Chapitre 2
Elle dérapa sur le sol en lino du hall d'entrée et failli s'étaler de tout son long. Elle parvint à retrouver son équilibre de justesse et se précipita vers la porte qui était restée entre-ouverte. Elle tendit l'oreille et des pas se firent entendre, courant dans sa direction. Elle sut de suite que ce ne pouvait être Aydan. Lui, il lui aurait fait un signal. Cela ne pouvait donc être qu'un ennemi.
Elle prit une grande inspiration. Lorsqu'elle entendit les pas s'approcher de la porte d'entrée, elle poussa violemment la porte. L'homme la reçu en plein visage et tomba en arrière sous le choc, poussant des jurons sonores, le nez explosé. Elle bondit hors de l'immeuble et se mit à courir, le plus vite possible, comme si sa vie en dépendait.
Ce qui était le cas, puisque ces ennemis étaient armés.
Un coup de feu retentit dans son dos. Le mur qu'elle longeait dans sa course explosa sous l'impact de la balle. Elle poussa un cri de surprise mais ne s'arrêta pas de courir malgré les déflagrations qui retentissaient derrière elle. Par chance ou par miracle, aucune balle ne l'atteignit. Elle ne songea pas à regarder par-dessus son épaule, elle ne voulait pas voir ses ennemis braquer une arme sur elle. Elle se demanda vaguement où était Aydan mais la réalité était tellement violente qu'elle ne pouvait songer qu'à sa propre vie.
Par instinct de survie, elle bifurqua à droite pour s'enfoncer dans l'ancien quartier industriel de la ville. Elle savait que si elle prenait la route par laquelle elle était venue, ses ennemis retrouveraient sa trace qui les conduiraient de suite au quartier général de la Famille du Sud.
Et ça, elle ne pouvait se le permettre.
Elle se faufila habilement entre les bâtiments. Elle entendait derrière elle les pas de ses poursuivants. Ses ennemis étaient tenaces et ne semblaient pas apprécier les intrus sur leur territoire. Pire encore ; ils se rapprochaient dangereusement d'elle. Mais elle ne pouvait pas se faire attraper. Les conséquences seraient catastrophiques.
Malgré ses côtes douloureuses, elle poursuivit sa course. Elle tourna à l'angle d'un autre bâtiment et trouva miraculeusement sa porte de sortie : Une bouche d'égout. Sentant le temps lui manquer, elle se jeta dessus, tira de toutes ses forces sur la grille et se glissa dans l'embouchure pestilentielle. Elle grimaça mais sauta dans l'eau sale et replaça la grille à sa juste place pour ne pas donner d'indice à ses poursuivants.
Il était temps : Elle pouvait entendre au-dessus de sa tête les pas précipités de ses ennemis. Elle plaqua une main sur sa bouche pour ne pas trahir sa présence. Un peu plus loin, dans le tunnel sombre et nauséabond, un rat couina. La jeune fille resta immobile, dégoûtée de se retrouver dans une telle posture, dans un tel endroit et pétrifiée à l'idée de se faire capturer par l'ennemi.
Au-dessus de sa tête, les pas s'étaient immobilisés. Une voix grave retentit soudain :
- Par où est-elle passée ?
Une autre voix lui répondit, feutrée comme celle d'un chat :
- Elle n'a pas pu aller bien loin. Regarde dans l'autre rue si elle ne s'y est pas cachée, moi je poursuis dans l'autre.
Les pas s'éloignèrent. Carmen profita de cet instant pour filer. L'eau croupie lui arrivait aux chevilles, ses chaussettes étaient trempées et certainement irrécupérables. Elle se glissa dans l'un des tunnels adjacents, avançant en se tenant légèrement penchée malgré sa petite taille. Elle ne savait pas où elle se trouvait exactement mais plus elle s'éloignait, mieux c'était. Instinctivement, elle suivit le courant de l'eau. Elle savait que l'eau des égouts se déversait dans la mer. Elle poursuivit sa route dans le tunnel aux murs recouverts de vase. Au fil de ses pas, l'air devint plus frais et plus respirable.
Elle touchait au but.
Elle pouvait entendre le grondement de la mer, elle pouvait sentir l'odeur d'iode prendre le dessus sur les vapeurs pestilentielles des égouts, elle pouvait sentir le vent marin s'engouffrer dans le tunnel. Elle atteignit l'embouchure et pris une grande gorgée d'air pur. L'orage était devenu plus menaçant encore et de grosses gouttes de pluie s'abattaient sur le sable et sur l'eau qui se soulevait en grosses vagues.
L'embouchure du tunnel donnait sur la mer déchaînée, entouré de deux hautes dunes de sable. Carmen savait qu'elle ne pourrait atteindre le sommet, à moins d'utiliser les moindres forces qu'il lui restait. Elle fut donc condamnée à patauger dans la mare d'immondices qui stagnaient sur le rivage pour contourner la dune et rentrer au sein de sa Famille.
Elle rejoignit la mer. L'orage la faisait gonfler, faisant rouler de grosses vagues sur la plage dans un rythme brutal. Carmen les laissa heurter ses jambes en tentant de ne pas tomber sous la violence des roulements. Péniblement, elle contourna la haute dune et se retrouva sur la plage principale de la ville, déserte à cette heure tardive de la nuit.
La plage était longue d'une centaine de mètre et bordait la ville. A une époque, à chaque été, elle était prise d'assaut par des hordes de touristes qui souhaitaient profiter du soleil du sud.
Mais c'était une autre époque...
Aujourd'hui, la plage et la rue de la promenade qui la longeait étaient désertes. Carmen traversa la plage bordée de déchets océaniques et grimpa les trois marches d'escaliers qui menaient à la rue de la promenade. Ses Baskets couinaient sur le béton à cause de l'eau. Elle soupira ; elle allait devoir les changer. C'était dommage car elle aimait bien, ses vieilles Baskets...
Elle longea la rue d'un pas vif, se retournant de temps à autre pour vérifier que personne ne la suivait. Mais ce n'était pas le cas. Ses ennemis ne se doutaient pas de qui elle était. Mais elle n'était pas rassurée pour autant. Elle devait rentrer le plus vite possible. Elle avait le ventre noué. Elle n'avait pas mené sa mission jusqu'à son terme, elle avait échoué. Elle allait devoir se soumettre aux conséquences. Mais ce n'était pas pour elle qu'elle tremblait de peur, c'était pour Aydan. Elle ne savait pas si le jeune homme s'en était sorti ou s'il avait été blessé ou capturé.
Elle hâta le pas. Elle devait en être sûre...s'il n'était pas déjà rentré au quartier général...
Elle quitta la rue de la promenade et s'éloigna de la mer. Face à elle, il n'y avait que des hôtels, hautes tours en béton moderne qui faisaient face à l'océan. Enfin, ça l'était il y a longtemps. Toute la ville tombait en ruine depuis l'Année Noire. Des pans entiers de murs s'effondraient sur eux-mêmes, la plupart des fenêtres étaient brisées ou couvertes de poussière. Il n'y avait plus de touristes qui profitaient de la mer.
Carmen passa devant un ancien palace sans même lui jeter un regard. Elle n'avait pas le temps de constater la décadence de la ville dans laquelle elle vivait depuis plus de dix ans.
Les hôtels cédèrent bien vite la place à des immeubles plus petits, qui eux-mêmes cédèrent la place à de vieilles maisons en pierre. Les rues devinrent plus étroites, le bitume des trottoirs se changea en pavés grossiers. Carmen venait d'entrer dans la vieille ville.
Cette dernière avait été bâtie il y a plus de huit cents ans. Elle avait résisté aux envahisseurs, aux incendies, aux tremblements de terre, aux inondations, à la dernière guerre. Elle était bâtie entre deux montagnes rocailleuses et les bâtiments plus modernes s'y étaient attachés au fil des siècles. Les quartiers les plus hauts avaient été construits à flanc de montagne et avaient pour seul accès une série de petits escaliers raides. C'était dans l'un de ces quartiers que la Famille du Sud s'était établit.
Ses membres avaient détruits toutes les maisons en contre-bas pour utiliser leurs pierres qui serviraient à bâtir un haut mur d'enceinte qui encerclait les quartiers les plus hauts. Ici et là, il y avait encore quelques ruines qui apparaissaient sous la végétation qui avait repris ses droits. Les buissons de ronces, de maquis et les pins grandissaient à présent librement, sans que personne ne s'en soucie.
De toute manière, il n'y avait plus personne qui s'intéressait au jardinage.
Pour accéder au quartier général de la Famille du Sud, il fallait monter plusieurs séries d'escaliers escarpés à flanc de colline.
Ce fut en maugréant de fatigue que Carmen dû les escalader, les jambes lourdes et tremblantes. Elle était épuisée et n'avait qu'une envie ; aller se coucher. Mais elle savait que ce vœu ne s'exaucerait qu'après s'être assuré qu'Aydan était rentré sain et sauf et avoir rendu son rapport à son Chef de Famille. Au bout de longues et pénibles minutes, elle parvint enfin au pied du mur d'enceinte et elle put reprendre son souffle.
Elle venait d'arriver.
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