Chapitre 17

Carmen était plongée dans une drôle de léthargie. C'était une sensation très étrange. Il y a quelques minutes encore, les coups pleuvaient sur elle, meurtrissant ses chairs et ses os. A présent, elle ne ressentait plus rien.

« Je suis sûrement morte » songea-t-elle. « Ne soit pas idiote ! » se rabroua-t-elle aussitôt. « Tu es encore vivante et tu es dans la merde. »

Ça, c'était vrai. Elle n'avait probablement plus un seul os intact et ses muscles avaient dû être réduits en bouillie. Elle s'efforça de revenir à la réalité mais ce n'était pas évident d'émerger du brouillard épais de son esprit.

Elle se concentra sur ses sens. Elle essaya d'ouvrir les yeux mais n'y parvint pas. Sa vue était embuée et son œil droit était enflé et douloureux à cause d'un coup de poing particulièrement violent asséné par Renaud. Elle ressentait une vive douleur quand elle respirait par le nez ; il était sûrement cassé...

Elle était recroquevillée sur elle-même et elle sentait les pierres froides sous ses doigts raides. Ses jambes étaient prises de tremblements incontrôlables, meurtris. C'était effrayant et douloureux de prendre conscience que son corps était réduit à l'état d'un tas de chair informe, tel une poupée mécanique disloquée.

Toutefois, elle pouvait sentir quelque chose de chaud au niveau de sa tête. Ce n'était pas désagréable de ressentir un peu de chaleur alors que tous ses membres tremblaient de douleur et de froid. Carmen se concentra alors sur cette source qui lui procurait un certain apaisement, sans qu'elle ne parvienne à l'expliquer. C'était chaud et... liquide et... poisseux. Et une odeur écœurante s'en dégageait. Elle eut un sursaut d'angoisse qui lui crispa le ventre aussi brutalement qu'un coup de pied.

C'était son propre sang.

Son sang qui formait une flaque écoeurante sous sa tempe, qui collait à ses cheveux, qui s'élargissait lentement et inexorablement sur le sol de la cellule.

Renaud ne l'avait pas encore tué, mais Carmen était à l'agonie. Combien de litres lui restait-il avant qu'elle ne sombre définitivement dans le néant ? Et lui, qu'est-ce qu'il faisait ? Il était là, elle pouvait encore entendre son souffle et ressentir les vibrations de ses pas lourds sur le sol. Est-ce qu'il la regardait ? Allait-il réellement la laisser se vider de son sang sans réagir ?

Elle n'avait même plus la force de chercher une réponse à de telles questions. Sa vue brouillée s'assombrit, jusqu'à ce qu'il n'ait que des ténèbres autour d'elle. Malgré toute la volonté de son esprit pour la maintenir consciente, son corps lâchait prise.

Elle mourait.

Carmen entendit vaguement la porte s'ouvrir. Peut-être que Renaud partait. Il l'abandonnait à son sort et elle mourrait là, dans une cellule froide, toute seule, abandonnée et oubliée de tous. Ce n'était pas vraiment comme ça qu'elle s'était imaginée mourir, mais puisque le destin semblait en avoir finit avec elle, autant lâcher prise...

Elle entendit soudain des éclats de voix. Renaud n'était pas partit. Pire ; maintenant, il avait de la compagnie ! Ils allaient se mettre à plusieurs pour l'achever. Les voix grondèrent et se répercutèrent contre les murs. Elles semblaient furieuses. L'une d'elle avait conservé quelque chose de feutré dans sa voix, bien qu'elle ait haussé le ton. Elle reconnut la voix de l'homme qui était venu la nourrir depuis le début de sa captivité.

Bon sang ! Ce qu'elle aimait entendre cette voix ! Elle n'appréciait pas beaucoup l'homme à qui elle appartenait mais dans le cas présent, sa présence sonnait comme une délivrance.

Elle n'écoutait pas ce qu'ils se disaient mais leurs voix devinrent plus venimeuses. Soudain, deux bras puissants l'attrapèrent et la soulevèrent du sol. Elle sentit son corps meurtri se presser doucement contre un torse aussi chaud que le sang qui s'écoulait de sa plaie à la tête. Elle pouvait même sentir le battement de son cœur, lent et régulier, apaisant.

Elle le sentit se déplacer et elle voulut ouvrir les yeux à nouveau pour voir où il l'emmenait. A travers le flou, elle ne distingua rien d'autre qu'un long mur avec quelques portes métalliques. Elle n'était plus dans sa prison. Où l'emmenait-il ? Elle entendit sa voix résonner et une autre, plus aigüe lui répondre. Elle entendit une porte s'ouvrir et une brusque lumière l'assaillit désagréablement. Elle sentait aussi une odeur de désinfectant.

La voix feutrée de l'homme s'éleva à nouveau, Carmen ne comprenait pas ce qu'il disait. Mais une autre voix, grave cette fois-ci, lui répondit. Elle se sentit déposée précautionneusement sur la surface molle d'un matelas et les bras puissants de l'homme la quittèrent.

Elle referma les yeux, agressée par la lumière crue. La voix feutrée comme celle d'un chat murmura tout près d'elle :

- Tout va bien se passer.

Qu'est-ce qui allait bien se passer ? Qu'allaient-ils lui faire ? La découper en morceaux ? Prélever ses quelques organes encore intactes pour les revendre ? Les idées les plus folles lui vinrent à l'esprit et elle eu un geste de panique. Mais une main se posa sur son poignet, chaude et rassurante. Elle referma ses doigts sur cette main et murmura faiblement :

- Carmen...je m'appelle...Carmen...

Elle n'aurait pas eu la force d'en dire plus. Elle se sentit partir, engourdie par les nombreux coups qu'elle avait reçus. Avant qu'elle ne sombre dans le néant, elle entendit la voix murmurer tout près de son oreille :

- Sergueï.

C'était donc le nom de cet homme à la voix feutrée comme celle d'un chat. Si elle en avait eu la force, elle aurait souri.

Au lieu de ça, elle s'évanouit.   

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