur.
Et si par malheur, la Famille du Nord apprenait que c'était elle la voleuse, Elle avait le droit de la réclamer afin de la punir pour le tort causé. Laurent pouvait refuser, mais c'était au risque de créer une guerre entre les deux Familles. Ce qu'il n'allait pas se permettre. Pas pour elle. Même si elle était la meilleure décodeuse de l'Ile.
Enfin, à sa connaissance, la seule décodeuse de l'Ile.
Il ne lui restait plus qu'à prier que les fichiers fournis soient suffisants.
Le tumulte des conversations et de la musique la ramenèrent à l'instant présent. Elle était arrivée au pied de l'escalier. Comparé au silence de glace qu'il régnait dans le bureau de Laurent, l'ambiance du bar était explosive.
Carmen chercha Aydan des yeux mais elle ne le vit nulle part. Il était probablement déjà allé se coucher. Ou alors, il avait déjà été intercepté par Samael et Adonis. Elle sentit son ventre se contracter douloureusement à cette pensée.
Elle se dirigea vers le bar et s'assit sur le seul tabouret encore libre et croisa le regard d'Aël, qui se dépêcha de venir la servir.
- Bonsoir ma grande ! Salua-t-il avec un sourire bienveillant. Je te sers quoi ?
- Un double. De n'importe quoi, à condition que ce soit très fort.
Il arqua un sourcil mais ne fit pas le moindre commentaire. Il lui servit donc un grand verre de Gin, sans glaçons, la scrutant attentivement.
- Tu es dans un drôle d'état. Commenta-t-il.
Carmen fronça les sourcils avant de se souvenir qu'en effet, elle n'était pas sous son meilleur jour. Ses habits étaient toujours sales et humides, ses basquets étaient bonnes pour la poubelle, ses cheveux étaient emmêlés.
Elle haussa les épaules, comme si cela n'avait pas la moindre importance :
- Je reviens de mission. Se contenta-t-elle de répondre en guise d'explication.
- Ah.
- Et je viens de faire mon rapport à Laurent, raison pour laquelle je suis encore dans cet état.
- Tu aurais pu te changer. Marmonna-t-il d'un ton faussement sévère.
- Non. Dès que je serais chez moi, il me sera impossible de ressortir sans l'autorisation de Laurent.
- Ah. Répéta-t-il. Tu veux en parler ?
Carmen haussa les épaules :
- Il n'y a rien à dire, Aël. Je suis confinée à domicile, c'est tout.
- Et toi qui adore les grands espaces ! S'exclama-t-il, ironique. Ça va tellement te manquer !
Elle esquissa un faible sourire :
- Tu me connais ; je préfère ça plutôt que de subir la compagnie des autres.
Elle désigna d'un signe de tête éloquent Kylian et son inséparable groupe d'amis qui s'étaient attablés autour d'une table en riant et en finissant leurs bières. C'était toujours la même bande, inséparable ; Kylian, le meneur, prenait toutes les décisions. Nico était le tempérament calme, toujours réfléchit. Cooper était l'éternel blagueur, insolent et insouciant. Malo, lui, suivait le mouvement, comme s'il n'avait pas d'avis ou de personnalité propre.
Aël leur jeta un rapide coup d'œil avant de revenir sur Carmen, compatissant :
- Je vois de quoi tu parles.
C'était facile de se confier à un homme comme Aël. Sa douceur et sa bienveillance presque paternelle était toujours les bienvenues dans les moments rudes. Il suffisait de dire tout ce qu'on avait sur le cœur et il écoutait, sans interruption et sans jugement.
Carmen l'adorait.
C'était un homme simple, de haute taille avec des épaules larges et des cheveux gris en bataille. Il était le plus vieux d'entre eux. Elle s'était souvent demandée pourquoi ce n'était pas lui qui dirigeait la Famille du Sud. Mais quand elle lui posait la question, Aël souriait et à chaque fois, sa réponse différait de la précédente. Aussi, elle n'avait pas insisté. Elle n'aimait pas qu'on se mêle de ses affaires, alors elle ne se mêlait pas des affaires des autres.
Carmen but son verre d'une seule traite, grimaçant quand l'alcool brûla sa gorge.
- Ça va mieux ?
- Pas vraiment. Rétorqua-t-elle. Encore un, s'il te plaît.
Sans protester, il lui servit un autre verre qu'elle termina aussi vite que le précédent.
- Tu ferais mieux de rentrer chez toi, ma grande. Conseilla-t-il.
Elle secoua la tête.
- S'il te plaît...Soupira-t-elle. N'essaye pas de m'empêcher de boire...
- Je ne te parle pas de ta consommation d'alcool. Répliqua-t-il. Tu es assez grande pour prendre des décisions et en assumer les conséquences. Non, je te parle de la compagnie que tu ne souhaites pas côtoyer mais qui se dirige vers toi.
Il regardait un point qui se situait juste derrière l'épaule de Carmen. Elle se retourna et vit Kylian tituber dans sa direction, le regard vitreux fixé sur elle.
La jeune fille soupira et reposa son verre.
- Merci pour le verre, Aël.
Elle se leva et s'éclipsa le plus vite possible. Carmen se fraya un chemin jusqu'à la porte sans la moindre difficulté. Sa petite taille était un avantage pour se faufiler partout, slalomant entre les personnes et les tables avec aisance, ce qui n'était pas le cas de Kylian, dont la carrure était beaucoup plus imposante. De plus, plusieurs litres de bière ingurgitées depuis le début de la soirée avaient considérablement faussé son sens de l'équilibre et il fut donc incapable de la suivre.
Carmen sortit rapidement de la maison sans un regard derrière elle. Elle n'avait pas envie d'entamer un second round contre Kylian. Elle n'en n'avait plus la force et c'était parfaitement inutile de chercher à discuter avec un homme complètement ivre.
L'orage était passé mais grondait toujours au loin. Carmen dérapait légèrement sur les dalles humides. A une vingtaine de mètre de la maison principale, elle gravit les quelques marches d'escaliers qui menaient au perron de sa maison.
Bien sûr, ce n'était pas vraiment la sienne. En fait, c'était la maison des femmes de la Famille du Sud. Pour éviter toutes sortes de débordements et de garder le contrôle sur les membres de sa Famille, Laurent avait interdit l'accès de la maison aux hommes. Mais à l'inverse, une femme pouvait aller habiter chez un homme s'ils le souhaitaient et si Laurent le leur permettaient, comme c'était le cas de Joëlle et Max. Ils vivaient ensemble, ils étaient fiancés, c'était le seul couple « officiel » de la Famille du Sud.
Mais malgré ces règles, le Chef de la Famille du Sud ne pouvait pas avoir à l'œil tous ses membres et parfois, il y avait ce qu'on pouvait qualifier d'écart de conduite. Un mot, une remarque, un geste déplacé...Ce n'était pas rare et Carmen songea avec un certain fatalisme que c'en était presque normal : Ils étaient des Survivants et il y avait une vingtaine de femmes pour une cinquantaine d'hommes.
Alors, presque inévitablement, il y avait des débordements, des disputes, des bagarres, des rivalités. Les coups d'éclats ne duraient pas longtemps, tous craignaient que Laurent envoie les mercenaires, Samael et Adonis, pour les remettre à l'ordre. Mais les tensions restaient palpables. La situation n'était pas évidente tous les jours. Cela dépendait des caractères :
Il y avait celle qui collectionnait les aventures sans lendemain.
C'était Jacky.
Il y avait celle qui tombait amoureuse de tous ceux qui lui portait une attention particulière.
C'était Ambre.
Il y avait celle qui faisait des hommes ce qu'elle voulait.
C'était Eileen.
Il y avait celle qui redoutait tout contact avec le sexe opposé.
C'était Petra.
Il y avait celle qui rêvait d'enfants.
C'était Joëlle.
Il y avait celle qui s'en fichait.
C'était elle.
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