Chapitre 41
Carmen fut réveillée par de grands coups donnés contre sa porte.
- Quoi ? Grogna-t-elle sans quitter son lit et sans ouvrir les yeux.
- Carmen ! Lève-toi ! Cria la voix d'Ariane de derrière le battant.
- Encore cinq minutes...Grommela-t-elle en enfouissant sa tête sous son oreiller.
Presque aussitôt, la porte s'ouvrit à la volée et Ariane entra dans la pièce. Carmen pouvait la sentir bondir sur le lit et tirer les couvertures.
- Bon anniversaire ! Cria-t-elle.
L'oreiller fut arraché mais Carmen resta allongée sur le ventre en grommelant.
- Je ne veux pas le fêter, je te l'ai déjà dit. Marmonna-t-elle.
- Et moi je te dis que c'est important ! Lève-toi, on a des tas de choses de prévues aujourd'hui !
- Laisse-moi dormir encore dix minutes. Grogna Carmen. Et après, on suivra ton programme...
Il s'écoula quelques secondes avant qu'elle ne sente le poids d'Ariane se lever de son lit. Carmen sourit intérieurement. Elle allait pouvoir se reposer encore un peu...
Mais soudain, elle sentit deux mains agripper ses chevilles et elle fut tirée hors de son lit. Elle poussa un cri de surprise qui se changea en hoquet de douleur lorsqu'elle heurta le sol, face contre terre.
- Aux grands maux, les grands remèdes ! S'exclama Ariane d'un ton réjouit.
- Si je t'attrape, t'es morte ! Beugla Carmen.
Elle bondit sur ses pieds et se lança à la poursuite d'une Ariane hilare. Leur course dura une bonne dizaine de minutes, autour du bar et du canapé, se prenant parfois les pieds dans le tapis ou les bras dans l'explosion de guirlandes qui décoraient à présent l'appartement. Finalement, Carmen balança un coussin à la tête d'Ariane qui atteignit sa cible et la course poursuite se mua aussitôt en bataille d'oreillers, chacune cachée derrière un meuble pour se protéger des projectiles.
Ce ne fut qu'après une vingtaine de minutes qu'elles décidèrent d'enterrer la hache de guerre. Non pas parce qu'elles s'étaient réconciliées, mais plutôt parce qu'il n'y avait plus de projectile à se lancer dessus.
- C'était chouette, non ? Demanda Ariane.
- Oui. Sourit Carmen. C'était bien.
Les deux jeunes filles s'étaient assises devant le canapé, le dos appuyé contre le meuble et des verres de jus de fruit posés sur la table basse, à portée de main.
- Ta fête commence bien, alors ! S'exclama Ariane, joyeuse.
- J'ai pas trop apprécié le réveil, mais la bataille d'oreillers était marrante. Admit Carmen. Tu as prévu quoi pour la suite ?
- J'ai invité quelques personnes pour partager cette fête avec toi. Océane et Victoria ont accepté de venir mais Zoé avait beaucoup de choses à faire aujourd'hui, elle a décliné l'offre.
Carmen se souvint de la jeune femme froide et sophistiquée qu'elle avait croisée le soir de son intégration dans la Famille du Nord.
Elle était contente qu'elle ne soit pas là.
- Sergueï vient aussi, tout comme Beniamino et Emilio.
- Emilio vient aussi ? S'étonna-t-elle.
A sa grande surprise, Ariane se mit à glousser :
- En fait...c'est surtout pour Victoria.
- Oh. Fit-elle en venant de comprendre. Ils sont ensemble ?
- Disons qu'ils se tournent autour. Mais je te rassure ; Emilio est sincèrement ravi de fêter ton anniversaire. Il a beaucoup de questions à te poser sur tes talents de décodage ! Tu l'intrigue et il veut mieux te connaître parce qu'il ne sait pas encore s'il peut te faire confiance.
- Je vois... Cet anniversaire va se terminer en interrogatoire. Murmura-t-elle, ironique.
Seul le rire cristallin d'Ariane lui répondit.
Carmen dût à nouveau passer par une séance d'habillage-coiffure-maquillage entre les mains expertes d'Ariane. En fait, elle comprit vite qu'avec sa colocataire, toutes les raisons étaient valables pour s'apprêter de telle ou telle manière. Aujourd'hui, elle décida de tirer ses cheveux en arrière dans une longue queue de cheval et de lui appliquer un maquillage très naturel, avec un peu de rose sur les lèvres et un teint frais. Sa tenue était composée d'un short en jeans et d'un t-shirt bleu ciel avec des franges avec des sandales en cuir.
Une fois qu'elles étaient prêtes, elles descendirent dans la rue, les bras chargés de paniers remplis à ras bord de victuailles. Ariane avait prévu de faire un pique-nique dans la nature, dans un endroit un peu éloigné de la ville et au bord de la mer.
Carmen lui avait fait remarquer qu'il n'était guère prudent de se promener hors du quartier général de la Famille du Nord mais Ariane avait rétorqué d'un ton paisible que l'endroit était sûr. Ça n'avait guère convaincu Carmen, qui redoutait de tomber dans une embuscade tendue par la Famille du Sud. Et elle était profondément soulagée de remarquer, lorsqu'elles rejoignirent le reste du groupe, qu'Emilio était armé.
Il portait une mitraillette sur son épaule, comme pour rappeler, malgré ses vêtements décontractés, que l'Ile n'était pas sûre pour ceux qui s'éloignaient de leur territoire familial.
Victoria avait toujours ses bijoux en or sertis de pierres précieuses, malgré ses vêtements légers. Océane, elle, avait toujours l'air un peu absente et semblait être là uniquement par hasard. Elle portait des vêtements colorés qui faisaient presque mal aux yeux. Sergueï avait troqué son t-shirt noir contre une chemise blanche à manches courtes et Beniamino avait toujours le même sourire charmeur quand il vit s'approcher Ariane et Carmen.
A tour de rôle, ils s'approchèrent de Carmen pour lui souhaiter un bon anniversaire.
- Tu t'es battu avec un oiseau ? Demanda Sergueï moqueusement.
- Pourquoi cette question ? Répliqua Carmen en fronçant les sourcils.
- Tu as une plume coincée dans les cheveux.
- Oh ! S'exclama-t-elle. Ça me revient maintenant ! En effet, je me suis livrée à un combat épique contre une pie surexcitée qui m'était sauté dessus pour me réveiller !
- Qui est-ce que tu traites de pie surexcitée ? Protesta Ariane, scandalisée.
Le groupe éclata de rire.
Ils prirent bien vite la direction de la ville, se rendant uniquement dans des petites ruelles en bordure des banlieues, évitant les territoires ennemis. Emilio gardait ses sens en alerte, prêt à dégainer sa mitraillette au moindre mouvement ou bruit suspect. Mais les autres étaient beaucoup plus détendus et ils sortirent rapidement de la ville sans croiser âme qui vive.
Ariane ouvrait la marche, radieuse. Elle leur fit emprunter un sentier qui se perdait entre des oliviers et des pins. Le vent iodé de l'océan les guida pendant dix minutes jusqu'à une petite crique isolée avec du sable fin, entourée des hautes roches.
Ils installèrent leur pique-nique à cet endroit. Ariane déplia de grandes couvertures bariolées et ils purent s'installer dessus. Océane prit aussitôt le chemin de l'immensité bleue, retira ses sandales et remonta un peu son pantalon pour laisser les vagues rouler jusqu'à ses chevilles. Elle eut un sourire ravi :
- L'eau est vraiment bonne ! S'écria-t-elle aux autres. Il faudra qu'on s'y baigne !
- Je n'ai pas de maillot de bain. Murmura Carmen, juste assez fort pour que seule Ariane puisse l'entendre.
Le visage de cette dernière s'illumina d'un sourire.
- J'en ai préparé un pour toi aussi.
- Quoi ?
- Si je te disais qu'on allait se baigner, tu te serais braquée.
Elle sortit du panier un petit sac en toile qu'elle lui tendit. Quand Carmen regarda à l'intérieur, elle remarqua un tissu d'une couleur vert tendre.
- Je vais porter ça ? Demanda-t-elle, dubitative.
- Tu n'aimes pas la couleur ? J'en ai un rose, si tu veux.
- Non, c'est pas ça...Marmonna-t-elle. C'est juste que...enfin...
Ariane lui lança un regard narquois :
- Ne me dis pas que tu ne sais pas comment mettre un maillot de bain ! Au pire, tu demandes à Beniamino. Je suis sûre qu'il serait ravi de te le mettre !
- Il serait ravi de me l'enlever, oui ! Rétorqua sèchement Carmen sous le ricanement d'Ariane.
Elle observa le maillot de bain qui était toujours à l'intérieur du sac en toile, incertaine.
- Au fait, est-ce que tu as déjà porté un maillot de bain dans ta vie ? Demanda Ariane en reprenant son sérieux.
Carmen la regarda et sourit intérieurement.
Cette fille était plus maligne qu'au premier abord. Elle comprenait vite les choses.
- Non. Avoua-t-elle à mi-voix. En fait, je ne sais pas.
- Mais est-ce que tu sais nager ?
Carmen dû longuement fouiller dans ses souvenirs pour répondre à cette question.
- On a dû me l'apprendre...quand j'étais petite. Ça remonte à loin. Mais avec les conflits qui divisent les Quatre Familles, on ne peut pas dire que j'avais le loisir d'aller à la plage.
- T'as jamais pris de temps pour toi, en fait.
- Je n'avais pas besoin de prendre du temps pour moi. Mon temps et mon énergie, je les vouais à Laurent et à la Famille du Sud. Je n'avais pas besoin de chercher à combler un quelconque vide intérieur, puisque ma seule raison de vivre était ma Famille. La Famille est tout, l'individu n'est rien. C'était ça, la règle d'or que l'on devait tous suivre à la lettre.
- Quel concept tordu. Commenta tristement Ariane.
- Ce n'était pas tordu, puisque c'était normal.
- Ouais, et on voit le résultat...Répliqua-t-elle avec une moue dubitative. T'es complètement larguée, Carmen. Il faut absolument que je refasse toute ton éducation !
- Toi ? Ironisa-t-elle en arquant un sourcil.
- Oui, moi. Affirma-t-elle d'un air important. Je suis peut-être plus jeune que toi, mais il se trouve que j'ai de plus grandes connaissances en ce qui concerne les loisirs et les relations sociales. Et je trouve ça révoltant que tu te cantonne à la pensée que tu n'es rien et que la Famille est tout...C'est tellement primaire ! Ajouta-t-elle en secouant la tête d'un air exaspéré. Par ailleurs, je te ferais remarquer que le repli sur soi est très mauvais pour ton équilibre mental. Tu as besoin de t'épanouir dans un environnement sain qui favorise l'expression de tes émotions. Tu es si peu loquace qu'il n'est pas évident de deviner à quoi tu penses...Même si je ne doute pas que tes pensées soient très intéressantes, il faut savoir lâcher prise et extérioriser...
Et au grand damne de Carmen, Ariane se lança à nouveau dans un monologue sans fin, teinté de psychologie et de philosophie.
Ou quelque chose dans ce genre.
Elle ne l'écoutait déjà plus.
Elle faisait déjà l'équation et le bilan entre la vie qu'elle avait mené au sein de la Famille du Sud et celle qu'Ariane avait vécu dans la Famille du Nord. Et la différence était assez radicale, sans qu'elle parvienne à dire s'il y en avait une qui était meilleure que l'autre.
En fait, leurs deux vies n'étaient pas comparables.
Sa seule crainte pour Ariane –même si, en réalité, elle avait un bon millier de raisons de craindre pour elle- était que sa joie de vivre et sa confiance en les autres ne se retournent contre elle.
Ariane allait se faire dévorer toute crue si elle ne faisait pas plus attention.
- Est-ce que vous comptez discuter indéfiniment ou vous joindre à nous ? Intervint Beniamino d'une voix forte.
Ariane s'arrêta net au milieu de sa phrase et elle se tourna vers l'infirmier, imité par Carmen.
Le groupe s'était un peu éloigné des couvertures et avaient tracé un large carré dans le sable. Carmen se leva et s'approcha, observant les lignes irrégulières d'un air perplexe :
- Vous vous lancez dans un concours de dessins ? Demanda-t-elle.
- J'ai un grand talent, tu ne trouves pas ? Lança Beniamino d'un ton bravache.
- Indéniablement.
- C'est notre terrain de jeu. Précisa Sergueï.
- Quel jeu ?
- Le Pêl Tân. Répondit Emilio avec satisfaction. Si tu n'y as jamais joué, tu vas adorer.
- Et...quel est le but de ce jeu ? Demanda-t-elle lentement.
- C'est très simple ; on se répartit en deux équipes adverses et le but du jeu est d'entraver les adversaires avec la balle. Si la balle te touche, tu es coincée et c'est un joueur de ton équipe qui doit te libérer...
- ...sans qu'il ne se fasse toucher à son tour. Poursuivit Sergueï.
- En fait, il faut être stratégique. Reprit Emilio.
- Moi, je miserais plutôt sur la rapidité. Contredit Beniamino.
- Si tu veux, mais tu ne t'étonneras pas quand je te ferai mordre la poussière !
- Le temps que tu élabore ta petite stratégie dans ton coin, j'aurais immobilisé l'ensemble de ton équipe.
Alors qu'Emilio ouvrait la bouche pour répliquer, Sergueï intervint de sa voix grave et feutrée :
- Cessez de vous chamailler comme des gosses. Les rabroua-t-il calmement. On devrait commencer par une partie d'échauffement, Carmen pourra ainsi mieux se rendre compte des règles du jeu...
- Volontiers, parce que je n'ai pas compris grand-chose. Marmonna-t-elle.
Ils se séparèrent en deux équipes et se postèrent de part et d'autre du carré tracé dans le sable. De toute évidence, Emilio et Beniamino étaient les habituels capitaines d'équipe et ils avaient choisis leurs membres avec soin. Beniamino avait désigné Sergueï et Océane comme coéquipiers, tandis qu'Emilio avait Ariane et Carmen dans son camp. Victoria, quant à elle, s'était postée à l'écart du carré et avait joyeusement endossé le rôle d'arbitre.
- Je veux voir du fair-play ! Intima-t-elle en regardant avec insistance les capitaines d'équipe. Et je rappelle que les jets de sable dans les yeux sont interdits. Tout comme il est interdit de griffer, de mordre, de tirer les cheveux et les vêtements, de s'insulter, de donner des coups de pieds, de coudes ou de tête, de faire des crocs-en-jambe, ou de piétiner un adversaire à terre.
- Elle aurait mieux fait de nous donner la liste de ce qui n'était pas interdit, ça aurait été plus court...Marmonna Carmen à mi-voix.
A côté d'elle, les lèvres d'Emilio frémirent.
Victoria leva la balle au-dessus de sa tête et tout le monde se prépara à bondir. Carmen les imita.
Elle n'avait aucune idée de ce qu'elle devait faire.
« Fonce dans le tas, et tu verras. » Répliqua une petite voix dans sa tête.
- Etes-vous prêts ? Demanda Victoria d'une voix forte. Trois ! Deux ! Un ! Pêl Tân !
Et elle lança la balle vers le ciel.
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