Chapitre 24


La dernière chose dont elle se souvenait c'est qu'il l'avait poussé à se rallonger et ensuite il avait pris la décision de s'allonger à ses côtés sans un mot. Aussi étrange que cela puisse paraître sa présence l'avait rassurée plus qu'elle ne l'avait effrayée à tel point qu'elle s'était endormie sans crainte de sa présence à ses côtés. En ouvrant les yeux elle s'attendait à le voir encore allongé à ses côtés mais ce ne fut pas le cas. La place était froide et gardait encore la trace de son passage, mais il n'était plus là et Abby avait l'impression qu'il était parti depuis bien longtemps. Elle se redressa sur le matelas en éprouvant un sentiment de soulagement de ne plus être enfermée dans cet étau étouffant et angoissant. Il avait cédé à sa demande et elle se demandait ce qui avait pu lui faire changer d'avis en si peu de temps. Abby se leva du lit et s'approcha de la fenêtre pour tirer le rideau.

Elle exhala un soupir de soulagement en dévisageant ce paysage qu'elle connaissait et qu'elle se ravissait de revoir. Tout en ouvrant la fenêtre Abby vérifia qu'il n'était pas derrière elle et prit une bouffée d'oxygène.

Elle sentit alors ses lèvres frémir d'un sourire qu'elle ne pouvait cacher car elle avait l'impression d'être libre même si au fond d'elle Abby savait que ce n'était pas le cas.

Elle referma la fenêtre et saisit le gilet qui reposait au pied du lit pour l'enfiler avec hâte. L'avantage cette fois-ci c'est qu'elle connaissait le manoir et qu'elle n'avait pas cette impression que le prochain couloir lui serait méconnu. En dépit des battements de son cœur qui n'avaient de cesse de battre de plus en plus vite Abby descendit l'escalier en affrontant ce silence ô combien pesant. Le plus difficile c'était l'ignorance qui sans cesse lui faisait craindre le pire.

Où était-il ?

Elle l'ignorait mais elle poursuivit son chemin jusqu'au salon et la première réaction qui l'a saisi fut de prendre la télécommande pour allumer la télé.

Était-ce un pressentiment qui l'avait poussé à l'allumer ?

Abby l'ignorait mais ce qu'elle découvrit sur la première chaîne d'information lui glaça le sang.

La CNN était en train de rapporter là sous ses yeux perdus sur l'écran que le tueur au masque sans visage venait de refaire son apparition après deux longues années de silence.

Les mains moites elle augmenta le volume du son pour mieux entendre car ses oreilles bourdonnaient si fort que la voix de la présentatrice apparaissait inaudible.

" - Que savons-nous précisément sur ce qu'il s'est passé ? Demanda l'animatrice à son envoyé spécial.

- Selon les premières informations celui qu'on surnomme le tueur au masque sans visage serait apparut dans les locaux du centre médical de Mercer Island et aurait séquestré pendant plus deux heures une thérapeute mais qui en réalité était une infiltrée pour la police de Seattle. "

Mon dieu !

Abby dont les lèvres étaient sèches attendait la suite avec une crainte indescriptible.

" - Pour rappel, madame Stones était la thérapeute de la jeune femme enlevée il y a plus d'un mois maintenant et qui n'est autre que la survivante du tueur au masque sans visage qui l'avait séquestré pendant plus d'un an avant de la relâcher devant les portes d'un hôpital, poursuivit le journaliste.

- Dans quel état se trouve cette femme ? A-t-elle pu donner plus d'explications aux enquêteurs ?

- Selon une source proche du dossier, elle aurait dit que cet homme dont le visage est caché par un masque immaculé s'est servie d'elle pour faire savoir qu'il est ici à Mercer Island et dans un but précis. Cette policière n'aurait pas précisé le but en question mais beaucoup ici sur le terrain pense que ça a un lien avec Abby Rivera. "

Abby coupa la télévision et reposa la télécommande en vitesse comme si celle-ci lui brûlait les doigts.

- As-tu vu les expressions sur leur visage ?

Elle sursauta à cette voix et se retourna violemment pour l'affronter. Debout, l'épaule appuyée contre la poutre en bois, il portait le visage d'un homme apaisé et peu inquiet des conséquences.

De son côté, Abby éprouva des difficultés à reprendre son souffle et se mit à fuir son regard en passant une main inutile dans ses cheveux.

- Les journalistes ne se rendent pas compte à quel point ils sont devenus un divertissement, reprit-il sur un ton si posé qu'elle arrima son regard au sien.

- Qu'est-ce que...

- Il me fallait un moyen de faire entendre que j'étais de retour, la coupa-t-il en se redressant sans toutefois avancer. Comme je te l'ai précisé il y a quelques jours plus tôt, je ne tue pas les innocents. Margaret Layce me paraissait la bonne personne pour relayer l'information.

Il fit quelques pas en avant puis s'arrêta à nouveau.

- Nous avons discuté pendant un moment ou plutôt c'est moi qui parlait et elle se contentait de m'écouter attentivement.

- Et maintenant ? S'enquit Abby en croisant les bras contre sa poitrine.

- Maintenant nous allons attendre quelques jours le temps de laisser l'affolement médiatique retomber et ensuite on suivra mon plan.

Cette façon qu'il avait de rester énigmatique la rendait dingue et le pire c'est qui donnait l'impression de le savoir sans pour autant mettre fin à ce tourment perpétuel.

Alors comme à son habitude il fit demi-tour et s'effaça comme une épaisse couche de fumée sombre.

- Est-ce que c'est un jeu pour toi de partir en laissant derrière toi une traînée de poudre d'interrogations sans réponses ? Lança-t-elle en le suivant et sur un ton légèrement agacé.

- Cela me donne du temps pour réfléchir à la réponse que je vais t'apporter, répondit-il en faisant le tour du plan de travail. Rien ne peut me prédire ta réaction si je me contente d'y répondre avec la froideur implacable qui fait de moi ce que je suis. Tu es fragile Abby et tes yeux de biche terrifiée chaque fois que je te regarde m'impose un temps de réflexion avant de te répondre.

- Je ne suis pas aussi fragile que tu sembles le penser.

- Parce que tu t'es jetée dans le vide pour échapper à cet imitateur ou parce que tu as été ma captive pendant un an ?

- Parce que j'ai survécu à un viol, lâcha-t-elle en le regardant droit dans les yeux.

Une sorte de lueur proche du regret passa furtivement dans son regard et son expression devint subitement différente, comme si l'empathie venait d'émerger dans le couloir de la mort qui représentait son âme.

- Et c'est sans doute la raison pour laquelle je ne parviens pas à pleurer, te supplier, hurler et appeler à l'aide, ajouta Abby en se raclant la gorge. Parce que c'est différent car tu ne m'as pas fait de mal comme lui m'en a fait. As-tu eu accès à mon dossier ?

- Non, lâcha-t-il très durement en sortant deux tranche de pain qu'il posa dans une assiette.

Déroutée par cette réponse inattendue Abby resta quelques secondes sans voix.

- Pour quelle raison ?

- Parce que si j'ouvre ce dossier je vais confronter des photos que je refuse de regarder, expliqua-t-il en ouvrant le frigidaire. Ça va juste me rappeler que j'ai fait une énorme erreur et qu'alors que je pensais que tu étais complice du meurtre de Sarah, tu étais en réalité une victime oubliée de cette nuit que beaucoup n'ont d'ailleurs aucun souvenir.

Une émotion le gagna et elle tenta de la dissimuler du mieux qu'elle le put parce que celle-ci concernait cet homme bien plus que les mots qu'il venait de prononcer.

- Tu es brisée, rajouta l'homme la mine fermé car sans doute voulait-il masquer ses pensées. Il suffit de regarder au fond de tes yeux pour déceler cette fissure et je voudrais la réparer. Je voudrais te voir sourire et me dire que tout ira mieux à l'avenir, mais je suis en partie responsable de ce malheur.

Abby s'approcha jusqu'au comptoir en se retenant de lui hurler que la seule personne qui l'avait brisé jusque dans son corps c'est son violeur.

- Tu es brisé également, murmura-t-elle en guettant sa réaction.

Il lâcha un rire creux et assez amer.

- Je ne suis pas brisé, contrat-il en tartinant les tranches de pain. Je suis dans la vengeance. Du moins j'étais dans la vengeance et maintenant je suis en quête de vérités. Je vais trouver qui a voulu te faire du mal et je vais l'anéantir afin que tu sois en sécurité pour le restant de ta vie.

Ce n'était pas une option, ni une prédiction mais une promesse implacable qui la fit frémir.

- J'ai un plan en tête et je te demande seulement de le suivre Abby, est-ce que tu peux faire ça ?

Sous la pression de son regard lourd et pénétrant Abby acquiesça en se pinçant les lèvres.

- Tout ira bien, je te le promets, ajouta-t-il en faisant le tour du plan de travail.

Sans lui donner le choix il la souleva pour l'installer sur le tabouret et glissa assiette devant elle.

- Tu as vraiment besoin de manger, tu es affamée ne dis pas le contraire.

Effectivement elle était affamée, mais se demandait comment il faisait pour chaque fois deviner ce dont elle avait besoin.

- Comment le sais-tu ?

- Parce que je t'ai administré un calmant pour pouvoir te déplacer jusqu'au manoir, et il donne faim et soif.

Il posa ensuite un verre d'eau devant elle puis retourna derrière le plan de travail.

- Le calmant était vraiment nécessaire ?

- Oui, répondit-il sombrement. Parce que si jamais tu mets un terme à cette confiance qui m'a poussé à accepter de te ramener ici, j'ai pour projet de te reconduire dans cet endroit coupé du monde.

Elle frémit à ces paroles qui la mettaient clairement en garde.

- Ce n'est pas ce que je veux.

- Je l'espère bien.

En silence ils se regardèrent comme si plus rien n'avait de sens autour d'eux. Comme si le monde se dérobait soudainement.

Affamée elle finit par rompre cet instant en mordant dans le sandwich et prit le temps de le savourer.

Silas contempla la jeune femme avec une sensation insondable dans la gorge. Pas à pas il avait l'impression qu'il se rapprochait de ce but qui pourtant lui paraissait inatteignable.

Peu à peu la confiance s'installait et peut-être plus. Ses yeux bleus possédaient désormais une lueur autre que la crainte et pour lui c'était une victoire qu'il brûlait de célébrer.

Il contourna le plan de travail et s'avança jusqu'à elle en prenant soin de lisser cette approche avec une lenteur délibérée.

" Tu es amoureux de cette fille "

Qu'est-ce que l'amour ? Se demanda-t-il alors qu'il n'avait jamais éprouvé ce sentiment auparavant.

L'unique personne qu'il avait aimé jusqu'à ce qu'elle pousse son dernier soupir était Sarah.

Il ne maîtrisait pas cet amour que lui faisait ressentir Abby et il craignait que sa manière du lui exprimer ne soit pas la bonne. Seulement c'est la seule façon qu'il connaissait à ce jour.

Était-ce possible qui s'émane de sa froideur une chaleur qui pour l'heure n'existait pas ?

La jeune femme allait-elle lui permettre de lui montrer ou au contraire le repousser ?

Abby était aussi difficile à lire que lui l'était même si par moment son regard lui traduisait quelques unes de ses pensées.

- J'aimerai connaître ton plan.

Silas quitta sa torpeur pour se concentrer sur sa demande qu'il rejeta aussitôt.

- Plus tard, décréta-t-il d'une voix au timbre rauque. Nous possédons plusieurs jours devant nous avant d'en parler. J'aimerai me concentrer sur nous pour l'instant.

Elle se pinça les lèvres en baissant la tête l'air déçu.

- Tu as besoin de savoir à l'avance ce qui va se produire pour anticiper, ajouta-t-il en s'autorisant à passer son index dans l'une de ses mèches de cheveux.

- C'est exactement ça, confirma-t-elle en levant la tête.

Abby resta immobile comme si son corps refusait de bouger, soumis au regard impérieux de l'homme. Devait-elle se maudire pour ça ?

Elle n'en avait pas la moindre envie.

Quelque chose d'indéniable se produisait entre eux et difficilement supportable car son corps luttait en vain contre cette brûlure qui n'avait de cesse de croître.

Il posa sa paume de main contre sa joue et elle ne l'arrêta pas car à nouveau son corps s'y refusait pendant que sa tête lui imposait de prendre garde.

Un tumulte se mit à l'envahir et au lieu de chercher à le comprendre elle le laissa approcher son visage vers le sien.

Il souffrait à cette approche comme s'il avait conscience qu'il ne la méritait pas. Son souffle tiède caressa son visage et la souffrance se mua ensuite en quelque chose de plus intense et incontrôlable.

Il toucha ses lèvres avec les siennes et Abby avait l'impression de ressentir la douleur qui accompagnait ce baiser.

Un baiser de glace...

Un baiser qu'elle ne voulait pas arrêter...

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