27. Ne pars pas, Cendrillon
Dans la salle d'embarquement, assises sur les fauteuils en plastique devant les immenses baies vitrées, Gwen et Gigi étaient parées pour le départ. Sur les grands panneaux télévisuels, leur avion affichait un retard d'au moins une heure. Entourées de leurs bagages, les deux françaises prenaient leur mal en patience. Il était triste de se dire que leur dernière vision de la sérénissime serait celle de cet aéroport froid, inconfortable, grouillant de monde et de bruits parasites.
Dès que la voix d'annonce aseptisée venait couvrir le brouhaha ambiant, Gigi grinçait des dents, comme soumise à une affreuse torture auditive. Le bourdonnement incessant de la foule suffisait tant qu'assez à saturer son esprit vaseux.
Pour oublier les séquelles posthumes de son ivresse, elle s'était saisie d'un exemplaire du journal La Republica, négligemment abandonné sur un siège par un des usagers. En mal de distractions, elle se plongea dans la lecture attentive des gros titres. Sur la première page, d'une titraille noire et imposante, un article attira son attention :
Rome libérée de son plus grand fléau ?
La nuit de Noël n'aura été pas fait de cadeaux aux rangs de la mafia romaine. En se rendant dans son restaurant favoris, Rodrigo Borghese, le plus vieux parrain de Rome, ne s'attendait sûrement pas à assister à son dernier repas. Certains le pensaient intouchable...
C'est pourtant entouré de ses proches et de ses plus fidèles amis que l'homme de 63 ans s'est effondré dans son assiette de cannellonis. Les personnes présentes ont, comme à leur habitude, refusé toutes déclarations à la presse. Probablement sous le coup de l'intimidation, les cuisiniers et le personnel présent resteront fidèles à l'omerta. En l'absence de témoins, nous n'avons pour l'instant pas plus d'informations sur le déroulement de la soirée.
Comme on pouvait s'y attendre, la « famiglia » ne s'est d'ailleurs pas montrée plus coopérative envers la police. Les autorités sont pourtant formelles : il s'agit d'un empoisonnement. « La piste du règlement de comptes reste la plus probable, mais nous n'excluons pas des guerres intestines au sein de la famille elle-même. » affirme l'inspecteur en charge de l'enquête.
Si une part de la population se dit rassurée, certains ne se font pas d'illusions : « Si ce n'est pas lui, c'en sera un autre. Il y a toujours un grand ponte pour prendre la relève du crime organisé. » ...
- Hey, t'es sûre que ça va ?
D'une voix préoccupée, Gwen avait finalement osé arracher Gigi à son obscure lecture.
- Hum hum...
Démunie face au mutisme de sa meilleure amie, chose rarissime et au combien inquiétante quand on connaissait la nature bavarde et expansive de la petite rouquine, Gwen résolu de mettre les pieds dans le plat.
- Tu comptes faire la carpe encore longtemps ? Tu n'as pas décroché un mot depuis ce matin !
Posant le journal sur ses genoux, Gigi soupira avant de lui offrir un regard criant de lassitude :
- Mais tu veux que je te dise quoi Gwen ? Qu'hier j'ai bu comme un trou de taupe et que je suis dans le lagenn complet ?
- Et tu es sûre qu'il n'y a que ça ? Rien à voir avec Giorno par exemple ?
Recueillant sa tête entre ses mains, Gigi se massa les tempes avant de trouver la force de lui opposer un ton catégorique :
- Gwen par pitié. Si tu veux m'aider, tais-toi. J'ai mal au crâne et j'ai pas envie de causer.
- Ok. Tu veux que j'aille te chercher de l'eau fraîche ?
- Oui, s'il te plaît...
En la regardant s'éloigner, Gigi fut prise de remords. Gwen n'avait fait que se montrer compréhensive et bienveillante. Elle ne méritait pas son humeur exécrable, mais en prononçant le nom de Giorno, elle avait immanquablement ravivé tout un florilège d'amertume et de regrets.
En dépit de toute sa volonté stoïque, penser à lui revenait à lutter contre l'envie de se répandre en larmes. Et ça, il en était hors de question. Elle avait assez donné ce matin. Ses yeux n'avaient même pas encore désenflé et elle n'avait aucune envie d'afficher le regard malade et globuleux d'un lapin sous myxomatose qu'on aurait croisé avec un poisson japonais.
Après que la haute silhouette de son amie ait disparu de son champ de vision, elle eut soudain la surprise d'apercevoir, au loin, une armada de fiers gaillards en costumes noirs. Comme un signe avant-coureur, son cœur frappa frénétiquement contre sa poitrine avant même qu'elle ne reconnaisse en son centre, la tête auréolée de boucles blondes de son beau vénitien.
« Merde, merde, merde ! Le con, qu'est-ce qu'il fout là ?! »
Saisit de panique, elle attrapa son journal, et en déploya les pages pour s'en servir de rempart. Fébrilement, elle attendit que les secondes défilent avec une lenteur insoutenable. Comme si ces ridicules feuilles de choux pouvaient constituer une barrière assez solide et opaque pour la rendre invisible, elle ne semblait pas se rendre compte qu'en les tenant si prêt de son visage, sa posture n'en était que plus suspecte.
Incapable de focaliser à nouveau son attention sur les articles, les lettres dansaient devant ses yeux agités. Toute sa concentration, elle l'employait à se retenir de lancer de furtifs regards par-dessus sa cachette improvisée. Plus que confuse, elle-même ne savait pas ce qui serait le plus dramatique : que Giorno passe à côté d'elle sans la voir, ou bien qu'il finisse par venir à sa rencontre...
La question ne se posa plus quand elle entendit, tout près d'elle, les tonalités chaudes et envoûtantes de sa voix :
- Buongiorno Gigi.
Si cette suave interpellation l'avait laissée muette, son corps y avait répondu avec un enthousiasme horripilant, frissonnant de toute part, bien trop conscient de l'aura que dégageait son tendre vis-à-vis.
Comme elle ne parvenait pas à trouver le courage de lui faire face, Giorno apposa doucement sa main sur les bords du journal. Et lorsque les pages s'étaient repliées pour dévoiler son visage rayonnant, Gigi s'était mordue les lèvres, tant de gène que de ravissement.
- Je me trompe ou tu essayais de te cacher ? Après la lettre que tu m'as laissé, je suis surpris que tu ne sembles pas plus contente de me voir, la railla-t-il en la couvant d'un regard plus vert et enivrant que l'absinthe qu'elle avait bue la veille.
L'évocation de cette lettre, écrite sous le coup de l'impulsion, et peut-être même de la bêtise à en juger par les conséquences, la propulsa au comble de l'embarras. Si dans un moment de faiblesse et d'égarement, elle s'était permise de tout lui avouer sans réserve, c'était uniquement parce qu'elle pensait ne plus jamais le revoir. Pourtant il était là, campé fièrement devant elle, armé de son plus beau sourire et de son inégalable prestance.
La belle française n'avait qu'une envie : se terrer dans un coin pour échapper à l'insoutenable beauté de cet homme, cet amant parfait qu'elle s'était si durement résolue à abandonner.
Il fallut pourtant qu'elle se force à retrouver l'usage de sa langue, et ce fut avec difficulté qu'elle se para d'une façade revêche et détachée :
- Non, je suis juste surprise. Les adieux c'est vraiment pas mon truc tu sais. Et puis je n'ai pas beaucoup de temps. Je risque d'être appelée pour embarquer dans l'avion d'une minute à l'autre...
- Oh, tu veux dire l'avion que j'ai pris soin de retarder d'au moins une heure ?
Devant le sourire triomphant de Giorno, le masque apparent de malhonnêteté de Gigi se délita instantanément pour exprimer toute sa stupéfaction.
- Qu- Pardon ? Tout ça juste pour me dire au revoir ?
- Te dire au revoir ? Dio mio, certainement pas ! affirma le beau vénitien, catégorique.
Et pour mieux témoigner de ses véritables intentions, il ploya le genou devant sa belle. Plongeant la main dans la poche de son costume bleu marine, il en ressortit un bel écrin de bijoutier.
«Oh putain, oh putain ! Pincez-moi ! Il se passe quoi là ?»
Paniquée, Gigi lança des regards alentour comme autant de signaux de détresse. Totalement déconnectée, elle prit la mesure de chaque détail extérieur, s'assurant qu'elle ne nageait pas en plein rêve. Elle se trouvait bien à l'aéroport de Venise, encerclée par les fidèles gros bras de son amant. De nombreux passants s'étaient arrêtés pour apprécier ce spectacle romantique, affichant des sourires béats et attendris devant cette demande en mariage improvisée. Et pas n'importe laquelle : la sienne !
Elle demeura un instant dans cet état de flottement où le rêve et la réalité se livraient une bataille acharnée. Le choc l'avait comme propulsée au rang de spectatrice extérieure, observant d'un œil aussi appréciateur que critique, cette scène digne d'une comédie à l'eau de rose aux ficelles aussi éculées qu'une vieille savate.
Ce n'est que lorsque son beau vénitien entoura vigoureusement sa main, qu'elle parvint à se ressaisir. Délicatement, il lui fit tendre la paume pour y déposer l'écrin d'un noir satiné. Le poids de cette petite boîte acheva finalement de l'ancrer aumoment présent. Ses doigts se mirent à trembloter, le bleu incertain de ses yeux se fit hésitant, et sa voix chevrota quand elle demanda dans un souffle :
- G-Giorno, tu es fou. Qu'est-ce que tu fais ?
Visiblement satisfait de susciter le trouble en elle, pour toute réponse, et avec une lenteur calculée, il commença à ouvrir le boîtier...Contre toutes attentes, à l'intérieur, point de bague sertie de diamant. À la place, sur un lit de velours pourpre, trônait une minuscule et scintillante chaussure en cristal Swarovski.
- Il est encore un peu trop tôt pour te prendre en mariage, alors pour l'instant, je me contenterais de te prendre aux mots... Ma chère Cendrillon, je crois que j'ai retrouvé ta pantoufle de verre.
Pantoise, Gigi plongea ses yeux dans ceux du beau vénitien. Et par-delà son extrême confiance, dans ce vert intense et sincère où elle s'égarait, elle put lire toute la force et toute la démesure de son affection, avant qu'il ne poursuive :
- Et si j'en avais le pouvoir, j'accélérerais le temps pour qu'il soit déjà minuit. Je te ferais danser à en perdre haleine, jusqu'à ce que tu sois pleinement persuadée que les rêves et les contes de fées sont l'essence même de Venise. Mais pour ça, j'ai bien peur de devoir attendre ce soir. Alors dis-moi que tu seras encore là, bella mia. Avec moi.
Pendue à ses lèvres pleines de sensualité et de promesses, Gigi céda aux élans d'allégresse qui faisait déjà valser son cœur. De ses petites mains, elle entoura les contours de ce visage fier et conquérant, et sa bouche entama le chemin pour aller l'embrasser.
La tendresse de son geste lui avait fait abaisser les paupières, si bien qu'elle ne vit ni ne comprit absolument rien de la violence qui survint.
- Giorno à terre ! avait soudain hurlé Carmine avant que la vitre derrière eux n'explose en mille éclats de verre.
Au moment de la déflagration, le géant Italien se jeta sur son Don, et dans le même mouvement, il emporta Gigi au sol. Le temps que les deux amants ne réagissent et rampent sous les sièges, il les couvrit de son corps immense pour assurer leur protection.
- Abattez-moi ce drone bordel de merde ! s'époumonait-il, encore incapable de prendre part à l'assaut contre l'engin meurtrier.
Plus rapide, le drone avait déjà engagé une salve de coup de feu dissuasifs avant d'opérer une retraite stratégique et de survoler les mouvements d'une foule fuyante et terrorisée.
Dès que, Giorno et Gigi semblèrent à l'abri, Carmine grimpa sur les fauteuils de plastiques, juste au-dessus d'eux. Debout, en plein dans la ligne de mire de l'engin, l'appâtant de toute sa hauteur, il attendit qu'il morde à l'hameçon. Devant la cible offerte et vulnérable qu'il représentait, le drone rebroussa chemin et fonça sur lui, zigzaguant dans les airs pour échapper aux tirs des autres hommes de main.
Sans ciller, le regard aiguisé de Carmine ne le lâcha pas une seconde. D'un sang froid à toute épreuve, la main fichée sur son beretta à l'arrière de son pantalon, il attendit le moment propice. Puis, d'un geste stupéfiant de célérité, il dégaina, tira par trois fois sans même ajuster son tir et abattit le drone qui s'écrasa à cinq mètres de lui.
Sautant de son perchoir, il se pencha vers les deux amants. Sans grande surprise, Giorno surplombait entièrement le corps de sa belle, si bien que de Gigi, on ne pouvait apercevoir que quelques longs cheveux roux éparpillés sur le sol.
- Tu n'as pas été touché ? demanda le géant italien en tendant la main à son Don.
D'un signe de tête, Giorno lui confirma qu'il n'avait rien, et dès qu'avec Gigi, il furent sur pieds, il ne perdit pas une seconde pour s'enquérir de l'état de sa bella.
- Tout va bien Gigi ?
Incapable de répondre, respirant frénétiquement, elle resta debout devant lui, résolument pétrifiée. Ses grands yeux exorbités semblaient poser mille questions, mais aucune ne parvenait à franchir la grimace tremblante de ses lèvres.
Après avoir rapidement tâté et observé l'ensemble de ses membres raidis par la tétanie, Giorno la recueilli entre ses bras. Grâce à Dieu, à part son air mortifié, elle semblait en parfait état.
Une fois rassuré, d'une voix aussi tranchante qu'une lame de rasoir, il ordonna immédiatement le repli :
- Paolo, va récupérer le drone. Ricardo, les affaires de Gigi. Carmine, reste près de nous. Vous autres, tenez les rangs serrés tout autour, et restez vigilants jusqu'à ce qu'on regagne les voitures.
Alors que tous s'activaient, Gigi sortit momentanément de sa léthargie. Avec fulgurance, elle se désolidarisa de son beau vénitien et se glissa sous les sièges pour ramasser la petite chaussure de verre qu'il lui avait offerte.
En une fraction de seconde, juste le temps qu'elle récupère son bien, Giorno l'avait rattrapée.
- Viens là, Gigi. Nous n'avons pas une minute à perdre.
Avec autorité, il l'avait collé contre lui et Carmine s'était aussitôt greffé à leurs deux corps. Entourés par les hommes de mains, réunis d'un seul bloc, ils fendirent la marée de gens affolés qui hurlaient à l'attaque terroriste. Et le cœur battant à tout rompre, sous l'impulsion des bras de Giorno qui l'enfermaient dans une étreinte protectrice, Gigi se laissa guider hors de l'aéroport, tenant fermement dans son poing, la petite pantoufle de cristal.
Et voilà comment saboter un conte de fées! ;)
Je vous avoue que je ne suis pas pleinement satisfaite de ce chapitre. Je ne suis pas très douée pour écrire des scènes d'actions, et il est un peu en dessous niveau expression, mais les idées sont là . Si vous avez des conseils, des remarques ou des suggestions je suis tout ouïe :)
J'espère néanmoins que vous avez apprécié et que vous avez été surpris, tant par cette fausse demande en mariage, que par l'attaque surprise qui vient donner un bon kick à ce cliché que j'aime pourtant beaucoup. ^^
Au passage, concernant la petite chaussure en cristal Swarovki, en voici une illustration :
Enfin, en média, une peinture libertine du célèbre Fragonard «Les Hasards heureux de l'escarpolette». Pas grand rapport avec le thème du chapitre me direz-vous. Mais faute de trouver quelque chose de plus signifiant, et juste parce-que la madame envoie valser sa petite chaussure, et bien j'ai choisi de le mettre. ^^'
Sur ce je vous souhaite une bonne soirée.
Prenez bien soin de vous <3
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