Chapitre 40
Son entretien avec Nathaniel n'avait pas rassuré Carmen. Elle avait très peur qu'une guerre éclate entre les deux Familles à cause d'elle. Etre soudainement le centre de l'attention ne lui plaisait pas.
Mais alors, pas du tout.
Dans quelques jours, trois hommes allaient partir en éclaireurs sur le territoire de la Famille du Sud. Nathaniel avait beau lui affirmer que tout allait bien se passer, elle ne pouvait s'empêcher de ressentir un malaise. Quand Laurent était furieux, il était capable de tout.
Surtout s'il était furieux contre l'un des membres de sa Famille.
Mais est-ce que Carmen pouvait encore prétendre faire partie de la Famille du Sud ? Laurent n'avait-il pas ordonné à Nathaniel de la livrer s'il ne voulait pas des représailles ? Était-ce parce que Laurent souhaitait la punir ou parce qu'il voulait la récupérer ?
Malheureusement, les deux hypothèses étaient plausibles.
Ce qui ne l'avançait guère.
Quand elle entra dans l'appartement, Carmen sentit une odeur de sucre et de fruits lui monter au nez. Elle entendait des bruits dans la cuisine. Ariane était visiblement en train de préparer un dessert.
Ou de préparer un champ de bataille, à en juger l'état de la cuisine.
L'endroit était dans un chaos total ; des casseroles sales s'amoncelaient dans l'évier, des ustensiles de cuisine étaient éparpillés sur les plans de travail, de la farine avait été renversée sur le sol, des bols traînaient par-ci par-là, des éclaboussures de ce qui ressemblait à du jus de fruit parsemaient les murs. Et au beau milieu de ce chantier, Ariane était en train de verser une pâte multicolore dans un moule à gâteau, ses cheveux blonds relevés en un chignon aussi désordonné que la cuisine.
- C'est quoi cette hécatombe ? Demanda Carmen.
- Oh, salut ! Ria-t-elle. Je ne pensais pas que tu reviendrais aussi vite ! Je suis en train de préparer ton gâteau.
- Mon gâteau ? Répéta-t-elle.
- Ton gâteau d'anniversaire. Précisa-t-elle d'un air entendu.
Il fallut quelques secondes pour que cette information éclipse toutes les sombres pensées qui tournaient en boucle dans la tête de Carmen. Elle poussa un long soupir, exaspérée :
- Je te l'ai déjà dit, Ariane ; il est inutile de me faire un gâteau. Je ne fête pas mes anniversaires.
- Et moi, je te rétorque que c'est important.
- Non.
- On ne va pas se disputer à nouveau à ce sujet ! Répliqua-t-elle d'un ton enjoué. De toute manière, il est presque prêt. Je n'ai plus qu'à le mettre au four et le décorer.
Carmen jeta un coup d'œil circonspect à la pâte qui reposait dans le moule.
- C'est « ça » mon gâteau ? S'étonna-t-elle.
Elle n'en n'avait jamais mangé de sa vie mais elle se demandait vraiment si c'était à ça qu'il devait ressembler. La pâte était épaisse et il y avait des grumeaux dedans, d'étranges traînées de couleurs suspectes s'y diluaient, formant quelque chose de peu ragoutant.
Et sûrement de pas très comestible...
- Je me suis donné de la peine pour le faire ! Protesta Ariane, piquée au vif.
- Et je suis sûre qu'il sera très bon. Marmonna Carmen en levant les yeux au ciel.
- On verra ça demain, à la dégustation. Reprit-elle d'un ton joyeux. C'est demain le grand jour ! Vingt ans ! C'est vraiment super !
- Oui... « super » ! Grogna-t-elle d'un ton faussement réjouit.
- Est-ce que tu peux me passer la cuillère, s'il te plaît ? Demanda Ariane sans lever les yeux de sa préparation.
- Ne me demande pas de contribuer à cette comédie. Siffla-t-elle.
Mais elle lui donna quand même la cuillère et sa colocataire la remercia avec un large sourire.
- Alors ? Comment s'est passé ton entretien avec Nathaniel ? Reprit Ariane en remuant doucement sa préparation.
Carmen haussa les épaules :
- L'entretient était un peu tendu.
- Oh. Il avait quelque chose à te reprocher ?
- Lui, non. Laurent, oui.
- Qui est Laurent ?
- Mon...mon ancien Chef de Famille. Hésita-t-elle.
- Ton ancien Chef de Famille s'appelle Laurent ? Répéta-t-elle. C'est un beau prénom, j'aime bien. Mais c'est étrange, j'aurais pensé qu'il s'appellerait autrement.
Carmen fronça les sourcils :
- Comment tu t'imaginais qu'il s'appellerait ? Le Grand Méchant Loup ?
- Non ! Rit-elle. Mais remarque, ça aurait pu !
- Ça aurait pu, oui...Concéda-t-elle à contrecœur.
- Et comment sais-tu qu'il te reproche quelque chose ?
- Parce qu'il a fait parvenir une lettre à Nathaniel dans laquelle il ne s'est pas montré des plus aimables. Il veut que Nathaniel me livre à la Famille du Sud.
Ariane sursauta et sa cuillère lui glissa des mains. Elle se baissa pour la ramasser et lorsqu'elle se redressa, elle observa Carmen avec inquiétude :
- Et que va faire Nathaniel ? Demanda-t-elle d'une petite voix.
Carmen sourit :
- Tu le connais, il ne le fera pas. Mais son refus va entraîner des complications. Je préfère t'avertir, avant que tu ne l'entendes de la bouche de quelqu'un d'autre.
- Est-ce que tu penses que nous allons entrer en guerre ?
- Je ne suis pas dans la tête de Nathaniel, je ne connais pas son avis. Je sais juste qu'il va envoyer trois personnes en éclaireur...
A sa grande surprise, le visage d'Ariane s'illumina.
- Livio, Bryan et Antoine vont partir en éclaireurs ? S'exclama-t-elle, ravie. Parfait ! Tout va bien se passer, alors ! Il n'y a pas de quoi s'en faire.
Carmen l'observa en fronçant les sourcils.
- Ce sont les meilleurs, Carmen. Poursuivit Ariane. Ils ne se font jamais repérer, ils sont silencieux comme des ombres, ils connaissent tous les recoins de la ville pour s'y dissimuler, ils récoltent toutes les plus petites informations sans que personne ne s'en rende compte. Si Nathaniel les envoient dans le territoire de la Famille du Sud, ils reviendront avec toutes les informations nécessaires. Tu peux leur faire confiance.
- Je n'ai aucun doute quant à leurs capacités. Rétorqua Carmen. En revanche, je trouve que c'est une mauvaise idée de les envoyer sur le territoire de la Famille du Sud. Il pourrait leur arriver n'importe quoi...
Et le pire, ce serait qu'ils tombent sur Samaël et Adonis, les deux psychopathes à la solde de Laurent.
Mais Ariane secoua la tête :
- Il ne leur arrivera rien. Tu peux leur faire confiance. Répéta-t-elle d'un air serein en retournant à sa préparation de gâteau.
Elle regarda sa pâte durant quelques secondes, comme si elle avait perdu quelque chose ou qu'elle avait oublié ce qu'elle voulait faire.
- Est-ce que tu crois que je dois faire un meringué ? Je n'ai pas beaucoup d'œufs, mais ça apporterait du goût, non ?
Carmen soupira :
- Tu fais ce que tu veux. De toute manière, je ne viendrais pas.
- Ça, c'est toi qui le dis. Répliqua-t-elle doucement. De toute manière, on ne va pas revenir sur cette discussion.
Carmen haussa les épaules. Elle non plus ne voulait pas revenir sur le sujet sensible des anniversaires.
Elle abandonna donc Ariane à sa pâtisserie et s'enferma dans sa chambre. Son vingtième anniversaire ne méritait pas son attention. Ni l'importance que lui accordait Ariane et tous les autres.
Si elle se rappelait bien, elle se souvenait que plusieurs membres de la Famille du Sud avaient eu une soirée très alcoolisée sous prétexte qu'ils avaient grandis et qu'ils pouvaient se permettre de faire plus de choses.
Carmen, elle, n'avait jamais eu besoin d'une raison ou d'une occasion spéciale pour boire.
Toutefois, elle se rappelait que son quinzième anniversaire - qu'elle n'avait d'ailleurs pas fêté, pas plus que les suivants ou les précédents-, avait été assez pénible. C'était la période où son corps avait commencé à se métamorphoser, ou ses formes se sont développées et sa silhouette élancée. En quelques mois, le regard des hommes sur elle avait changé. C'était à la même période où beaucoup d'entre eux ont cessés de l'appeler « frangine ».
Il devait il y avoir un sens caché à tout ça.
Mais dans l'immédiat, elle devait résoudre des problèmes bien plus urgents que son anniversaire.
Carmen s'allongea sur son lit et contempla le plafond comme si elle pouvait y lire toutes les réponses à ses interrogations. Elle ne savait pas comment elle devait agir face à la situation qui évoluait rapidement. Elle avait l'impression de ne plus avoir le moindre contrôle sur les événements. Quel était le plan de Laurent ? Quel était le plan de Nathaniel ? Quel était le sien ? A qui devait-elle obéir ? A qui devait-elle se fier ? Qu'est-ce qu'elle ignorait que les Chefs de Famille savaient ?
Mentalement, elle passa en revue ses options. Elle en compta trois. Les deux premières étaient les plus simples à trouver, elle y avait déjà songé à plusieurs reprises. Soit elle restait fidèle à Laurent, soit elle rejoignait sincèrement Nathaniel. Sa troisième option était, quant à elle, la solution de facilité ; elle laissait couler.
Elle se taisait et laissait les événements s'enchaîner sans qu'elle n'agisse. « Faire le mort », comme disait parfois Kylian après une mission particulièrement difficile. Ce n'était pas vraiment dans sa personnalité de rester les bras croisés, mais, dans sa situation, elle avait meilleur temps de faire profil bas.
Et tout se passerait pour le mieux.
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