Chapitre 25
Bien que la douleur était l'essence même de ce baiser Abby trouva en lui autre chose de plus profond. La bouche de l'homme était partagée entre l'envie et la crainte d'aller trop loin. C'était chaste, silencieux, suspendu dans le temps avec une retenue douloureuse. Elle sentit ses mains se poser sur ses joues de façon à l'approfondir et il pressa ses lèvres sur les siennes une dernière fois avant de se reculer et de poser son front contre le sien.
Abby souleva ses paupières et découvrit l'expression sur son visage qui était proche de la torture. Son souffle était irrégulier et difficile comme s'il essayait de combattre un démon intérieur.
Ensuite, sa prise sur ses joues s'effaça lentement et il se détacha d'elle pour quitter la cuisine d'un pas pressé et presque rageur.
Elle le laissa partir sans songer à le suivre car elle avait bien compris que sa présence était responsable de sa fuite.
Alors elle se contenta de toucher ses lèvres, le cœur battant à la chamade, l'esprit submergé de pensées contradictoires. Ce chaste baiser et contrôlé signifiait pour l'homme bien plus qu'il signifiait pour elle.
C'était une âme torturé et qui savait désormais qu'il avait fait une erreur. Une erreur qu'il ne pourrait peut-être pas se pardonner.
Abby descendit du tabouret en ne sachant pour où aller. Tout son monde était chaque jour bouleversé et comme un renouveau, elle devait recommencer au point de départ.
Dire que ce baiser ne l'avait pas chamboulée serait un mensonge et son corps qui frissonnait en cet instant le prouvait.
Elle remonta l'escalier la naissance de ses doigts toujours posé sur ses lèvres encore tièdes et s'enferma dans la salle de bains pour reprendre ses esprits. Margaret Stones ou Layce l'avait peut-être piégée mais elle regrettait de ne pas pouvoir lui parler en cet instant.
Alors pour tromper son esprit Abby prit une douche bien chaude et resta un moment sous les jets à se demander quel sera la suite et si celle-ci lui apporterait la réponse définitive à toutes ces questions. Après s'être séchée, elle décida de ne pas remettre l'attelle qui étouffait sa jambe et enfila un long pull d'hiver rouge et ses bottines préférées. Ses yeux n'arrivaient pas à se détacher de la porte et de cette illusion de lui, appuyé contre le chambranle de celle-ci.
Où était-il ? Que faisait-il ?
Tourmentée par ce silence elle décida de s'enfoncer des les couloirs du manoir et ouvrit quelques portes au hasard.
C'est au détour d'un couloir qu'il lui imposa sa présence. Bien sûr elle fut saisie d'un soubresaut incontrôlable, mais ensuite le souvenir de ce baiser torturé l'apaisa.
Il ferma la porte en bois massif en dardant sur elle un regard qui l'empêcha d'abord de respirer puis ensuite en s'approcha avec une démarche mesurée.
- Où est ton attelle ?
- Je n'en ai plus besoin, répondit-t-elle en tirant sur les manches de sa robe pull. Je peux marcher sans maintenant.
- C'était à moi d'en juger Abby.
- Vraiment ? S'enquit-elle bêtement en le regrettant aussitôt.
Il haussa un sourcil très parlant qui la fit rougir d'embarras.
- Je suis en quelque sorte ton médecin.
- En effet et j'ai suivi tes recommandations, mais désormais je me sens capable de marcher seule.
Il ne semblait pas de cet avis, mais s'y plia.
- As-tu d'autres questions à me poser ?
Il faisait de sorte que ce baiser n'ait jamais existé et elle se sentit obligé de lui rappeler.
- On pourrait discuter de ce qui s'est passé dans la cuisine.
Il se rembrunit.
- Je ne désires pas en parler Abby et tu ne devrais pas non plus, claqua-t-il sur un ton définitif en ouvrant une porte sur la droite.
Abasourdie elle secoua la tête de manière imperceptible et entra à son tour dans la pièce. Il s'agissait d'une bibliothèque qui renfermait une collection de livres très ancienne et si d'ordinaire elle se serait précipitée pour les admirer, Abby resta concentrée sur Silas.
- C'est un peu injuste pour moi.
- Ce n'est pas injuste, c'est préférable de l'oublier car je n'en ai pas le droit, rectifia-t-il en ouvrant les portes vitrées d'un placard au style baroque. Tu mérites mieux que ça.
- N'est-ce pas à moi d'en juger ?
- Tu n'es pas en capacité de réfléchir si j'ai une quelconque emprise sur toi. Après tout je suis ton geôlier pour la deuxième fois en moins de deux ans. Je n'ai pas le droit de te toucher de la sorte même si j'en crève d'envie.
Devait-elle se montrer vexée et blessée qu'il réagisse comme ça ?
Non bien au contraire.
Il prouvait simplement qu'il n'était pas comme le monde voudrait qu'il soit.
Un horrible tueur en série.
Il avait de l'empathie pour elle même s'il faisait tout pour la lui cacher. Il voulait la protéger et rattraper son erreur.
Parfois elle en arrivait même à se demander si ses victimes n'avaient pas mérités ce destin.
Après tout ils avaient torturé une innocente, une jeune fille sans défense. Ils l'avaient drogué, frappé, humilié et le pire c'est qu'ils avaient tenté de la violer et l'ensemble de ces crimes n'avaient pas été traduits en justice.
Cette affaire avait fait la une de la presse, mais aucun d'entre eux avait été puni pour ce crime...
Sarah avait été oublié et la seule chose qu'on avait retenu d'elle c'est le nom de son père.
Abby ne pouvait pas s'empêcher d'éprouver de la peine pour cette jeune fille et pouvait comprendre la colère de son frère qui lui avait rendu justice.
Abby était la mieux placée pour savoir que la justice était parfois injuste et immorale.
Personne ne l'avait aidé et personne n'avait remué ciel et terre pour retrouver celui qui l'avait violé.
Si à l'époque Abby avait pensé qu'il s'agissait d'une procédure habituelle, les mois qui avaient suivi lui avaient simplement donné l'impression d'être abandonnée.
Elle quitta sa torpeur en inspirant profondément et se concentra sur l'homme qui regardait dehors avec son regard très glacial et parfois mort.
C'était un homme en colère et même après sa vengeance il gardait sur les traits de son visage l'impression que jamais il ne pourrait envisager d'être en paix.
La vengeance macabre avec laquelle il avait rendu justice à sa sœur ne la lui rendrait jamais.
Elle n'essayait pas de l'excuser mais de comprendre cette rage qui l'avait poussé dans les ténèbres et le plus troublant c'est qu'elle avait l'impression qu'un fragment manquait à son histoire.
- Je suis désolé, dit-il d'une voix si sombre qu'elle s'était instinctivement reculée. Je me comporte comme un égoïste comme je l'ai toujours fait depuis le premier jour, poursuivit-il en continuant de fixer le paysage silencieux. Je n'ai jamais été comme ça et pourtant avec toi c'est instinctif. Je ressens de l'égoïsme en moi et il s'avère incontrôlable.
Il consentit à lui offrir un regard très dur puis reporta ce même regard en direction de la fenêtre.
- Tu devrais me détester, pas m'offrir tes lèvres, ajouta-t-il d'une voix amère.
- Je...je n'arrive pas à te détester, s'entendit-elle murmurer les larmes aux yeux.
Il poussa un profond soupir le visage douloureux et quitta son poste d'observation pour s'installer dans un fauteuil.
- Ce n'est pas toi qui m'a fait du mal, et je crois que je commence enfin à comprendre certains détails que je ne comprenais pas à l'époque. J'ai besoin d'en parler à quelqu'un autre que toi.
Cette information eut l'effet du gifle ou du moins c'est ce qu'elle crut.
- Tu as raison et je sais exactement qui pourra t'aider si tu le souhaite.
Abby fronça des sourcils.
- Qui ça ? S'enquit-elle l'air septique. Personne ne doit savoir que je suis ici.
- Fais-moi confiance et je crois que moi aussi j'ai besoin de lui parler.
Sa façon de garder ça mystérieux l'obligeait à réfléchir davantage et plus elle tentait de résoudre l'énigme plus l'homme se renfermait derrière un masque impassible.
- Tu verras le moment venu, lui dit-il sans plus d'explication.
- Tu es l'homme le plus mystérieux que j'ai jamais rencontré.
- Tu aimes ça, s'enquit-il avec un fugace sourire.
- Ah oui ?
- Je le crois et tes yeux sont très parlant.
- Dans ce cas si mes yeux sont si parlant, à quoi je suis en train de penser là maintenant ?
Il darda sur elle un regard énigmatique, les mâchoires contractées.
- Tu hésites à t'approcher de moi parce que tu ne sais pas ce qui risque de se passer si tu le fais.
Abby baissa furtivement les yeux parce qu'il avait visé juste.
Pour réponse elle se racla la gorge en croisant maladroitement les bras.
- Alors, est-ce que j'ai raison ?
- J'ai l'impression d'être coupée du monde et tout me semble imprévisible.
- Je suis imprévisible.
Abby se glissa jusqu'au canapé pour s'y installer.
- Seulement avec moi ?
- Non, révéla-t-il en plongeant son regard dans le sien. J'ai compris que je l'étais au moment où j'ai travaillé pour Massimo Di Marzio.
- La mafia ?
- C'est bien plus qu'une Mafia, commença-t-il d'une voix absente. C'est une famille et jamais je n'aurai pensé trouver cela là-bas.
- Ce sont des meurtriers eux aussi n'est-ce pas ?
- Non tu te trompes. Ce ne sont pas des assassins, Massimo fait régner la loi à sa façon et jusqu'à maintenant je n'ai trouvé personne en Italie qui s'en plaignait. Il chasse ceux qui font du mal et à la différence de moi, il ne s'en cache pas et se moque de ce que le monde en pense. Tu veux savoir pourquoi ?
- Oui.
- Parce que notre monde est un monde de corruptions et parfois ceux qui sont élu pour nous protéger le sont aussi. Ce besoin avide de pouvoir peut transformer les gens de façon terrible et c'est exactement pour cette raison que je ne laisserai personne me juger. Les seules personnes qui le peuvent c'est moi et toi.
Abby se mordit la lèvre en croisant les mains sur ses genoux.
- Une fois que tu auras trouvé celui qui imite ton père que comptes-tu faire ?
Son regard reprit des tons de mystères.
- Je verrais ça une fois que j'aurai mis un terme à ce chapitre de ma vie.
- Comment était Derek William Spencer ?
- Travailleur, intelligent, désireux de donner un avenir meilleure à sa petite-sœur jusqu'à ce qu'elle me soit arrachée.
Sa froideur lui fit regretter de lui avoir posé la question, mais désormais qu'elle était lancé...
- Pourquoi un masque sans visage ?
- Abby...
- Non je veux savoir s'il te plaît.
- Parce que je n'avais plus d'identité, répondit Silas en scrutant attentivement les expressions lisibles dans ses yeux. J'étais mort, je devais mourir, c'était comme si je n'avais plus de visage.
- Alors cette brûlure c'est...
- Ça suffit, ordonna-t-il en se levant précipitamment. Tu as suffisamment posé de questions pour aujourd'hui.
Il lui prit la main pour l'entraîner hors de la bibliothèque.
La curiosité de la jeune femme faisait ressurgir un passé qu'il voulait oublier et bien qu'elle paraissait déçue Silas n'était pas encore prêt à révéler ses secrets.
Peut-être que quelqu'un d'autre pourrait le faire à sa place, songea-t-il en pressant sa main dans la sienne.
- Où allons-nous ?
- On va prendre un peu l'air.
- Est-ce là une façon de fuir cette conversation ?
- Je ne suis pas en train de fuir, je veux marcher un peu.
Il l'entraîna à l'extérieur, plus précisément dans le grand jardin. Bien que l'air lui était bénéfique Abby savait au tréfonds d'elle que l'homme essayait de fuir son passé. Du moins il refusait de le partager.
- N'est-ce pas la raison pour laquelle tu m'as supplié de te ramener ici ? Lança-t-il soudain en lâchant sa main pour mieux la piéger contre la façade du manoir.
- En effet, parvint-elle à dire en suivant sa main droite qui venait de se poser sur le mur.
- Tu es en train de me rendre complètement fou, j'espère que tu le sais au moins, lui confia-t-il d'une voix très rauque.
Un frisson courut dans son échine mais cette fois-ci il n'était pas glacial.
- Je m'efforce de résister, mais je ne sais pas encore pour combien de temps, ajouta-t-il en respirant péniblement.
Abby garda ses lèvres scellées de peur qu'il s'arrête de lui dire ce qu'il éprouvait à cet instant.
Il posa sa main sur sa joue en fixant sa bouche avec envie et cette envie se traduisait dans ses mâchoires crispées.
Elle espérait secrètement qu'il se penche et reprenne ce baiser inachevée.
C'était un risque.
C'était comme valser avec les ténèbres.
Et Abby avait l'impression terrifiante que c'était la seule chose dont elle avait besoin...
Peu importe les conséquences.
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