Chapitre 4
Laurent avait installé son bureau dans une pièce qui devait servir à l'époque d'une grande chambre à coucher. Un bureau avait été installé au centre, avec deux fauteuils en bois gravés de part et d'autre du meuble. Il y avait également une bibliothèque dans un coin de la pièce, guère très remplie.
Laurent n'avait jamais été réputé pour être un grand lecteur.
Contrairement au couloir, il n'y avait pas un seul tapis qui recouvrait le parquet. De lourds rideaux de velours noirs masquaient l'une des fenêtres. La deuxième, en revanche, était grande ouverte et laissait passer l'air du soir qui s'était rafraîchit après le passage de l'orage. Quelque part au loin, un grillon chanta.
Laurent se tenait près de la fenêtre, en train de fumer une cigarette, le visage tourné vers la rue deux étages plus bas. Carmen resta sur le seuil, sans oser faire un pas de plus dans sa direction. Son Chef de Famille était un homme impressionnant. Pas du fait de sa stature, qui n'était pas très imposante avec ses épaules étroites et son allure d'athlète, au lieu d'être taillé comme une armoire à glace. C'était plutôt dû à son charisme : bel homme, âgé de moins de trente ans, les cheveux noirs coupés courts et des yeux aussi froids que de la glace et qui trahissaient une intelligence calculatrice. Entrer dans son bureau était comme entrer dans un piège à souris ; on ne savait jamais dans quel état on allait en ressortir.
Carmen referma doucement la porte derrière elle et fit quelques pas en direction de Laurent. Il continuait d'observer la ruelle depuis la fenêtre ouverte, sans prendre garde à sa présence. Elle décida de parler la première. Plus vite elle quitterait cette pièce, et mieux elle se porterait.
- Je suis revenue, Laurent. Annonça-t-elle d'une voix timide, à peine audible.
Il se détourna enfin de la fenêtre et leurs regards se croisèrent. Carmen frissonna imperceptiblement. Il n'y avait aucune émotion dans ses yeux ; pas de bienveillance, pas d'hostilité, rien. Ce n'étaient que deux pics de glace qui se plantaient sur elle. Pourtant, ses lèvres pâles s'étirèrent en un sourire de bienvenue. Carmen sentit qu'il était sincèrement content de la revoir et cela l'aida à se détendre un peu.
- Carmen. Salua-t-il doucement. Bon retour parmi nous. Je constate que tu as réussi à t'enfuir, toi aussi.
- La Famille du Nord n'a pas placé là-bas des types très malins. Marmonna-t-elle en baissant les yeux, incapable de supporter le regard de son Chef de Famille.
- Tu t'en es sorti par tes propres moyens. Toutefois, Aydan n'aurait pas dû t'abandonner. Tu aurais pu te faire capturer.
- Mais ce n'est pas le cas. Et je ne lui en veux pas.
- Ton jugement n'est pas neutre. Répliqua-t-il sèchement.
- Peut-être. Mais Aydan et moi ne sommes que des individus. Les individus ne sont rien, la Famille est tout. C'est la règle d'or que tu nous as appris, Laurent.
Le Chef de Famille la regarda longuement sans rien dire.
- C'est vrai. Reconnu-t-il à contrecœur après quelques instants. Chaque membre doit être capable de sauver sa peau seul. Dans ce sens, je ne peux en vouloir à Aydan. Cependant, tu es notre seule décodeuse et tu es très utile...bien plus utile qu'Aydan.
Carmen se tendit. Laurent avait parlé d'une voix basse mais chargée de menaces. Aydan allait subir de lourdes représailles et cela lui fit mal au cœur. Cependant, elle devait également penser à son propre cas et elle n'était pas du tout dans une meilleure posture que lui.
- Puisque tu parles d'utilité...Reprit-elle en se tordant les mains dans le dos, nerveuse.
- Et bien ? L'invita-t-il à poursuivre.
- Pour être tout à fait sincère...je...je n'ai pas réussi la mission que tu m'avais confiée, Laurent. Enfin...pas entièrement. Ajouta-t-elle précipitamment en voyant l'expression de son visage.
Son regard s'était métamorphosé. Jusqu'à présent, ses yeux acier l'avaient tout de même regardé avec un peu de considération. Mais ce sentiment s'envola bien rapidement, ne laissant plus que deux poignards glacés qui la fixaient sans ciller. Il ne dit pas le moindre mot, ne laissa pas éclater sa rage, ne fronça même pas les sourcils. Le simple éclat meurtrier de ses yeux tétanisait Carmen qui n'avait qu'une envie ; s'échapper de cette pièce dont l'atmosphère était devenue pesante.
Pourtant, elle ne pouvait pas partir. Pas sans l'ordre direct de son Chef de Famille. Elle fut donc condamnée à rester devant lui, figée, une goutte de sueur froide longeant sa colonne vertébrale. Elle déglutit et baissa la tête, refusant de croiser plus longtemps le regard de Laurent.
- J'ai pu télécharger les fichiers que tu m'avais demandé...mais pas jusqu'au bout. Murmura-t-elle avec le peu de courage qu'il lui restait encore.
- C'est-à-dire ? Demanda-t-il froidement.
Elle sortit de sa poche la clé USB qu'elle avait précieusement gardé.
- J'ai téléchargé soixante et un pourcents des fichiers. Les membres de la Famille du Nord étaient déjà sur place et ils ont commencés à tirer des coups de feu... Je devais sortir de l'immeuble avant qu'ils ne tombent sur moi et me capture... Malheureusement, je n'ai pas pu finir...
Laurent tendit la main. Carmen s'approcha et lui donna la clé USB en veillant à ce que sa main n'entre pas en contact avec la sienne. Elle recula aussitôt de quelques pas, toujours sans croiser son regard. Mais elle sentait ses yeux peser sur elle tandis qu'il faisait passer la clé d'une main à l'autre.
- Tu as échoué à une mission que je t'avais confiée. Déclara-t-il.
- Oui, Laurent. Répondit-elle, penaude.
- Est-ce que tu sais ce que ça implique ?
- Oui, Laurent.
Il secoua la tête, agacé :
- Non, tu n'en sais rien. Ces fichiers, on en a besoin. La Famille du Nord est plus active ces derniers temps, je veux savoir ce que ça cache. Je veux connaître leurs plans et c'est pour ce motif que je t'ai envoyé là-bas ; pour dérober leurs plans gardés sous des dizaines de codes que seule toi peux décoder en quelques secondes. Au lieu de ça, tu reviens les mains vides, enfin presque ! Je ne sais pas ce que le contenu de cette clé vaut ! Ajouta-t-il, irrité.
- Peut-être est-ce suffisant ? Suggéra-t-elle avec espoir.
- Ou peut-être que non. Répliqua-t-il méchamment. De toute manière, je ne le saurais pas ce soir.
- Quel sort me réserves-tu, Laurent ?
Il lui avait fallu une bonne dose de courage pour que cette question, qui l'a taraudait depuis le début de l'entretient, ne franchissent ses lèvres.
Il l'observa de longues secondes, le visage impassible.
- Tu es consignée à domicile. Pour l'instant. Si ce que tu m'as apporté suffit, il n'y aura pas de conséquences pour toi.
- Dans le cas contraire ?
Il lui sourit froidement :
- Dans ce cas, tu recevras une petite visite de courtoisie de la part de Samael et d'Adonis.
Carmen cru que son cœur cessait de battre. Finir entre les mains de ces deux mercenaires était sans doute le pire châtiment que pouvait subir un membre de la Famille du Sud.
Laurent poursuivit, implacable :
- Ce n'est pas parce que tu es ma seule décodeuse et que tu as ton utilité dans ma Famille que je ne vais pas te punir pour ton échec. Si je constate que ce que tu m'as apporté ne me sers à rien, je vais donc agir en conséquence. Il y a une faible chance que les membres de la Famille du Nord ne découvrent jamais qui est l'auteur du vol. Mais si Elle le découvre et qu'Elle demande réparation, soit sûre que je te livrerais sans le moindre état d'âme. Il me suffirait de prétendre que toi et Aydan ailliez agis dans mon dos et j'éviterais ainsi une guerre ouverte avec la Famille du Nord. Nathaniel me croira sans hésiter.
- Je comprends. Déglutit-elle.
La voix de Laurent se fit plus douce :
- Je sais que tu comprends. Tu es une fille très intelligente et tu connais le fonctionnement des Familles mieux que quiconque, ici. La Famille du Sud est tout, Elle doit être tout. Elle doit survivre, malgré les épreuves...et les pertes de ses membres, parfois les meilleurs.
- La Famille est tout, l'individu n'est rien. Répéta docilement Carmen.
- Tu peux t'en aller. Je te convoquerai lorsque j'aurais pris ma décision.
- Merci, Laurent.
Elle s'inclina légèrement devant lui en signe de respect et quitta la pièce.
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