Chapitre 31
Ce fut des crampes dans les jambes qui la réveillèrent. Elle entrouvrit péniblement un œil. Sa chambre était baignée d'une lumière chaude et douce. L'orage s'était éloigné et le soleil avait fait sa réapparition.
Elle aurait bien voulu dormir une ou deux heures de plus mais elle sentait une présence dans la pièce, ce qui l'agaçait. Se rappelant que Sergueï devait sans doute passer pour lui apporter à manger, comme à son habitude, elle se retourna dans le lit pour lui demander de revenir plus tard et de la laisser tranquille.
Elle ne ressentait pas l'envie de manger, et encore moins celle de voir qui que ce soit.
Sauf que ce n'était pas Sergueï qui était confortablement installé dans le fauteuil et qui contemplait la fenêtre d'un air songeur.
- Qu'est-ce que vous faites là ? Demanda-t-elle à Nathaniel en se redressant brusquement.
Il ne sursauta même pas. Il porta calmement son attention sur elle et sourit moqueusement :
- Bonsoir, Carmen. C'est gentil à toi de revenir nous faire une petite visite !
- Ne vous moquez pas. Gronda-t-elle sèchement.
Elle regarda autour d'elle, un peu perdue.
- Vous avez dit « bonsoir » ? Il est quelle heure ?
- Dix-huit heures.
- J'ai dormi tout ce temps ?
- Un vrai loir. Assura-t-il. Tu te sens mieux ?
- Physiquement ou mentalement ?
- Les deux.
- Le physique, ça va. Quelques crampes et écorchures, rien de bien méchant. Pour ce qui est du moral, par contre...
- Tu es déprimée ?
- Après ce qui m'est arrivé hier soir, j'ai de quoi l'être.
- Il faudra alors que je fasse réparer le barreau. Ce serait vraiment bête que tu ne te décide de sauter tête la première par la fenêtre.
- Je n'ai pas ce genre d'idée.
- Tu me rassure.
Il se calla plus confortablement encore dans le fauteuil et croisa les jambes.
- Alors ? Où as-tu fais ta petite escapade ?
- A votre avis ? Répliqua-t-elle sèchement. Je suis retournée auprès de ma Famille.
- Ah. Tu voulais t'assurer si ce que je t'avais raconté au sujet d'Aël et de Laurent était vrai ?
Elle hocha raidement la tête.
- Et si tu me racontais tout depuis le début ? Reprit-il. Pour répondre à ta question première, sache que Sergueï m'a rapporté que tu t'étais enfuie par la fenêtre. Je n'ai pas voulu le croire lorsqu'il m'a dit que tu avais réussi à scier un barreau à l'aide d'un simple clou et que tu étais descendue grâce à une corde de draps, je suis donc venu le constater de mes propres yeux. Et je dois admettre que je suis surpris. Agréablement surpris, même.
- J'ai quelques ressources. Marmonna-t-elle en reprenant les mots de Sergueï.
Elle lui relata alors tous les faits et gestes de la nuit dernière. Comment elle avait eu l'idée de s'enfuir et pourquoi, comment elle avait réussi à scier le barreau avec le clou, comment elle était parvenue à descendre grâce à ses draps noués les uns aux autres, comment elle s'était faufilée dans le quartier général de la Famille du Nord sans se faire repérer, comment elle s'était glissée dans le terrier de renard, comment elle s'était frayée un chemin dans le maquis jusqu'à la ville, comment elle était retournée auprès de sa Famille et comment cette dernière s'était retournée contre elle sans lui laisser une chance de s'expliquer et comment elle avait dû fuir pour finalement revenir parmi ses geôliers.
Nathaniel ne l'interrompit pas une seule fois. Lorsqu'elle termina son récit, il regarda à nouveau par la fenêtre, comme perdu dans ses pensées.
- Pourquoi es-tu revenue ? Demanda-t-il lentement, sans quitter la fenêtre des yeux. Tu aurais pût t'enfuir n'importe où, mais c'est ici que tu es revenue. Pourquoi ?
Carmen haussa les épaules, abattue.
- Je ne sais pas...Répondit-elle. Je n'ai nul part où aller...La Famille du Sud était tout pour moi, c'était mon foyer, mes amis, mon Chef, mes certitudes...Et là...je n'ai plus rien. La seule chose dont j'étais sûre pendant que je courais pour sauver ma vie, c'était qu'ici, je ne risquais rien. Enfin...
Elle s'interrompit brusquement et croisa son regard, incertaine. Il lui sourit :
- Non. Ici, tu n'as rien à craindre.
- D'accord. Murmura-t-elle, profondément soulagée.
- Dois-je en conclure que tu souhaites rester ici indéfiniment ?
- Je ne sais pas. Avoua-t-elle. Je ne comprends plus ce qui se passe...
- Sans vouloir tourner le couteau dans la plaie, je pense que Laurent n'a plus besoin de toi.
- J'ai même pas eu le temps de lui parler... Gémit-elle. Ni à lui, ni à Aël.
- C'est peut-être mieux ainsi. Dit-il doucement. Si tu avais pu voir Laurent, que lui aurais-tu dis ? Tu lui aurais demandé s'il avait assassiné vingt et une personnes et il t'aurait répondu non. Ou alors, il t'aurait fait taire définitivement.
- Merci, je me sens beaucoup mieux ! S'exclama-t-elle avec sarcasme.
- Tu sais, ici, on a besoin de personnes comme toi.
- Pour craquer des codes ?
- Entre autre. Mais ce n'est pas ta seule qualité.
- Vous n'en savez rien. Répliqua-t-elle en esquissant un pâle sourire. Mais c'est gentil de me le dire.
- Est-ce que tu veux faire partie de la Famille du Nord ?
Carmen hésita.
- Sous quelles conditions ? Demanda-t-elle, méfiante.
- Pourquoi faudrait-il qu'il y ait des conditions ? Répliqua Nathaniel en haussant les sourcils. Est-ce que tu te plais parmi nous ?
- Comment voulez-vous que je le sache ? Tout ce que je connais de la Famille du Nord, c'est une geôle, une chambre, Sergueï, Renaud et vous. Ce ne sont pas des éléments très significatifs pour se forger un point de vue, non ?
- Je te l'accorde. Admit-il. Mais est-ce que tu souhaites découvrir un autre fonctionnement que celui que tu as toujours connu ?
- Avant de venir ici, l'idée même qu'il puisse exister un autre fonctionnement que celui de la Famille du Sud me paraissait absurde.
- Tu ne réponds pas à ma question.
- Je ne sais pas si je veux découvrir autre chose. La Famille est tout, l'individu n'est rien. C'est comme ça que j'ai fonctionné et cela me convenait. Mais à présent...
Elle poussa un soupir et glissa une main dans ses cheveux. Quand elle croisa à nouveau le regard de Nathaniel, elle était perdue :
- Qu'est-ce que vous avez à m'offrir ? Demanda-t-elle dans un souffle. Qu'est-ce que vous avez à m'offrir de plus que ce que Laurent ne m'ait déjà donné ?
Nathaniel dut entendre les notes de détresse qui perçait sa voix car les traits de son visage devinrent emplis de compassion et de tendresse.
- Je t'offre une Famille.
Carmen le fixa un long moment sans rien dire.
- Avant, j'avais « déjà » une Famille. Contredit-elle.
- Et je suis certain que tu y as été très heureuse. Affirma-t-il d'un ton neutre. Mais il serait peut-être temps que tu oublies cette histoire d'individu qui n'est rien. Tu n'es pas remplaçable comme peut l'être une cafetière ou une paire de chaussures, Carmen. Dans Ma Famille, tout le monde a son utilité. Et la tienne est toute trouvée, non ?
- Je suppose...Mais vous êtes prêt à m'accueillir...comme ça ? Aussi simplement ? S'étonna-t-elle.
- Oui.
Sa franchise la laissa sans voix.
- Eh bien...dans ce cas...c'est d'accord. Balbutia-t-elle.
Un large sourire se dessina sur les lèvres du Chef de la Famille du Sud.
- Parfait.
Il se leva et se dirigea vers la porte.
- Tu es une personne libre à présent. Déclara-t-il.
- Ça veut dire que vous n'allez plus fermer la porte à clé ?
- C'est ce que « libre » veut dire, non ? Tu peux aller où tu veux dans le quartier général mais quelqu'un t'accompagneras dans tes déplacements, par mesure de précaution. J'espère que tu comprends que la confiance des membres de la Famille du Nord ne t'est pas encore totalement acquise ?
- Je comprends.
- Peut-être aimerais-tu quitter cette chambre ? Suggéra-t-il en jetant un coup d'œil circulaire à la pièce. On en a d'autres, qui n'ont pas de barreaux aux fenêtres.
- Si vous m'offrez cette possibilité. Répliqua-t-elle en haussant les épaules.
- Dans ce cas, je vais t'envoyer Ariane.
- Ariane ?
- La jeune fille à qui tu as faussé compagnie la première fois que tu t'es enfuie.
Le souvenir de cette jeune fille à la grâce d'une danseuse et au débit de parole inhumain lui revint en mémoire. Une pointe de culpabilité s'enfonça dans son cœur.
- Ce n'est pas nécessaire. Dit-elle vivement. Elle doit sans doute avoir d'autres choses à faire que de m'escorter d'un point à l'autre de votre quartier général.
- Elle sera plus que ravie de t'escorter.
- J'en doute. Après le coup que je lui ai fait, elle doit certainement m'en vouloir.
Nathaniel éclata de rire :
- Absolument pas ! C'est sans doute la seule personne sur cette Ile qui est incapable de garder rancune contre quelqu'un !
- Ah... Fit-elle, nullement convaincue.
- De plus, elle savait que tu t'enfuirais. Nous le savions tous.
Carmen hoqueta de surprise et le regarda avec des yeux ronds.
- Vous le saviez ? Répéta-t-elle.
Il lui fit un regard narquois.
- Evidemment ! En t'envoyant Ariane, je me doutais que tu tenterais de t'échapper.
- C'était un test ?
- Oui.
- Vous vous êtes servi d'elle ?
- Uniquement parce qu'elle s'était portée volontaire. Corrigea-t-il en grimaçant. Je ne me sers jamais des membres de ma Famille. Si j'ai une mission à leur confier ou un service à leur demander, je leur en explique toujours le but, à moins que je n'aie pas d'autres choix que de mentir. Par omission. Précisa-t-il. La confiance est comme un château de carte, Carmen : C'est très long et difficile de le construire mais c'est très simple de le détruire. Tu en as fait la rude expérience cette nuit, non ?
Carmen ne sut pas quoi répondre.
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