Chapitre 18
Carmen émergea difficilement d'un sommeil sans rêves. Mais elle se sentait lourde. Ses côtes étaient douloureuses, tout comme le reste de ses os. Mais elle n'avait plus mal à la tête, ce qui était déjà une bonne chose.
Elle ouvrit les yeux avec difficulté. Sa vision était plus nette et son œil droit était moins enflé qu'avant. Elle était toujours allongée sur un matelas. Elle sentait des bandages lui enserrer le poignet et les côtes, légèrement rugueux au contact de sa peau. Elle pouvait aussi sentir un pansement sur son front. En observant ses bras, elle distingua plusieurs traces de piqures, probablement pour lui administrer des traitements. Elle regarda autour d'elle :
La pièce ressemblait beaucoup à une chambre d'hôpital, avec des murs et un plafond d'un blanc immaculé et la lumière crue des néons qui brillaient au-dessus d'elle. Un bruit sur sa gauche attira son attention et elle tourna légèrement la tête pour en distinguer la provenance.
Un homme d'une taille imposante, taillé comme une armoire à glace, était assis derrière un bureau qui paraissait minuscule comparé à lui. Il avait des cheveux gris avec quelques mèches blanches par endroits, bien qu'il ne paraissait pas âgé de plus de quarante ans. Une barbe de trois jours rongeait sa mâchoire large et carrée et ses yeux gris comme l'acier survolaient une liasse de feuilles avec beaucoup de sérieux.
Carmen tenta de se redresser mais elle prit malencontreusement appui sur son poignet cassé et poussa un gémissement de douleur avant de retomber lourdement sur son oreiller. Sa plainte attira l'attention de l'homme qui leva les yeux de son occupation. Il se leva aussitôt et vint la rejoindre.
- Ne bouge pas. Intima-t-il.
Carmen obéit. Elle sentit aussitôt qu'il avait l'air d'être le genre d'homme qu'il ne valait mieux pas contrarier.
- Comment te sens-tu, Carmen ? Reprit-il avec un peu plus de douceur.
- Vous connaissez mon nom ? Marmonna-t-elle, la bouche pâteuse.
- Sergueï me l'a dit.
Ah oui...l'homme à la voix feutrée. Elle lui avait dit son nom, il lui avait dit le sien. Pourquoi le lui avait-elle dit, d'ailleurs ? Pour le remercier de l'avoir sauvé des griffes de Renaud ?
Elle détourna la tête et ses yeux firent le tour de la salle.
- Il n'est pas là. Commenta l'homme.
Elle parvint à esquisser un sourire narquois :
- Vous savez nommer des évidences ! Mais je ne le cherchais pas.
- Ah non ? Il va être déçu, il est passé te voir plusieurs fois ces derniers jours.
- Ah ? S'étonna-t-elle, franchement surprise.
- Tu ne te souviens pas ?
- J'étais dans les vapes, non ?
- C'est vrai. Mais c'est lui qui t'as tiré d'affaire. Encore quelques minutes de plus entre les mains de Renaud, et ta Famille récupérais tes morceaux dans une boîte d'allumettes.
- Sympa...Maugréa-t-elle. Je me souviens des coups qu'il me donnait...et je les ai entendus se disputer...
L'homme haussa les épaules :
- Comme toujours. Ils n'ont jamais été faits pour s'entendre.
- J'ai remarqué.
L'homme prit une chaise et s'assit à son chevet, comme un ami qui rendrait visite à un proche à l'article de la mort. Carmen l'observa quelques secondes avant de demander :
- Vous êtes Nathaniel, n'est-ce pas ?
Il arqua un sourcil :
- Tu as entendu parler de moi ? Ma réputation m'a donc précédé...Qui t'as parlé de moi ? Non ! En fait, ne me le dit pas. C'est Laurent ?
- On ne peut rien vous cacher.
- J'espère qu'il s'est montré élogieux.
- Pas vraiment.
- Ça ne m'étonne pas. Répliqua-t-il avec amertume.
Il s'assit plus confortablement sur sa chaise et croisa les jambes.
- J'ai quelques questions à te poser, si tu me le permets.
La jeune fille grimaça :
- La dernière fois qu'on m'a dit ça, on m'a passé à tabac.
Il lui fit un sourire navré.
- Je suis profondément désolé pour cet incident. J'ignore encore comment cela à put se produire alors que j'interdis toute forme de violence au sein de ma Famille. Je tiens à ce que mes...prisonniers soient bien traités.
- D'où la bonne nourriture ?
- Il était tout à fait inutile de t'affamer.
- Et Renaud ?
- Son sort t'intéresse ? Disons que je l'ai mis aux arrêts pour deux semaines.
Carmen soupira :
- Qu'est-ce que vous avez à me demander ?
- Tu t'appelles Carmen et tu fais partie de la Famille du Sud.
- Ce n'est pas une question, c'est une affirmation. Répliqua-t-elle.
- Pourquoi vous avez franchi notre frontière, toi et les autres membres de ton équipe ?
- Je n'ai pas franchi votre frontière, je l'ai longé en prenant la fuite. Corrigea-t-elle. Techniquement, vous n'aviez aucun droit de me faire prisonnière.
- Vous avez fait exploser une bombe, ma Famille s'est sentie menacée, la démarche était justifiée.
- C'est vous qui avez posé cette bombe ! Protesta-t-elle. C'est vous qui avez franchi notre frontière et aviez posé cette bombe. Je me suis retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment !
Nathaniel parut très sceptique quant à cette révélation.
- Je n'ai donné aucun ordre de ce genre...
- Vous croyez peut-être que je m'amuse à m'exploser moi-même ? Rétorqua-t-elle, irritée. Pourquoi aurais-je tenté de désamorcer une bombe si elle provenait de ma Famille ? Et pourquoi l'aurais-je posé dans notre territoire et pas dans le vôtre ?
- A toi de me le dire.
- Je n'ai rien à dire de plus, si ce n'est que ce n'est pas nous qui avons fabriqué cette bombe.
Nathaniel l'observa un long moment, songeur.
- Soit. Déclara-t-il. Je suis prêt à te croire sur parole. Pour l'instant.
- Merci.
- Puisque nous en sommes aux révélations, peux-tu me dire qui nous a volés il y a quelques jours ? La porte de notre hangar a été fracturée et des fichiers ont été volés.
- Incroyable ! S'exclama-t-elle avec une surprise feinte.
- C'était toi ?
- Qu'est-ce qui vous fait penser ça ? Je ne suis pas le seul membre de la Famille du Sud, ça peut être n'importe qui.
- Peut-être pas, mais tu as l'air d'être le genre de fille qui est partout, sauf à l'endroit où elle doit être.
- C'est dangereux de juger les gens sans les connaître. Je vous assure que mes intentions sont pacifiques.
- Dit celle qui fait exploser des bombes ?
- Elle a explosé toute seule, elle n'avait pas besoin de moi pour ça.
- Pourquoi Laurent vous a-t-il envoyé à la frontière ?
- Sans doute pour la même raison qui vous a poussé à envoyer vos propres hommes à votre frontière.
- Je vois...
Il se contenta de la fixer durant de longues minutes, l'air pensif. Il devait se demander ce qu'il allait bien pouvoir faire d'elle.
- Quelles sont tes compétences au sein de la Famille du Sud ? Pour quel type de mission t'envoie-t-on ?
Carmen réfléchit quelques minutes. A cet instant, sa mission allait prendre un tournant décisif. Soit elle avouait la vérité, soit elle se taisait. Dans les deux cas, elle risquait de se faire tuer. Mais dans le premier choix, elle avait la possibilité d'intégrer la Famille du Nord. Si elle jouait correctement ses cartes...
- Je craque des codes. Avoua-t-elle en faisant une grimace qui se voulait contrainte.
- Quels codes ?
- Tous. J'ai toujours été douée pour ça.
- C'est donc toi qui as craqué les codes qui protégeaient nos fichiers ?
- Oui.
- Pourquoi ?
- Parce que Laurent me l'a demandé.
- Il ne t'a pas dit à quoi correspondaient ce que tu as volé ?
- Non. Je ne pose pas de questions.
« C'est parfait » Songea-t-elle. Il fallait qu'elle joue la comédie, que Nathaniel croit qu'elle était fidèle à Laurent, qu'elle n'était qu'un simple pion qui se laissait manipuler simplement parce que son Chef de Famille en avait le pouvoir.
- Tu lui es donc fidèle.
- C'est grâce à lui que je suis là. Je lui dois tout. Ma Famille est tout.
- Pour l'instant, Carmen.
- Qu'est-ce que vous voulez dire ? Demanda-t-elle sur la défensive.
- Tu dis que tu craque de codes. Et nous, on n'a pas de décodeuse.
- Vous voulez m'enrôler ?
- Pourquoi pas ? Je saute sur n'importe quelle occasion quand elle se présente à moi. Ton aide nous serait précieuse.
C'était trop beau ! Carmen était prête à se faire engager dans la Famille du Nord ! C'était facile. Trop facile, même. Elle ne devait pas encore accepter, elle devait résister pour ne pas éveiller les soupçons.
- Vous vous trompez sur mon compte. Dit-elle. Je n'ai pas l'intention de trahir ma Famille.
- Je crois que tu ne te rends pas compte de tout ce qu'on pourrait t'offrir. Tu me considère comme ton ennemi, mais ce n'est pas le cas. Crois-moi, je ne te veux que le plus grand bien !
- Hélas, je ne vous crois pas. Rien ne me pousse à vous faire confiance.
- Tu changeras d'avis.
- Rien ne me fera changer d'avis.
Il lui lança un sourire mystérieux :
- Nous verrons ! S'exclama-t-il.
Il se leva et retourna à son bureau pour poursuivre la lecture de ses feuilles, sans plus s'intéresser à elle, comme si elle n'était pas là. Carmen l'observa quelques secondes avant de se renfoncer dans son lit.
Elle estima que pour le moment, elle s'en tirait plutôt bien.
Du moins, elle l'espérait.
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