Chapitre 37


Ils firent face à la foule et elle sursauta quand Nathaniel se mit à crier :

- Votre attention, s'il vous plaît !

Hausser la voix n'était pas vraiment nécessaire. Dès que les membres de la Famille du Nord avaient aperçu leur Chef de Famille accompagné d'une jeune femme -qu'ils n'avaient encore jamais vue pour la plupart-, les regards s'étaient braqués vers l'estrade et les conversations avaient rapidement cessés.

La main toujours emprisonnée dans celle de Nathaniel, Carmen jeta un coup d'œil la foule. Elle remarqua que sur chaque visage, il y avait une lueur d'admiration mêlée de respect. Nathaniel était apparemment très aimé par les membres de sa Famille. C'était curieux pour elle de s'en rendre compte ; quand Laurent faisait ses apparitions, Ce n'était pas l'admiration qu'on lisait dans les yeux de la Famille du Sud, mais la crainte.

- Je vous remercie. Poursuivit Nathaniel, un sourire bienveillant sur les lèvres. Je vous remercie d'être tous présents pour cette belle et spéciale soirée...Et non, ce n'est pas juste l'occasion de boire des verres, Théo ! Ajouta-t-il en lançant un regard amusé vers un jeune homme accoudé au bar qui s'apprêtait à parler.

Toute la foule éclata de rire. Même Carmen sentit les commissures de ses lèvres frémir. Nathaniel continua :

- Si vous êtes tous présents, c'est pour accueillir un nouveau membre parmi nous. Certains d'entre vous l'ont déjà vu, d'autres ont déjà eu l'occasion de lui parler, mais la plupart d'entre vous n'ont entendu que les rumeurs qui couraient sur elle.

Il balaya la foule de son regard perçant. Plus personne ne bougeait et les regards glissaient de Nathaniel à Carmen, attendant avidement la suite.

- La Famille du Nord est soudée par la confiance et le respect. Nous tous, ici, protégeons ces valeurs qui nous sont chères. C'est pourquoi, je tiens à mettre un terme aux rumeurs et vous présenter la jeune femme qui se tiens à mes côté ; Carmen.

Carmen jeta un coup d'œil à la foule avant de baisser les yeux pour ne pas à voir tous ses regards braqués sur elle. Était-ce un effet de son imagination, ou est-ce que l'ambiance s'était soudain tendue ?

« Tout ça va mal finir. Trèèèès mal finir ! » Glapit une petite voix au fond de sa tête.

Sans remarquer son trouble, Nathaniel poursuivit son discours d'un ton clair et assuré :

- Carmen vient de la Famille du Sud. Si elle s'est retrouvée enfermée dans le quartier général de la Famille du Nord, c'est suite à un enchaînement de circonstances qui nous a conduits à sa capture. Elle est parvenue à s'enfuir pour tenter de retourner auprès de sa Famille. Mais la Famille du Sud ne tolère pas dans ses rangs les traîtres. Carmen a failli se faire tuer par ceux qu'elle considérait autrefois comme ses amis. Elle aurait pu s'enfuir, elle aurait pu survivre seule, mais elle est revenue auprès de la Famille du Nord. Elle s'est donc engagée à nous aider à survivre et de mettre ses talents de décodeuse à notre disposition.

Cette annonce semblait faire grande impression parmi les membres de la Famille du Nord. Certains semblaient encore très méfiants à son égard mais la plupart se détendirent sensiblement. Elle remarqua quelques personnes qui lui souriaient à présent avec bienveillance. Le visage de quelques-uns s'était illuminé à l'annonce de son aptitude à craquer des codes.

- Nous traînons tous un passé derrière nous. Enchaîna Nathaniel avec douceur. Nous avons tous vécus des peines et des souffrances. Mais l'avenir importe bien plus que le passé ! Nous sommes des Survivants, nous sommes unis, et c'est ensemble que nous allons survivre !

Une clameur s'éleva dans la foule pour saluer ses paroles.

- Membres de la Famille du Nord ! Appela Nathaniel. Accueillons Carmen comme notre amie ! Et que la fête se poursuive !

Des cris de joie et des applaudissements retentirent et Carmen put enfin descendre de l'estrade. Ce n'était pas aussi horrible qu'elle l'avait imaginé, en fin de compte. Nathaniel ne l'avait pas obligé à faire de discours et pour cela, elle lui en était reconnaissante. Etre dévisagée par une quarantaine de personnes était suffisamment intimidant comme ça.

- Je crois que ça leur a plu. Commenta Nathaniel d'un ton joyeux. C'est allé ? Lui demanda-t-il.

- Oui. C'était un beau discours. Répondit-elle en souriant à son tour. Mais je ne pensais pas que vous révéleriez autant de choses à mon sujet.

- Je n'ai rien à cacher à ma Famille. Répliqua-t-il. Les membres de la Famille du Nord ont le droit de savoir qui intègre les rangs, non ?

- Moi non plus, je n'ai rien à cacher.

Ariane arriva au même moment, un large sourire aux lèvres. Elle lui tendit son verre de Gin, son alcool de prédilection, qu'elle s'empressa de boire d'une seule traite.

- Tu aurais dû voir ta tête ! S'exclama Ariane. On aurait dit que tu voulais être n'importe où, sauf sur cette estrade !

- Peut-être parce que c'était le cas. Rétorqua Carmen.

- Pourquoi ? S'étonna-t-elle. Tu avais beaucoup de classe ! Sous la lumière des lampions, cette robe te rend très élégante. C'est vrai que tu aurais pu sourire un peu plus...ou même faire un signe de main plutôt que de regarder tes chaussures ! Mais je te comprends, ces chaussures sont très belles et méritent qu'on les regarde attentivement...

Carmen échangea un regard éloquent avec Nathaniel tandis qu'Ariane repartait dans un monologue sans queue ni tête.

Par la suite, elle l'entraîna jusqu'au comptoir où elles se commandèrent à boire. Ariane sirota son verre de vin blanc alors que Carmen vida d'une seule traite son deuxième verre de Gin. Elle s'en commanda un troisième et les deux jeunes filles firent le tour de la foule pour que Carmen puisse rencontrer ses amies.

Elle put ainsi faire plus ample connaissance avec Victoria, la jeune femme qu'elle avait vu la veille jouer aux échecs et qui adorait les bijoux. Ce soir-là, elle n'eut qu'à la complimenter sur le superbe collier de jade qu'elle portait à son cou pour que le comportement de Victoria devienne beaucoup plus aimable. Elles passèrent donc de longues minutes à discuter sur les pierres de jade, onyx, topaze, saphir et diamant.

Ariane lui présenta également Océane et Zoé. La première portait un t-shirt bariolé et un foulard dans les cheveux. Elle avait des yeux sombres et ronds qui lui donnaient un air d'innocence enfantine. Elle salua Carmen avec un doux sourire mais passa une grande partie de la conversation à fredonner de la musique sans faire attention à ce qui se passait autour d'elle, perdue dans ses pensées. Zoé, en revanche, illustrait parfaitement la définition de « sophistiquée ». Elle était habillée avec un soin méticuleux, de ses mèches noires parfaitement bouclées jusqu'à ses chaussures d'une hauteur impressionnante. Elle adressa à Carmen un signe de tête accompagné d'un sourire poli, mais ne se confondit pas en effusions de gentillesse. Carmen n'insista pas auprès d'elle. Elle sentait qu'avec Zoé, ses rapports allaient rester courtois mais distants.

Ça ne la dérangeait pas ; Zoé semblait sortir du même moule que cette peste d'Eileen.

Suivant docilement Ariane à travers la foule, Carmen se sentait un peu perdue. Certains membres de la Famille du Nord la saluait simplement d'un hochement de tête, quelque fois accompagné par un « bienvenue », tandis que d'autres semblaient très intéressés par ses talents de décodeuse et de la vie qu'elle avait menée au sein de la Famille du Sud.

« Tolérée, mais pas encore acceptée. » Songea-t-elle dans un soupir.

Elle s'éclipsa pour aller se resservir d'un verre de Gin. S'assurant qu'Ariane n'était pas dans les parages, elle traversa la foule et s'éloigna rapidement de la fête. Elle avait besoin de s'isoler. Elle se trouva des marches d'escaliers qui menaient au perron d'une maison pour s'y assoir, à une quinzaine de mètres de la place.

Elle sirota son verre, les yeux perdus dans le vide. Elle pouvait entendre la musique, les conversations et les rires qui s'élevaient de la fête qui battait son plein. Carmen se demanda si elle pouvait se permettre de filer en douce pour aller se coucher. Mais Nathaniel risquait de s'en rendre compte et elle jugea préférable de ne pas froisser l'hospitalité de sa nouvelle Famille.

Elle songea à retourner dans la fête, à contrecœur, lorsque la silhouette d'un homme s'approcha d'elle. Carmen leva la tête vers lui. De là où elle était, elle ne pouvait pas distinguer son visage. Peut-être était-ce Sergueï ? A moins que ce ne soit Beniamino qui avait envie de revenir à la charge ?

L'homme s'immobilisa quand il l'aperçut. Il resta statique quelques secondes avant de reprendre sa route, jusqu'à elle.

- Tu squatte mon coin de prédilection. Annonça-t-il d'une voix grave.

Carmen sentit son cœur rater un battement. Qu'est-ce qu'il fichait là, lui ? N'était-il pas censé être en isolement depuis qu'il avait tenté de la réduire en charpie dans sa cellule ?

Elle cligna des yeux, un peu stupidement. Mais elle dut se rendre à l'évidence ; Elle n'était pas en train d'halluciner.

Renaud se tenait bel et bien devant elle et la toisait de toute sa hauteur.

Instinctivement, elle bondit sur ses pieds et recula de quelques pas, tout le corps tendu. Cette fois, s'il l'attaquait, elle se tiendrait prête à se défendre. Elle respira lentement pour apaiser les battements affolés de son cœur, sans grand succès.

Renaud la regardait toujours, sans esquisser le moindre geste.

- Tu n'es pas censée être à la fête donnée en ton honneur ? Demanda-t-il en désignant la place d'un signe de tête.

- Et toi ? T'étais pas censé être en isolement ? Répliqua-t-elle.

Il grimaça une moue ironique :

- De toute façon, j'aurais dû sortir demain. Mais Nathaniel a estimé que j'avais le droit d'assister à cette fête. Il a pensé que ce serait une bonne occasion pour enterrer la hache de guerre entre nous deux...

« Comment Nathaniel pouvait avoir des idées aussi saugrenues ? »

« Tu as rejoint la Famille des tarés. » Soupira la voix moqueuse au fond de sa tête.

- On va vite savoir s'il avait raison ou non. Acheva-t-il.

- Je ne sais pas si j'ai envie de le savoir. Marmonna-t-elle.

Ils se firent face durant de longues secondes, se toisant comme des chiens de faïence.

- Tu permets ? Demanda Renaud en désignant les marches de l'escalier.

- Ah, tiens ? S'exclama-t-elle. Tu attends ma permission, maintenant ?

Il secoua la tête d'un air moqueur mais ne répondit pas. Il s'assit sur la plus haute marche de l'escalier, appuya son dos contre le bois froid de la porte d'entrée et observa le ciel constellé d'étoiles, comme perdu dans ses réflexions.

Carmen hésita quelques secondes, comme si elle devait s'approcher d'un animal dangereux. Mais Renaud ne semblait pas avoir le projet de lui fracasser quelques os de plus. Aussi, prudemment, elle s'assit à son tour sur les marches, tout en gardant une distance entre eux.

- Alors comme ça, tu es des nôtres ? Demanda-t-il brusquement, sans quitter le ciel des yeux.

- Cache ta joie. Répliqua-t-elle, acide.

- Franchement, je m'en fous.

Il sortit de sa poche un paquet de cigarette et s'en alluma une. La fumée vint chatouiller le nez de Carmen qui sentit une brusque envie de fumer également. Elle hésita en se mordant les lèvres, tiraillée. Puis, elle osa demander :

- Tu m'en passes une ?

Il lui lança un coup d'œil. Impénétrable.

- S'il te plaît. Ajouta-t-elle.

Elle était persuadée qu'il allait refuser. Mais à sa grande surprise, Renaud lui tendit une cigarette et son briquet et Carmen l'alluma. La flamme dansa quelques secondes devant son visage, le bout de la cigarette rougeoya et elle expira une longue bouffée de fumée en fermant les yeux.

- T'étais en manque ? Ricana-t-il.

- On n'a pas pensé à me donner des cigarettes durant ma captivité. Répliqua-t-elle tranquillement.

- On te donnait déjà à boire et à manger. Faut pas abuser de notre gentillesse.

- Ce n'est pas le mot que j'emploierais pour définir ce que tu m'as infligé.

Il haussa les épaules, nullement coupable.

- Tu t'attends à quoi ? Des excuses ? Je ne vais pas t'en donner. Tu étais mon ennemie et tu représentais une menace pour ma Famille. Déjà que tu as manqué de nous faire exploser avec ta bombe ! Et en plus, tu m'avais donné un coup de Taser. J'allais pas t'apporter des petits gâteaux et du thé !

- Pour la énième fois : je n'ai pas fait exploser cette bombe ! S'écria-t-elle, exaspérée. Elle a explosée toute seule. Et pour le coup de Taser, j'ai agis pas réflexe. C'était par instinct de survie.

- L'instinct de survie ? Ça peut te sauver la peau comme ça peut te condamner. Répliqua-t-il. Si tu veux un conseil, -Bien que ça m'étonnerais que tu veuilles l'entendre-, ne t'y fies pas aveuglément. Dans un combat, contre des types armés et entraînés pour tuer, tu te feras buter en moins de deux minutes. Et c'est pas un Taser qui te sauvera la peau.

Carmen le regarda longuement, mal à l'aise.

- De toute manière, je n'ai plus mon Taser. Murmura-t-elle. Vous ne me l'avez pas rendu.

- Réflexion faite, je ne crois pas que nous l'ayons récupéré. Moi, en tout cas, je ne l'ai pas ramassé.

Carmen accusa le coup. Elle se doutait qu'elle ne retrouverait jamais son arme de prédilection, mais en avoir la confirmation était tout de même douloureux.

- Ça te fait moins mal ? Demanda-t-elle pour chasser son trouble, en désignant le pansement qu'il avait toujours au cou.

- Beniamino m'a bien aidé. Répondit-il en haussant les épaules. Mais ça me démange souvent...Tu ne t'es pas loupée !

Carmen esquissa un sourire narquois :

- Et alors ? Tu t'attends à des excuses ? Tu n'en auras pas.

Renaud sourit :

- Tant mieux. Ce serait trop pathétique de ta part.


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