24. Inconnue reconnue trop tard

Juliette

Ô mon unique amour, né de ma seule haine !

Inconnu vu trop tôt, reconnu trop tard !

Dois-je naître à l'amour par si grand prodige

qu'il faille que je m'offre à mon ennemi ?

W. Shakespeare



La nuit était déjà bien avancée et en remontant l'escalier pour rejoindre sa chambre, Gabriel croisa son aîné, en haut des marches, presque hagard.

- Giorno tout va bien ?

Ce n'est qu'en entendant la voix préoccupée de son petit frère que le beau vénitien réalisa à quel point son égarement devait se lire sur sa face.

- Oui ça va. Je crois que la fatigue a eu raison de moi, hasarda-t-il en reprenant contenance.

- Ah tu n'es pas le seul. Gigi dort déjà sur le canapé. Je crois qu'elle a un peu trop bu.

À cette annonce moqueuse, Giorno se sentit étonnamment rassuré. Si sa belle s'était abandonnée aux bras de Morphée, il pouvait s'épargner les sourires de façades qu'il lui auraient servis pour dissimuler son trouble.

- Bene. Alors je crois qu'il est temps pour moi d'aller la mettre au lit.

- Ha ha c'est rare de te voir jouer les baby-sitters. Tu dois être un peu déçu que la nonna ait réussi à la mettre hors-jeu.

- La connaissant, je considère que ça aurait pu être pire...

- C'est vrai. Pour elle, aucune femme ne sera jamais assez digne de son perfetto Giogio... Mais moi je te le dis, Gigi a l'air d'être une fille bien. Et elle me fait beaucoup rire.

- Merci Gabriel. Passe une bonne nuit.

- Toi aussi fratello.

Après avoir laissé son frère l'embrasser, Giorno se résolu enfin à descendre au salon.

Il remarqua qu'effectivement, Gigi dormait à poing fermé : enchanteresse vision, occupant la moitié de la banquette, toute recroquevillée sur un coussin qu'elle tenait entre ses bras. Sa longue robe blanche avait remonté pour dévoiler ses chevilles délicates et ses petits pieds ornés de ballerines immaculées. Sa tresse s'était déliée et quelques mèches rousses venaient folâtrer devant son visage, accentuant la subtile couleur rubis de ses joues rondes, éclairées par les flammes de la cheminée. Et sa moue tranquille, hors de garde, arborait cette innocence que seul un paisible sommeil peut transformer en une splendeur attendrissante.

À pas feutrés, Giorno s'approcha de son adorable endormie. Avec une infinie précaution, il la recueillit entre ses bras, veillant à ne surtout pas l'arracher à son insouciante somnolence. Intérieurement, il lui souhaitait des rêves plus doux que les turpitudes de la fatalité qu'il venait de découvrir.

En couvant sa bella d'un regard à la fois tendre et possessif, il se sentit divisé entre inquiétude et détermination : pour la préserver, tant du secret de sa profession que des révélations sur sa mère, il allait décidément avoir beaucoup à lui cacher. La maintenir dans l'ignorance ne serait ni aisé, ni une partie de plaisir, mais il ne voyait pas d'autres solutions pour la garder heureuse et surtout pour la garder auprès de lui.

Alors qu'il se dirigeait vers l'escalier, il surprit du coin de l'œil Gwen et Carmine, en train de partager une cigarette en toute intimité sur le balcon. En le voyant passer, comme deux collégiens surpris par un surveillant de couloir, ils s'éloignèrent l'un de l'autre et lui souhaitèrent bonne nuit.

Finalement, ce serait sûrement leurs ébats que la nuit et le jardin prendraient à témoins ce soir. Pour lui et sa bella, l'heure n'était désormais plus à ce genre de jeux.

Inébranlable, le sommeil de Gigi était si profond qu'elle ne bougea pas un cil ni une paupière quand Giorno la déshabilla et la borda dans le lit de sa chambre.

Avant de s'étendre auprès d'elle, il consulta son téléphone. Conformément à ce qui était convenu, il avait bien reçu un message de son assassin :

La mission a été un succès.

Très scrupuleux, son homme de l'ombre avait même joint une vidéo pour attester de la véracité de la nouvelle. On voyait à travers l'objectif d'une caméra cachée, le plus vieux parrain de Rome s'étrangler, puis rendre l'âme dans son assiette de cannellonis.

Giorno était rassuré. Borghese ne lui nuirait plus jamais et un poids se délestait de ses épaules. Mais en prenant place dans le lit auprès de sa belle, il ne parvint pas à se défaire de l'enclume qui pesait cette fois sur son cœur.

Exilé à l'extrémité du matelas, loin de trouver le repos, il osait à peine porter le regard sur le visage endormi de Gigi.

En repensant à la lettre de Ginevra, il se demanda si de là-haut, elle voyait que sa fille avait inconsciemment suivi ses pas pour se livrer aux bras d'un Giovanna ? Craignait-elle comme lui, qu'à se tenir trop près des dangers de la mafia, sa Gigi ne retrouve jamais la petite vie paisible qu'elle avait toujours souhaité lui léguer ?

Pour la première fois, Giorno effleura l'idée de la laisser partir, de la tenir loin des complots et des masques de Venise. Loin de lui. Mais à cette seule éventualité, il senti immédiatement son être se fissurer et sa raison voler en éclat. Réagissant par instinct, son corps parla pour lui et se réfugia tout contre celui de Gigi. Plus brusquement qu'il ne l'aurait souhaité, il l'entoura de ses bras, plaquant son ventre contre le sien, entremêlant ses mains dans ses longs cheveux et embrassant éperdument le haut de son crâne.

La belle ne se réveilla pas, mais comme si dans son sommeil elle avait reconnu la douceur de sa peau, elle se pressa plus encore contre lui, couinant de contentement dans le creux de son cou.

Divisé entre le bien fou que cette proximité éveillait en lui et la culpabilité de ne pas être capable de la relâcher, le beau vénitien soupira son âme. Si seulement sa belle l'avait repoussé rien qu'une fois, tout aurait été plus facile, mais depuis leur rencontre elle n'avait fait que s'ouvrir et s'offrir à lui...

Fort à propos, il se réappropria les mots que Shakespeare avait soufflés à Juliette pour les glisser à l'oreille de sa belle, plus bas qu'un murmure :

- Gigi, petite inconnue vu trop tôt, reconnue trop tard, et condamnée à naître à l'amour par un si grand prodige que tu t'offres à l'ennemie de ton sang. Au fils qui se retrouve en dette des malheurs causés à ta mère. Comment je pourrais trouver la force de te laisser partir lorsque tes bras s'accrochent si tendrement autour de moi ?

Bien évidemment, elle ne lui répondit pas. Cependant, son corps, comme éveillé par le son de ses chuchotements, se mit à se mouvoir pour montrer son approbation. Une de ses petites jambes s'entremêla à sa cuisse et la chaleur de son pubis se fit caressante quand elle exerça de petites pressions frénétiques en direction du ventre de son amant.

Rêvait-elle de lui pour que, même bordée par l'inconscience, elle cherche si désespérément l'union de leurs corps ?

L'humeur et les circonstances n'y étaient pas, pourtant sous les faibles ondulations de sa belle, le désir s'empara mécaniquement de Giorno. Assailli par un barreau de tous les diables, c'est à grand renfort de profondes respirations qu'il essaya de calmer son membre tumescent, obstinément dressé. Et pour ne pas céder à l'urgence de s'enfouir en elle, il finit par appuyer sa large main sur les fesses de Gigi, espérant ainsi lui faire cesser ses intolérables balancements de hanches. Il aurait pourtant été plus facile d'attraper une anguille à mains nues que de la forcer à l'immobilité. Même endormie, elle était aussi têtue qu'une mule, et mollement, elle s'était hissé sur le renflement de sa cuisse, s'y frottant avec ténacité.

Giorno pouvait sentir les lèvres de sa vulve commencer à palpiter et à suinter contre son muscle tendu et sous cette danse tortueuse, la tentation de la retourner pour la fendre en deux devint presque obsédante.

Avant que ce ne soit à grands coups de reins déchaînés, il décida finalement de la réveiller en l'écartant de lui et en tapotant ses joues :

- Gigi, svegliati...

Geignarde, elle finit par ouvrir de petits yeux fins qui peinaient à défier la lumière tamisée de la chambre. En échec, elle alla aussitôt enfouir son visage tout contre le biceps de son beau vénitien pour retrouver la douce noirceur à laquelle il venait de l'arracher.

- Ne te rendors pas bella mia.

- Hmm... quelle heure il est ? Grogna-t-elle groggy.

- Deux heures bien tassées.

À cette annonce, les derniers souvenirs de la soirée jaillir par gerbes incertaines dans le cerveau alourdi de Gigi. L'absinthe, le canapé et le feu de joie des farfadets... Maintenant, ces petits diablotins, c'était dans son bas-ventre qu'ils semblaient se trémousser pour la tourmenter.

Encore plongée entre l'étourdissement et la langueur, elle s'ancra au torse si chaud et solide de Giorno, puisant dans son odeur la volonté de rester éveillée. Trop loin de son cou, sa bouche hameçonna le premier bout de chair qu'elle rencontra pour l'embrasser et le mordiller avec transport et affection.

Sous la pointe de sa langue et sous la menace caressante de son émail, le téton s'érigea entre ses dents tel un petit bonbon qu'elle devait se retenir de croquer.

Comme si elle venait d'appuyer sur un interrupteur, Giorno s'électrisa entre ses bras. Dans un grognement rauque, il bascula sur elle. L'étau de ses mains emprisonna son mince visage et il fondit sur ses lèvres taquines pour les prendre en otage.

Étouffée par son baiser, la bouche obstruée par sa langue, Gigi laissa le corps massif et impérieux de Giorno la clouer aux oreillers. Terrassée par ses assauts, elle se sentit démunie, paralysée par la violence de la libido qui affleurait en elle avec turbulence.

Sans doute parce que tout son être se délectait qu'il l'écrase de sa chaleur et de son avidité, trop grisée de se sentir si impuissante et entravée en dessous de lui, elle peina à lui manifester son malaise.

Ayant profité et attendu à n'en plus pouvoir, elle empoigna soudain les longues boucles blondes de son amant. Désespérément, elle tira dessus, gémissant bruyamment contre les lèvres qui la muselaient, essayant d'attirer l'attention de Giorno pour qu'il la libère.

Le beau vénitien se força à la relâcher et l'interrogea de son regard fiévreux, possédé par l'envie.

Le visage cramoisie jusqu'à la racine des cheveux, essoufflée et presque suppliante, Gigi ahana :

- Giorno... j'ai vraiment envie de...

« De toi ? De faire l'amour ? » espérait-il entendre avant que, toute penaude, elle ne le bride dans sa fièvre en achevant sa phrase par un petit :

- ... de faire pipi.

Comprenant l'urgence de la situation, d'un sourire malheureux, il la libéra immédiatement du poids qu'il exerçait sur sa vessie au bord de l'implosion.

- Troisième porte à droite au bout du couloir, lui souffla-t-il la voix encore éraillée par le désir.

Sans perdre une seconde, la bella bondit du lit et se précipita vers la porte.

- Attends Gigi ! Tu comptes quand même pas sortir comme ça ?

Elle se stoppa net et sembla remarquer pour la première fois qu'il l'avait mise nue comme un ver. Alors qu'elle cherchait désespérément quelque chose à enfiler, Giorno vint à son secours lui porter sa chemise blanche. Ses lèvres affichant un sourire un rien sadique, il la lui passa sur le dos et la boutonna pour elle avec une lenteur suggestive et infernale.

La bella fut soudain aguichée par la vue du torse parfait de son amant : nu, halé et outrageusement musculeux. Et son sexe doublement torturé se mit à lui envoyer des signaux contradictoires : « Lâche toi Gigi... Non ne te lâche surtout pas ! »

- Giorno vite, faut vraiment que j'y aille... le supplia-t-elle fébrilement en trépignant sur place.

Et dès qu'il eut enfilé le dernier bouton, elle fusa hors de la chambre comme un bolide de rallye.

« Mais quelle plaie ! Crétine ! Abrutie ! »

Assise sur la cuvette des toilettes, au son du clairon de la délivrance, Gigi se fustigeait de s'être empaffée comme la dernière des ivrognes. À force d'excès et d'escarmouches menées contre la nonna, sa boustifaille et ses flacons d'alcools sortis de l'enfer, elle avait amputé le temps précieux qu'il lui restait à passer avec Giorno. Elle enrageait d'avoir laissé filer quelques-unes des dernières heures de son magnifique conte de Noël. Demain, tout ne serait plus qu'un rêve lointain qui s'envolerait en même temps que son avion à destination de sa terre de Bretagne. Mais pour l'heure, qu'importe combien elle se sentait déphasée, elle entendait bien se remettre de sa gueule de bois en s'enivrant de son beau vénitien.

La bouche sèche et les membres encore ramollis, elle descendit au salon à pas de loup pour récupérer son nécessaire de toilette. Elle projetait de prendre une douche rapide pour se remettre d'aplomb et se redonner un peu de fraîcheur.

Quand elle reparut dans la chambre pour demander où se trouvait la salle de bain, elle perçut une subtile odeur de vanille et de gingembre. En son absence, Giorno avait allumé quelques bougies parfumées qui ajoutaient à la pièce une aura délicieusement intime et érotique. Cette délicate attention ne laissait planer aucun doute sur ses intentions et le ventre de Gigi se souleva d'impatience comme l'envol d'un essaim de papillons.

- Je vais me rafraîchir un peu. Je ne serai pas longue.

Et comme une apparition, blanche et fantomatique, elle disparut à nouveau dans le couloir.

Dans le cabinet de toilette au carrelage bleu pervenche, Gigi se déshabilla à la hâte. La pièce n'était pas chauffée et le froid l'étreignit toute entière. Tandis qu'elle ouvrait sa trousse d'une main saisie de tremblements, elle pouvait sentir les petits carrés lisses et glacés engourdir ses pieds nus. Sans perdre de temps, elle s'engouffra dans la grande douche à l'italienne et fit couler les rets d'eau chaudes. Armée de son dentifrice et de son gel douche, elle s'activa avec énergie pour lustrer proprement ses dents et chaque partie de son corps.

Le regard égaré sur les mosaïques florales de la faïence, elle anticipait avec excitation son retour dans la chambre de Giorno. Sa petite main, s'immisça entre ses jambes et elle constata que déjà, son sexe humide était prêt à recevoir tous les délices.

Le corps recouvert d'une mousse légère et glissante, elle ne résista pas à se caresser tendrement pour pallier à l'impatience qui la possédait.

Trop occupée à se tripoter, elle n'entendit pas la porte de la douche s'ouvrir discrètement. Un courant d'air frais la fit tressaillir et alors que l'étouffante vapeur d'eau s'enfuyait de la cabine, un bras puissant vint soudain lui étreindre le ventre. En sentant un corps nu se coller contre son dos, elle poussa un cri perçant qui mourut aussitôt dans la paume de l'intrus.

- Shh silenzio Gigi, tu ne voudrais pas réveiller toute la maison ?




J'espère que ce chapitre assez tranquille vous aura plu et qu'il saura faire monter l'attente ^^

Sans grand suspens, je crois qu'on sait tous de quelle nature sera le chapitre suivant ;)

J'ai longtemps hésité entre vous écrire les ébats de Gwen et Carmine ou bien ceux de Gigi et Giorno, mais finalement j'ai choisi de laisser la vedette au couple principal. Je sens que je vais encore bien galérer car à chaque scène érotique je me mets trop la pression ^^' Mais je me réjouis quand même de les mettre en action. Il faudra juste que j'arrive à tout faire tenir dans un chapitre de maximum 15 minutes, c'est la contrainte que je me suis fixée pour cette fois :)

PS : En média, juste pour le plaisir et pour coller avec la citation, encore une scène de Balcon avec Roméo et Juliette, cette fois du peintre Charles Jalabert :)

Sur ce je vous dis à bientôt pour les vacances de noël ^^

Prenez bien soin de vous <3

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