22. La goutte de trop
L'éblouissant sapin, au tronc noyé de présents multicolores, était devenue le centre d'attention, fédérant devant sa lumière dorée la joie des hôtes et des convives.
Assises légèrement en retrait sur le canapé, les deux françaises n'avaient malheureusement rien à offrir aux membres de la famille Giovanna. Ce fut donc d'un œil curieux, qu'elles les observèrent échanger leurs cadeaux.
Gigi ne manqua pas de remarquer à quel point Giorno avait fait les choses en grand, avec l'éternel sens de la démesure qui le caractérisait. Pour ses proches, il n'avait choisi que le meilleur, ce qui se faisait de plus cher et de plus luxueux : un bracelet d'or blanc serti d'émeraude pour sa nonna, une paire de boucles d'oreille en diamant pour sa mamma et un voyage de rêve à destination du Japon pour son petit frère.
Rien que pour les trois, il avait dû dépenser des dizaines de milliers d'euros, et même si elle ne doutait pas qu'il puisse se permettre de telles folies, Gigi se sentit mal à l'aise devant cette opulence. Ils ne vivaient résolument pas dans le même univers et elle n'osait même pas imaginer à combien pouvait s'élever sa fortune. À l'inverse d'une femme vénale, elle aurait sans doute était effarée en découvrant combien de zéro pouvait afficher le solde de ses comptes en banque. Et si elle n'avait pas déjà succombé à son charme et à son caractère, sans doute l'aurait-elle sévèrement accusé de jouir d'un statut si privilégié, comme elle l'avait fait au palais des doges, le jour de leur première rencontre. Car même dénuée de jalousie envers les milliardaires, elle ne comprenait pas qu'il soit autorisé à une poignée de privilégiés d'amasser autant de richesses alors que la misère s'étendait plus largement de par le monde.
Alors qu'elle se perdait à imaginer un nouvel ordre mondial, libéré des affres du capitalisme, Giorno s'invita sur le canapé entre les deux amies.
- Buon Natale Gwen, fit-il en tendant un sac cartonné à l'amie de son amante.
En voyant que figurait sur l'emballage l'estampille de la célèbre marque Prada, le regard de la belle brune s'illumina. Elle ne perdit pas un instant pour le remercier chaudement et déballer l'accessoire qu'il lui avait offert.
Tandis que Gwen s'extasiait devant la qualité et la finesse de son nouveau foulard de soie, Giorno déposa entre les mains de Gigi le cadeau qu'il lui avait réservé.
- Et voilà pour toi bella mia. J'espère que ça te plaira.
- Giorno, il ne fallait pas ! Moi j'ai rien à t'offrir, c'est extrêmement gênant...
- Ne t'inquiète pas. Tu n'as qu'à considérer cela comme une compensation.
- J'avoue que j'ai du mal à te suivre.
- Ouvre et tu comprendras.
Et en effet, en découvrant qu'il lui avait offert une magnifique petite culotte de satin blanc signée La Perla (haute couture italienne oblige), elle comprit. Cette belle pièce de tissue venait remplacer la guenille qu'elle lui avait laissée en souvenir. Et en se rappelant la force avec laquelle il l'avait arraché à ses flancs pour la mettre à nu durant leurs ébats, le pourpre gagna subitement ses joues.
- M-merci beaucoup. Elle est bien plus belle que l'ancienne, bredouilla-t-elle en venant planter un furtif baiser sur sa joue.
Visiblement ce timide geste de reconnaissance ne sembla pas suffire au beau vénitien, qui tourna le visage pour planter sa bouche contre la sienne.
C'était la première fois qu'il dévorait ses lèvres devant une assemblée, mais comme toujours, reliée à la chaleur de son souffle, elle oubliait tout ce qui l'entourait. Aussi ne remarqua-t-elle pas le regard insondable de Gwen, partagé entre inquiétude et bienveillance, et celui profondément désapprobateur de la nonna. À les voir tous les deux, on avait peine à croire qu'ils ne se connaissaient que depuis quelques jours, et leur passion commune s'imposait comme une évidence aux yeux de tous.
Lorsque les amants désunirent leurs bouches pour s'échanger un sourire complice, Bianca les rejoignit et s'adressa à la belle française d'une douce voix :
- Gigi, ça ne vous dérange pas si je vous emprunte mon fils. J'aimerais m'entretenir avec lui un instant.
- Non non pas du tout. Je vous en prie.
La nonna, qui était resté à l'affût, attendit que s'éloigne sa descendance et que Gigi se retrouve seule et vulnérable, pour aller lui proposer un mystérieux breuvage.
- Je n'ai pas de cadeau pour vous Gigi. En revanche laissez-moi vous offrir ce délicieux petit digestif.
La jeune bretonne aurait dû se méfier de la teinte verte de ce spiritueux, mais le verre était si minuscule, qu'il lui sembla bien inoffensif. Sans rechigner, elle l'accepta et le but d'une traite. Elle le regretta aussitôt. Le liquide lui agressa la gorge, engourdissant sa trachée et incendiant ses boyaux comme un feu grégeois.
- Putain vous voulez ma mort ? C'est quoi ce truc ! Du vitriol ?! Toussa-t-elle en se retenant d'éructer.
- Non, c'est de l'absinthe. Croyez-moi, elle est d'une qualité inestimable. De la comme ça, on n'en fait plus.
- Il y a peut-être une raison !
- Allons allons, ce n'était qu'une lampée, ça ne veut pas vous faire de mal.
Gigi était loin d'en être si certaine et elle essaya de tirer les vers du nez à cette vieille folle pour qu'elle lui révèle à combien de degré s'élevait le « petit digestif ».
Pendant ce temps, près de la cheminée, Gwen et Gabriel, comme deux laissés pour compte, les observaient. La belle brune trouvait le petit frère de Giorno absolument adorable, courtois et plein d'humour. Malgré son jeune âge, il parlait déjà couramment six langues et sa parfaite maîtrise de l'anglais en faisait un interlocuteur privilégié.
Quand le ton vint à monter entre Gigi et la nonna, les deux nouveaux acolytes se mirent à tenir les paris : laquelle allait finir par arracher les yeux de l'autre la première ?
- Ma petite Gigi est de loin la plus sanguine, convint Gwen.
- Peut-être, mais ma nonna est sans doute la plus maline des deux. Sans compter qu'elle est plus tenace qu'un pitbull dressé au combat, lui objecta Gabriel.
- Tu ne connais pas Gigi. Si elle se met vraiment en colère, elle devient plus féroce qu'une tigresse.
Un raclement de gorge étouffé, comme roulé dans la fumée, les interrompit soudain dans leurs pronostiques.
- Gwen. C'est pour toi.
Carmine se tenait devant elle, une main derrière la nuque et l'autre tendue vers elle, renfermant un petit paquet enrubanné.
Jamais elle ne se serait attendu à une telle attention de sa part. Et comment aurait-elle pu ? Un jour il la baisait avec passion comme si elle était la huitième merveille du monde, et le lendemain il disparaissait comme le pire des queutards. Au cours de la soirée, il ne lui avait même pas lâché un seul regard, pas un seul sourire ni une parole aimable. La seule fois où il avait daigné s'adresser à elle, c'était lorsqu'il lui avait fait la bise, figé dans une raideur inconfortable, la gratifiant d'un « bonjour » si impersonnel, que même ceux adressés à une concierge auraient semblé plus chaleureux.
Devant son hésitation et sa perplexité, le géant italien agita la petite boîte noire sous son nez :
- Prends. Qu'est-ce que tu attends ?
Son ton s'était fait brusque, comme si lui faire ce présent était pour lui une corvée dont il avait hâte de se débarrasser.
- Excuse-moi mais je suis plutôt surprise, fit-elle en se saisissant du paquet. C'est en quel honneur ?
- Pour me faire pardonner. Pour hier soir.
Sa voix s'était faite rauque et basse, mais rien dans son attitude n'indiquait qu'il était véritablement désolé.
- Hier soir ? Oh j'avais déjà oublié. Mais merci.
Devant ce mensonge éhonté, Carmine fronça ses épais sourcils, incapable de masquer l'évidente contrariété qui venait de l'envahir. À quoi jouait-elle ? Elle ne pouvait pas avoir oublié, il avait tout fait pour qu'elle se souvienne de chaque instant. Et si c'était une piqûre de rappel dont elle avait besoin, quand tous les convives se seraient dispersés dans les chambres, il allait se faire un plaisir de la lui administrer !
Gwen pouvait sentir le regard sévère du géant italien percer les solides remparts de sa désinvolture, mais bien trop curieuse de découvrir ce que renfermait son cadeau, elle fit mine de l'ignorer.
À en juger par la taille et le poids de la boîte, elle était persuadée qu'il ne pouvait s'agir que d'un parfum. Pourtant en défaisant l'emballage, elle n'aurait pu être plus décontenancée :
- Oh, un taser. Comme c'est... insolite.
Sans savoir pourquoi, Gwen présentait que Carmine avait plus d'une fois eu l'occasion de se servir de ce type d'arme, et la manière experte dont il lui répondit ne fit que confirmer son intuition :
- Il est petit et compact mais très pratique. C'est le plus puissant qu'on trouve sur le marché. Si un taré croise à nouveau ta route, tu seras bien armée.
Gigi, que la curiosité avait poussé à traîner sa démarche brinquebalante jusqu'à eux, s'immisça soudain dans la conversation :
- Hé hé, tu lui as raconté pour ton stalker ?
Puis se tournant vers Carmine elle ne manqua pas de rappeler à quel point son père, ce formidable héros breton, était digne d'admiration. Comme si elle parlait à un sourd, s'appuyant mollement sur l'épaule de sa meilleure amie, elle brailla :
- Elle t'a raconté comment papa est venu à son secours ? Te fait pas de bille. Tant qu'il veille au grain, Gwen risque absolument rien !
Rien que de repenser à ce Billy, que sans connaître il tenait déjà pour rival, le géant italien se para d'un air revêche et presque condescendant :
- J'imagine que ce vieil homme ne sera pas toujours là pour la protéger.
Si la jalousie évidente du jeune homme fit sourire Gwen, Gigi le prit pour un affront personnel.
- Hé mon père c'est pas un vieil homme ! Il a même pas 50 ans !
Pour ponctuer ses paroles, elle voulut piquer le torse de Carmine d'un index accusateur, mais bien que la cible soit considérable, son doigt se perdit dans le vide plusieurs centimètres plus loin.
Visiblement, la goutte d'absinthe avait été celle de trop.
Un rire clair et suave s'échappa de la sublime bouche de Gwen avant qu'elle n'attrape la main de sa meilleure amie pour l'attirer sur le canapé.
- Gigi ma pauvre chérie, t'es bourrée comme un coin. Viens t'asseoir cinq minutes.
La petite rouquine ne tarda pas à s'affaler sur les coussins et à poser sa tête sur les genoux de sa meilleure amie. Bien que déçu de ne pouvoir poursuivre son échange avec Gwen, le géant italien se laissa attendrir par la manière dont la jeune femme prenait soin de Gigi. Avec une douceur élégante et mesurée, toute maternelle, elle se mit à la cajoler, plongeant ses doigts à la racine de ses cheveux roux pour l'apaiser.
Sans savoir pourquoi, cette démonstration d'affection, il se mit à l'envier. Lui aussi aurait voulu qu'elle lui touche gentiment le front et le caresse de ce même regard tendre et bienveillant. Cette femme extraordinairement belle et parfaite, excitait le moindre de ses désirs, du plus urgent, au plus secrètement enfoui. Entre ses cuisses, il voulait être homme et prédateur, mais s'il s'imaginait dans ses bras, il se voyait enfant, enfin libéré de ce manque d'affection qui avait façonné sa dureté et son tempérament taciturne.
Posant un dernier regard frustré sur la belle brune, Carmine s'éclipsa. La mine sombre et renfrognée, il alla s'exiler sur le balcon pour fumer. Il tira furieusement sur sa cigarette pour calmer ses nerfs et parmi les volutes de fumée, il prit son mal en patience, priant pour que Giorno ne tarde pas à prendre le relais avec cette poivrote de Gigi.
S'il était resté dans le salon, il aurait de toute façon vu que la jeune bretonne n'allait pas faire long feu.
Tourmentée par les vapeurs insidieuses de la fée verte, son crâne bourdonnait. Ses tempes pulsaient sous l'échauffement de son front, et même la fraîcheur des doigts attentionnés de Gwen ne parvenait à calmer les flammes verdâtres qui dansaient devant ses yeux. Et bien que son amie fasse son possible pour améliorer son confort, lui sacrifiant ses genoux et toute son attention, Gigi ne cessait de geindre dans leur langue maternelle :
- Gwen, j'ai mal au ventre... Et y'a comme des farfadets dans ma tête qui font la fête autour d'un feu de joie...Ah j'aurais dû me méfier ! Cette vieille chenille, ce vieux débris ! Ça ne lui a pas suffi de me gaver comme une oie la fripouille. Il a fallu qu'elle m'achève avec son foutu tord-boyaux !
- Tout excès finit par se payer Gigi. Essaye de te reposer.
Puis, à force de cajoleries, la jeune bretonne sentit ses paupières s'alourdir sous le poids du sommeil, de l'alcool et de son ventre bien plein. Tel un malicieux marchand de sable, la fée de l'absinthe avait déposé quelques petites gouttes vertes, non pas sur ses yeux mais à la commissure de ses lèvres, l'obligeant à faire un petit somme proche de la narcose.
Voilà voilà ! Un chapitre assez banal. On ne dirait pas comme ça mais en vrai j'ai un peu galéré : trop de personnages à gérer et la difficulté c'est de passer d'une vue d'ensemble, puis d'une interaction à l'autre en gardant un tout fluide. J'ai toujours du mal avec ça et j'espère que les transitions ne sont pas trop abruptes. ^^'
Sinon j'espère que ça vous fait plaisir d'avoir une petite touche de Carmine/Gwen (même si Gigi vient jouer les troubles fête ^^')... A ce sujet, comme vous vous en doutez, dans peu de temps, je vais devoir m'atteler aux scènes érotiques. Je me demandais si le fait d'en avoir deux différentes le même soir ne serait pas un peu lourd... Pourtant j'ai bien envie d'offrir à Gwen et Carmine leurs petits moments. Pensez-vous que je doive le faire au moment de la soirée, dans la linéarité, ou bien je me contente de le sous entendre et je réserve ça dans un flash back pour plus tard ? ^^
Je vous remercie encore de me lire et de m'apporter vos avis :) Et je vous dis à la semaine prochaine pour un chapitre riche en révélations ^^
Prenez bien soin de vous <3
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