Chapitre 32
Carmen n'emporta de sa chambre que les quelques habits de rechange que lui avait prêté la Famille du Nord. De toute manière, elle n'avait rien de plus à prendre avec elle.
Elle resta donc assise sur son lit, à attendre qu'Ariane vienne la chercher pour lui montrer sa nouvelle chambre, le regard perdu dans le ciel qu'elle voyait depuis sa fenêtre et ses pensées se mirent à vagabonder.
Elle avait rejoint la Famille du Nord.
Si elle songeait à la mission confiée par Laurent, elle aurait souri en se disant qu'elle progressait bien. Mais elle ne savait pas très bien si elle avait accepté l'offre de Nathaniel parce qu'elle voulait poursuivre sa mission ou si c'était parce qu'elle n'avait plus confiance en la Famille du Sud.
Elle avait eu le temps de repenser à ce qui s'était passé. Peut-être que si Laurent n'était pas intervenu, c'était parce qu'il pensait que ce serait plus crédible s'il affirmait que Carmen avait trahis la Famille du Sud ? Et de ce fait, la Famille du Nord serait persuadée qu'elle rejoignait son camp en toute bonne foi... Cette hypothèse était un peu tirée par les cheveux mais plausible ; Laurent était l'un des hommes les plus intelligents qu'elle connaisse, il avait sans doute plusieurs plans...
A moins qu'il pensait réellement qu'elle l'avait trahi. Qu'il avait cru aux mensonges d'Eileen et d'Aydan. Et dans ce cas-là, elle n'avait d'autre choix que de se joindre à une des autres Familles ou de retourner seule dans les montagnes...
Quelqu'un toqua à la porte, la tirant de ses pensées. Cela devait être Ariane. Carmen soupira en songeant qu'elle allait devoir l'écouter parler sans prendre une seule fois sa respiration mais elle l'invita à entrer.
La jeune fille entra dans la pièce d'un pas aérien, ses longs cheveux blonds flottant autour de son visage et elle lui fit son plus beau sourire.
- Salut ! Lança-t-elle de sa voix chantante. Comment tu vas ? Tu as meilleure mine que la dernière fois que je t'ai vue ! Poursuivit-elle sans attendre sa réponse. Nathaniel m'as dit que tu te joignais à nous, c'est vraiment super ! Je suis très contente que t'ai accepté son offre et je suis sûre que maintenant, on va devenir de très bonnes amies !
Lorsqu'elle s'arrêta de parler, Carmen en profita pour intervenir :
- Oui, je vais bien mieux, oui, je viens de rejoindre la Famille du Nord, oui, je suis sûre qu'on va bien s'entendre et cette fois, je te promets de ne pas prendre la poudre d'escampette.
Elle éclata de rire :
- C'est déjà oublié ! Et comme Nathaniel te l'a sûrement expliqué, je savais que tu tenterais de t'enfuir. Il faut dire qu'étant donné mon physique, s'échapper ou me neutraliser est assez facile ! Et selon la personne qui tente de s'enfuir, ça peut être très douloureux. Ajouta-t-elle de ton léger. Mais Nathaniel avait besoin de quelqu'un de confiance pour cette tâche, alors je me suis portée volontaire. Si c'était Emilio qui t'avais escorté jusqu'à ta nouvelle chambre, tu n'aurais même eut « l'idée » de t'échapper !
- Sans doute. Marmonna-t-elle, sans chercher à savoir qui pouvait être cet Emilio dont elle lui parlait.
- Tu me suis ? Proposa Ariane en désignant la porte.
Elles quittèrent la chambre. Carmen remarqua qu'il n'y avait plus de garde devant la porte. Nathaniel n'avait pas menti en lui disant qu'à présent elle était libre. Les deux jeunes filles descendirent dans la rue baignée de soleil et la longèrent, Carmen en silence et Ariane parlant sans reprendre sa respiration une seule fois. A plusieurs reprises, Carmen sourit mentalement, se disant qu'elle serait championne d'apnée si un tel concours venait à se mettre en place.
Ariane bifurqua soudainement dans une petite ruelle et s'arrêta.
- Dans ce quartier, tu as de nombreuses maisons inoccupées. Expliqua-t-elle en se tournant vers elle. Tu peux choisir celle que tu veux, puisque personne n'y habite.
- J'ai droit à une maison...rien que pour moi ? S'étonna Carmen, interloquée.
- Bien sûr ! le quartier général de la Famille du Nord est assez vaste pour que chacun puisse s'y caser sans difficulté. Evidemment, si nous accueillons de nouveaux membres, il faudra laisser un peu de place aux arrivants. Mais pour le moment, tu as l'embarras du choix !
Carmen jeta un coup d'œil à ces maisons colorées aux rebords de fenêtre fleuris.
- C'est très gentil à vous, mais je n'ai pas besoin d'une maison entière.
- Ah non ? S'étonna Ariane.
- Un simple appartement me suffit, s'il y a une chambre, une cuisine et une salle de bain. Affirma-t-elle.
- Est-ce que tu voudrais devenir ma colocataire ? J'ai un grand appartement au deuxième étage, avec un grand salon, une cuisine ouverte, une belle salle de bain et il me reste une chambre de libre. Si tu la veux. Et si tu veux me supporter ! Ajouta-t-elle en riant.
Carmen la regarda longuement, réfléchissant à toute vitesse aux options qui s'offraient à elle en acceptant l'offre d'Ariane.
Si elle partait du principe qu'elle devait poursuivre sa mission, Ariane serait indéniablement une source d'information intarissable. Une vraie mine d'or ! Au jugé, elle devait être bien trop naïve pour se rendre compte de quoi que ce soit.
Et si Carmen acceptait de prêter allégeance à la Famille du Nord, elle gagnerait peut-être une personne de confiance.
Une amie.
Carmen n'en n'avait jamais eu et cette pensée la fit frissonner.
- C'est...très gentil à toi de me le proposer. Finit-elle par déclarer.
« J'espère qu'elle ne parle pas en dormant. » Songea-t-elle en la suivant dans l'une des premières maisons de la ruelle.
L'appartement d'Ariane était effectivement très grand. Il y avait un petit hall d'entrée qui se prolongeait en un couloir qui débouchait sur une cuisine ouverte et un salon vaste et lumineux. Le salon était meublé d'un canapé et d'un fauteuil en cuir un peu défoncés, d'une table basse en bois clair et patiné et d'une bibliothèque remplie de livres et de bibelots en tous genres.
- J'ai tout récupéré dans les appartements de la ville. Précisa-t-elle inutilement.
Carmen s'en serait doutée. Depuis qu'ils avaient été abandonnés à leur sort, les Survivants avaient composés avec les moyens du bord et certains ne s'étaient pas privés de récupérer meubles, outils, vêtements et nourriture dans les magasins, les restaurants, les maisons et les hôtels de la ville.
Elle, lorsqu'elle s'était installée dans la maison des femmes de la Famille du Sud, elle avait récupéré l'appartement tel quel. Elle n'avait pas changé les meubles, elle ne les avait même pas déplacés. Elle l'avait occupé comme s'il avait toujours été le sien, sans avoir une seule pensée pour les précédents locataires.
Mais elle savait que la plupart des autres membres de la Famille du Sud avaient mis leurs propres touches personnelles dans leurs habitats : Aydan avait les murs de son salon tapissés de photographies en noir et blanc. Le petit Lorik s'était installé un hamac en guise de lit et avait des livres de coloriage dans tous les recoins. Joëlle et Max avaient rassemblés plusieurs instruments de musique à cordes avec lesquels ils s'improvisaient musiciens, avec un talent plus ou moins certain. Laurent, lui, avait fait chercher son lit, son bureau, ses canapés et ses fauteuils dans l'une des suites d'hôtel les plus luxueuses de la ville.
Il n'était donc pas très surprenant que tous les autres Survivants aient fait la même chose.
Ariane poursuivit la visite par la salle de bain qui comportait une baignoire, un lavabo surmonté d'un grand miroir, de toilettes et de nombreux placards. Les murs étaient couverts de mosaïques qui représentaient des fleurs et des oiseaux exotiques.
La jeune fille montra ensuite sa chambre, une grande pièce avec un grand lit en bois clair. Les murs, l'armoire, la table de chevet et le bureau étaient peints dans des tons blancs ou rose pâle, donnant un aspect de douceur et de romantisme à la pièce.
- Viens ! Je te montre la tienne ! S'exclama-t-elle, surexcitée.
Carmen la suivit dans la dernière pièce, aux proportions harmonieuses. Les murs de la pièce avaient été peints en gris anthracite et en mauve. Même si ce n'était pas les couleurs qu'elle affectionnait le plus, Carmen devait admettre que c'était plutôt agréable. Elle avait un grand lit à baldaquin, avec des rideaux en coton blanc si fins qu'ils paraissaient transparents. De l'autre côté du lit, près de la fenêtre, elle avait une petite table de chevet. Une grande armoire avec un miroir incrusté sur l'une des portes coulissantes prenait presque toute la longueur du mur. La pièce était plus petite que celle d'Ariane et elle n'avait pas de bureau. Mais depuis sa fenêtre, elle pouvait voir la mer.
Et comme lui avait dit Nathaniel, il n'y avait pas de barreaux.
- Ça te convient ? Demanda Ariane, un peu nerveuse devant le manque de réaction de Carmen. Si elle ne te plaît pas, ce n'est pas grave, je comprends ! Ajouta-t-elle. C'est vrai que ce ne sont pas les couleurs les plus chaleureuses que tu puisses trouver, mais si tu veux toujours habiter avec moi, on peut s'arranger pour repeindre les murs avec des couleurs qui te plaisent. Mais je ne vais pas te forcer à cohabiter avec moi ! Si tu veux, il y a un autre appartement un peu plus loin dans la rue et...
- Je m'y sens déjà comme chez moi. Murmura Carmen en lui souriant. Merci, Ariane.
La jeune fille gloussa, heureuse.
- Tant mieux ! S'exclama-t-elle. Je ne te voyais pas réagir, alors je ne savais pas si ça te plaisait ou non. Tu n'es pas très expressive ! Ni très loquace, d'ailleurs, mais ça, je pense que c'est parce que je parle trop.
- Il y a un peu des deux, je crois. Répliqua-t-elle. Par contre, je ne pense pas que je vais avoir besoin d'une armoire aussi grande.
- Ça, c'est parce que tu ne me connais pas encore ! Ria-t-elle.
Carmen arqua un sourcil. Ariane avait l'intention de lui donner des vêtements ? Même si elle était touchée par cette attention, elle n'en demeurait pas moins gênée.
Elle avait horreur de la charité.
- Tu ne vas pas rester dans ces vêtements tous les jours. Poursuivit-elle comme si elle avait lu dans ses pensées.
- Ils me conviennent, tu sais. C'est simple et confortable.
- Je te crois volontiers. Et qu'en est-il des robes, des chaussures à talons, des bijoux, des sacs ?
- Je n'en vois pas l'utilité.
- Il faut bien te mettre en valeur de temps en temps ! Répliqua Ariane d'un ton décidé.
- Si tu insistes...Marmonna-t-elle en haussant les épaules.
Ariane eut un sourire radieux.
Carmen s'installa rapidement dans sa chambre. Par « s'installer », elle voulait dire retirer ses baskets et s'allonger sur son lit. Elle entendait Ariane bouger dans l'appartement. Ses pas résonnaient dans la salle de bain, de la musique s'élevait du salon, la porte du frigo s'ouvrait et se refermait dans la cuisine. Carmen trouvait que sentir sa présence avait quelque chose d'apaisant ; après plusieurs semaines en isolement, avoir de la compagnie ne lui déplaisait pas.
Ariane l'appela aux alentours de dix-neuf heures. Quand Carmen la rejoignit, elle fut surprise de trouver des couverts sur le bar et des casseroles fumantes qui dégageaient une délicieuse odeur.
- On va pouvoir passer à table ! Dit Ariane d'un ton joyeux, ses cheveux blonds en bataille et son tablier couverts de taches de sauce.
- Tu as préparé à manger ? S'étonna Carmen.
- Il faut bien se nourrir, non ? Répliqua-t-elle en riant.
- J'aurais pu t'aider...
- Tu rêves ! S'exclama-t-elle d'un ton plus sévère. Ce soir, tu es mon invitée, tu ne touches à aucune de ces casseroles !
- Mais les prochaines fois, oui ?
- Peut-être.
Elles s'installèrent de part et d'autre du bar et Ariane leur servit deux généreuses portions de ce qui ressemblait à du lapin mijoté avec des légumes et des fines herbes. Dès la première bouchée, Carmen trouvait ça délicieux.
Tout en dégustant son plat, elle observait sa colocataire du coin de l'œil. Il y avait quelque chose en elle qui l'intriguait beaucoup...
- Tu as quel âge, Ariane ? Demanda-t-elle finalement.
La jeune fille semblait ravie qu'elle lui pose cette question.
- Je vais avoir dix-neuf ans en hiver.
- Ah ?
Elle ne s'attendait pas à ce qu'elle soit aussi âgée. En fait, avec son visage de poupée et ses grands yeux, elle donnait plutôt l'air d'avoir quinze ans.
- Et toi ? Tu as quel âge ? Demanda-t-elle à son tour.
- Moi ? Je vais avoir vingt ans...dans une semaine, si je calcule bien.
- C'est vrai ? S'extasia-t-elle. C'est super ! On fera la fête !
- Ce n'est pas utile. Répliqua Carmen. Je ne fête jamais mes anniversaires.
Ariane la contempla avec des yeux ronds, choquée.
- Pourquoi ? Il faut marquer le coup, tu as un an de plus ! Un an passé sur l'Ile sans mourir ! Et vingt ans, c'est important, ça marque un nouveau cap. C'est comme les dix-huit ans ! Remarque, les dix-neuf ans aussi sont importants car sans eux, tu ne peux pas avoir vingt ans.
- Logique irréfutable. Sourit Carmen tandis qu'Ariane se lançait à nouveau dans un monologue où elle décrivait l'importance des âges et des générations, sans reprendre une seule fois son souffle.
- ...Et je ferais un gâteau ! Disait-elle. J'adore faire les gâteaux ! Avec de la crème, des fruits confis...et des guirlandes ! Beaucoup de guirlandes, de toutes les couleurs et de la musique.
Elle l'écoutait distraitement préparer sa fête d'anniversaire, mi amusée, mi exaspérée. Ça semblait lui tenir beaucoup plus à cœur qu'à elle.
Elle n'avait jamais fêté un seul de ses anniversaires depuis son enfance.
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