Chapitre 22
Carmen avait appliqué consciencieusement la pommade sur son ecchymose qu'elle avait au ventre et au bout de deux jours, elle avait déjà noté une amélioration. Premièrement, il était beaucoup moins douloureux et deuxièmement, il s'était estompé légèrement. Carmen pouvait dorénavant le toucher sans gémir de douleur.
Sergueï continuait à venir chaque jour pour lui apporter son repas et elle l'avait remercié de s'être inquiété pour elle. Elle n'eut droit qu'à un haussement d'épaule indifférent avec un « pas de quoi » marmonné du bout des lèvres. Malgré son air distant et indifférent, elle remarqua quand même qu'il avait l'air soulagé qu'elle aille mieux.
Aujourd'hui, il n'était pas encore venu la voir pour lui apporter son repas. Aussi, quand la porte métallique de sa cellule s'ouvrit, elle s'attendait à le voir. Mais cette fois-ci encore, elle eut droit à un autre visiteur :
Une jeune fille entra dans la prison, le pas aérien comme celui d'une danseuse. Elle posa ses grands yeux noisette sur elle, avec un regard curieux.
- Salut ! Dit-elle d'une voix cristalline.
Carmen haussa les sourcils, étonnée.
- Euh...salut. Répondit-elle malgré tout, mais avec moins d'enthousiasme que son interlocutrice.
Sa visiteuse ajouta aussitôt :
- Comment vas-tu ? Oh, pas très bien je suppose, à voir ta tête ! On est tous au courant de ce que t'as fait subir Renaud ! c'était vraiment horrible de sa part ! Mais Nathaniel a été juste en le consignant pour sa mauvaise conduite, on ne traite pas de la sorte nos prisonniers. Mais je suis sûre que Sergueï te traite bien, lui. C'est curieux d'ailleurs, il n'a jamais agis comme ça avec les autres prisonniers qu'on a eu...c'est peut-être parce que tu es une fille ? C'est sûrement pour ça, il a toujours été très gentil avec les filles. En tout cas, il y a déjà des rumeurs qui courent sur toi ! Il paraît que tu es une poseuse de bombe et que tu as cherché à nous faire exploser. Je ne sais pas si c'est vrai, tu n'as pas l'air méchante, pourtant. Il y a encore bien d'autres choses qui se disent sur toi mais je suis prête à donner ma main à couper si je dois croire ne serait-ce que la moitié de ce qui se dit ! De plus...
Carmen la contempla, bouche-bée, sans comprendre le moindre mot qui sortait de sa bouche avec la rapidité de l'éclair.
Elle n'avait pas besoin de reprendre son souffle entre deux phrases ?
Plutôt que d'écouter les dires de ce véritable moulin à paroles, elle préféra s'intéresser au moulin lui-même. En l'observant attentivement, elle se dit qu'elle ne devait pas être plus âgée d'une quinzaine d'année. Elle était de petite taille, svelte et frêle. Elle avait de longs cheveux blonds cendrés qui encadraient un visage rond au teint de porcelaine.
C'était une petite poupée. Carmen n'aurait pas pu la comparer avec autre chose.
- ...Bref, tout ça pour dire que je suis venue te chercher.
Carmen cessa de l'observer en entendant les derniers mots de la jeune fille. Elle se crispa. Elle venait la chercher ? Pour quelle raison ? Nathaniel s'était décidé à lui laver le cerveau pour faire d'elle un membre fanatique de la Famille du Nord ? Instinctivement, elle recula d'un pas, méfiante.
La jeune fille la regardait toujours avec ses grands yeux de biche. Elle fit un pas vers elle, les mains levées à hauteur d'épaule en signe de paix.
- Calme-toi, je ne te ferais aucun mal. Dit-elle d'un ton presque implorant. Je suis juste chargée de t'amener jusqu'à ta chambre.
Carmen aurait presque émit un ricanement moqueur. Cette jeune fille fragile comme une poupée de chiffon ? Lui faire du mal ? L'idée était presque comique. Au lieu de ça, elle demanda :
- Ma chambre ?
Elle hocha la tête :
- Oui, ta chambre. Tu viens ? L'invita-t-elle en désignant la porte.
Carmen hésita un instant. Après tout, le confort d'une chambre valait mieux que cette cellule froide. Elle fit un pas vers sa jeune visiteuse qui lui fit un sourire encourageant et la précéda dans le couloir. Indécise, Carmen la suivit. C'était la deuxième fois qu'elle sortait de sa prison. Mais cette fois, elle en profita pour analyser tous les détails qu'elle voyait sur sa route. Le couloir était long et étroit, uniquement éclairé par des néons qui diffusaient une lumière crue au-dessus de sa tête. Carmen compta les portes en métal qui s'alignaient de part et d'autre. Il y avait pas moins de douze portes avant d'atteindre un escalier tout aussi étroit que le couloir.
Devant elle, la jeune fille grimpa les marches et lui tint la porte en bois pour qu'elle puisse accéder au rez-de-chaussée du bâtiment. Carmen cligna des yeux sous la lumière chaude qui passait à travers les grandes fenêtres ouvertes. La jeune fille continua de l'entraîner derrière elle, le pas toujours aussi léger et gracieux, comme si Carmen n'était pas sa prisonnière mais plutôt une invitée à qui elle faisait visiter la maison.
Carmen avait beau regarder partout, elle ne voyait pas le moindre ennemi. Même en tendant l'oreille, elle ne percevait pas le moindre bruit provenant des étages ou de la rue.
Ce n'était pas rassurant.
C'était même très inquiétant.
Carmen se raidit, sans cesser de fixer la nuque de la jeune fille qui la précédait. Elle paraissait si frêle...la neutraliser et tenter de s'échappait serait si facile. Trop facile, même. Nathaniel savait qu'elle était dangereuse, pourquoi lui avoir envoyé cette petite poupée plutôt qu'un solide gaillard pour l'escorter jusqu'à sa nouvelle chambre ? Était-ce un piège ? S'attendait-on à ce qu'elle s'échappe ? Ou s'attendait-on à ce qu'elle coopère enfin ? Cela pourrait expliquer la raison pour laquelle on l'emmenait dans une chambre plutôt que de la laisser croupir dans sa cellule.
Carmen prit une grande inspiration. Quelles que soient les réponses à ces questions, elle avait pris sa décision.
Elle allait s'enfuir.
Et l'occasion se présenta beaucoup plus vite qu'elle ne s'y était attendu.
Devant elle, la jeune fille bifurqua à l'angle du couloir en ânonnant quelques détails architecturaux que Carmen n'écoutait pas. Elle fit mine de la suivre mais au dernier moment, elle rebroussa chemin silencieusement et courut en sens inverse le plus vite possible.
Elle repéra une fenêtre ouverte et regarda prudemment à l'extérieur pour s'assurer que la voie était libre. Il n'y avait pas la moindre trace de vie à l'extérieur. Elle bondit sur le rebord de la fenêtre et se glissa au-dehors. Elle atterrit avec une certaine souplesse, ce qui n'était pas trop mal étant donné son état de santé relative. Le moindre effort faisait battre son cœur à vive allure et elle avait déjà la respiration sifflante.
Elle se mit à courir le long du bâtiment tout en jetant des regards vifs aux alentours. Elle était dans une petite ruelle et il n'y avait toujours pas de signes de vie. Elle stoppa sa course pour s'accorder un temps de réflexion. Quand Sergueï et Renaud l'avaient capturé, elle était inconsciente. Donc, elle n'avait pas la moindre idée de l'endroit où elle se trouvait et encore moins le chemin qu'elle devait emprunter pour retourner auprès de sa propre Famille.
Ce n'était peut-être pas la meilleure idée qu'elle a eu durant sa courte existence mais c'était la seule qui lui était venu à l'esprit. Elle n'avait pas envie que Nathaniel lui inflige toutes sortes de tortures pour lui laver le cerveau et qu'elle accepte de devenir un membre de la Famille du Nord. Dans son état de faiblesse actuel, elle ne se sentait pas de résister à Nathaniel, et encore moins de poursuivre la mission que lui avait confié Laurent. Ce dernier allait être furieux de la voir revenir mais si elle lui expliquait la situation, peut-être consentirait-il à ne pas la livrer à Samaël et Adonis.
Du moins, elle l'espérait.
Elle devait gagner du temps.
Au moment où elle se demandait quelle direction elle allait prendre, elle entendit la voix cristalline de la jeune fille dans le bâtiment. Elle venait de se rendre compte de la disparition de sa prisonnière et elle était en train de rameuter tout le monde à grands cris.
Carmen ne pouvait plus s'offrir le luxe de choisir. Elle bondit droit devant elle, sans prendre garde à ses côtes douloureuses ni aux battements affolés de son cœur. La ruelle descendait en pente douce et la jeune fille manqua à plusieurs reprises de trébucher. Elle déboucha sur une autre rue, un peu plus grande, pris un virage serré et poursuivit sa course. Dans son dos, elle entendit d'autres cris qui s'étaient mêlés à ceux de la fille. On la prenait en chasse.
Au moment où elle passait devant l'une des maisons, la porte d'entrée s'ouvrit à la volée. Carmen passa en trombe devant un Sergueï extrêmement surpris. Elle poussa un juron : s'il y avait bien une personne par qui elle ne voulait pas se faire courser, c'était lui. La dernière fois qu'il lui avait courue après, elle était tombée dans un trou et il l'avait capturé.
Cette course prenait des allures de déjà-vu.
- Carmen !
C'était la voix de Sergueï qui l'appelait. Elle entendit ses pas dans son dos. Qu'est-ce qu'il espérait à l'appeler ? Qu'elle s'arrêterait ? C'était bien mal la connaître.
Toutefois, il courait bien plus vite qu'elle et il n'allait pas tarder à la rattraper. Elle entendait ses pas se rapprocher dangereusement dans son dos. Cette fois-ci, elle n'avait pas de Taser sur elle pour se défendre. Tant bien même elle en aurait un, elle n'aurait pas eu le cœur de faire à Sergueï le même coup qu'à Renaud.
Elle poursuivit sa course effrénée. Devant elle se dressait un mur d'une demi-douzaine de mètres qui délimitait le quartier général de la Famille du Nord. Au bout de la rue, il y avait une arcade fermée par une grille en fer. Par chance, elle avait pris le bon chemin pour accéder à la sortie. Le problème, c'était que la grille était justement fermée et que quatre hommes la gardaient, empêchant quiconque d'entrer ou, dans son cas, de sortir. Et elle n'avait pas la moindre issue. Sa fuite était en train d'échouer lamentablement.
Vaincue et épuisée, elle s'arrêta brusquement de courir. Une énorme masse la heurta alors en plein fouet, lui coupant le souffle. Une douleur indescriptible électrisa sa colonne vertébrale et elle tomba face contre terre, la masse pesant de tout son poids sur ses côtes fissurées.
Une voix feutrée jura à son oreille :
- Merde ! Est-ce que ça va ?
Carmen gémit, à demi assommée. Elle comprit vaguement que Sergueï l'avait heurté de plein fouet, surpris par son arrêt soudain et entraîné par son élan, il n'avait pu l'éviter. Elle le sentit se redresser et son poids libéra ses côtes.
- Aïe...Marmonna-t-elle d'une voix rauque.
C'était bien la seule chose qu'elle était capable de dire de façon intelligible. Elle se mit à quatre pattes, une main sur le ventre. Elle avait la nausée. Elle toussa violemment et sentit un liquide couler sur ses lèvres et tomber sur les pavés.
- Merde ! Jura encore Sergueï.
Carmen l'aurait volontiers approuvé. Vomir devant lui n'était pas du tout ce qu'on pouvait qualifier de « glamour ». Mais elle se sentait vraiment mal et paraître sous son meilleur jour n'était pas sa priorité. De plus, la voix feutrée du jeune homme avait pris des intonations inquiètes.
Elle ouvrit les yeux.
C'était du sang qui perlait sur les pavés. C'était son propre sang qui coulait de ses lèvres.
Ça, ce n'était pas normal.
Avec beaucoup de douceur, elle sentit deux bras puissants empoigner sa taille et la redresser. Carmen chancela dangereusement lorsqu'elle fut remise sur pieds mais Sergueï la maintenait toujours contre lui pour l'empêcher de tomber. C'était la deuxième fois qu'elle se retrouvait dans ses bras et une fois de plus, elle pouvait entendre son cœur, étonnement régulier après avoir couru. C'était apaisant.
- Elle s'est blessée ? Demanda l'un des hommes qui gardaient la grille et qui s'avançait vers eux.
- Pas plus qu'avant. Rétorqua Sergueï en observant attentivement Carmen. Mais il faudrait l'amener à l'infirmerie pour s'en assurer.
- Sous bonne escorte ! Intervint un deuxième homme qui la regardait avec animosité. Nathaniel serait furieux si elle nous filait entre les mains !
- Elle peut à peine tenir debout. Fit remarquer un autre homme d'un ton pragmatique. Ça m'étonnerait qu'elle puisse faire deux pas sans qu'elle ne s'écroule.
Sergueï hocha la tête. Tout en soutenant Carmen, il l'entraîna avec lui en direction du bâtiement de laquelle elle avait cherché à s'enfuir.
C'était un lamentable « retour à la case départ ».
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