Chapitre 33
Sa nouvelle colocation avec Ariane ne se déroula pas trop mal. La jeune fille était parfois exubérante et loufoque, souvent extravertie, de temps en temps sévère mais toujours aussi bavarde. Comme Carmen l'avait pressenti, les seuls moments où elle ne parlait pas, c'était quand elle dormait.
Mais étonnamment, elle s'y habitua très rapidement. Elle qui avait horreur de la foule et du bruit, elle se surprit à penser que cette colocation n'était pas une si mauvaise idée en fin de compte.
Elle aimait bien la présence d'Ariane, mais elle avait souvent besoin de sortir. Le plus souvent, elle longeait le quartier, regardait ce qui se passait à l'angle des maisons suivantes, puis revenait s'assoir sur les escaliers du perron. Elle ne se mêlait pas aux autres membres de la Famille du Nord.
De temps à autre, il y en avait un ou deux qui passait dans la rue. La plupart lui lancèrent un regard curieux, comme s'ils se demandaient ce qu'elle faisait là, mais beaucoup d'autres avaient l'air plus méfiant. Carmen ne s'en formalisa pas ; Elle n'oubliait pas que pour beaucoup, elle était considérée comme une ennemie.
Elle eut la surprise de revoir Sergueï. Elle était une fois de plus assise sur les marches du perron, le menton posé sur ses jambes relevées, les yeux perdus dans le vague.
- Tu as l'air d'une dépressive. Commenta une voix.
Elle s'arracha violemment de ses rêveries pour observer le jeune homme qui s'était approché d'elle.
- Et toi, tu as l'air encore plus bête que la dernière fois. Répliqua-t-elle sur le même ton moqueur.
- Je m'entraîne dur pour ça. Assura-t-il avec sérieux.
- Parce que tu as encore besoin de t'entraîner ?
- La concurrence est rude.
Ils éclatèrent de rire. Sergueï leva la tête vers les fenêtres de la maison :
- Comment se passe cette colocation ? Ariane n'est pas trop pénible ?
- Elle ne parle pas en dormant, c'est déjà ça. Sourit-elle. Elle est...sympa. Exubérante et fatigante, mais gentille.
- C'est vrai. Un peu dans son monde, mais c'est une fille bien. J'aime beaucoup discuter avec elle. Elle trouve toujours un moyen pour me redonner le sourire.
Carmen le regarda longuement et sourit doucement :
- Tu tiens à elle. Constata-t-elle.
- Je tiens à tout le monde. Rectifia-t-il. Mais c'est vrai que je fais attention à Ariane. Elle a tendance à prendre des risques inutiles et à faire confiance aux autres. Elle vendrait son âme au Diable s'Il le lui demandait gentiment ! Ajouta-t-il d'un ton exaspéré.
- Oui, elle a l'air d'être ce genre de personnes...à ne voit pas le mal chez les autres. Marmonna Carmen.
Elle ressentit une petite flèche de culpabilité lui piquer le cœur.
Sergueï poursuivit en désignant la rue d'un signe de tête :
- Est-ce que je te fais visiter ? Ou tu as déjà eu l'occasion de faire le tour du quartier général dans une autre escapade nocturne ?
- Sur ce point, je me suis calmée. Rétorqua-t-elle en haussant les épaules. Il faut croire que je fais des escapades nocturnes uniquement lorsque je suis enfermée. Mais après tout, pourquoi pas ? Ça m'aidera sans doute à mieux comprendre votre façon de fonctionner...
Elle se leva et ils marchèrent côte à côte dans les différentes rues que lui faisait visiter Sergueï.
Elle était un peu rassurée d'être avec lui. Seule face aux autres, elle aurait eu l'impression d'être une bête curieuse, un animal qui aurait pu à tout moment attaquer quiconque s'approche de trop près. Mais elle sentait que tant qu'elle restait près du jeune homme, elle n'avait rien à craindre.
Sergueï marchait avec une certaine nonchalance, silencieusement, comme un chat qui visitait son territoire, sûr de lui. Chaque personne qui le croisait le saluait avec le sourire, respectueusement. Carmen avait une fois de plus l'impression qu'il n'était pas un simple membre parmi tant d'autres. Si on le respectait et qu'il pouvait se permettre de discuter les ordres de Nathaniel, il devait avoir un grade important, comme celui d'un lieutenant.
De temps en temps, il lui chuchotait quelques informations sur les personnes qu'ils voyaient :
- Lui, c'est Nelio. Dit-il en désignant d'un signe de tête un homme, à peine plus âgé que Carmen, qui lisait un livre assis sur le rebord de sa fenêtre. Il n'est pas très bavard mais si tu as une question sur les mathématiques, l'astronomie ou la chimie, c'est à lui que tu dois la poser.
- Ah.
Ils passèrent vers une arcade sous laquelle un homme d'une trentaine d'année et une jeune femme s'étaient installés pour disputer une partie d'échec. Aucun des deux ne leva les yeux de l'échiquier lorsqu'ils leur passèrent à côté.
- Elle, c'est Victoria. Si tu lui parles de bijoux, elle va t'adorer.
- J'ai vu, oui. Répliqua Carmen.
Elle n'avait encore jamais vu une personne qui portait autant de colliers et de bracelets.
- Et l'homme, c'était qui ?
- C'était Emilio. Il est assez méfiant envers les nouveaux arrivants mais tant que tu ne fais pas trop de remous, il va t'apprécier. Ou en tout cas te tolérer.
Carmen se souvint d'avoir déjà entendu ce nom. C'était Ariane qui lui en avait parlé. Elle lui avait dit qu'elle n'aurait pas osé s'échapper si c'était Emilio qui l'escortait ce jour-là. Carmen n'avait pas vraiment compris ce qu'elle avait voulu dire, mais après avoir vu cet homme, elle se dit qu'en effet, elle n'aurait pas osé faire un pas de travers. Il était très grand et massif, ses muscles étaient impressionnants.
Ils continuèrent de marcher dans les ruelles.
- Est-ce que vous avez une maison commune ? Demanda-t-elle. Un lieu où vous pouvez vous retrouver pour boire ou discuter ?
- On en a trois. Répondit Sergueï. On a un pub où on boit des verres et où il y a beaucoup de bruit. Un autre, plus calme, où il y a des canapés et des fauteuils. Généralement, on va là-bas pour discuter de sujets plus sérieux et on a un réfectoire où ceux qui veulent peuvent manger. Mais la plupart d'entre nous vivons dans des maisons où la cuisine est fonctionnelle, alors on se prépare à manger chez soi et on s'invite les uns les autres.
- Ah. Et toi ? Tu vis où ?
- Pas très loin.
- C'est extrêmement instructif comme réponse. Ironisa-t-elle.
Il lui fit un sourire moqueur :
- J'ai un appartement sur la rue principale.
- C'est tout ce que je voulais savoir.
- Ah ? Tu ne voulais pas savoir de quelle couleur était mon papier peint ? Se moqua-t-il.
- De quelle couleur est ton papier peint ?
- Blanc.
- Simplement ?
- Tu t'imaginais autre chose ?
- Je ne sais pas.
- Je ne suis pas très original.
- C'est le moins que l'on puisse dire.
- Ça te dérange que mon papier peint soit blanc ?
- Pourquoi ? Si je te dis « oui », tu vas le changer pour moi ?
- Tu rêves.
Ils se sourirent et poursuivirent leur chemin.
Une heure plus tard, Sergueï la ramena devant sa nouvelle maison. Depuis la fenêtre du salon, ils pouvaient entendre Ariane fredonner une chanson.
- Merci pour la visite. Dit Carmen en remontant les marches qui menaient au perron.
- Pas de quoi. Répliqua-t-il. Content que ça t'aie plu.
- C'est...différent que dans la Famille du Sud.
Au moment où elle allait abaisser la poignée de la porte, il la rappela :
- J'ai oublié de te dire un truc !
- Quoi donc ?
- Nathaniel m'a chargé de te dire qu'il organisait une soirée demain.
- Ah. Et... ? Marmonna-t-elle, ne devinant pas où il voulait en venir.
- C'est pour fêter ton intégration au sein de la Famille du Nord. L'informa-t-il.
Elle marqua un temps d'arrêt.
- Une fête...en mon honneur ? Répéta-t-elle stupidement.
- Oui. Il faut bien qu'on te souhaite la bienvenue, non ? Répliqua-t-il, son sourire moqueur se dessinant à nouveau sur ses lèvres.
- Euh...
- A demain, Carmen !
Il tourna les talons, l'abandonnant à son trouble. Qu'est-ce que c'était que cette histoire de fête ? Pourquoi fêter son arrivée ? Dans la Famille du Sud, Laurent avait instauré comme tradition une série de tests pour les nouveaux arrivants. Des épreuves de force, de rapidité, de logique. Ce n'était ni très dur, ni très cruel mais il y avait quand même quelque chose de malsain dans ces épreuves.
Carmen était arrivée avant que Laurent ne décide de tester les nouveaux membres de la Famille et elle n'avait assisté qu'une seule fois à ces épreuves. Elle n'avait pas pût l'expliquer sur le moment, mais elle en avait ressentis un tel sentiment de malaise que depuis, elle se tenait loin de ce genre de festivités.
Est-ce que c'était la même chose dans la Famille du Nord ? Allait-on la tester ? Elle n'avait pas envie de prouver quoi que ce soit à sa nouvelle Famille et si ça devait être le cas, elle voulait faire ses preuves sur le terrain, lors de missions.
Tout ça ne lui disait rien qui vaille...
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