26. Un rêve qui s'achève


Au petit jour Gigi s'éveilla. L'aube blafarde, grise et morne, du lendemain de Noël avait faiblement envahi la chambre. La belle osa un regard vers la fenêtre, découvrant un ciel de nuées saumâtres dont l'âpreté conditionna son humeur déjà triste et maussade.

Un douloureux soupir resta coincé dans sa gorge. C'était le jour du départ. Un jour qui s'annonçait aussi brumeux que son esprit, encore à demi immergé dans le cocon d'un rêve d'amour et de volupté qui ne s'était pas tout à fait évanouie dans la nuit.

Le ventre noué, la belle française se contorsionna discrètement pour s'extirper de l'étreinte de son amant. Comme on retire sèchement un pansement d'une plaie, elle s'arracha aux draps. Aussitôt, un froid glacial s'empara de son corps nu. Frissonnante, repliée sur elle-même, elle resserra ses bras contre sa poitrine, mais ne parvint pas à retrouver une chaleur semblable à celle qui émanait de Giorno. Elle n'avait qu'une envie : replonger sous la couette, épouser sa large silhouette et se rendormir tout contre lui. Son cœur lui criait de le rejoindre, mais sa tête hurla plus fort :

« Ne pas céder. Ne surtout pas se retourner. Ne surtout pas le regarder. »

Lutter lui demanda plus de force morale qu'elle ne l'aurait cru. La tête entre les mains, semblable à une âme errante, elle chemina dans la chambre. Une larme vint remplir le creux de son œil cerné, puis une autre, jusqu'à ce que les pleures ne viennent noyer son visage terni. En essayant de retenir les sanglots qui lui étreignaient la gorge, elle manqua de s'étouffer. Le manque de sommeil et l'épuisement d'une nuit d'amour trop intense avaient eu raison de ses nerfs, mais elle devait se ressaisir.

Plaquant une main sur sa bouche, se contraignant à garder son trouble et sa peine au bord des lèvres, elle rassembla ses affaires en silence.

À son incompréhensible abattement, s'ajoutait un sentiment de honte et d'absurdité. Était-elle devenue complètement folle ou résolument sotte. Souffrir autant n'avait pas de sens. Se mettre dans un état pareil, hagarde, fébrile, la morve au nez et le sel dans les yeux en valait-il la peine ? Pour quoi ? Un flirt à Venise ? On lui aurait raconté, elle aurait ri, n'y aurait pas cru.

Après 20 ans d'indifférence sentimentale et un an de célibat forcé, trois jours avaient suffi pour que les afflictions et les réjouissances d'une passion débridée ne balayent une partie de son être. C'était aussi brutal et incongru que de passer le permis d'aimer en ultra-accéléré. Et pourtant, trois jours ce n'était rien. Rien de plus que 72 heures, 7 orgasmes qui vous laissent sur le carreau, 4 320 minutes de pur bonheur, 259 200 secondes et le double d'intenses palpitations. Assez pour ravir son cœur, mais pas assez pour s'avouer que ce qui la liait à cet homme dépassait déjà toute raison et tout entendement.

Elle devait partir. Non, fuir. Au plus vite. Peut-être qu'ainsi, sa tristesse insensée demeurerait dans cette chambre. Peut-être que sa peine resterait à Venise et qu'enfin, elle se sentirait libérée de cette explosion de joies qui tuent et de douleurs qui font trop vivre.

Dans une urgence bouleversante, elle se précipita à la porte de la chambre. Pourtant, avant d'en franchir le seuil, son corps se figea, lourd et statique comme un bloc de pierre.

Mue par l'envie de contempler une dernière fois son beau vénitien, elle revint sur ses pas et se ficha au pied du lit.

Pour mieux capturer l'image de son amant endormi, elle essuya les larmes qui lui embuaient les yeux.

Étendu sur le dos, il reposait dans toute sa magnificence, comme si on avait subtilisé toute la beauté des anges du paradis pour l'enfermer dans ses traits. À ce point ce n'était presque pas humain, et si son cher Dieu existait vraiment, Giorno était sans doute sa plus belle création.

Sans bruit, Gigi se saisit de son téléphone, braquant sur lui l'objectif. Il y avait peu de chances qu'elle oublie les perfections de ce sublime visage, mais elle ne résista pas à le prendre en photo. Ce serait l'unique chose qu'elle emporterait de lui, conservant ainsi la preuve que ce prince de conte de fées était plus réel et plus parfait que n'importe lequel de ses fantasmes.

Au fond d'elle, Gigi espérait que lui aussi se souviendrait d'elle. 

Partir comme une voleuse ne jouerait certainement pas en sa faveur. Et même si cette courte liaison avait un goût d'inachevée, elle eut soudain le désir d'y mettre un point final et grandiose. Alors une dernière fois, elle s'identifia à une héroïne de roman d'amour pour trouver le courage de dévoiler ses sentiments par la plume.

À la hâte, elle griffonna une lettre d'adieu. Puis, déposant le papier sur la table de nuit dans une amère résolution, elle s'en alla pour de bon.

Quelques heures plus tard, Giorno s'agita dans le lit. Sans déclore les paupières, il inspira l'odeur que sa belle avait laissée sur les oreillers et voulut la prendre dans ses bras. Il avait tant hanter et habiter son corps durant la nuit que le spectre de Gigi semblait toujours reposer près de lui. Pourtant, en tâtonnant l'espace vide à son côté il du se rendre à l'évidence : Gigi n'était plus là.

Dans un brusque sursaut, il se redressa. La soudaine inquiétude qui l'avait envahi ne manqua pas de le tirer définitivement du sommeil. Sur le qui-vive, les membres alertes, il balaya la chambre du regard. Les affaires de sa belle avaient toutes disparues. S'il avait voulu se rassurer, il aurait pu penser qu'elle était partie prendre un petit déjeuner en bas, mais il avait le pressentiment qu'elle avait depuis longtemps quitté les murs de la villa. Et en regardant l'heure sur son téléphone, posé sur la table de nuit, il remarqua le mot que Gigi lui avait laissé.

Ne ménageant aucun suspens, il plongea dans l'écriture fine et resserrée, un peu brouillonne, pour dévorer le contenu de la lettre.

Tu avais raison, je n'aurais pas dû me défier des prédictions de la sorcière. Le monde est plein de mystères et tu es sans doute le plus beau qu'il m'ait été donné de rencontrer. À tes côtés j'ai vécu un véritable conte de fées. Je crois même que j'aurais pu me faire rebaptiser « la cendrillon de Venise » si j'avais eu des pantoufles de verre et que tu m'avais faite danser jusqu'à minuit...

J'ignore si ce matin, en restant avec toi, tu aurais finis par prendre un air princier, posant un genou à terre et entourant mes mains des tiennes pour me proposer de rester... Je préfère ne pas le savoir et manquer l'occasion d'encore faire une folie. Peut-être es-tu d'ailleurs finalement rassuré d'être enfin débarrassé de moi ?

J'aurais aimé pouvoir me dire que l'urgence de notre rencontre et le peu de temps que nous avons passé ensemble m'auront obligé à t'idéaliser. Mais je ne suis ni assez fière, ni d'assez mauvaise foi pour me voiler la face. Des rencontres comme la nôtre, aussi exceptionnelle, je parie qu'on en fait une par siècle, et encore, si on a vraiment de la chance. Et tu as décidément trop de défaut pour que je puisse t'idéaliser ! Ce qui ne t'a pourtant pas empêché de complètement détraquer mon cœur.

Désormais, cet idiot ne jure plus que par toi. J'ai pourtant essayé de lui dire que Giorno Giovanna n'était pas le genre d'homme qu'il nous fallait : « il est trop différent de nous, trop riche, trop dominateur, trop beau, trop paternaliste et trop solaire... Mais surtout, il est beaucoup trop bien pour nous. Si je t'offre à lui, mon pauvre petit cœur, il finira par nous faire mourir d'amour, de joie, ou que sais-je, d'une crise cardiaque en me refusant l'orgasme. »

Si on avait écrit un livre sur nous deux, peut-être y aurait-il eu beaucoup d'amour, des rebondissements et une fin heureuse. Mais nous ne sommes pas dans un roman. Tu m'as appris que la réalité est implacable, mais qu'elle peut aussi s'apparenter à un rêve. Il est maintenant temps que je me réveille.

Je quitte les splendeurs de Venise à regret, et toi bien plus encore. Le plus beau voyage, je l'ai fait dans tes bras.

Merci pour tout sexual killer.

Ta bella


Après avoir achevé la lecture, un large sourire étira les traits du beau vénitien. Cette lettre était la plus belle déclaration que sa belle puisse lui faire. Il en aimait les subtiles touches d'humour, la justesse autant que la maladresse, et la sincérité implicite avec laquelle Gigi lui dévoilait ses sentiments. Détenir son amour était pour lui le plus beau des trésors. Elle venait de l'investir du plus grand pouvoir qu'il n'ait jamais possédé, et le voir écrit noir sur blanc le comblait au-delà des mots.

Malgré sa plénitude, il ne négligea pas que cette lettre se voulait aussi et surtout un adieu. Et il devait agir dans les plus brefs délais.

Confiant, le regard brûlant d'une détermination en acier trempé, il se leva et enfila son costume. Poussé par l'excitation des entreprises menées sur le fil, il se saisit de son téléphone.

Les interventions décisives de dernières minutes avaient toujours éveillé en lui un excès d'orgueil et d'adrénaline, qui, à chaque fois, ne manquaient pas de couronner son succès. Quand il s'armait de cette volonté impérieuse et incoercible, la fortune finissait toujours par se plier à ses désirs.

Il allait sortir le grand jeu, et sa victoire aujourd'hui, serait de ramener Gigi avec lui.


Pour ceux qui attendaient, je tiens à m'excuser de mon manque d'activité ces derniers temps . ^^'

Ce chapitre est un peu court mais j'espère qu'il vous rend impatient de connaître la suite.

Pour le média, voici une peinture (ou un croqui, ou une aquarelle, je ne sais pas trop ^^') dont je n'ai pas réussi à trouver l'artiste. Je voulais une vision de Venise un peu mystérieuse et onirique, brumeuse, comme ce matin gris où Gigi prend la dure résolution de partir... Comme si la ville commençait déjà à s'effacer... Mais je vous rassure, on peut aussi considérer que cette brume ne fait que dissimuler les splendeurs de la cité des eaux et qu'elles n'attendent qu'à être révélées dans la suite ^^

Avez-vous une idée de comment Giorno va faire pour retenir Gigi ? :)

A bientôt et prenez bien soin de vous. <3

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