Au petit matin, Nessa se réveilla avec la sensation d'être observer et c'était le cas. Ivar, le jarl en personne était accroupi à sa hauteur, la dévisageant avec une intensité troublante. Incapable de se retourner de son visage ciselé par le destin cruel que lui avait réservé son frère, Nessa ne put s'empêcher de se demander quel âge pouvait-il bien avoir. Le viking était le plus viril de tous. D'ailleurs elle se demandait même si Gareth était véritablement leur frère. Trop jeune et vaniteux, le visage imberbe, le dernier frère ne ressemblait ni au jarl ni à Hayar. Chassant ses pensées en clignant des yeux elle fit face au viking en demeurant silencieuse.

- As-tu bien dormi ? Demanda-t-il d'une voix bourrue.

- Plus que je l'espérais, répondit Nessa en serrant la cape contre son épaule.

Inutile de préciser qu'elle avait souffert du froid et du couchage trop fin pour ne pas souffrir du dos. Elle n'était pas en position de se plaindre. Elle était là pour obéir.

Il se releva de toute sa hauteur. La dominant totalement.

Nessa se redressa dans l'espoir de gagner un peu de hauteur hélas assise ou debout, jamais elle ne parviendrait à lui faire face.

- J'ai fait part de tes craintes à Haakon au sujet de sa femme, commença le viking en lui déposant une nouvelle robe sur la table ; Quand tu seras prête, je t'emmènerais voir Ydi.

Nessa fronça des sourcils.

- Je ne suis pas guérisseuse.

Le viking plongea son regard dans le sien. Nessa retint son souffle.

- Alors comment sais-tu qu'elle risque de mourir ?

- Ma mère était sage-femme, elle m'a transmis de son savoir avant de...d'être tuée.

Tant bien que mal, Nessa résista aux larmes qui menaçaient ses paupières.

- Tu as dit avoir aidé à enfanter.

- Dix femmes, précisa Nessa en jurant avoir lu un sentiment de peine dans ses yeux de glace ; L'une d'entres elles est morte en couche car son mari la faisait trop travailler.

Nessa baissa les yeux en se rappelant chaque détail de cet accouchement.

- Le bébé est mort dans ses bras.

Après avoir rajouté ce détail, un silence s'ensuivit. L'épaisse force qui émanait de lui fit frémir la jeune femme toujours assise par terre.

- Haakon demeure inquiet, il exige que tu ailles la voir immédiatement.

- Vous n'avez pas de sage-femme ? Osa-t-elle demander.

- Non, aucunes des femmes du village est capable d'aider à enfanter, ce sont les hommes qui se charge d'aider du mieux les femmes, comme tu as pu le remarquer, nous manquons d'enfants ici.

Nessa fronça à nouveau les sourcils les yeux dans le vague. Il le remarqua puisqu'il rajouta :

- Mes hommes se refusent à prendre ce risque.

Nessa comprit alors que ce village avait subi la mort de nombreux nouveau-nés. Elle lut dans le regard du viking un sentiment de défaite. Il quitta la maison pour la laisser se vêtir de la robe. Les jambes douloureuse, Nessa enfila la robe et noua les lacets du corset. De couleur ivoire, la robe était simple, en laine mais très fine et sa poitrine qu'elle cherchait toujours à cacher était exposée par la coupe des lacets.

La porte se rouvrit brutalement. Terminant sa tresse à la hâte en baissant les yeux sur le sol, elle pouvait sentir le poids de son regard sur elle. Ivar profita qu'elle ait les yeux baissés pour la contempler. Sa belle captive était à présent vêtue de la robe qu'il avait choisi pour elle. Sa fine silhouette était absolument parfaite. La veille, il se souvenait des mots qu'avaient prononcé Ydi sur son corps et sur les jalousies qu'il pourrait susciter. Sa poitrine épanouie laiteuse et arrondis semblait aussi douce que la soie. Parfaite....bien trop parfaite pour accepter qu'un homme aussi monstrueux que lui ne pose ses mains sur elle. Une frustration nouvelle lui monta à la gorge, un ouragans de désirs enflamma ses sens. Elle s'avança timidement vers lui, les mains dans le dos.

Ivar se tourna vers la sortie en grinçant des dents. Ils traversèrent le village en silence jusqu'à la maison de Haakon. Au contact furtif de ses doigts dans son dos, Nessa frissonna. Elle avait l'impression d'être une petite chose qu'il pouvait briser au moindre contact même le plus léger. Ydi était allongée sur un lit au milieu de belles tapisseries semblables à celle de la maison du jarl.

Le viking aux cheveux blond se releva en la considérant avec une marque de respect. Bien-sûr, il se montrait sous son meilleur jour dans l'espoir qu'elle aide sa femme.

- Ivar m'a raconté que tu avais déjà aidée à enfanter, déclara l'homme en regardant sa femme ; Peux-tu me montrer ton savoir-faire ?

Nessa s'approcha d'elle avec prudence. Une fois à genoux près du lit, Nessa palpa son ventre avec précaution.

- Depuis quand est-elle enceinte ?

- Plus de huit mois, répondit Ydi en inspirant profondément.

- Avez-vous mal au dos ? Dans les reins ?

- Atrocement ! Avoua Ydi sous un grognement perçant de son mari qui s'agenouilla près du lit.

- Pourquoi tu ne m'as pas dit que les femmes te laissaient tout faire ? S'emporta le viking.

- J'ai essayé ! Mais tu avais l'air ailleurs !

- Tu sais bien que quand je rentre de voyage je suis encore sous l'euphorie des batailles ! Il faut me bousculer un peu.

Nessa écarquilla les yeux quand Ydi gifla le viking les lèvres tremblantes de colère.

- Ça y est ? Tu es suffisamment bousculé ? Demanda-t-elle d'une voix altérée par la douleur.

Nessa s'attendait à ce qu'il réplique violemment mais au lieu de ça, il posa un baiser sur son front.

- Je vais punir ces femmes.

- Ne puni personne Haakon, je te veux juste près de moi.

Nessa profita de leur échange pour appliquer une oreille sur son ventre. Le bébé donna un coup qui eut bon de la rassurer. D'après les lignes de ses hanches et de son ventre haut, Nessa était quasiment certaine qu'elle attendait un fils vigoureux.

- Il faut qu'elle se ménage, le bébé devrait se présenter plus tôt que prévu.

- Peux-tu l'aider femme ? Demanda le viking aux cheveux blond.

Surprise par l'immense inquiétude qu'elle pouvait lire dans son regard, Nessa acquiesça.

- Si j'ai l'autorisation de l'aider à enfanter alors je l'aiderais.

- Je préfère avoir affaire à vous plutôt qu'une autre, intervint Ydi en levant son regard sur le jarl positionné derrière elle.

Un silence jaillit soudain. Ydi confrontait le jarl avec la crainte qu'il refuse.

- Elle t'aidera, lâcha-t-il enfin.

Nessa ferma les yeux en remerciant le ciel de lui donner une chance d'être épargner à nouveau de sa colère.

- Est-ce que...vous avez des plantes, des huiles végétales que je pourrais utiliser pour l'apaiser ? Avez-vous une guérisseuse dans le village ?

Haakon se leva alors et enfonça presque la porte en bois en quittant la maison. Ydi leva les yeux aux ciel. Nessa sentit le jarl s'approcher d'eux.

- Maintenant qu'il est parti, avez-vous assez de savoir pour me dire si c'est une fille ou un garçon ? Demanda-t-elle d'une voix hésitante.

Le jarl balafré empoigna son bras pour qu'elle se relève et l'obligea à le suivre dans un recoin de la maison. Une lueur menaçante éclairait ses yeux bleus.

- Ne dis rien qui puisse être anéanti par une fausse certitude, Ydi a déjà perdu un enfant, elle ne supportera pas la perte d'un deuxième.

- Je ferais tout ce qui est possible pour mettre ce bébé au monde dans les meilleures conditions.

Le jarl leva sa large main abîmée pour la porter sur les lignes de ses mâchoires afin qu'elle relève la tête. Nessa frémit sous le contact de ses doigts sur son visage. Elle resta ainsi à sa merci, immobile, les yeux plantés dans les siens. Ses féroces mâchoires se contractèrent. Pourtant, il n'y avait aucune haine dans son regard.

- Mets au monde cet enfant et tu gagneras ma confiance.

Nessa sentit son cœur battre sourdement dans ses tempes. Il relâcha ses joues et quitta la maison sans un mot de plus. Elle porta ses mains à ses joues là où les doigts du géant s'étaient posés puis se tourna vers Ydi.

Elle s'empressa de lui sourire et vint près d'elle.

- Tu portes ton enfant haut, je dirais que c'est un garçon très vigoureux.

Ydi sourit comme si un ange venait de se poser à l'entrée de sa maison. Elle porta ses mains sur son ventre les larmes aux yeux.

- Si tu es sage-femme comme tu le prétends alors je garde en mémoire ta parole que c'est un fils que veux-tu en échange ?

Nessa n'hésita pas un seul instant.

- J'aurai besoin de l'aide de Kara, pourrais-tu demander à Hayar de la faire venir ?

Ydi accepta en grimaçant. Son mari revint avec des plantes et des herbes, lui indiquant qu'il avait tout pris sur son passage.

Nessa sentit sous sa paume de main que le bébé s'agitait, définitivement déterminé à sortir. Kara la rejoignit dans l'après-midi et la porte se referma sur elle. Nessa savait à présent que son destin était entre les mains de cet enfant à naître. Car cette porte...c'est elle qui devrait l'ouvrir, porteuse de bonnes nouvelles car dans le cas contraire, Nessa se savait condamnée.

Ivar avait prit place sur l'une des marches de la grande salle sans quitter la maison de Haakon des yeux. Tout le village avait eu vent de sa décision de laisser les deux captives mettre au monde l'enfant. Certains se méfiaient des bonnes intentions des captives et le faisaient savoir par des chuchotements qu'il fit taire sur-le-champ.

- Et si elle a menti sur ses dons ? Lança Gunard en affutant la lame de son couteau.

- Crois-tu ces femmes stupides au point de vouloir mourir ? Contra Hayar.

Ivar frottait ses paumes de mains les unes contre les autres sans quitter la maison des yeux.

- Ta captive est trop jeune pour prétendre avoir des dons, lâcha Ena en croisant les bras.

- Il m'en faut beaucoup pour me convaincre vous le savez, déclara Ivar d'une voix grave ; J'ai la conviction qu'elle ne ment pas.

La porte de la maison s'ouvrit, dévoilant la captive aux yeux verts, elle échangea avec Haakon qui lui tendit une bassine d'eau chaude puis elle referma la porte. De longues heures passèrent sans nouvelle de l'enfant ni de Ydi. Haakon avait fini par les rejoindre pour trouver du soutien.

- Et si elle s'enfuit avec l'enfant pour négocier sa liberté ? Lança Adyli en balayant ses cheveux d'un mouvement preste.

- Suffit ! Rugit Haakon en se levant.

Ivar le retint par le bras, essayant de le calmer. Les hypothèses de Adyli suffirent à déclencher la méfiance de ses hommes. Et même lui se mit à douter !

Sous l'agitation des hommes et femmes, au loin, la porte s'ouvrit. La jeune femme aux yeux verts quitta la maison, un linge blanc dans les bras. Haakon s'approcha à peine. Tous dévisageaient la captive s'approcher de son guerrier. Elle s'arrêta devant Haakon, l'expression neutre, un fugace sourire traversa ses lèvres pleines.

- Ta femme va bien et tu as un fils, déclara-t-elle en lui tendant le nouveau-né enroulé dans le drap.

Haakon contempla son fils qui ouvrait à peine ses yeux et qui émettait quelques cris. Ivar lui, fixait la jeune femme mais ne trouvait pas son regard. Elle se contenta de se retourner pour rejoindre la maison, visiblement soulagée d'avoir accompli son devoir. Elle vacilla, visiblement épuisée mais poursuivit son chemin. Ivar inspira profondément, sans la quitter des yeux jusqu'à ce que la porte ne se referme sur elle. Irrésistiblement attiré par les effluves qu'elle venait de laisser derrière elle, Ivar s'approcha de la maison, dans l'espoir qu'elle ose le regarder sans qu'il ne soit obligé de lui ordonner...